Le crime d’un père/02

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Éditions Édouard Garand (62p. 5-6).

CHAPITRE II

PREMIÈRE DÉCEPTION


Tu songes
Aux chauds et vains serments qu’elle t’a faits
Et qui pourtant n’étaient que de parfaits
Mensonges.

Après s’être éloigné à vive allure du « building », sans choisir son chemin, avec la simple préoccupation d’augmenter la distance entre lui-même et le lieu du crime, René finit par ralentir sa marche et se demander ce qu’il devait faire.

Sa première idée fut d’aller se constituer prisonnier et de raconter les faits tels qu’ils s’étaient passés. On ne pourrait le considérer comme un meurtrier ordinaire ; on comprendrait certainement que seule, la fatalité devait être tenue responsable ; attaqué, il s’était défendu, mais sans l’intention de blesser son agresseur, dont la mort devait être considérée comme un pur accident.

Mais non, on ne le croirait pas !

Ses compagnons de travail déposeraient qu’il avait été appelé au bureau de M. Atkins pour y être vertement réprimandé, étant soupçonné d’avoir fraudé sa comptabilité, d’avoir volé. Sans doute, il lui serait aisé de prouver sa parfaite honnêteté, mais l’accusation subsistait et l’avis des jurés serait que, pris de rage en se voyant calomnié, il avait frappé et tué.

« Tué !… jurés !… Accusation ! »

Ces mots se bousculaient dans son cerveau enfiévré, entraînant à leur suite d’autres pensées plus cruelles encore, d’autres mots plus macabres :

« Prison !… Condamné !… Échafaud !… »

L’échafaud… et la honte !… Ah ! non ! pas cela ! Il fallait fuir !… Mais comment ?…

Aller chez lui, puis à la banque, rassembler les effets et l’argent nécessaires à la fuite ? Mais non, son logement et sa banque seraient les premiers endroits où l’on tendrait une souricière ; ce devait être déjà fait, car la police prévenue par téléphone, avait dû s’empresser de s’enquérir de ses tenants et aboutissants.

Il se sentit poursuivi, troqué, bête fugitive que pourchasse la société ; ne valait-il pas mieux encore affronter le procès, essayer de convaincre juge et jurés ?

Mais le fait de s’être enfui au moment du drame ne pèserait-il pas sur lui comme une implacable accusation ? À toutes ses protestations d’innocence, ne répondrait-on pas que, seuls, les coupables cherchent le salut dans la fuite ?

Tandis qu’il marchait au hasard, en proie à l’indécision, il se trouva sur la rue Sherbrooke, où demeurait la famille de sa fiancée. Un besoin impérieux, irrésistible, le prit de se confier à un cœur ami et, sans plus tergiverser, il se fit annoncer à Mademoiselle Marcelle Dechênes.

Celle-ci le reçut au salon, aimable et souriante comme de coutume, bien qu’un peu intriguée par son air étrange et par l’imprévu de sa visite. Le malheureux jeune homme s’élança vers elle et, lui serrant la main avec effusion, il s’écria :

— Enfin, Marcelle, me voici près de vous !…

— Mais qu’avez-vous donc ? s’informa la jeune fille, surprise de sa pâleur et de son trouble.

— Il m’arrive une chose affreuse, ma bien-aimée, une chose qui peut-être retardera l’heure bénie où doivent s’unir nos destinées.

— Expliquez-vous, je vous en prie !

— Marcelle, j’ai confiance en vous, comme vous devez avoir confiance en moi et s’il survenait un obstacle entre nous, nous unirions nos efforts pour le briser, le surmonter !… Car vous m’aimez comme je vous aime, n’est-ce pas ?

— Sans doute, mais…

— Marcelle, notre bonheur est menacé !

— Ciel ! que me dites-vous là, René ?… Ah ! je comprends, vous avez cessé de m’aimer et vous cherchez une excuse, un prétexte pour reprendre la parole que vous m’avez donnée.

— À Dieu ne plaise !… Jamais je ne cesserai de vous aimer, Marcelle, et rien ni personne ne me fera renier mon serment, mais s’il arrivait que je sois accusé d’un crime, si j’étais obligé de fuir la justice de mon pays…

— Vous, un criminel ? Mais c’est impossible !… Vous voulez m’éprouver !… Ou alors, il s’agit d’un accident, d’une horrible fatalité !

— La fatalité, oui, Marcelle, c’est bien elle en effet, qui m’a poussé à frapper mon patron et à le tuer.

— Vous avez tué ?… tué votre patron !… Mais c’est incroyable, voyons, René !…

— Incroyable, mais vrai. Il m’accusait d’être un voleur et…

— Et vous l’avez tué, emporté par votre colère ?… Plus un mot, Monsieur d’Anjou !…

— Mais permettez !…

— Non, non, plus un mot, vous dis-je ! Je n’ai que faire de vos confidences et je ne veux pas devenir la recéleuse de secrets indignes de moi. Vous comprendrez qu’il faudra désormais considérer nos projets de mariage comme n’ayant jamais existé !…

— Marcelle, je vous en supplie, écoutez moi !.

— Assez ! coupa l’orgueilleuse jeune fille, en faisant vibrer un timbre pour appeler le domestique. Assez !… Moi ? votre femme ?… que diraient mes parents, mes amis ?… Que dirait le monde ?… Jamais je ne serai la femme d’un homme qui a souillé ses mains du sang de son prochain et je vous interdis désormais de reparaître devant moi !

Puis, comme le domestique entrait, elle ajouta avec un calme parfait et sur le ton le plus naturel :

— Veuillez reconduire Monsieur d’Anjou !

 

René se retrouva dans la rue, complètement abasourdi, désemparé, l’âme et le cœur meurtris.

Sous le soleil radieux, des promeneurs élégants goûtaient le charme des premiers effluves du printemps, des enfants prenaient leurs ébats, de jeunes mamans poussaient avec sollicitude un carrosse de bébé, heureuses de pouvoir donner à leur plus précieux trésor, cette cure d’air et de lumière.

La vue des jeunes couples, des bambins et des bébés, la brise printanière, l’astre resplendissant, les arbres feuillus et leurs chanteurs ailés, les pelouses verdoyantes, les automobiles glissant silencieusement sur l’asphalte de la superbe avenue, orgueil de Montréal, tout évoquait la joie de vivre et d’aimer.

Vivre !… Aimer !…

À vingt-deux ans, il ne pouvait plus rien espérer de la vie, ni de l’amour, le malheureux dont l’avenir et le cœur étaient brisés.

Mourir !…

Ah ! oui, cela serait la plus douce chose qu’il pouvait attendre, mais un bon catholique, un croyant, ne meurt pas quand il veut ; à moins de vouer son âme aux tourments éternels, il doit attendre dans la résignation et l’espérance l’heure que Dieu a fixée pour mettre un terme à son calvaire.

Dieu !…

Mais le voilà, le Refuge !

Sa morne déambulation l’avait conduit au seuil du Bon Pasteur. Il pénétra dans la chapelle. Là, se trouvait le Juge Suprême, Celui devant qui il n’aurait pas besoin de plaider sa cause puisqu’il savait !… Celui dont la miséricorde infinie s’étend aux fautes les plus graves, quand elles entraînent l’humilité et le repentir !

Quel lieu choisi pour parler à Dieu !…

Le style froid, austère mais imposant, la sobriété des décorations, le silence majestueux, tout y porte au recueillement et à la prière, bien mieux que les pompes des plus somptueuses cathédrales.

René pria longtemps, se sentant rasséréné à mesure que sa pensée s’élevait vers Dieu. Un jeune prêtre passa et consentit à recevoir immédiatement sa confession.

Quand René quitta la chapelle, il était transfiguré : sans être joyeuse, sa physionomie n’était plus celle d’une bête traquée, celle d’un désespéré ; soulagé d’un poids énorme, puisqu’il jouissait de l’absolution du Juge le plus puissant et le plus redoutable, il trouvait aussi un allié précieux, un protecteur sûr, dans le Père Éternel, qui aima tant ses créatures, qu’il sacrifia le sang de Son propre Fils à leur salut.

Sa confession terminée, René avait complété ses prières avant de quitter la chapelle, et des noms d’êtres chers s’y étaient mêlés, celui de sa bonne mère qui, dans son village des provinces maritimes, mourrait peut-être de honte et de douleur en apprenant l’accusation portée contre son fils, celui de son père défunt, celui de sa sœur aînée, qui lui avait toujours témoigné la tendresse d’une petite maman.

De cette dernière, seule, pouvait venir le salut ! Sans posséder une immense fortune, son beau-frère avait toujours chez lui une assez forte somme disponible. Malgré ses principes rigides, son austère sévérité, le professeur Renouard était juste et bon ; âgé de 45 ans, il avait voué une affection quasi-paternelle au jeune frère de la femme qu’il adorait.

Tous deux croiraient à son innocence et feraient tout en leur pouvoir pour le sauver.

Décidé à lutter pour sa liberté et sa réhabilitation, il héla un taxi et se fit conduire à la villa du Professeur Renouard, boulevard Sainte-Catherine.

Mais là, un nouveau désappointement l’attendait ; il ne trouva que les domestiques qui, sur un ton légèrement impertinent, le prièrent de revenir, les maîtres n’y étant pas.