Le grand dictionnaire historique/éd. de 1759/Abbé

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ABBÉ. Nous avons déja remarqué que le nom d’abbé vient du mot hébreu ab, qui signifie pere, & du chaldéen & du syriac abba, qui a la même signification : il a été donné particulierement aux chefs des communautés de moines, que les Grecs ont aussi appellés archimandrites. Ces anciens abbés étoient des moines qui avoient établi des monasteres qu’ils gouvernoient, comme ont fait saint Antoine & saint Pacôme, ou qui avoient été préposés par les instituteurs de la vie monastique dans un pays, ou enfin qui étoient choisis par les moines d’un monastere. Ces abbés & leurs monasteres, suivant la disposition du concile de Calcédoine, étoient fournis aux évêques, tant en Orient qu’en Occident. A l’égard de l’Orient, le quatriéme canon de ce concile en fait une loi ; & en Occident, le canon 21 du I concile d’Orléans, le 19 du concile d’Epaone, le 22 du II concile d’Orléans, les capitulaires de Charlemagne, & le canon monatieria 18. quœst. 2. Mais tous ces canons n’empêcherent pas qu’il n’y eût dès-lors des monasteres exempts de la jurisdiction des Ordinaires ; & il paroît par le concile de Carthage, tenu l’an 525 sous l’archevêque Boniface, qu’en Afrique le fondateur d’un monastere, s’il n’étoit pas dans les ordres sacrés, pouvoit le soumettre à l’archevêque de Carthage, ou à tel autre d’Afrique qu’il jugeoit à propos, malgré l’opposition de l’évêque diocésain. Le concile d’Arles de l’an 455 confirma aussi le monastere de Lerins dans l’exemption de la jurisdiction de l’évêque de Fréjus. Depuis ce temps-là quelques abbés ont obtenu des exemptions des Ordinaires pour eux & pour leurs abbayes. Ordinairement ce privilége leur étoit accordé du consentement des évêques, à la priere des rois ou des fondateurs. Les abbés ont eu séance dans les conciles après les évêques. Quelques-uns ont obtenu la permission de porter la crosse & la mitre : il y en a même qui ont prétendu avoir une jurisdiction épiscopale ; quelques-uns ont eu le droit de donner non-seulement la tonsure, mais aussi les ordres mineurs. Innocent VIII a même, à ce qu’on prétend, accordé à l’abbé de Cîteaux le pouvoir d’ordonner des diacres & des soudiacres, & de faire diverses bénédictions, comme celles des abbesses, des autels, des calices, &c.

Les biens des monasteres étant devenus considérables, exciterent la cupidité des séculiers pour les envahir. Dès le V siécle en Italie & en France, les rois s’en emparerent ou en gratifierent ceux qui leur rendoient service. Les papes & les évêques eurent beau s’y opposer, cette licence dura jusqu’au regne de Dagoberg, qui fut plus favorable à l’église ; mais elle se renouvella pendant le regne de Charles Martel, sous lequel les laïcs se mirent en possession d’une partie des biens des monasteres, & prirent même le titre d’abbés. On voit dans l’histoire des rois & des seigneurs qui prennent le nom d’abbé, & des femmes même mariées qui prennent celui d’abbesse, à cause des abbayes de leur sexe dont elles étoient en possession. Pépin & Charlemagne renouvellerent les défenses d’usurper le bien des églises, & néanmoins ces loix n’empêcherent pas que les biens des monasteres ne demeurassent entre les mains des laïcs, malgré les défenses & les remontrances des évêques. Les princes donnoient eux-mêmes les revenus des monasteres à leurs officiers pour récompenser leurs services, & de-là vint le nom de bénéfice. Charles le Chauve fit des loix pour modérer cet usage, qui ne laissa pas de continuer sous ses successeurs. Les rois Philippe I & Louis VI, & ensuite les ducs d’Orléans sont appellés abbés du monastere de saint Agnan d’Orléans, dans l’histoire de cette église, composée par Hubert. Les ducs d’Aquitaine prirent le titre d’abbés de saint Hilaire de Poitiers : les comtes d’Anjou celui d’Abbés de saint Aubin, & les comtes de Vermandois celui d’abbés de saint Quentin. Cette coutume cessa sous le regne des premiers rois de la troisiéme race. Ces grands seigneurs ne dédaignoient pas se nommer abbés, titre qui étoit aussi honorable que celui de comte & de duc. Ils choisissoient un des religieux pour gouverner les autres, & ce religieux s’appelloit doyen. Il y avoit des monasteres où les moines se choisissoient un supérieur qu’ils nommoient abbé. Hugues, duc & gouverneur d’Orléans & de la Marche d’Anjou, qui fut en grand crédit sous le roi Charles le Chauve, Louis le Begue & ses enfans, sont fort souvent nommés abbés dans l’histoire de ce temps-là. Le clergé tâcha d’empêcher ce désordre : & dès l’an 892 les prélats de France tinrent un concile provincial à Reims, où ils menacerent des censures ecclésiastiques Baudouin, comte de Flandre, qui s’étoit emparé de l’abbaye de saint Waast d’Arras, & qui s’en nommoit abbé. Dans la suite on ne donna plus le revenu des abbayes à des laïcs ; mais les clercs séculiers les demanderent en commende, & les obtinrent, du consentement même des papes. Ces commendes naturellement ne doivent être que pour un temps ; mais l’usage les a rendu perpétuelles : le pape ne les accorde que comme une grâce singuliere & par dispense, à la charge que l’abbé nommé se fera prêtre dès qu’il aura atteint l’âge. L’usage de donner à des séculiers des abbayes en commende perpétuelle, qui étoit d’abord plus rare, est devenu si commun, que la plupart des abbayes sont en commende, c’est-à-dire, qu’un ecclésiastique séculier a le titre d’abbé, & possede deux tiers des revenus de l’abbaye, comme tenant la place de l’abbé régulier, sans avoir néanmoins aucune autorité ou jurisdiction sur les moines. Suivant le concordat de François I & de Leon X, les abbés commendataires sont nommés par le roi ; & sont pourvus des abbayes en commende par les bulles des papes.

Les supérieurs des abbayes qui n’ont point été mises en commende, sont appellés abbés réguliers, parcequ’ils sont soumis par leur prosession solemnelle à la regle qui s’observe dans leur abbaye. Tels sont les abbés de Grandmont, de Cîteaux, de Clairvaux, de Morimond, de Pontigny, de Ste Geneviéve, &c. C’est à ces abbés que le nom convient proprement, eu égard à son origine, puisqu’ils administrent les biens de la communauté, qu’ils ont soin de donner aux religieux les secours spirituels, & qu’ils font toutes les fonctions de vrais peres. Aussi n’y a-t-il que les abbés réguliers qui jouissent des prérogatives, dont anciennement, & encore aujourd’hui on a décoré la dignité abbatiale. Les abbés ont été appellés aux conciles, & y ont souscrit avec les évêques, & les autres personnes dont le suffrage étoit nécessaire. (Le P. Thomassin, anc. & nouv. discipl. de l’église, part. 1, l. 3, c. 13, n. 1, 2, 11, 16, c. 15, n. 1, 5, 6, 8, c. 17, n. 16.) Mais les papes ont constamment réglé, que les abbés commendataires devoient n’y avoir séance qu’après les abbés réguliers. (defin. du dr. can. p. 610.) Il n’y a aussi que les abbés réguliers qui aient jurisdiction sur les personnes de leur communauté : les abbés commendataires n’en ont aucune, & ne peuvent disposer d’aucun office claustral. Comme ils ne sont point supérieurs spirituels, ils ne peuvent recevoir les novices, leur donner l’habit, admettre à la profession, donner des obédiences, &c. Des auteurs élevent les cardinaux au-dessus de ces bornes du pouvoir des abbés commendataires ; mais cette définition n’est pas bien établie. * Defin. du droit canon, éd. de Paris 1679, in-fol p. 18. 135.

Quelques abbés ont été appellés abbés cardinaux : tel étoit un abbé en chef lorsque deux abbayes qui avoient été autrefois unies venoient à être séparées, & qu’il en gouvernoit une en particulier. Le titre d’abbé cardinal a été accordé par honneur à quelques abbés. C’est ainsi que le pape Calliste l’accorda par une bulle expresse à l’abbé de Cluni, qui s’est aussi fait quelquefois appelé abbé des abbés. Ce nom fut pris par Ponce, abbé de Cluni, dans le concile de Rome tenu en 1116 : ce que Jean Cajetan, chancelier du pape, n’approuva pas, parceque ce titre étoit nouveau, & qu’il appartenoit plus proprement à l’abbé du mont-Cassin, ce monastere ayant été le premier où l’on ait observé la régle de S. Benoît, & cet abbé ayant été appellé le vicaire de S. Benoît dans tout l’ordre par les souverains pontifes & les empereurs. L’abbé de la Trinité de Vendôme a aussi le titre d’abbé cardinal, depuis Geoffroi de Vendôme, dont on poura consulter l’article.

Les chanoines réguliers ont aussi donné le nom d’abbé à celui qui étoit à leur tête. Il est fait mention de ces abbés dans le concile II d’Aix-la-Chapelle, où ils sont distingués des abbés des moines, & il en est parlé en divers endroits des capitulaires de Charlemagne : il y a eu même des chapitres de chanoines réguliers, où par honneur on donnoit le titre d’abbé à des ecclésiastiques qui n’étoient point du chapitre.

Chez les Grecs il y a eu des abbés qui ont pris la qualité d’abbés universels, œcumenicus, universalis, à l’imitation des patriarches de Constantinople. On appelloit abbé le grand maître de la chapelle royale. Dans la regle de saint Benoît il est parlé de moines qui veulent s’arroger la qualité de seconds abbés. Dans l’origine les abbés des monasteres n’étoient point prêtres ; dans la suite il y en a eu qui l’ont été, mais ils ne l’étoient pas tous. On a quelquefois donné le nom d’abbé aux curés primitifs : & si l’on en croit M. du Cange, les paroisses avoient d’ordinaire trois principaux officiers ; savoir, l’abbé ou le gardien, qui est présentement le curé ; les prêtres ou chapelains ; & le sacristain qui étoit au-dessous de l’abbé & des prêtres. Les prêtres ou chapelains étoient chargés du soin des ames & de l’administration de la cure ; & la fonction de l’abbé étoit d’avoir l’œil sur tous les besoins de la paroisse, & sur la conduite des prêtres. Il y a eu des évêques qui parceque leurs évêchés étoient originairement des abbayes, ont été appellés abbés, comme l’évêque de Catane & celui de Mont-Real en Sicile, qui étoient élus par les moines.

Il n’est pas hors de vrai-semblance, que le rapport qui se trouve entre le devoir d’un pere, & celui d’un homme qui gouverne les autres, soit ce qui a fait appeller abbé du peuple le chef de la république de Gènes, dans le XIV siécle, comme il paroît par le traité fait entre Charles, roi de Sicile, & cette république, où Nicolas Frambe est souvent nommé abbas populi.

Dans le même XIV siécle, en Angleterre, on qualifia d’abbé de bataille, un homme que l’on ne connoît point sous un autre nom, lequel voyant les François avancer dans le comté de Sussex, assembla la milice, & se retrancha à Winchelsey, dont il soutint le siége, & obligea les assiégeans à se retirer. Dictionn. anglois. C’est cet abbé dont il étoit fait mention dans l’édition précédente de ce dictionnaire, sous le nom d’Abbot of batle. * Blondeau, biblioth can. Pierre Diacre, chron. lib. 4. Hugues, moine de Cluni. Besli, hist. des comtes de Poitou. L’abbé commendataire. Ducange, glossarium latinitatis.


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