Le grand dictionnaire historique/éd. de 1759/Aristote

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Sommaire

ARISTOTE ou BATTUS, fondateur de Cyrène, cherchez BATTUS.

ARISTOTE, philosophe, chef de la secte des Péripatéticiens, étoit fils de Nicomachus & de Festiade, né à Stagire, petite ville de la Macédoine, dans la XCIX olympiade, environ 384. ans avant la naissance de J. C. On prétend que Nicomachus son pere, médecin d’Amyntas, aïeul d’Alexandre le Grand, tirait son origine d’Esculape. Aristote perdit son pere & sa mere dans les premieres années de son enfance, Proxene ami de son pere, prit soin de son éducation, & l’éleva mal. Car lorsque Aristote eut commencé d’étudier la grammaire, puis la poëtique, il quitta ses études par libertinage. Il réuffit pourtant à la poësie. Porphyre & Eustathius font mention d’un poëme qu’il composa sur la mort des guerriers, qui furent tués au siège de Troye. Ayant dissipé par ses débauches une partie du bien que son pere lui avoit laissé, il prit le parti des armes. Mais ne réussissant pas dans cette profession, il alla à Delphes consulter l’oracle sur le parti qu’il devoit prendre. L’oracle lui ordonna d’aller à Athènes, & de s’appliquer à la philosophie. Il étoit alors dans la 18 année de son âge : & il étudia la philosophie, non sous Socrate, (comme Ammonius & le cardinal Bessarion l’ont cru, contre le sentiment de Diogène Laërce,) mais sous Platon. Socrate étoit mort dès l’an 400 avant J. C. sous la XCV olympiade, & avant la naissance d’Aristote. Ce dernier ne finit ses études qu’à la trente-septiéme année de son âge. On assure qu’ayant déja dissipé ses biens, il fut obligé d’exercer la pharmacie à Athènes. Cependant, il étudia avec une si grande application, qu’il surpassa tous ceux qui étaient dans l’école de Platon ; & quand quelque indisposition ou quelque affaire l’empêchoit de s’y trouver, on disoit que la philosophie de la vérité n’y étoit pas. Il étoit infatigable dans son travail ; & sa passion d’apprendre s’augmentant de jour en jour, il parcourut tout ce qui se trouva d’écrits sur la philosophie, qui étoient alors en quelque réputation. Diogène Laërce remarque qu’il mangeoit peu, qu’il dormoit encore moins ; & que, pour résister à l’accablement du sommeil, il étendoit hors du lit une main dans laquelle il tenait une boule d’airain, afin de se réveiller au bruit qu’elle faisoit en tombant dans un bassin. Ce qu’Alexandre le Grand pratiqua depuis, au rapport d’Ammien Marcellin. Il approfondissoit extrêmement les choses, & les réduisoit en ordre, après les avoir approfondies. C’est pour cette raison que Galien loue Aristote d’avoir été le premier des philosophes qui a cherché à fond les causes générales de tous les êtres, & qui a le plus descendu dans le détail. Clément d’Alexandrie & Eusebe prétendent (peut-être sans fondement) qu’Aristote eut à Athènes diverses conférences avec un Juif, pour s’instruire des sciences & de la religion des Egyptiens. Ainsi il suppléa au voyage d’Egypte, qu’on croyait alors nécessaire pour devenir favant. Il y avoit environ quinze ans qu’Aristote étudiait sous Platon, lorsqu’il commença à prendre des sentimens différens de ceux de son maître. Celui-ci en conçut du dépit, s’en plaignit hautement, & traita son disciple de rebelle & d’ingrat. Après la mort de Platon, qui arriva la 1 année de la CVIII olympiade, 34 ans avant J. C. Aristote quitta Athènes, & se retira à Atarne petite ville de la Mysie vers l’Hellespont, où regnoit alors Hermias son ancien ami. Ce prince lui donna sa sœur, ou selon d’autres, sa fille ou sa petite-fille Pythias en mariage. Aristote fut si transporté d’amour pour cette dame, qu’il lui offrit des sacrifices. Trois ans après, Hermias ayant été pris par Memnon général des armées du roi de Perse, Aristote se retira à Mitylène, capitale de Lesbos, où il demeura quelque temps. Philippe roi de Macédoine, ayant su en quelle réputation étoit Aristote, l’engagea à prendre soin de l’éducation de son fils Alexandre, alors âgé d’environ quatorze ans. Aristote accepta ce parti ; & en huit années qu’il fut auprès de ce prince, il lui enseigna l’éloquence, la phyique, la morale, la politique, & une certaine philosophie, qu’il n’apprenait à personne, comme dit Plutarque. Philippe fit ériger des statues à Aristote & rebâtit Stagire, qui avoit été ruinée par les guerres. Depuis, Aristote perdit les bonnes graces d’Alexandre, pour être trop entré dans les intérêts de Callisthène, qui etoit son parent, & que ce prince fit exposer aux lions, pour avoir écouté, disoit-il, des propositions que lui fit Hermolaüs contre sa vie. Ariftote fut soupçonné d’y avoir eu part. Quelque temps après il se retira à Athènes, où il etablit sa nouvelle école. Les magistrats le reçurent très-bien ; car à sa consideration Philippe avoit fait beaucoup de graces aux Athéniens. Ils lui donnèrent le Lycée, où il philosophoit en se promenant, d’où sa secte fut appellée la secte des Péripatéticiens : ce lieu en peu de temps devint célébre par le concours d’un grand nombre de disciples. Ce fut alors qu’Aristote composa ses principaux ouvrages. Néanmoins, Plutarque dit qu’Aristote avoit déja écrit ses livres de physique, de morale, de métaphysique, & de rhétorique. Il rapporte même qu’Alexandre lui écrivit une lettre par laquelle ce prince se plaignoit qu’Aristote avoit avili le prix de quelques-uns de ses livres, en les rendant publics. Le même Plutarque dit aussi que ce philosophe piqué des soupçons d’Alexandre, & des présens qu’il avoit envoyés à Xenocrate, en conçut tant de ressentiment, qu’il eut part à la conjuration d’Antipater contre ce prince. Les partisans d’Aristote soutiennent que cette opinion fut sans fondement, & que du moins elle ne fit aucune impression sur l’esprit d’Alexandre, qui lui ordonna de s’appliquer à l’histoire de ce qui regarde les animaux. Il lui envoya, pour fournir à la dépense de cette étude, huit cens talens, qui font quatre cens quatre-vingts mille écus de notre monnaie, selon la supputation de Budé, & il lui donna un grand nombre de chasseurs & de pêcheurs, pour travailler sous ses ordres, & lui rapporter de tous côtés de quoi faire ses observations. Cependant un prêtre de Cerès nommé Eurymedon, accusa d’impiété Ariftote, lequel se justifia de ce crime, par une apologie fort ample, qu’il écrivit aux magistrats. Mais, comme il connoissoit le peuple d’Athènes, qui étoit très-délicat sur sa religion, le souvenir du traitement que Socrate en avoit reçu dans une occasion pareille l’épouvanta tellement, qu’il se retira à Chalcis ville d’Eubée. On croit même qu’il aima mieux s’empoisonner, que de se livrer à ses ennemis. S. Justin & S. Grégoire de Nazianze disent qu’il mourut de déplaisir, de n’avoir pu comprendre la cause du flux & du reflux de l’Euripe. Sur quoi quelques modernes ont inventé cette fable, qui depuis a eu cours, que ce philosophe se précipita dans l’Euripe, en disant ces paroles : Que l’Euripe m’engloutisse, puisque je ne le puis comprendre. D’autres disent, qu’il mourut d’une colique, en la 63 année de son âge, la 3 année de la CXIV olympiade, vers l’an 322 avant J. C. deux ans après la mort d’Alexandre. Ceux de Stagire enleverent son corps, & lui dresserent des autels. Il laissa de Pythias une fille qui fut mariée en secondes nôces à un peut-fils de Demaratus roi de Lacédémone. Il eut aussi d’une concubine, un fils nommé Nicomachus, qui aima avec une tendresse extreme, & auquel il adressa ses livres de morale.

Le premier principe de la philosophie d’Aristote est, qu’il y a une science, contre le sentiment de Platon, qui n’en croit point. L’ame, selon lui, acquiert des connoissances par les sens, lesquels sont autant de messagers établis pour lui rendre compte de ce qui se passe hors d’elle ; & de ces connoissances particulieres elle se forme d’elle-même par l’opération de son entendement, des connoissances universelles, certaines & évidentes, qui font la science. Ainsi il veut que de la connoissance des choses particulieres & senfibles, on monte à la connoissance des choses générales & immatérielles, étant persuadé de ce principe, qu’il tient pour indubitable, que rien ne peut entrer dans l’esprit que par les sens. Car l’homme étant fait comme il est, ne peut juger des choses senfibles, avec quelque certitude, autrement que par les sens. L’ordre qu’il suit est celui de la connoissance de l’esprit, qui va a la cause par l’effet : ce que S. Auguftin appelle la voie de la science. Aristote avoit appris cette premiere méthode d’Archytas, qui l’avoit eue de Dexippe. Celui-ci, dans l’ordre des catégories, dont il avoit dressé le plan, mettoit la substance à la tête des autres. Mais, parceque cette connoissance des choses universelles, formée par la connoissance des particulieres, a un principe sujet à l’erreur, qui est le sens ; Aristote cherche à rectifier ce principe, en le rendant infaillible, par le moyen de son organe universel. C’est là sa feconde méthode, & c’est dans cet organe qu’il établit l’art de la démonstration par celui du syllogisme. Voilà ses principes en général. Outre ses ouvrages de philosophie, il a écrit de la poëtique, de la rhétorique, de la politique, de la jurisprudence, & la grammaire. Diogène Laërce lui attribue jusqu’à quatre cens traités ; François Patricius en trouve plus de sept cens quarante-sept. Aristote avoit eu beaucoup de part dans toutes les intrigues de la cour de Philippe & d’Alexandre. La philosophie ne le rendoit point farouche. Il étoit propre, honnête, bon ami ; & il répondit à quelqu’un qui lui demandoit ce que c’étoit qu’un bon ami, que c’étoit une ame dans deux corps. Théophraste, qui l’aimoit tendrement, fut son disciple fidéle, & son successeur dans le Lycée. Aristote lui confia ses écrits, avec défense de les rendre publics. Strabon, Lycon, Démerrius le Phalerien, & Héraclide succéderent l’un après l’autre à Théophraste, lequel confia en mourant les livres d’Aristote à Nelée, qui étoit son ami & son disciple. Ce Nelée étoit de Scepsis, ville de Mysie, où fes héritiers cacherent dans un caveau ses ouvrages, pour s’en assurer contre le roi de Pergame, de qui la ville de Scepsis dépendoit & qui cherchoit par-tout des livres, pour faire une bibliothéque. Ce trésor fut caché durant 160 ans ou environ dans ce lieu secret, d’où il fut tiré presque tout gâté, & vendu à un riche bourgeois d’Athènes, nommé Apellicon. C’est de chez lui que Sylla fit enlever ces livres pour les porter à Rome. Ils échurent ensuite à un grammairien nommé Tyrannion ; & Andronicus de Rhodes les ayant achetés des héritiers de ce dernier, fut en quelque façon le premier restaurateur des livres d’Aristote ; car non-feulement il y rétablit ce qui s’y étoit gâté par la longueur du temps ; mais il les tira même de l’étrange confusion où il les avoit trouvés, & en fit faire des copies. C’eft lui qui commença à faire connaître Arisftote. Ce dernier eut quelques sectateurs durant le regne des douze premiers Césars ; mais il en eut bien davantage sous l’empire d’Adrien & des Antonins. Alexandre d’Aphrodisée fut le premier professeur de la philosophie péripatéticienne, établie à Rome par les empereurs Marc-Aurele & Lucius Verus. Dans les siécles suivans, les gens de lettres s’attacheront à la doctrine d’Aristote, & l’expliquerent par leurs commentaires.

Les premiers docteurs de l’église improuverent d’abord Aristote, comme un philosophe qui donnoit trop au raisonnement & aux sens ; mais Anatolius évêque de Laodicée, le célébre Didyme d’Alexandrie, S. Jérôme, S. Augustin, & divers autres écrivirent & parlerent en sa faveur. Dans le VI siécle, Boëce fit entierement connoître dans l’Occident ce philosophe dont il mit quelques ouvrages en latin. Mais depuis Boëce jusqu’à la fin du VIII siécle, il n’y eut que le seul S. Jean de Damas qui fit un abrégé de la philosophie d’Aristote. Les Grecs qui firent refleurir les sciences dans le IX siécle & dans les suivans, s’attacherent à l’étude de ce philosophe, sur qui plusieurs des plus doctes travaillerent. Sa réputation étoit déja répandue dans l’Afrique parmi les Arabes & les Maures. Alfarabius, Algazel, Avicenne, Averroëz & divers autres firent honneur par leurs commentaires à la doctrine d’Aristote. Ils l’enseignerent en Afrique, à Cordoue, où ils établirent un collége, depuis qu’ils eurent conquis l’Espagne ; & les Espagnols apporteront en France les commentaires d’Averroëz & d’Avicenne sur Aristote. Ses livres y étoient déja connus. On enseigna sa doctrine dans l’université de Paris ; mais Arnaud voulant soutenir des opinions particulieres, sur les principes de ce philosophe, fut condamné d’hérésie par un concile tenu en la même ville l’an 1210. Les livres d’Aristote y furent brûlés, & la lecture en fut défendue, sous peine d’excommunication. Depuis, sa métaphysique fut condamnée par une assemblé d’évêques, sous Philippe Anguste. L’an 1215 le cardinal du titre de S. Etienne, légat du saint siége apostolique confirma les mêmes défenses ; mais il permit d’enseigner la dialectique ou la logique de ce philosophe, au lieu de celle de S. Augustin, que l’on expliquait auparavant dans les écoles de l’université. L’an 1231 le pape Grégoire IX défendit encore d’enseigner la physique & la métaphysique d’Aristote, jusqu’à ce que ces livres eussent été revus & corrigés, dans les endroits qui contenaient quelques erreurs. Néanmoins peu de temps après, Albert le Grand, & S. Thomas d’Aquin, firent des commentaires sur Aristote. Campanella croit qu’ils avoient eu quelque permission particuliere du pape, pour travailler à ces ouvrages. L’an 1265, Simon, cardinal du titre de sainte Cecile, légat du saint siége, défendit absolument la lecture de la métaphysique & de la physique d’Aristote. Toutes ces défenses cesserent en 1366 : car alors les cardinaux du titre de S. Marc & de S. Martin, commissaires députés par le pape Urbain V, pour réformer l’université de Paris, permirent l’explication des livres, dont la lecture avoit été défendue auparavant. L’an 1448 le pape Nicolas V approuva les ouvrages d’Aristote, & en fit faire une nouvelle traduction latine. Enfin, l’an 1452, le cardinal d’Estouteville, qui avoit été nommé par le roi Charles VII pour rétablir l’université de Paris, ordonna que les professeurs expliqueroient la morale de ce philosophe, aussi bien que sa logique, sa physique, sa métaphysique, & ses autres traités de philosophie. L’an 1543, Ramus voulant établir une autre philosophie, composa deux livres intitulés, l’un Dialecticæ institutiones ; & l’autre Aristotelicæ animadversiones ; mais le roi François I fit supprimer ces livres, & autorisa ceux d’Aristote, que l’on a continué de lire publiquement dans l’université de Paris ; & lorsqu’en 1624 Antoine Villon, Etienne de Claves & Bitault voulurent publier & soutenir des thèses contre la doctrine d’Aristote, ils furent condamnés par l’université, & par le parlement de Paris. Gassendi & Descartes ayant dans le siécle passé mis en vogue de nouveaux principes de philosophie, celle d’Aristote n’a plus eu le même crédit dans le monde, & est maintenant presque généralement abandonnée, sur-tout en France, si ce n’est dans quelques couvens. On peut consulter un ouvrage de Jean de Launoi, intitulé De varia Aristotelis fortuna, celui que Patricius a composé sous le titre de Peripateticæ discussiones, & un traité que le P. Rapin a publié depuis intitulé Comparaison de Platon & d’Aristote. * Diog. Laërc. in vit. Arist. l. 5. Plut. in Alex. & Sylla. Cicer. Pline. Elien. Euseb. S. Aug. Boëce. S. Jean de Damas, Strabon, l. 13. Patricius, in disc. Vossius, de Phil. sect. &c. Gassendi, Exerc. Parad. adversùs Aristotelαos.

Diogène Laërce parle de plusieurs auteurs du nom d’Aristote. Le premier est celui dont nous venons de parler. Le second gouverna la république d’Athènes, & on voit de lui des harangues fort élégantes. Le troisiéme écrivit de l’iliade d’Homere. Le quatriéme, orateur de Sicile, répondit au panègyrique d’Isocrate, & fut surnommé Mychus. Le cinquiéme, qui écrivit de l’art poëtique, étoit de Cyrène. Le sixiéme étoit un maître de grammaire, dont parle Aristoxene dans la vie de Platon. Le septiéme etoit aussi grammairien, mais de peu de considération. Nous pouvons encore aiouter à ceux-là Aristote de Chalcide, qui avoit écrit une hisloire d’Eubée, citée par Harpocration & par le scholiaste d’Apollonius. On a fait dans le XVII siécle monter le nom des Aristotes jusqu’à 31. * Diogenes Laërt. l. 5 in Arist. Voffius, de hist. Græc. I. 4.. Jonsius, de hist. Peripat. Bayle, dict. crit.

ARISTOTE, architecte, célébre dans le XV siécle. Il étoit de Boulogne, & de la famille des Aiberri. Après avoir donné en Italie des preuves de sa capacité, qui alloit jusqu’à transporter d’un lieu à un autre une tour de pierres ; il passa en Moscovie, attiré par le duc Jean Basilides, qui l’employa dans la construction de plusieurs églises. * Bayle, dict. crit.


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