Le jardin de l’instituteur/03

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Le jardin de l’instituteur
Revue pédagogique2, second semestre 1878 (p. 664-667).

III.
LES ENGRAIS DU JARDIN.

Les engrais sont les vivres des plantes et de même que l’on s’approvisionne de fourrage et d’avoine avant de mettre des bêtes à l’étable et à l’écurie, nous devons nous approvisionner d’engrais avant de mettre des plantes au jardin. Chez un fermier, c’est très-commode ; chez un instituteur, ce l’est moins. Le premier a des chevaux, des vaches, des moutons ; le second, s’il est en ménage, a peut-être une vache, quelques lapins et quelques poules qui l’aideront à se tirer d’affaire ; mais s’il est garçon, s'il n’est point en situation de nourrir vache, lapins et volaille, comment s’y prendra-t-il pour fumer son jardin ? Voilà ; le problème à résoudre.

Trois solutions se présentent à notre esprit : 1° acheter du fumier et le payer comptant ; 2° emprunter du fumier à quelque voisin obligeant et le rembourser avec les produits du jardin ; 3° fabriquer un compost.

L’instituteur n’achètera pas de fumier, parce que le fumier se vend cher, parce qu’il n’est pas forcé d’en acheter, et aussi parce qu’en certains endroits il n’y en a point à vendre.

L’instituteur n’empruntera pas de fumier à la condition : de le rembourser en produits horticoles, parce qu’il ne l’osera pas, parce que cette sorte d’échange n’est en usage nulle part.

L’instituteur s’arrêtera donc bon gré mal gré au troisième moyen. Il fabriquera du compost pour fumer son jardin.

Par compost, on entend un mélange de toute sorte de substances fertilisantes. Voyons quelles sont les substances dont l’instituteur disposera et comment se fera la préparation.

En première ligne plaçons les vidanges, c’est-à-dire l’engrais humain. Viennent ensuite les cendres de bois, la suie des cheminées ou des tuyaux de poêle, les balayures de la maison, les chiffons de laine, les eaux de vaisselle, de savon, de lessive, les mauvaises herbes, les fruits pourris, etc. Toutes ces choses réunies, mélangées avec de la terre, mises en tas, deviennent un excellent engrais au bout de quelques mois. C’est un service varié et complet ; les plantes y trouvent de quoi satisfaire leur appétit et leurs goûts, et elles le font bien voir surtout quand on à soin de diviser parfaitement le compost, de pulvériser en quelque sorte avant de s’en servir. L’effet d’un engrais solide quelconque est toujours en raison de la division qu’on lui fait subir. Plus il est menu, mieux il agit.

Théoriquement, les entreprises vont presque toujours bien ; mais dès qu’on en vient à la pratique, on rencontre souvent des obstacles auxquels on ne s’attendait pas. Ainsi, par exemple, l’engrais humain qui suffirait presque à lui seul pour fertiliser le jardin de l’instituteur, soulève de grandes répugnances. Le département du Nord, les environs de Lyon et le pays niçois sont à peu près les seules contrées de notre territoire où l’on s’en servira de suite sans éprouver le moindre dégoût. Partout ailleurs les instituteurs reculeront devant cet engrais. Ils n’arriveront à triompher de cette répugnance qu’en le désinfectant d’abord et en le masquant ensuite avec une suffisante quantité de terre. Aussi longtemps que l’odeur offensera leur odorat et que l’aspect offensera leurs yeux, ils ne l’emploieront pas.

Heureusement, il est aisé et il n’en coûte guère de désinfecter les matières fécales. Avec du poussier de charbon de bois et du plâtre en poudre, avec des cendres de houille, avec du mâchefer pulvérisé ; avec du chlorure de chaux sec qu’on délaye dans de l’eau au moment de s’en servir (32 gr. de chlorure par litre d’eau) ; ou bien encore, avec du sulfate de zinc, avec du sulfate de fer ou vitriol vert, on obtient un résultat très-satisfaisant. Pour ce qui est de la terre destinée à masquer les matières, on en trouve autant que l’on veut. L’essentiel, en cette affaire, c’est que les latrines soient disposées de façon à faciliter le travail.

Nous savons très-bien que les matières fécales désinfectées n’ont pas sur les plantes l’effet rapide et énergique de l’engrais non désinfecté ; mais il vaut encore mieux recourir à ce moyen pour en assurer l’emploi que de ne pas s’en servir du tout.

Les urines ne sont point répugnantes ; par conséquent, les instituteurs les utiliseront plutôt que les matières solides. Ils ont donc intérêt à les bien recueillir.

À la rigueur, rien qu’avec les urines de la maison d’école, les cendres, la suie et de la terre, on formerait un compost de très-bonne qualité. La préparation de ce compost ne présente aucune difficulté. L’instituteur choisira un coin perdu de son jardin, autant que possible à l'exposition du nord ; il y brouettera de la terre prise sur les carrés et en formera une première couche de l’épaisseur de 40 à 50 centimètres qu’il arrosera avec de l’urine. L’arrosage fait, il recouvrira de quelques pelletées de terre et étendra par-dessus des cendres de bois, de la suie. Il formera ensuite une seconde couche de terre de 20 à 25 centimètres, sur laquelle il versera les urines disponibles, et il ajoutera cendres et suie ou des cendres seulement s’il n’y a pas autre chose. Il continuera d’élever ainsi son compost couche par couche de 20 à 25 centimètres, jusqu’à ce qu’il atteigne 1m,30 environ. Après cela, il prendra un pieu et il ouvrira des trous dans le compost à diverses profondeurs afin de livrer passage aux urines qu’il y versera deux ou trois fois par semaine. Au bout de six semaines, ou de deux mois, le compost sera en état d’être utilisé. Par une journée chaude, il le démolira avec une pioche et l’étendra afin de faciliter la dessiccation de cette boue fertilisante. Une fois sèche, il divisera les mottes le mieux possible et reportera sur ses carrés la terre qu’il leur avait empruntée et qu’il aura enrichie. Voilà tout.

Les gens qui ont sous la main du fumier d’étable, où d’écurie, ou de porcherie, de la colombine de volaille, en mettent nécessairement dans le compost et l’obtiennent ainsi de qualité tout à fait supérieure ; mais encore une fois, très-peu d’instituteurs ont ces précieuses ressources.

L’écorce qui a servi au tannage des peaux, n’est pas toujours utilisée dans nos provinces. Dans les grandes villes on en fait des mottes à brûler, ou bien les vidangeurs les achètent et les brassent avec l’engrais humain, afin de le vendre aux cultivateurs. Mais dans les localités de peu d’importance, les tanneurs n’en font point de cas et les donnent pour s’en débarrasser. Les instituteurs qui pourraient en profiter, feront bien de s’approvisionner de cette tannée et de la mélanger avec l’engrais humain. Quelques couches de ce mélange communiqueraient une grande énergie au compost.