Le journal d’une masseuse/17

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R. Dorn (p. 248-249).

CHAPITRE XVII

OÙ M. LA VRILLE VIENT SALUER LE PUBLIC
À LA CHUTE DU RIDEAU

Est-ce bête… Je pleure ! c’est plus fort que moi…

Pauvre Juliette, pauvre petite fille de joie !

La mère Vaudroz qui vient d’entrer me raconte que Juliette avait son journal sur son lit quand on l’a trouvée morte… La plume était tombée à terre…

On a emporté la morte, là-bas dans le cimetière jonché de fleurs… Le manuscrit est demeuré dans le tiroir de la vieille table. Ces feuilles de papier, c’est tout ce qui reste d’une vie de souffrances, de larmes et de dégoûts.

Et je réfléchis… Elles sont comme cela des milliers, troupeau brillant, qui écrivent chaque jour leur pauvre roman ; sous leurs toilettes, que de honte ! Dans leurs sourires, que de détresses, que de douleurs, que d’amertumes !

Et cela m’émeut jusqu’au fond du cœur… Je vais aller au cimetière, je chercherai ta tombe, chère petite Juliette, et si je trouve des fleurs, je les effeuillerai à tes pieds…

Et ce sera le témoignage de ma pitié immense pour toi et pour tes sœurs… Je jetterai des fleurs sur vos hontes, pauvres filles douloureuses, je mettrai des lys dans vos mains et cela vous sera peut-être une joie de penser que ce blagueur, ce sceptique, cet insouciant La Vrille souffre de vos peines et pleure avec vous.


Juin 1906.
FIN