Le jugement de Chérubin (Mendès)

La bibliothèque libre.
PhilomélaJ. Hetzel, libraire-éditeur (p. 99-106).

LE JUGEMENT DE CHÉRUBIN



Elles firent asseoir sur un divan de moire
Cet enfant décoré du nom de Chérubin,
Rêveuses de mêler leur chevelure noire
À ses lourds cheveux d’or parfumés comme un bain


Leurs yeux enveloppaient d’une caresse humide
Son front rougissant comme un front de jeune Miss :
Alpheos n’était pas plus, beau sous la chlamyde,
Pâtre ingénu suivant la chasse d’Artémis !

Les deux femmes étaient de celles-là qu’on prise
Pour le rayonnement liliaque des chairs,
Et tel dont l’habit porte au coude une reprise
N’a jamais becqueté leurs sourires trop chers.

D’ailleurs, elles étaient très-belles. Leur épaule
Aurait eu des blancheurs sauvages sous des peaux
D’ourse ! L’une avait nom Aline, l’autre Paule.
Aline et Paola tinrent ces doux propos :


paola

Jeune homme, tes cheveux sont roux comme la queue
Des comètes qui vont par l’immensité bleue !

aline

Enfant, tes cheveux sont légers comme les fils
De la Vierge, qu’on voit au retour des avrils !

paola

J’aime tes yeux luisants comme une cornaline.
Enfant, j’aime tes yeux pareils aux yeux d’Aline !


aline

Tes yeux sont deux éclairs qu’à la foudre on vola,
J’aime tes yeux pareils aux yeux de Paola !

paola

Comme un souffle brûlant tourmente une voilure,
L’haleine de ma bouche enfle ta chevelure !

aline

Comme un coquelicot dans les blés, si tu veux,
Se mêlera ma lèvre à l’or de tes cheveux !


paola

J’amollirai pour toi mes farouches caresses,
Ô jeune faon craintif qui domptes les tigresses !

aline

Je serai ta servante, ô despote charmant !
Et je te servirai délicieusement !

paola

Viens ! pour dormir jusqu’à l’aurore purpurine,
Tu poseras le soir tes pieds sur ma poitrine !


aline

Viens ! mon boudoir d’odeurs alléchantes s’emplit,
Et mon boudoir est moins parfumé que mon lit !

paola

Oh ! je baise mes bras quand ton regard s’y pose !

aline

Laisse tomber un mot de ta bouche déclose !


paola

Ma gorge se termine en boutons cramoisis !

aline

C’est assez : je suis belle, elle est belle, choisis !

« Mesdames, répondit alors le doux jeune homme,
Je ne saurais choisir car vous vous ressemblez
Comme deux feuilles d’arbre du deux étoiles, comme
Deux larmes de l’aurore à la pointe des blés ! »


Aline et Paola versèrent une perle.
« Des pleurs ? Par Cupido, quel cas embarrassant !
Paola, ma colombe, Aline, mon doux merle,
Baisez-moi toutes deux, si Vénus y consent ! »