Le manoir mystérieux/Dans l’attente

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Imprimerie Bilodeau Montréal (p. 187-190).

CHAPITRE XXX

DANS L’ATTENTE


La malheureuse Joséphine, enfermée dans la chambre que lui avait abandonnée DuPlessis, parvint, à force de raisonner, à prendre patience. Elle pensa que, dans une circonstance comme celle-là, il était possible, d’abord, que la lettre n’eût pas été remise de suite à M. Hocquart, et ensuite que, lors même qu’il l’eût reçue, il eût été empêché par les devoirs de sa charge de venir la visiter. Néanmoins, elle ne cessa pas un moment d’être aux écoutes, et chaque bruit qu’elle entendait lui semblait le pas de l’intendant qui accourait à elle. La fatigue qu’elle avait éprouvée et l’agitation causée par une incertitude si cruelle, commençaient à ébranler ses nerfs. Elle craignit un instant de ne pouvoir supporter plus longtemps ses angoisses. Mais bien qu’elle eût été élevée comme une enfant gâtée, elle avait l’âme courageuse. Elle appela la prière à son secours, et sentit son énergie revenir. Lorsque la nuit commença à se faire et que sa chambre fut inondée de flots de lumière par les feux d’artifice qui se croisaient dans l’air, il lui sembla qu’elle en sentait la chaleur. Elle fit un effort sur elle-même et se leva pour se placer près de la fenêtre et fixer ses yeux sur un spectacle qui, dans toute autre circonstance, eût charmé son imagination.

— Mon Dieu ! se dit-elle, ces vaines splendeurs ne sont-elles pas l’image de mes espérances ? Mon bonheur n’est-il pas une étincelle qui sera bientôt engloutie dans une mer de ténèbres ?

Peu à peu le bruit diminua, la pauvre femme se retira de la fenêtre, espérant que M. Hocquart allait venir dès que tout serait fini. Mais il ne vint pas, et la malheureuse Joséphine, épuisée de fatigue et d’émotion, se jeta sur son lit, où elle finit par s’endormir, malgré ses efforts pour rester éveillée.

Lorsque le bruit du dehors la réveilla, il était jour.

— Il ne pense pas à moi ! se dit-elle avec douleur. Il est au milieu des honneurs et des plaisirs ; peu lui importe que son épouse infortunée languisse dans un obscur réduit, où le doute cruel va la livrer au désespoir.

Tout à coup elle entendit frapper. Elle se leva et courut à la porte avec un mélange de crainte et d’espérance, en demandant :

— Est-ce toi, mon ami ?

— Oui, murmura très bas une voix.

Elle ouvrit en disant :

— Mon cher mari !…

— Ce n’est pas votre mari, répondit Michel Lavergne. Ah ! ah ! madame, c’est ainsi que vous êtes malade au manoir de la Rivière-du-Loup. Voilà qui va réjouir mon noble maître, votre époux, M. Deschesnaux.

— Éloignez-vous, misérable ! s’écria la malheureuse, affolée de terreur.

— Vraiment, que je m’éloigne ? Sans doute, je vais m’éloigner, mais avec vous, madame, et pour vous mener à votre époux, qui a tant regretté, dit-on, de ne pouvoir se présenter avec vous devant Leurs Excellences hier soir.

— Laissez-moi ! laissez-moi ! cria Joséphine. Je veux rester ici. Au secours ! au secours !

— Criez tant que vous voudrez, je me soucie d’une femme qui crie comme d’un chat qui miaule…

Cependant les cris de la pauvre femme lui amenèrent un défenseur inattendu. Le gardien dont nous avons déjà fait la connaissance, les ayant entendus de la cour, arriva en disant :

— Quel est ce tapage ? Que fait ici cet homme ?

— Descends bien vite, chien d’ivrogne, répliqua Lavergne, et ne te mêle pas de mes affaires.

— Bon monsieur, s’écria Joséphine, sauvez-moi de ce misérable, qui veut m’entraîner hors d’ici ; sauvez-moi, au nom du ciel, ayez pitié de moi !

— Allez-vous-en ! dit le gardien à Michel.

— Je ferai plutôt un boudin de ton corps, répondit ce dernier, en portant la main sur son épée. Ainsi, prends garde à toi, vieille autruche !

Le gardien saisit le bras de Lavergne pour l’empêcher de mettre sa menace à exécution. Pendant que celui-ci le repoussait, Joséphine s’élança vers la porte et descendit précipitamment l’escalier. À peine avait-elle fait quelques pas, qu’elle entendit les deux combattants tomber à terre. Elle s’enfuit en frémissant et gagna le parterre de derrière, qui lui parut le lieu le plus favorable pour éviter d’être poursuivie.

Pendant ce temps, le gardien et Michel roulaient sur le plancher et luttaient avec rage. Le gardien trouva moyen de lancer son paquet de grosses clefs au visage de Lavergne, et celui-ci, pour se venger, serra si violemment le cou de l’autre que le sang se mit à lui sortir par la bouche et le nez. Un officier, attiré par le bruit, monta précipitamment et les sépara, en cherchant à leur faire honte pour avoir fait tant de tapage dans la maison du commandant, surtout au moment où il donnait l’hospitalité à des hôtes si illustres.

Comme nous l’avons dit, Joséphine s’était réfugiée dans le parterre situé en arrière du château. Elle aperçut un berceau entouré de lierre ; elle y entra et s’y blottit dans un coin, en attendant qu’elle vît quelqu’un à la compassion de qui elle pût faire appel.