Le manoir mystérieux/Texte entier

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Maisonneuve Frères et Ch. Leclerc (p. -61).


LES

LITTÉRATURES POPULAIRES



TOME XXIII










LES
LITTÉRATURES
POPULAIRES
DE
TOUTES LES NATIONS

traditions, légendes
contes, chansons, proverbes, devinettes
superstitions
TOME XXIII
PARIS
MAISONNEUVE FRÈRES et CH. LECLERC
25, QUAI VOLTAIRE, 25
1886

Tous droits réservés


TRADITIONS INDIENNES

DU

CANADA NORD-OUEST












TRADITIONS INDIENNES
DU
CANADA NORD-OUEST
PAR
Émile PETITOT
ancien missionnaire
PARIS
MAISONNEUVE FRÈRES et CH. LECLERC
25, QUAI VOLTAIRE, 25

1886
Tous droits réservés



À
MADAME
VVE ALBERT DE VATIMESNIL
MA NOBLE ET GÉNÉREUSE BIENFAITRICE
ce volume est respectueusement
dédié par l’Auteur


INTRODUCTION


I



B ien loin d’avoir tari la source des légendes et des traditions américaines, les Brasseur de Bourbourg, les Rink, les Brington, les Bancroft, y ont seulement puisé, en nous indiquant la voie à suivre.

L’Amérique est une Babel qui, dans son sein, ne compte pas moins de quatre mille langues ; champ vaste, fertile, plein d’intérêt pour la science et l’observation. De longues années s’écouleront donc avant qu’il ait été labouré, retourné, fouillé, de manière à ne dérober plus aucun de ses secrets.

Mais il faut nous hâter, si nous voulons faire une récolte satisfaisante avant l’extinction des souches aborigènes.

Le Canada Nord-Ouest, surtout, par le peu d’attraits que sa situation à l’extrémité de l’Amérique septentrionale et son climat inhospitalier inspirent aux voyageurs et aux érudits, est demeuré jusqu’à nos jours une terre inconnue et mystérieuse dont on s’occupe fort peu, et que les possesseurs actuels du sol, eux-mêmes, ne connaissent guère mieux que nous, au point de vue mythologique.

Je suis donc le seul ethnographe qui ait conçu le projet de réunir en volume toutes les légendes et traditions nationales du Nord-Ouest du Dominion, partout où j’ai séjourné ou seulement passé, et qui ait mené ce travail à bonne fin.

Je le commençai sitôt que je pus balbutier quelques mots de la langue tchippewayane, la première que j’aie parlée, c’est-à-dire quatre mois après mon arrivée au Grand-Lac des Esclaves, en août 1862.

Dès lors, je l’ai poursuivi avec zèle et avec plus ou moins de succès, jusqu’en 1882, dernière année de mon séjour parmi les Peaux-Rouges. Cet hiver-là encore, je recueillis, au pied des Montagnes-Rocheuses, les données et l’un des récits Pieds-noirs que renferme ce livre.

J’ai eu, de la sorte, l’avantage de former, non pas une compilation, mais la collection la plus volumineuse, la plus suivie et la plus authentique de traditions septentrionales non esquimaudes.

J’avais même eu la pensée de l’intituler Traditions de l’Amérique arctique ; mais, comme plusieurs des peuplades dont je transcris les archives dans ces pages chassent au sud du cercle polaire, j’ai préféré le titre plus général de Traditions indiennes du Canada Nord-Ouest.

Recueillie lentement, patiemment et avec une sorte de scrupule pour les moindres particularités, pendant vingt années de séjour dans le Nord-Ouest du Dominion ; glanée de ci de là avec le culte d’un antiquaire pour les ruines du passé, pour les débris des peuples, mais dans le but persévérant et avoué de découvrir les origines américaines ; traduite littéralement, comme une version classique, avec l’aide des Indiens qui furent mes maîtres de langue ; puis enfin rendue en français avec toute la fidélité et la concision compatibles, d’un côté, avec le génie et l’inversion des Indiens, de l’autre, avec ma langue maternelle, pour que ma phraséologie pût présenter un sens compréhensible, exempt de tout équivoque, suppléant aux réticences peaux-rouges, tout en conservant leur laconisme originel, j’ose espérer que ma collection amusera le public et intéressera la science.

L’ordre de ce travail m’a été dicté naturellement par la division des tribus qui m’en ont fourni les thèmes. Du Nord au Sud, c’est-à-dire en suivant le courant de leurs immigrations, ces tribus sont :

1o Les Innoït ou Esquimaux ;

2o Les Dindjié ou Loucheux ;

3o Les Dènè Peaux-de-lièvre ;

4o Les Dunè Flancs-de-chien et Esclaves ;

5o Les Dènè Tchippewwayans et Couteaux-Jaunes, avec les Danè Castors ;

6o Les Ayis-Iyiniwok ou Cris ; et enfin

7o Les Ninnax ou Pieds-noirs.

De là, la division de ce volume en sept parties.

Si le stock Peau-de-lièvre est, de beaucoup, le plus volumineux, il faut l’attribuer aux longues années que j’ai passées dans cette peuplade, au fort Bonne-Espérance ou dans les environs.

Nul doute que ses voisines se fussent montrées aussi confiantes et ouvertes, si j’avais séjourné plus de temps au milieu d’elles. Je n’ai aucune raison de croire que la mémoire de leurs vieillards soit moins fidèle que celle de la vieille Lizette Kha-tchô-ti, mon précepteur de langue peau-de-lièvre, ou celle du bon aveugle Ekunélyel, un de mes maîtres de montagnais ou tchippewayan.

J’ai cru bon d’ajouter à la fin de chaque corps légendaire la liste des héros et des divinités de la tribu à laquelle ces traditions appartiennent.

J’y ai joint un spécimen de la langue ou du dialecte de chacune de ces sept peuplades, lequel fournit un texte original avec la traduction littérale conservant toute l’inversion indienne. M. le comte de Charencey a bien voulu se charger de publier, dans le courant de l’année 1887, les textes originaux, avec traduction littérale, de la presque totalité de ces légendes.

Enfin, dans le but de faciliter aux érudits les recherches mythologiques ou autres, je joins à ma collection un Index ou concordance des matières qu’elle contient.


II


Si je garantis la fidélité de ma traduction, je ne saurais cependant assumer la responsabilité de toutes les idées, pratiques et théories que ces traditions renferment virtuellement ou professent ouvertement. Je dois la laisser à la charge des hommes bons et naïfs, mais quelquefois fourvoyés ou séduits, qui me les ont dictées.

Pour peu que le lecteur soit observateur, il remarquera que, dans cette collection, les mêmes faits, les mêmes situations, les mêmes idées, voire les mêmes héros, se retrouvent dans les souvenirs de toutes et chacune des peuplades sus-mentionnées. Elles ont dû posséder originairement les mêmes vérités ou les mêmes mythes ; mais on dirait qu’elles ont pris à tâche de ne pas se répéter les unes les autres, de se distinguer entre elles, de se séparer réciproquement, en donnant à leurs traditions une idiosyncrasie propre.

Ces schismes ont peut-être été voulus et cherchés par ces tribus sœurs, par ces peuples voisins ; peut-être leur ont-ils été imposés par le temps et les circonstances ; peut-être enfin sont-ils une des conséquences nécessaires de la tradition orale.

Quoi qu’il en soit, il ne serait pas difficile, à l’aide de ces différents lambeaux de traditions, se complétant les uns les autres dans chaque tribu, de reconstruire de belles légendes ayant un sens suivi, un enchaînement soutenu, et un génie poétique. On obtiendrait ainsi une véritable Genèse arctique et subarctique de l’Amérique, qui ne serait nullement inférieure aux théogonies du monde ancien des trois continents, et qui posséderait, de plus, le mérite d’être une littérature originale et nouvelle pour nous.

Le lecteur ne doit pas s’attendre à rencontrer, dans ces pages, des contes privés, dûs aux efforts de l’imagination et du génie individuels. Je lui livre un corps de traditions populaires ; je lui révèle les archives nationales des Indiens que j’ai pratiqués, archives connues de la multitude, contrôlées par plusieurs, corrigées ou complétées par d’autres qui, dans le louable dessein de rectifier tel ou tel passage qu’ils supposaient erronés, ne faisaient autre chose que me fournir des variantes de la tradition qu’ils prétendaient redresser.

Parmi ces légendes, les unes semblent être des calques plus ou moins fidèles des récits bibliques, appropriés au climat, aux mœurs et au genre de vie des aborigènes de l’Amérique. D’autres, au contraire, sont la parodie burlesque ou maligne de ces mêmes récits archaïques, et accusent un esprit de haine, de dénigrement et de contradiction, hostile à celui qui a dicté les premières traditions.

D’autres enfin sont des mythes incompatibles avec la Genèse mosaïque, mais apparentés avec celle d’autres nations de l’antiquité connue.

N’était le malheureux esprit de contention et d’envie qui inspira les secondes de ces traditions, je serais tenté d’en appeler la somme la Michna de l’Amérique du Nord, à cause de leurs rapports étroits avec les livres des Hébreux.

Que les timorés et les pusillanimes ne s’épouvantent pas, cependant. Qu’ils attendent d’avoir pris connaissance de mon livre avant de se récrier contre ma proposition. Sans prendre la peine de leur exposer des identifications qui se révèlent d’elles-mêmes, je leur laisse le soin et la surprise de les découvrir, ainsi que je l’ai fait et qu’il arrivera à quiconque connaît la Bible et la médite.

D’ailleurs, ces similitudes ne peuvent pas plus prouver la véracité des historiens sacrés, que leur parodie ne saurait la battre en brèche. La Bible apporte ses preuves avec elle-même. Elle défie les dénégations de l’incrédulité, les tergiversations de l’erreur, les railleries des impies. Elle n’a nul besoin de demander la preuve de leur témoignage à d’obscurs et ignorants Sauvages, qui, par leur accord avec elle, ne prouvent qu’une chose : à savoir que le Pentateuque fut connu et cru dans leur berceau originel, et que la Synagogue a jadis connu la diffusion, comme la religion de Boudha, comme le Christianisme et l’Islam.

Mais, ce fait incontestable est incontesté. Du temps de Flavius Josèphe même, « il n’y avait pas de pays où il n’y eût une synagogue, pas une plage où ne fût établie une colonie juive » ; et Dan, auquel Moïse avait dit prophétiquement : Fluet largiter de Basan, Dan, le navigateur, l’émigrant, le nomade, Dan n’avait pas attendu l’invasion romaine pour transporter un peu partout ses pénates curieux et vagabonds.

D’ailleurs, je dois avouer en toute simplicité que, dans le cours de mon travail, je n’ai pas seulement eu la pensée de venir au secours d’un livre dont l’authenticité n’est nullement en danger. Je l’ai accompli sans me préoccuper des concordances ni des discrépances que ces traditions renferment, laissant à la sagacité et à la bonne foi du lecteur de faire la distinction et de déterminer son choix.

Mais, quelques naïves, touchantes ou drolatiques que soient ces légendes, l’histoire et l’ethnographie en déduiront plusieurs vérités, y remarqueront plusieurs choses dignes d’être relevées et étudiées.

J’ai fait, moi-même, de ces remarques et je les ai consignées au papier, dans le dessein de les publier un jour. La forme de la présente collection ne me permet pas d’y joindre ces études. Tout au plus ai-je pu en extraire quelques rares et très brièves notes, que j’ai ajoutées à mes pages, par ci par là, comme autant de jalons indiquant la valeur de mes théories et la nature de mes identifications.

Pourquoi certaines gens se récrient-ils quand ils entendent parler de croyances, de mythes et de coutumes asiatiques, en Amérique ? Pourquoi tout le fracas qui s’est produit lorsqu’on a crié à l’exaltation, au parti pris, voire même au cléricalisme ? Qu’y a-t-il, en ce fait bien simple, de si prodigieux, de si invraisemblable, de si épouvantable pour leur esprit prévenu ou craintif ?

Voilà que, depuis longtemps, d’autres ont constaté qu’il existe dans l’Hindoustan, au Japon, au Groënland, dans l’Océanie, des observances, des traditions et des usages identiques à ceux des anciens, qu’ils aient été égyptiens ou scythes, phéniciens ou hébreux. Pourquoi donc serait-il impossible que les mêmes similitudes se produisissent en Amérique ?

La Polynésie semble avoir hérité de l’Égypte et de la Grèce les divinités Ra, Orus, Mauï, Pelée et autres dieux. Pourquoi donc tairai-je que, en Amérique, j’ai retrouvé Men, Moïse, Opas, Khons, Bel et Osiris ?

Plus que l’Océanie, le continent colombien n’est-il pas situé dans les meilleures conditions pour recevoir un afflux de populations et de croyances asiatiques ?

Soyons donc plus sages dans nos jugements, et ne rapetissons pas, aux dimensions de nos petits États, à la sphère étroite de nos seuls intérêts, l’action universelle de la providence de Dieu sur l’humanité.

Les légendes contenues dans ce livre nous prouvent, une fois de plus, cette vérité consolante : qu’il n’est point de peuple, si relégué et ignoré soit-il, qui n’ait reçu du ciel, dans son passé, une somme de vérités suffisante pour tenir dignement sa place dans le monde, constituer, s’il l’eût voulu, une société honorable, et opérer le salut spirituel de ses membres, sans avoir recours à ses voisins. Les théogonies des Sauvages les plus ignares prouvent que Dieu fut fidèle à sa créature et se révéla à elle par l’amour et la commisération, loin d’être le produit d’une imagination épouvantée. « Attraxi te miserans. »

La crainte rend les hommes cruels, rampants et superstitieux ; l’amour et la confiance seuls peuvent les rendre pieux. La sécheresse de cœur, l’égoïsme, le désespoir, ont créé l’indifférence religieuse. De là à la haine de Dieu il n’y a qu’un pas.

Les plus fidèles d’entre les peuples conservèrent jusqu’aux jours du christianisme, plus ou moins intact, le dépôt des saines traditions et des louables coutumes dont Judas et Israël gardèrent les archives, mais dont ils ne furent pas les seuls dépositaires.

Prenons, par exemple, l’idée d’un Dieu à la fois un et trine, dont, par erreur, on a fait l’exclusif apanage et la gloire du christianisme. Nous retrouvons ce dogme chez tous les peuples tant soit peu civilisés. Il est vieux comme le monde. L’Égypte, la Phénicie, la Chine, l’Assyrie, la Babylonie, les Celtes et les Scandinaves, le possédèrent. Dans l’Inde, il se répète jusqu’à trois fois, et l’Amérique nous le révèle dans cette triade d’aigles blancs, producteurs du jour et de la nuit, fulgurants dans la nue, et dont le fils est le protecteur de l’homme déchu, et le sauve du courroux paternel.

Ce dogme universel renfermait, à lui seul, tout ce qui est nécessaire au salut.

À la vérité, cette trinité est matérielle ; ce Dieu trine a un corps ; il est mâle, femelle et fils unique. Mais il faut bien concéder quelque chose à la rusticité, à la grossièreté des peuples enfants ou barbares. Cela ne constitue pas une erreur fondamentale.

Ce dogme universel avait son prototype dans Jahowah, trinité hébraïque toute spirituelle, dont la première personne, le Père, créa tout par son Verbe, et vivifia toute créature par son Esprit.

À cet Esprit de Dieu, Rouch-Ellohim, la Synagogue prêtait aussi le sexe féminin. Non point qu’elle lui en reconnût les attributs, ce qui est de la matière corporelle ; mais en lui en reconnaissant les attributions, ce qui est du ressort de l’esprit, de l’âme.

Ces attributions féminines de l’Esprit de Dieu sont la vivification, l’amour, la consolation, la grâce et les faveurs célestes ; en un mot, tout ce qu’il y a de sensible, de tendre, d’exquis et de maternel dans Dieu pour ses créatures. Et voilà ce qui explique cette parole de Jésus-Christ « que les blasphèmes contre la sainteté de l’Esprit ne trouveront pas de rémission » ; de même que, parmi nous, l’outrage commis contre l’honneur d’une épouse, contre la sainteté d’une mère, soulève notre indignation, appelle la vengeance.

Or, cette théorie n’est autre que celle exposée par Thomas d’Aquin dans son Traité de la Trinité chrétienne. Le dogme s’est épuré, il s’est élucidé, au fur et à mesure que l’intelligence humaine s’est dégagée de la matière. Il n’a pas varié depuis les temps anciens, et c’est ce qui nous console.

Les traditions universelles et naturelles abondent dans les souvenirs des Peaux-Rouges. Elles ne sont point particulières à la Bible. Elles sont le lot de l’humanité, et Moïse n’a fait que mettre par écrit ce qu’il en savait, ou plutôt ce qui était la version chaldéo-hébraïque connue de son temps.

Ici donc, nous n’avons aucun sujet de nous étonner. Ce qu’il y aurait d’étonnant, ce serait que les Américains ne possédassent pas ces traditions générales.

Nous ne devons pas trop nous émerveiller, non plus, de distinguer dans leurs souvenirs, assez fidèlement conservée, l’histoire d’Abraham et de Sarah. Georges Le Syncelle dit que, du temps des Romains, ce couple patriarcal était connu dans les trois continents, et qu’il n’y avait pas de peuple qui ne le revendiquât pour ancêtres. Abraham était adoré à Rome par Alexandre Sévère, aussi bien qu’en Palestine, sous le chêne de Mambré. Châteaubriand en a, avec justesse, discerné le culte dans celui de Par-Abrahma et de Sarah-Souvacti, divinités tutélaires du Brahmanisme[1] ; et la diffusion plusieurs fois séculaire de l’Islam, dans l’extrême Orient et dans l’Océanie, y a répandu le nom et l’histoire du père de tant de peuples adorateurs du vrai Dieu, c’est-à-dire croyants.

Ce n’est que lorsque nous constatons, dans les souvenirs des Peaux-Rouges, les grands traits de l’histoire de Moïse, de Josué, de Samson, de Jonas, de Judith, de Tobie, que notre étonnement a le droit de s’accentuer, parce que ces personnages appartiennent exclusivement au peuple hébreu, et que, si leur histoire a pénétré en Amérique, ce n’a pu être que par le moyen des Israélites eux-mêmes. Ils y ont donc été avant nous.

Cette conclusion est aussi logique qu’indéniable. Pas n’est besoin de se répandre en vaines paroles, pour cela. Et lorsqu’aux traditions s’allie la preuve tirée de l’usage de la circoncision, du Phasèh, des néoménies, des prescriptions judaïques, la certitude devient irréfragable, quand bien même on n’aurait pas retrouvé au Mexique le blason de la tribu de Dan, qui fut aussi celui de Sparte, à savoir le grand aigle blanc, tenant dans ses serres le serpent chananéen.

Avec l’histoire fabuleuse de l’aveugle qui représente Tobie, se rompt la chaîne des traditions au cachet hébraïque, aussi bien que leur parodie kuchite.

Elles passent alors à des récits qui semblent accuser une vague teinture d’un christianisme oblitéré, après une lacune où ne se montrent que des combats avec des cannibales et des monstres mangeurs d’hommes, étrangers à l’Amérique, mais propres à l’Asie, tels que serpents énormes, lions, crocodiles, ou à des rencontres avec des pachydermes et des herbivores monstrueux, inconnus dans les pays occupés actuellement par ces Sauvages.

Des éléments étrangers se greffent sur le tronc principal de traditions araméennes, comme des scions sauvages sur l’arbre fruitier. Idées zoroastriennes et culte moabite, mythes puniques et origines ammonites, héros lunaires et femmes célestes, l’antique prétention d’une provenance sidérale, cause des rivalités et des guerres qui divisèrent, dans l’Inde, Khourous et Pandous : l’homme érudit retrouvera de tout cela dans ce pandémonium arctique. Je lui promets plus d’une surprise, plus d’un cri de joie.

On a prétendu que l’apologue était inconnu des Peaux-Rouges, que leur intelligence est trop grossière pour avoir jamais conçu de personnifications. C’est encore une de ces erreurs inspirées par l’esprit de système, et qu’il faut laisser à la charge des écrivains du siècle dernier, en Amérique, à Schoolcraft, l’homme qui a répandu le plus d’erreurs sur les Peaux-Rouges.

Il suffira de parcourir les présentes légendes pour se convaincre du contraire. Nos Indiens ne le cèdent en rien aux Orientaux, sur ce point. Si la Bible a été écrite dans le même esprit cabalistique, il est à croire que nous ignorons encore le vrai sens d’une foule de passages jusqu’ici réputés très clairs.

Enfin, on trouve dans ces traditions des souvenirs d’un ordre tout à fait physique, qui corroborent les données ou les hypothèses de la géologie et de l’histoire. Tels sont la période glaciaire, le changement d’axe de la terre, un cataclysme volcanique qui semble admettre l’effondrement d’une partie occidentale du continent colombien, l’immigration primitive des aborigènes par le détroit de Behring et par les Aléoutiennes, l’arrivée d’une nation de navigateurs introductrice des métaux, etc., etc.

Ces faits historiques se lient si intimement au fil des traditions religieuses que, souvent, on ne peut les en séparer. Ils sont comme des dessins de feuillage ou de fleurs connus dans la trame d’une étoffe exotique.

III

Maintenant ai-je besoin de me prononcer sur l’origine des peuples qui nous révèlent ces curiosités du passé ?

Eh ! mon Dieu, ce qu’ils sont ? Ils sont ce que nous sommes. Un amalgame de dix peuples divers, peut-être, ou les débris de dix nations morcelées, éparses et perdues depuis des siècles dans les déserts d’un monde qui n’est nouveau que pour nous. Ils sont un mélange hétéroclite de sangs, d’idées, de souvenirs, de langues et de mœurs. Faces mongoles et visages quasi caucasiques ; types arabes, sémitiques, et types prognathes africains ; crânes brachycéphales de l’âge du cuivre, et crânes dolychocéphales de l’homme de la pierre : tout est mêlé ici, comme dans l’Asie, comme en Europe, comme partout.

Une chose, cependant, surnage au milieu de ces épaves des vieilles sociétés humaines, étiquetées par les lambeaux de leurs symboles ou de leurs superstitions ; cette chose surnage là-bas comme elle surnage ici, ailleurs, de toutes parts ; c’est le sang et la race d’Abraham Habar qui fait tache d’huile de partout ; ce sang qui, apposé comme un sceau au début du livre de l’humanité, en a transpercé tous les feuillets, et se montre encore vers la fin du volume avec sa vitalité, son autonomie et son caractère propres. Ici, sang de Judas, épave du sinistre d’un peuple que n’ont pu submerger les flots des siècles, et que Dieu, dans sa bonté, s’est réservé comme un témoin fidèle, preuve vivante de la véracité de sa Révélation, de la réalité de la Rédemption. Là-bas, sang d’Israël, bouée providentielle pour les ébranlés, les déchus, les naufragés de la foi ; semence jetée dans le désert pour y fructifier solitaire et y être récoltée en son temps, selon la parole de Jahowah, fidèle à Jacob et à David : « Si ad cardines cœli (le Pied-du-Ciel, les Pôles) dissipatus fueris, indè te retraham, dicit Dominus exercituum. » (Deuteron., ch. xxviii, v. 61.)

Émile Petitot.
Paris, le 6 août 1886.


REMARQUE

Dans les noms indiens, l’u a le son latin ou, la lettre ρ est l’r guttural arabe, le χ est le j espagnol. Le ñ est aussi emprunté à cette langue ; l’ se prononce chl avec soufflement palatal, la langue renversée ; th, tth, dh, sont des variétés du th anglais doux ou dur ; w se prononce ou formant diphtongue avec la voyelle qui suit.


PREMIÈRE PARTIE

TRADITIONS DES ESQUIMAUX TCHIGLIT












PREMIÈRE PARTIE

TRADITIONS DES ESQUIMAUX TCHIGLIT


NOTICE ETHNOGRAPHIQUE

Les Esquimaux Tchiglit sont une fraction du peuple Innoït (hommes), un des plus étendus du globe en superficie, bien que des plus infimes au point de vue numérique.

Les Tchiglit (sing. Tchiglerk), dont le nom signifie également hommes, habitent le littoral de la Mer glaciale arctique, entre le cap Bathurst, à l’Est, et la pointe Barrow, à l’Ouest. Ils ne remontent pas les cours d’eau, qui se jettent sur cette côte, à plus de cinquante lieues.

Ces Esquimaux se distinguent des Innoït orientaux en ce qu’ils portent des boutons de marbre, de stéatite ou de serpentine, souvent ornés de verroteries et semblables à nos jumelles, aux commissures de la bouche, encastrés dans le gras des joues. Ils tiennent cette bizarre pratique des Esquimaux de l’Ouest.

Au point de vue physiologique, ils se distinguent encore de leurs frères de l’Est et des îles, en ce que leur type offre un élément blanc et incarnat, mélangé à l’élément purement malais ou mongolique des Innoït orientaux.

Quant au nom d’Esquimau, il est la corruption française du nom de ce peuple dans les langues algiques : Wiyashiméw, Eskimantik, Eskimalt, qui signifient : Mangeurs de chair crue. Tel est aussi le sens du nom des Samoièdes en langue ostiake.

Leurs chefs se nomment Khatoun comme ceux des Tougouses et des anciens Khazars ; mais ils prennent aussi le titre de Khatétsé et de Innok Toyok (grand homme).

Les Tchiglit sont sabéïstes et de race solaire. Dans Tchikreynark (le soleil), ils adorent Padmoun-a, un héros législateur, qui descendit jadis du ciel pour les éclairer, les civiliser, leur faire du bien, et qui remonta ensuite vers l’empyrée, où il habite l’astre du jour. C’est Wichnou-Krichna.

Dans la lune, Tarark (le miroir, le réflecteur), les Tchiglit redoutent Tatkrem Innok, l’homme lunaire, dont l’histoire fabuleuse est contenue dans les pages qui suivent. Elle a du rapport avec l’histoire de Brahma.

Les Tchiglit prétendent être venus de l’Occident, ainsi que le raconte leur tradition ; et, de fait, leur figure, leur genre de vie, leurs mœurs, leur absence de toute pudeur, leurs habitudes de piraterie, leur costume et jusqu’à la forme de leurs habits et de leurs ustensiles rapprochent ce peuple des Asiatiques les plus orientaux, tels que Kouryliens, Kamtschadales, Japonais, Chinois et Malais.

Le paradis des Esquimaux est chaud, et ils le placent au fond des mers, indice pélagique. Leur enfer est glacé et se trouve dans la région des nuages.

Ils célèbrent, aux solstices, une fête solaire. Ils ont aussi une fête des fruits nouveaux, en automne, et une fête du renouveau, au printemps[2].

Le caractère de ces cérémonies les rapprochent des fêtes d’autres peuples américains, tels que Pieds-Noirs, Cris, Iroquois, Sioux, Caraïbes. Elles ont fort peu de rapport avec les fêtes des Dindjié, des Dana et des Dénè, bien que ceux-ci soient les plus proches voisins des Esquimaux Tchiglit. Ils en sont appelés dérisoirement Irkréléït, Ingalit, c’est-à-dire Lentes de vermine ; mais ces Indiens leur rendent la pareille en ne les désignant que par des noms qui sont des opprobres : Pieds-Étrangers, Ennemis, Stercoraires, Peuple de chiens, de courtisanes, etc.


I

NUNA MIK TCHÉNÉYOARK

(la création)


Au commencement, Kikidjiark (le Castor) créa deux hommes sur une grande île de la mer occidentale.

Ces deux frères, étant partis de l’autre côté de la mer, vinrent de ce côté-ci pour chasser les gelinottes blanches.

Ces gelinottes, ils se les arrachèrent des mains, ils se battirent entre eux pour les avoir ; ce qui provoqua la séparation des deux frères.

L’un des deux devint le père des Tchiglit (Esquimaux arctiques) ; l’autre fut l’ancêtre des Tchubluraotit ou Souffleurs[3] (Esquimaux occidentaux).

(Racontée par Arviuna, en juillet 1870.)


II

ULIKTUARK

(l’inondation)


L’eau ayant débordé sur le disque terrestre, on s’épouvanta, car le vent emportait et faisait disparaître les demeures des hommes.

Les Esquimaux lièrent ensemble plusieurs barques de manière à en composer un grand radeau. L’eau montait toujours et ses vagues dépassèrent les Montagnes Rocheuses (Erret). Un grand vent les poussait vers la terre, et ce vent ne cessait pas.

Sans doute que les hommes purent d’abord se faire sécher au soleil ; mais ils disparurent bientôt et l’univers avec eux, car ils périrent d’une chaleur affreuse, aussi bien que par les flots de cette mer qui montait toujours.

Les malheureux se lamentaient, et les arbres déracinés flottaient au gré des vagues.

Ceux qui avaient lié plusieurs barques ensemble grelottaient de froid, tandis qu’ils flottaient sur les eaux, se tenant ensemble recoquillés, hélas ! sous une grande tente.

Alors, un jongleur nommé An-odjium, ou Fils-du-Hibou, jeta son arc dans la mer en s’écriant : « Vent, c’est assez ; calme-toi ! » Puis il y jeta ses boucles d’oreilles. C’en fut assez pour faire cesser l’inondation.

(Racontée par Arviuna, en juillet 1870.)


III

TATKREM INNOK

(l’homme lunaire)


Au commencement, vivaient un homme et sa sœur. Ils étaient fort beaux l’un et l’autre, et le jeune homme s’éprit d’amour pour sa sœur et voulut en faire sa femme.

Mais il voulait la surprendre durant la nuit, afin qu’elle ne se doutât de rien et qu’elle ignorât de qui elle recevait ces visites.

Poursuivie nuit après nuit par cet inconnu, qu’elle ne pouvait découvrir, à cause de l’obscurité de sa hutte, Maligna noircit ses mains après le fond de sa lampe, et, dans les embrassements qu’elle fit à son adorateur, elle lui barbouilla le visage de suie, sans qu’il s’en aperçût.

Le jour venu, le visage machuré de son propre frère lui apprit son malheur.

Elle exhala sa douleur en gémissements, et s’échappa de la hutte pour n’y plus rentrer.

L’incestueux, transporté par la passion, poursuivit sa sœur ; mais alors elle s’éleva vers les cieux, soleil brillant et radieux ; tandis que lui, lune froide, au visage souillé, l’y poursuivit sans relâche, mais sans pouvoir l’atteindre jamais.

Cette poursuite dure encore de nos jours. Tatkrem Innok est l’ennemi des femmes ; aussi leur est-il défendu de s’aventurer dehors, la nuit, lorsqu’il fait clair de lune[4].


(Racontée par Arviuna, en juillet 1870.)


TEXTE ET TRADUCTION LITTÉRALE

de la première légende

Un-avarner L’Ouest mun, à, pamàné, dans la haute-mer, Kikidjiar le Castor ork, donc, mallœrok deux innè-ortoar hommes fit ork. donc.

Illaming La rive opposée nun, de akkiang ce côté-ci nin vers Kridjigili-orklutik. ils vinrent chasser les gelinottes.

Arkridjigili-nurublulik Les gelinottes ils se les arrachèrent des mains, ork, donc, Katcharklutik ils se battirent inmingnun. l’un l’autre avec.

Nukkaréït Les deux frères gork donc arviklarotork. se séparèrent l’un de l’autre.

Aypa L’un Tchiglinorkluné, fut le père des Tchiglit, et, aypa l’autre Tchubluraotinorkluné. fut le père des Souffleurs (Tchubluraotit) etc.


DIVINITÉS ET HEROS TCHIGLIT


Pin-ortitsioriork (assis très haut).

Kikidjiark (le Castor).

Tornrark (le séparé, le retranché).

Krinwark.

Tchiutilik.

Krallok (le génie de la foudre).

Anerné-aluk (esprit grand).

Padmun-a (l’Élevé, l’Ascensionnel).

Tatkrem Innok (l’homme lunaire).

Maligna (nom de la femme solaire).

An-uya (le mâle, nom de l’homme lunaire).

Innuleït (les esprits).


DEUXIÈME PARTIE

LÉGENDES ET TRADITIONS DES DINDJIÉ
OU LOUCHEUX












DEUXIÈME PARTIE

LÉGENDES ET TRADITIONS DES DINDJIÉ
OU LOUCHEUX


NOTICE ETHNOGRAPHIQUE

Les Dindjié (hommes) sont la fraction la plus septentrionale de la grande famille américaine des Déné qui, de la presqu’île Kænaï, dans l’Alaska, s’étend jusqu’aux confins de l’Arizona, en formant de ci de là des îlots englobés au milieu d’autres peuples à peau rouge.

Les Esquimaux, leurs voisins, les nomment Ingalit, Irkréléït, c’est-à-dire Lentes de vermine. Les Déné, leurs cousins, les désignent sous le nom de Dékkéwi, Dékkédhé, Louches ; en canadien, Loucheux.

Allemands, Anglais et Américains ont rivalisé dans la création de quiproquos, touchant le nom véritable des Loucheux, et cela se conçoit d’autant plus facilement que leur dialecte défie l’oreille la plus musicale et la langue la plus déliée. Dans l’extrême Ouest de l’Alaska, leur patrie, ce peuple porte le nom de Dœna ou Atœna (hommes). Dans le haut Youkon et dans le bas Mackenzie, il prend celui de Dindjié, qui a la même signification.

Ils ont les traits caractéristiques de la race hébraïque, unis au type hindou. Comme le premier de ces deux peuples et une fraction du second, ils pratiquent la circoncision. Leurs femmes sont très belles et beaucoup plus blanches que les hommes. Il existe également parmi eux un élément d’un blanc mat et farineux.

Quant à leur portrait moral, les Dindjié sont doux, humains, hospitaliers, intelligents, pleins de franchise et de bonhomie. Ils sont bons pour leurs femmes, aux avis desquelles ils se soumettent souvent au point d’en faire des chefs : Rakrey, Toyon. Ils sont ingénieux et prévoyants.

Mais leur énergie et le voisinage des Esquimaux, leurs ennemis, les a rendus bruyants, tapageurs, loquaces, querelleurs, enthousiastes, surexcitables et faciles à émouvoir. Ce sont ces défauts qui leur méritèrent, de Mackenzie, le nom de Quarellers.

Les Dindjié n’ont jamais trempé leurs mains dans le sang des Européens.

Leur costume est l’habit samoïéde en peaux de renne, pendant l’été, en peaux de lièvre blanc, durant l’hiver. Leur chlamyde, qui descend plus bas que le genou, se termine en queue pointue par devant et par derrière, comme le poncho chilien ; elle est ornée d’une vaste pèlerine, et est, à peu de chose près, la même pour les hommes que pour les femmes.

Leur chaussure fait corps avec le pantalon, que les femmes portent également.

On n’aperçoit jamais chez eux ces nudités complètes qui blessent la vue parmi les Esquimaux. Comme les Déné, ils ont la nudité en horreur. Mais ils ne se font aucun scrupule de la fornication, du divorce et de la polygamie. Ils ont des chefs, mais on ne trouve chez eux ni lois, ni châtiments, ni récompenses.

Ce qui distingue particulièrement les Dindjié de leurs voisins, c’est la division de leur nation en trois camps ou fractions, indépendants de la division locale en peuplades. Ces camps prennent le nom d’hommes de la droite, Etchian-Kρét ; hommes de la gauche, Nattséïn-Kρét ; et hommes du milieu, Tρendjidhættset-Kρét. Les jeunes gens d’un camp sont tenus de choisir leur épouse dans le camp opposé. Mais les hommes du milieu ont le choix entre l’un et l’autre camp. Les enfants appartiennent au camp de la mère.

Les Etchian sont réputés blancs, les Nattséïn, noirs[5], et les Tρendjidhættset, bruns, indices du mélange de deux races et de métissage. Parmi les Nattséïn se font remarquer les Kuchâ Kuttchin (géants gens), du Youkon, dont un grand nombre ont plus de six pieds de haut.

Les Dindjié sont sabéïstes et de race lunaire. Ils adorent dans l’astre des nuits Sié-ζjié-dhidié, génie bienfaisant descendu jadis du ciel pour les éclairer, les instruire, les délivrer du joug de leurs ennemis, et qui, remonté au ciel et résidant dans la lune, est devenu le dieu de l’abondance et de la chasse, leur protecteur contre leurs ennemis. Cependant, cette divinité masculine revêt aussi à leurs yeux le caractère de génie de la mort et de la guerre.

Tel fut le triple caractère d’Hécate parmi les Grecs.

Mais les Dindjié adorent aussi Titρié (père des hommes), qui rappelle l’Alfader des Scandinaves. Le caractère paternel que ce peuple donne à Dieu est touchant et vraiment remarquable. Aussi sont-ils, à juste titre, le peuple le plus policé et le plus intelligent parmi les aborigènes soi-disant sauvages de l’Amérique arctique. Leurs légendes et traditions offrent un enchaînement qui les fait ressembler à des histoires. Ce sont aussi celles qui présentent le plus de rapports avec le Pentateuque.


I

ETΡŒ-TCHOKΡEN

(le navigateur)[6]


Au commencement du monde, deux frères demeuraient seuls sur la terre. Le plus jeune aimait à demeurer nu. Il allait et venait dedans, dehors, dépouillé de tout vêtement. Son occupation la plus ordinaire était de fabriquer des flèches.

L’aîné, qui chérissait tendrement son frère cadet, lui dit, une nuit, après qu’ils furent couchés :

— Mon petit frère, perce-moi l’aisselle, de ta flèche.

Comme c’était la nuit, l’aîné aussi était nu. Il s’était dépouillé de ses vêtements pour dormir.

Le cadet répondit :

— Je ne veux pas faire cela, mon frère aîné.

— Ah ! mon frère cadet, dit l’aîné, tes flèches sont sans force ; c’est pourquoi tu ne veux pas m’en frapper, car si tu m’en frappais, tu sais bien qu’elles ne me perceraient pas.

Piqué par ce défi, le cadet prit son arc, le tendit contre son frère, lui transperça la poitrine d’une flèche, et le tua.

Alors leurs parents pleurèrent, et le frère cadet — celui qui avait l’habitude d’aller tout nu — pleura aussi ; il désespéra, il sortit de la tente, et finalement s’en alla pour ne plus revenir.

Vainement ses parents le cherchèrent. Il ne reparut plus jamais.

Après son départ, sa mère engendra de nouveau, et accoucha d’un troisième garçon qui grandit et devint très puissant. Voici son histoire :

Dindjié, — nom de cet homme, — étant devenu adulte, commença à chasser et à tuer des animaux pour se sustenter. Mais, tout en chassant, il était préoccupé de cette pensée :

— Un de mes frères est mort ; l’autre a disparu. Que peut-il être devenu ? Il faut que je le retrouve.

Étant donc allé, un jour, à la chasse sur les bords de la Grande-Eau, il y entendit huer le grand plongeon arctique qui y prenait ses ébats.

— Pourquoi ce plongeon pleure-t-il ? pensa Dindjié. Sans doute qu’il voit des rennes et qu’il en a peur, ce qui le fait crier.

Ainsi pensa le jeune homme. Ayant donc aperçu un sentier de rennes, il s’élança sur cette piste, aperçut effectivement des rennes, les poursuivit et arriva sur les bords de la Grande-Eau dont je viens de parler.

Ce lac (ou mer) était immense et couvert d’oiseaux aquatiques qui y nageaient. Dindjié voulut tuer quelques-uns de ces oiseaux et se cacha pour les guetter.

Tout-à-coup il aperçut au large quelque chose de noir qui ressemblait à une tête d’homme sortant de l’eau.

— Qu’est-ce que cela peut être ? pensa-t-il.

Il se cacha de nouveau et observa.

Après avoir attendu bien longtemps que cet objet se déplaçât, Dindjié distingua très bien la tête d’un homme très grand qui se tenait debout dans l’eau. Cachant sa tête derrière une touffe de joncs, cet homme s’approchait des oiseaux aquatiques, leur saisissait les pattes et les attirait sous l’eau où il leur tordait le cou. C’est ainsi que cet inconnu chassait[7].

Dindjié s’étant mis à la recherche des vêtements du chasseur, il les trouva sur le rivage, car cet homme se tenait nu dans l’eau. Dindjié se cacha près des vêtements pour épier le chasseur.

Celui-ci, après qu’il eût saisi et tué tous les oiseaux aquatiques, sortit de l’eau, courut au lieu où il avait laissé ses habits et s’en revêtit.

Mais alors Dindjié, qui s’était caché jusque-là, accourant vers l’étranger, il l’embrassa, le serra et le retint entre ses bras, en lui disant :

— Il y a longtemps qu’un enfant tua son frère aîné, et se sauva après l’avoir tué. Ne serait-ce pas toi ?

— Hélas ! oui, dit l’autre. C’est moi-même.

— Eh bien ! apprends que je suis ton frère cadet, qui te cherches depuis longtemps. Maintenant que je t’ai retrouvé, je ne te quitterai plus jamais, lui dit-il.

Alors le frère aîné, qui s’était enfui et perdu, s’attrista et dit à son cadet :

— Hélas ! mon frère, je ne ressemble plus à un homme vulgaire, j’ai épousé la femme invisible et très puissante qui ne peut souffrir la présence ni la vue d’aucun autre homme que moi, et dont le flair est si subtil qu’elle perçoit les hommes de loin et leur échappe. Il est donc impossible que tu me suives. Retourne-t-en au lieu d’où tu es venu.

Mais le cadet :

— Je ne m’éloignerai pas de toi, mon frère, répondit-il. Moi aussi, je veux voir la femme invisible.

Alors les deux frères se dirigèrent ensemble vers la demeure de l’aîné, lequel, tout en cheminant, instruisit son frère cadet :

— Or sus, mon cadet, ta belle-sœur est très puissante et bien terrible. Je vais donc la questionner le premier et lui dirai : Je viens de retrouver mon frère, consens à ce qu’il demeure avec moi. Et tu agiras selon ce qu’elle me répondra.

Ainsi parla le frère aîné.

Cet homme avait épousé deux femmes superbes. L’une, l’épouse proprement dite, celle qui est assise près de la porte, s’appelait Rdha-ttsègæ (soir-femme). L’autre, la concubine, celle qui se tient au fond de la tente, s’appelait Yékkρay-ttsègæ (matin-femme).

Les deux frères étant arrivés à la maison, on entendit comme une femme qui se tenait hors la tente, tannant des peaux. On percevait le bruit du grattoir raclant la peau, on voyait remuer celle-ci ; mais la femme demeurait invisible.

Les deux frères pénétrèrent sous la tente. Il y avait là du gibier et de la viande de venaison en quantité. On y entendait des voix féminines, mais on n’y distinguait aucun être humain.

C’était une belle tente que cette loge, au fond de laquelle on voyait de la belle viande suspendue. L’aîné dit en entrant :

— Or sus, mes femmes, donnez-nous de la viande à manger, car cet homme est mon frère cadet que je viens de retrouver.

Alors on vit comme quelqu’un qui aurait pris d’excellent pemmican, qui l’aurait placé dans une sébile nette, et qui aurait approché le plat du nouvel arrivant. Mais la main qui fit tout cela, celui-ci ne la vit pas.

Cependant, les deux frères mangèrent ensemble.

Lorsque les deux hommes étaient arrivés, j’ai dit que l’épouse titulaire, la femme du soir, était assise sur le seuil. Après que le repas fût fini, elle quitta la tente, et l’autre épouse, la femme du matin, rentra et, prenant la place de sa rivale à côté de la porte, elle produisit le jour. Quant à la femme-soir, elle s’en alla.

Mais, le soir arrivé, celle-ci rentra de nouveau, et aussitôt la nuit descendit. Elle apportait beaucoup de gibier, produit de sa chasse. On prit un nouveau repas, puis l’on se coucha. Mais le jeune voyageur n’aperçut aucune femme couchée à côté de son frère aîné.

Cependant, celui-ci dit à son cadet :

— Mon frère cadet, nos parents ne sont point encore morts. Tu ferais bien de t’en retourner vers eux afin de leur venir en aide ; car j’imagine que tu n’as pu voir encore tes belles-sœurs.

— Non, mon frère, dit l’autre, je n’ai pu les voir encore, cependant je ne compte pas repartir. Je veux demeurer avec toi.

En ce moment, la femme du soir étant partie, le frère cadet l’entrevit un peu par derrière. Il n’aperçut que son vêtement qui était resplendissant. Mais ce fut tout ce qu’il en vit.

Le soir venu, la femme du matin sortit à son tour, et il put également l’entrevoir par derrière. Il dit alors à son aîné :

— Voilà que je commence à voir un peu tes femmes, mais seulement par derrière.

L’aîné lui répondit :

— Mon cadet, je ne t’ai pas encore tout dit. Moi-même, étant sur mon trépas, je partis pour la lune où j’ai pris ces femmes. Elles appartiennent à la race lunaire, et c’est pourquoi tu ne peux les voir, puisqu’elles ne sont pas de la même nature que toi.

Le cadet demeura encore deux autres jours et deux autres nuits avec son aîné, et il parvint alors à voir parfaitement les deux épouses de son frère. Elles étaient blanches comme la neige.

L’aîné lui dit :

— Mon cadet, tes belles-sœurs sont satisfaites de toi, c’est pourquoi elles se laissent voir.

Or, c’était en automne que le cadet avait retrouvé son frère aîné, et voilà que l’hiver était déjà arrivé comme en un clin-d’œil. L’aîné dit :

— Mon cadet, voilà que mon beau-père, le vieillard Lune, qui m’a donné en mariage ses deux filles si puissantes, vient de m’envoyer l’ordre de m’en retourner en sa terre lunaire, et il te donne aussi mes deux épouses, mais prends garde à ceci :

— « En t’en retournant dans ta patrie, ne passe point sur la glace, » a-t-il ajouté. « Je te dis ceci pour t’éprouver. » Voilà ce que vient de me mander mon beau-père. Ainsi donc, partons, mon petit frère.

Ayant ainsi parlé, l’aîné partit pour la lune, tandis que le cadet continuait sa route de son côté avec les femmes.

Ils arrivèrent ainsi tous trois auprès d’une chute d’eau formée par un détroit où une eau se jetait et tombait dans une autre eau ; de sorte qu’il y avait une grande eau à droite et autant à gauche, et le détroit avec sa chute devant eux. Il y avait en ce lieu un petit portage fort court qui épargnait la peine de passer sur la glace des grands lacs.

L’homme aux deux femmes passa le premier par le portage, en obéissant au vieillard Lune. La nuit arriva cependant, et les deux femmes qui le suivaient ne reparurent pas.

— Pourquoi mes deux femmes ne me suivent-elles pas ? pensait Dindjié. Il revint sur ses pas et se mit à leur recherche auprès de ce bras de rivière qui, par une chute, faisait communiquer deux eaux.

Alors, tout au large, il aperçut ses deux femmes qui arrivaient en passant sur la glace du lac. Mais, comme elles étaient chaudes, la glace fondit sous leurs pas, elle s’entr’ouvrit et elles furent englouties dans la grande eau où elles se noyèrent.

L’homme s’en fut donc tout seul, s’en retournant vers son beau-père. Lune. Le vieillard n’était pas satisfait. Cependant il consentit à lui donner de nouveau deux autres filles en tout semblables aux premières, en lui disant :

— Dans la terre d’en-bas, retourne-t’en encore. Je t’y éprouverai.

Or, une des deux nouvelles femmes de Dindjié, celle qui était assise à la porte, refusait son mari parce qu’elle le haïssait. Elle ne travaillait pas pour lui ; elle était revêche et toujours mécontente ; elle ne lui adressait jamais la parole.

Le jour venu, cette femme disparut, et Dindjié se dit :

— Où donc est-elle allée ?

Le soir, cette femme acariâtre rentra en cachant quelque chose derrière son dos.

— D’où viens-tu donc ? lui demanda son mari.

Elle ne lui répondit seulement pas.

Dindjié n’avait encore eu aucun commerce avec ses deux femmes lunaires. Il n’en avait donc pas encore eu d’enfants.

Cependant, lorsque le jour fut venu, la femme du soir disparut de nouveau, et son mari la suivit de loin.

— Où va-t-elle et pourquoi sort-elle ? se demandait-il.

Il la vit alors entrer nue dans un marais noir et infect. Là elle se tenait debout, ayant un serpent noir attaché à elle. Témoin de cette abomination, Dindjié s’en fut épouvanté, laissant en ce lieu la femme de la nuit.

Le lendemain, les deux femmes étaient encore à leur poste comme de coutume, et celle qui aimait son mari s’absenta vers le soir, à son tour. Dindjié la suivit aussi et se cacha pour l’épier. Il la vit assise nue sur un lit de gelinottes des neiges, et une foule de petites gelinottes étaient suspendues à ses mamelles qu’elles tétaient.

Revenu chez lui, Dindjié se garda bien de parler de ce qu’il avait vu, mais il y réfléchissait.

Quelque temps après, pendant que l’homme était assis dans sa tente, occupé à fabriquer des flèches, ses deux femmes entrèrent portant leurs enfants qu’elles déposèrent dans la tente. Ils étaient cachés les uns et les autres sous une couverture.

— Que je les voie ! se dit l’homme.

Alors soulevant une des couvertures de sa flèche, il vit que les enfants de la femme qui l’aimait étaient blancs et jolis. Leur nez était percé et portait des tuyaux de plumes de cygne, dont leur mère les avait ornés. En un mot c’était de beaux enfants.

Dindjié les contempla et les recouvrit en souriant. Il regarda alors les enfants de la méchante femme. Ah ! c’étaient des hommes serpents, noirs, hideux et ayant une énorme gueule béante. Frappé d’horreur, l’homme leur transperça la gueule de sa flèche, et les ayant tués, ils moururent.

Leur mère rentra sur ces entrefaites et se mit dans une colère terrible. Le mari ne dit rien, il sortit, s’en alla à la chasse aux lièvres ; il en prit au lacet et revint dans sa tente pour que ses femmes lui apprêtassent sa nourriture. Celle qui était méchante ne voulut pas manger des lièvres blancs. Son mari lui dit :

— Je vois bien que tu refuses de manger parce que tu t’imagines que ces lièvres sont mes enfants.

Elle ne répondit rien, prit les lièvres, leur mit du pémican dans les oreilles, et aussitôt ceux-ci, ressuscitant, se sauvèrent dans la forêt.

— Quelle méchante femme ! s’écria le mari, indigné de perdre le fruit de sa chasse.

Alors, pour l’éprouver encore, Dindjié se coucha et affecta d’être malade.

— J’ai mal au ventre, disait-il.

La méchante femme prit de l’urine et de la fiente de chien, en fit une mixtion et la donna à son mari en guise de médicament. Mais le poison ne lui fit aucun mal.

Les choses en étant là, on leva le camp le lendemain. Alors la méchante femme du soir dit à sa rivale :

— Puisque tu es seule à posséder des enfants, demeure avec ton mari. Quant à moi, je suis décidée à demeurer ici.

Ce disant, elle se sauva dans les marais et disparut. Depuis lors on ne sait ce qu’elle est devenue. Lorsque la Compagnie de la baie d’Hudson arriva dans ce pays, nous crûmes que c’était la méchante femme du soir qui s’en revenait vers nous.

Alors Dindjié, dégoûté des femmes lunaires, s’en alla, bien résolu d’abandonner même celle qui l’aimait, et il fit diligence pour retourner dans sa patrie vers ses vieux parents. Mais sa femme le suivit de loin et s’attacha à ses pas.

Malheureusement la pauvrette ne pouvait courir aussi vite que lui. Ce n’était que difficilement qu’elle pouvait le suivre. Le mari faisait toujours le campement avant qu’elle arrivât, et la pauvre femme n’arrivait au bivouac qu’après le départ du fugitif.

Ainsi marchant et poursuivant l’infidèle[8], elle arriva sur les bords d’une grande eau, lorsqu’elle aperçut son mari sur l’autre rive, où il avait déjà allumé du feu. Elle y courut ; mais, avant qu’elle ait eu le temps de traverser le lac, Dindjié avait levé le pied. Par deux fois il en agit ainsi. Elle en était désolée.

La femme du matin se dit alors :

— Il est évident que mon mari veut m’abandonner, car il a bien dû me voir venir sur le lac. Je vais user de ruse.

Donc, le soir venu, et pendant que son époux était campé sur la rive opposée d’un grand lac, la femme du matin, au lieu de traverser le lac en se mettant en évidence, en fît le tour à travers bois. Ce lui était bien plus pénible.

Comme elle arriva au bivouac, Dindjié se disposait à partir. Déjà il avait chaussé une de ses raquettes et était occupé à attacher l’autre, lorsque la malheureuse courut à lui :

— Comment, voilà que tu m’abandonnes ! lui dit-elle. Tu veux donc partir sans moi ?

Ce disant, elle le saisit par les jambes, se cramponna à ses genoux, et jeta sur lui les enfants qu’elle portait.

Alors Dindjié eut pitié d’elle. Il reprit sa femme et ne la quitta plus ; il la suivit, et cette femme du matin, devenue la véritable épouse de l’homme, devint aussi la mère des Dindjié. Ce sont là nos ancêtres, dit-on.


(Racontée par le dindjié Sylvain Vitœdh,
en décembre 1870, au fort Bonne-Espérance.)


II

ETPŒ-TCHOKPEN

(le navigateur)


Etρœtchokpen, le nautonnier, fut le premier qui construisit un canot. Au printemps, il choisit les écorces les plus propices et en fit l’essai. Il arracha d’abord de l’écorce de sapin, la jeta à l’eau, sauta par-dessus et la suivit au fil de l’eau. Elle coula à fond.

Il arracha alors de l’écorce de bouleau à papier, il la jeta à l’eau, sauta par-dessus[9] et la suivit le long du courant. Elle flotta à merveille. Il la choisit donc pour en fabriquer son canot. Ce canot, il le fit par la vertu de sa médecine.

À cet effet, il grimpa au sommet d’un grand sapin, s’y lia et y dormit. Au même moment se trouvèrent déposées au pied de cet arbre les écorces, les clisses et les varangues du futur canot.

Etρœtchokρen dormit une seconde nuit, et aussitôt, à son réveil, les membrures se trouvèrent à leur place et la pirogue construite.

Alors il la mit à l’eau, mais elle faisait eau de toutes parts. Etρœtchokρen en remonta sur son arbre, y passa une troisième nuit, et, le lendemain, le canot se trouva calfaté, couvert de ses lisses de fond, et l’aviron était aussi préparé. Alors le navigateur y entrant, il descendit le fleuve.

Au commencement, la loutre et la souris demeuraient, dit-on, ensemble. Le nautonnier arriva chez elles, et la loutre, qui était mangeur d’hommes, servit à Etρœtchokρen de quoi manger. Elle lui donna de la viande pilée qui ressemblait à de la poussière rouge. Or, c’était de la chair humaine séchée et pulvérisée par la souris.

Donc, la loutre, qui est le diable, demeurait là, et elle fit à l’homme cette défense :

— En descendant le courant, tu ne boiras point de l’eau du fleuve, mais seulement de l’eau d’un torrent qui s’y jette.

Mais la loutre voulait tromper l’homme.

Donc, le nautonnier étant entré dans son canot et cherchant ce torrent, tandis que la loutre courait le long du rivage, il cria au diable :

— Est-ce ici, le torrent ?

— Non, plus bas.

— Est-ce ici ?

— Encore plus bas.

— Enfin, est-ce cette petite rivière que voici ?

— Non, te dis-je, c’est bien plus loin, en aval.

Etρœtchokρen continua sa route, mais bientôt il ne trouva plus dans le fleuve que des cadavres infects, des crânes, des ossements, des morts qui flottaient. Il y en avait tant et tant que cela ressemblait à des îles au-dessus de l’eau.

Et le diable courait toujours le long de la grève en suivant la pirogue. Pour l’éviter, le nautonnier passa sur l’autre rive ; mais le diable-loutre traversa le fleuve à la nage, atteignit la rive avant lui, et l’attendit de l’autre côté.

Ne sachant plus comment faire pour se frayer un passage au milieu des cadavres flottants, Etρœtchokρen dit au diable :

— Passe et repasse devant mon bateau, et fraye-moi la route.

La loutre lui obéit. Elle nageait, elle nageait au milieu des morts, et le nautonnier, pagayant d’après elle en la suivant, voguait, voguait à travers ce dédale d’îlots formés par les cadavres amoncelés. Il finit ainsi par aborder sur l’autre rive, où il campa et dormit fort longtemps.

Le lendemain, le navigateur tua deux castors et campa de nouveau. Pendant son sommeil, la loutre et le pégan pénétrèrent dans son corps par le rectum. Mais lui, se réveillant, cueillit une branche de saule, y fit une boucle, et avec cet instrument il retira de son corps ces deux vilains parasites qui, de leur exploit, ne retirèrent d’autre profit que la couleur équivoque de leur pelage et la puanteur qu’ils exhalent.

De là, le nautonnier repartit en canot et aperçut un homme vivant qui dardait du poisson à l’aide d’un trident. Etρœtchokρen, le considérant à son insu, se métamorphosa en brochet[10] et s’approcha de l’homme qui ne le vit pas. Le navigateur monta à la surface de l’eau et s’y étendit au soleil. L’homme au trident crut l’atteindre et le percer, mais il n’enfourcha qu’une masse limoneuse.

Ayant repris sa première forme, le nautonnier vogua à la recherche des hommes et atteignit le lieu nommé : Là où le cœur humain seul vivait.

Or, tout au bas du fleuve[11] demeurait Nopodhittchi avec sa femme et sa fille. En ce moment il était absent. Le nautonnier entra chez le géant, s’y installa sans façons, et s’assit durant plusieurs jours à côté de sa femme.

Tout à coup, le Violent arriva en pirogue. Sa femme avait dit à Etρœtchokρen :

— Si mon mari survient, et que le vent tourne de ce côté-ci, sauve-toi bien vite d’ici en canot.

Le nautonnier repartit donc sur l’eau, poursuivi par les chiens de Nopodhittchi (le Violent) qui aboyaient pour la mort. Il tua la femme du Violent, monta sur un sapin et pissa ; il en résulta un grand fleuve dans lequel il poussa la fille du géant. Elle s’y noya et s’en alla à la dérive.

Alors Etρœtchokρen sortit pour se mettre à la recherche des hommes qui avaient trouvé la mort dans les eaux. Assis dans son canot, il se balançait sur l’eau. De ce balancement il résulta de telles vagues que toute la terre s’en trouva couverte et inondée. L’eau gronda, les torrents mugirent, il y eut une inondation générale. On n’en pouvait plus.

Frappé d’épouvante, Etρœtchokρen aperçut comme un fétu de paille géante[12] perforée. Il s’y fourra et s’y calfata, car son canot avait sombré, l’eau l’ayant submergé. Et sa paille géante flottait sur les eaux qui ne purent parvenir à l’engloutir.

Le nautonnier flotta dans son étui de chaume géant jusqu’à ce que les eaux se fussent évaporées et que la terre se fût desséchée. Il mit alors pied à terre sur une montagne élevée où son chaume s’était reposé.

Le navigateur demeura longtemps sur cette terre haute. Il ne s’en fut que lorsque plusieurs jours se furent écoulés. On appelle cette montagne Le lieu du Vieillard, parce que ce fut là que Etρœtchokρen demeura. C’est ce rocher à pic que tu as vu à droite du fort Mac-Pherson, dans les montagnes rocheuses.

En aval du fleuve (Youkon) deux rochers à pic très élevés forment comme une écluse entre eux. L’eau y est forte et le courant très accéléré. Là, debout sur les deux rochers, jambe de ci jambe de là, le fleuve passant entre ses jambes et les mains trempant dans l’eau, le nautonnier saisissait les cadavres des hommes au passage, de la même manière que l’on prend le poisson avec une puise.

Étant arrivé encore plus bas vers la mer des Castors, Etρœtchokρen aperçut une hydre couchée, gueule béante, au milieu du fleuve, et recevant dans cette gueule toutes les eaux qui s’y engouffraient. Le courant y était violent. Etρœtchokρen, tout en voguant, pénétra dans la gueule du monstre marin, en traversa le corps sur le courant des eaux, et en sortit par l’orifice postérieur. Ce fut son dernier exploit comme navigateur.

Cependant Etρœtchokρen, ayant débarqué, se mit à la recherche des hommes qui auraient pu survivre. D’hommes, il n’y en avait plus. Seul, le corbeau, perché sur un rocher élevé, dormait, bien repu, sur une de ses pattes.

Le nautonnier, un sac à la main, grimpa au sommet du rocher, surprit le corbeau dans son sommeil et l’enferma dans le sac, avec l’intention de s’en défaire.

Alors le Corbeau lui dit :

— Je t’en prie, ne me précipite pas en bas de ce rocher ; car, si tu le faisais, je ferais disparaître tous les hommes qui restent encore, et tu te trouverais seul au monde.

Cependant Etρœtchokρen le jeta en bas du rocher, il le brisa en mille pièces et laissa ses os épars au bas de la montagne. Puis il repartit.

Mais la prédiction du Corbeau s’accomplit. Bientôt le nautonnier crut entendre un bruit de voix d’hommes qui jouaient pendant la nuit ; car on était au solstice d’été, époque durant laquelle, le soleil ne se couchant pas, on passe la nuit en amusements. Mais il se trompait, il ne vit pas d’hommes. Il voyagea longtemps et au loin pour en trouver, mais sans jamais trouver personne. Toutes les tentes étaient vides, d’hommes il n’y en avait plus sur la terre. Etρœtchokρen aperçut seulement, étendu sur la vase, une loche et un brochet qui se chauffaient au soleil.

Il revint donc vers le cadavre du Corbeau dont les ossements blanchis gisaient épars au pied de la montagne. Il réunit ses os, il les rapprocha, les raccorda du mieux qu’il put, il étendit sur eux une couverture, péta dessus, et par ce pet il remit en place tous ces os et leur rendit la chair et l’esprit. Mais il n’avait pu retrouver un des doigts de pied du Corbeau, qui ressuscita ayant seulement trois doigts aux pieds[13].

Le nautonnier en avait agi ainsi afin que le Corbeau (qui était un méchant esprit) pût l’aider à repeupler la terre. Ils allèrent donc sur la plage où le brochet et la loche dormaient au soleil, le ventre reposant sur le limon ; alors le Corbeau dit à Etρœtchokρen :

— Toi, perce le ventre du brochet tandis que j’en ferai autant à la loche.

Etρœtchokρen ayant donc percé le sein du brochet, il en sortit une foule d’hommes. De son côté, le diable-corbeau en ayant agi de même avec la loche, il sortit une multitude de femmes du corps de cet autre poisson.

Ce fut ainsi que la terre se repeupla, dit-on.

(Racontée par le dindjié Sylvain Vitœdh,
en décembre 1870, au fort de Bonne-Espérance.)


III

EHTA-ODU-HINI

(celui qui voit en avant et en arrière)


Etρœtchohρen[14], étant parti pour la chasse, aperçut le terrier d’un porc-épic gigantesque. Il y pénétra, tua le porc-épic et le fit rôtir sous terre. Du dehors on vit sortir les flammes de ce feu et s’en exhaler la fumée.

Alors Ehta-odu-hini s’en alla vers ce feu souterrain, pendant une nuit très sombre. Il frappa la terre de sa hache de pierre, en disant à l’homme :

— Voilà que je vais t’ouvrir un passage.

L’homme refusa de sortir. Mais « Celui qui voit en avant et en arrière » eut pitié de sa folie. Il travailla longtemps la terre durcie de son dard de silex, frappant à coups redoublés pour pratiquer une issue, et il parvint à déterrer l’homme, auquel il dit :

— Ne crains point, mon petit-fils, je suis bon et ne tue jamais personne. Je viens pour te délivrer.

Etρœtchokρen sortit donc du trou en rampant, et il se dirigea vers le bon géant. Etha-odu-hini le prit par la nuque comme un petit chat, le souleva de terre et le plaça sur son épaule ; puis il partit.

Ehta-odu-hini avait un pou sur l’estomac.

— Tiens, dit-il à l’homme, saisis donc ce pou qui me pique et place-le-moi sous la dent.

L’homme lui obéit. Or, ce pou n’était autre qu’un gros rat musqué !

En portant ainsi l’homme sur son épaule, le bon géant se promena autour du ciel.

— Vois donc, mon petit-fils, lui dit-il encore, vois donc là-bas ces souris qui trottinent.

Or, ce qu’il appelait des souris, c’était bel et bien des rennes !

Le géant saisit sa javeline, la lança contre ces animaux et les perfora.

Il s’en alla plus loin.

— Mon petit-fils, vois donc, là-bas, ces lièvres assis sur leur derrière.

Ce qu’il appelait des lièvres, c’était des orignaux ! Il les perça de ses dards, les passa à sa ceinture comme si c’était des perdrix, et continua sa promenade.

En un seul repas tout fut dévoré[15]. Il donna à Etρcetchakρen une croupe d’élan tout entière :

— Mange cela, lui dit-il. Mais l’homme ne put jamais en venir à bout.

Il s’en fut encore plus loin.

— Mon petit-fils, dit-il, nous allons aller tout deux à mes écluses de pêche. Chemin faisant il ajouta :

Noρodhittchi (le Fort-Violent) a résolu ma mort, car il me déteste.

Tout à coup un renard passa en courant sur la glace. Il essaya d’y pénétrer, parce qu’elle était transparente, mais voyant qu’il ne le pouvait, il se fâchait à cause de sa dureté, s’écriant : « La glace est trompeuse. »

Tout à coup, ce renard se métamorphosa en homme, car c’était le mauvais lui-même, Nopodhittchi.

Il se jeta sur Ehta-odu-hini et tous deux luttèrent corps à corps pendant longtemps. Le second allait faiblir lorsque, se souvenant de l’homme, il s’écria :

— Coupe, mon fils, coupe-lui le tendon de la jambe.

Etρœtchokρen coupa à Nopodhittchi le tendon du pied, le fit tomber et le tua. La femme de Nopodhittchi étant arrivée en courant, le navigateur lui trancha le tendon de la nuque, de sa hache de silex, et la tua également. Elle mourut.

— Mon petit-fils, s’écria le bon géant, le Violent a un fils, cours sur lui et tue-le pareillement.

Le marmot était encore dans sa sellette en écorce de bouleau. Il s’élança sur l’homme en criant : « Wu ! wu ! » Etρœtchokρen lui ouvrit la poitrine et lui défonça le crâne du fer de sa lance.

Nopodhittchi avait également une fille nubile. Etρœtchokρen la viola ; puis étant monté sur un grand sapin, il urina. Il en résulta un fleuve dans les flots duquel la fille nubile se noya et dériva vers la mer.

Après ces exploits, Etρœtchokρen s’en retourna. Ehta-odu-hini avait beaucoup de chiens, tels que l’ours, le renne, l’élan, le lynx, le loup, etc. Ils s’étaient tous enfuis à travers bois. Le bon géant dit donc à l’homme :

— Retourne-t-en vers ta mère. Il lui fit don de son bâton, en ajoutant : « Va-t-en, de crainte que mes chiens ne te mettent en pièces, car ils en veulent tous à ta vie. Si jamais tu te trouves en péril, invoque-moi et j’accourrai vers toi ; car je suis pour jamais ton puissant et bon protecteur. »

Etρœtchokρen se sépara donc du bon géant, et la nuit venue, il grimpa dans un haut sapin et s’y lia pour dormir, car il redoutait les chiens du Puissant-Bon. Effectivement, pendant la nuit, il entendit des pas d’animaux, et un bruit singulier : «  ρaw ! ρaw ! » C’étaient les loups qui rongeaient le pied de son sapin pour en déterminer la chute et dévorer l’homme.

Alors Etρœtchokρen éleva la voix dans son effroi et se mit à crier :

— Mon grand-père, voilà que tes chiens veulent me faire tomber en abattant mon arbre.

Aussitôt il entendit « Celui qui voit » appeler ses chiens : « Vœdzey ! Vœdzin ! Vœdzey ! Vœdzjn ! tsey ! tsey ! vèh ! vèh ! » Et au même instant loups, ours et chacals de quitter l’arbre pour accourir vers leur maître. On dit que ce fut la souris qui arriva la première.

À partir de ce moment, Etρœtchokpen fut un homme. Il alla rejoindre sa mère et la suivit dans ses pérégrinations nomades, opérant des prodiges à l’aide du bâton que le Puissant-Bon lui avait donné.

(Racontée par Sylvain Vitœdh, en 1870, au fort
Bonne-Espérance.)


IV

KρWON-ÉTAN

(l’homme sans feu)


Kρwon-étan, l’homme sans feu, et le Nakkan-tsell ou le Pygmée, se faisaient la guerre pour une femme superbe nommée L’atρa-tsandia, celle que l’on se pille mutuellement de part et d’autre.

Nakkan-tsell avait un grand nombre de soldats, tous aussi petits que lui, qui détruisaient les parents de Kρwon-étan.

Kρwon-étan avait également un grand nombre de serviteurs, et par ses guerres, il détruisit entièrement les Pygmées. De sorte que, au bout du compte, ils demeurèrent tous les deux seuls, se combattant l’un l’autre et cherchant mutuellement à se détruire.

Un jour que l’on se battait de part et d’autre, la belle femme L’atρa-tsandia, cause de cette rivalité, cachée derrière la portière de sa tente, considérait attentivement par une fente ce qui se passait au dehors ; car, dans la plaine, une foule d’hommes s’entre-tuaient pour sa possession. Chaussés de raquettes, ils se couraient sus les uns les autres. Kρwon-étan avait déjà tué son frère, et il avait résolu de faire un grand carnage de ses autres rivaux. Tout en se poursuivant, les combattants arrivèrent sur les bords d’une rivière que Kρwon-étan traversa. Mais son frère cadet l’avait traversée avant lui, et ses raquettes mouillées se couvrirent d’une glace tellement épaisse qu’elles en acquirent une grande pesanteur. Entravé dans sa marche, le guerrier tomba, et Kρwon-étan, survenant, le tua.

Le fils unique de l’Étranger sans feu avait grimpé sur la pente escarpée d’une montagne, et s’y tenait caché, de crainte que son père ne le sacrifiât également. Kρwon-étan l’y poursuivit armé d’un coutelas et s’assit sur la montagne, ayant son fils à côté de lui.

— Mon descendant, lui dit-il, j’ai froid, allume du feu, et donne-moi tes mitaines pour que je me réchauffe les mains. Car il était parti sans son battefeu, portant un tison qu’il avait renversé dans la neige, de sorte qu’il venait d’arriver à demi gelé, pleurant son feu éteint et son battefeu oublié.

Son fils en eut pitié. Il lui donna ses mitaines, coupa et empila le bois en bûcher, et y mit le feu. Alors Kρwon-étan, bien réchauffé, saisit son coutelas, fendit le ventre à son fils unique et le jeta en bas du rocher. Puis il dit à la montagne :

— Au sommet de la grande montagne, je t’ai immolé avant le commencement une grasse victime que je t’ai envoyée. Qu’en as-tu fait ?

Après ce mauvais coup, Kρwon-étan redescendit dans sa tente où il trouva la veuve de son frère qui pleurait le trépas de son époux. Car, après la mort de ce dernier, l’Homme sans feu l’avait prise pour seconde femme.

Assise dans la neige, le visage contre terre, elle se lamentait, parce que le nerf de son pied avait été foulé et s’était retiré. Elle était mère d’un petit chien que son mari lui avait donné, car elle appartenait à la race des Hommes-Chiens.

Kρwon-êtan lui dit donc :

— Ma maîtresse, raconte-moi une histoire, quelque chose de divertissant.

— Ah ! le nerf de ma jambe s’est retiré, lui dit-elle ; j’en souffre trop. Pour toi, j’ai allumé du feu sous la tente. Que veux-tu de plus ?

L’Étranger sans feu se fâcha.

— Maîtresse, je vais dormir, lui dit-il. Quant à toi, va-t-en avec ton chien, et quand bien même ton fils pleurerait, ne reviens jamais plus par ici.

La malheureuse se leva, elle prit son chien, partit et s’en alla au loin, elle, la femme de son frère ! Elle marchait en pleurant, pressant sur son sein son petit chien. Ainsi elle marcha et chemina longtemps dans les terres stériles, dans les lieux dépourvus d’arbres, cherchant un peuple qui ne les tuât pas, elle et son chien. Elle erra ainsi tout l’hiver dans le désert qui n’a pas de sentier. Enfin manquant de tout et à bout de forces, elle se coucha pour mourir, et son chien avec elle.

Tout à coup un carcajou (d’autres disent un loup blanc, Pèlé) accourut vers elle. Il la secoua et la tira par les cheveux. Elle ne remua pas. Ce carcajou venait des bords d’un cours d’eau. À force de secouer la femme, il la tira de sa syncope. Elle se mit sur ses gardes, lança une pierre au glouton, l’atteignit à la nuque et le tua. De cette manière, elle se procura de la viande.

Puis, ayant suivi la piste de l’animal, elle trouva la rivière et put s’y désaltérer à son aise. Elle était sauvée.

Après ces événements, le Pygmée ravit encore une fois la femme de Kρwon-étan, ce qui obligea ce dernier à se remettre en marche pour la reprendre. Mais cette fois il était seul. À force de cheminer, il s’aperçut que le sentier devenait de plus en plus récent. Finalement il ne datait que d’hier. Mais le camp où il arriva était vide. Seule, une vieille femme y était restée à côté d’un tout petit feu, car elle avait toujours un petit feu en réserve.

Pour réchauffer l’Étranger sans feu, la vieille alluma un grand bûcher, auprès duquel le voyageur s’endormit. Sur le soir, la vieille alla annoncer au peuple, chez lequel l’Homme sans feu était arrivé, la venue de celui-ci.

— Voici une merveille qui m’arrive, leur dit-elle, de crainte qu’ils ne la trouvassent répréhensible, ou bien en feignant de ne pas reconnaître son mari ; de mon feu si petit, je viens de voir s’élever une grande fumée. Venez voir ce qu’il en est.

Aussitôt ces gens-là accoururent sur le sentier, et ils aperçurent Kρwon-êtan réveillé, mais couché au milieu du brasier enflammé, dont il avait fait deux parts.

Ils se partagèrent en deux bandes et l’entourèrent à son insu, le surprenant dans cette étrange position.

— Quel homme es-tu donc, lui dirent-ils, et d’où viens-tu ? À quelle nation appartiens-tu ?

Kρwon-étan se leva, il bondit hors du feu, et, s’échappant au delà du cercle vivant, il dit à ces hommes :

— Je suis un Étranger sans feu ni lieu. Voilà que je viens de voyager tout l’hiver, errant de ci de là sans abri ; et c’est pourquoi l’on me nomme Kρwon-étan.

— Demeure avec nous, lui dirent ces gens-là. Et il acquiesça à leur désir.

Je me reprends : ce ne fut qu’un an après que Kρwon-étan alla à la recherche de L’atρa-tsandia, qui avait été enlevée par Nakkan-tsell. Mais il conduisit une armée avec lui, parce que les soldats du Pygmée était nombreux.

Après que son armée se fut mise en marche, elle fut en proie à la famine, et cependant le pays des Pygmées était encore fort éloigné. Ils arrivèrent au bord de la mer, dont les rivages sont arides et dépourvus d’arbres, et ils la contournèrent pendant vingt nuits sans rencontrer personne.

À la fin, ils aperçurent une montagne qui paraissait fort éloignée. Mais, par la vertu de sa magie, l’Homme sans feu la fit se rapprocher, et par ce même pouvoir, il la traversa, car elle était couverte d’une fumée noire et épaisse qui obscurcissait le ciel et planait sur la mer.

Là, au bord de cette mer, demeuraient les Pygmées troglodytes. Ils y demeuraient dans la terre. L’Étranger pénétra dans leurs cavernes, mais il n’y trouva pas sa femme ; elle était allée bûcher et chercher du bois dans la montagne. Quant à Nakkan-tsell, il était également absent en ce moment.

Kρwon-étan se rendit dans la forêt au-devant de sa femme, et lui dit ces paroles, en saisissant l’extrémité de l’arbre qu’elle portait sur son épaule :

— Femme, voilà que tes parents sont venus pour te reprendre ; mais ils ont faim, car nous sommes en proie à la famine. Donne-nous donc de la viande. Ce disant, Kρwon-étan tira son couteau de silex et se coupa la chair des cuisses.

L’atpa-tsandia rentra au village souterrain sans rien dire à personne. Elle s’en alla au fond de sa demeure, y fouilla, y prit un pémican et de la belle graisse fondue en pain, mit le tout dans sa couverture et ressortit pour le donner à son époux.

— Combien j’ai désiré te revoir, ô mon épouse ! dit Kρwon-étan, et le bonheur de te reposséder !

— Tais-toi, tais-toi, lui dit-elle. Voilà que je suis vieille, et que mon feu n’est plus bon à rien.

L’Étranger n’insista donc pas pour avoir une entrevue plus intime. Il s’en retourna vers ses serviteurs qui étaient bivaqués non loin de là, et leur dit en leur tendant le pémican :

— Voilà le gâteau de viande et de graisse de la fille de votre peuple ! Il l’éleva dans ses mains, mais le pémican fondit entre ses doigts et il en sortit de la fumée, mais une fumée immense. C’était ce gâteau-là, dit-on, qui était la cause de la fumée noire qu’il avait vue de la plaine, couvrant et obscurcissant la montagne.

Le lendemain étant arrivé, on se remit en marche et on dépassa les villages souterrains. Kρwon-étan avait dit précédemment à sa femme :

— Si demain matin, à l’aube, tu entends glousser une gelinotte blanche, tu sauras que ce sont tes compatriotes qui sont arrivés pour te délivrer. Et du côté où tu entendras une chouette gémir, tu sauras que je me trouverai. Accours alors vers moi.

Donc, le soir venu, L’atρa-tsandia s’était couchée entre ses deux maris Pygmées. Ils dormaient tous trois sous la même couverture, et L’atρa-tsandia avait caché un couteau de silex dans ses parties naturelles. Quand l’aube commença à blanchir, heure où les ennemis s’attaquent d’ordinaire, un ptarmigan se mit à glousser : « Iyaw ! iyaw ! » dit-il.

Aussitôt la femme fendit, de son silex, sa couverture de la tête aux pieds, elle se leva silencieusement, tua ses deux ravisseurs, et se sauva du côté où elle entendit huer un chat-huant. Les Pygmées furent surpris et massacrés.

Alors Kρwon-étan et les siens demeurèrent sur les terres élevées. Ses gens avaient perdu l’ouïe. Il la leur rendit par sa magie. Ils traversèrent un archipel d’île en île, et l’Étranger reprit sa vieille femme, bien qu’elle n’eût plus qu’un tout petit feu. Cette femme, quoique vieille, était parfaitement belle ; c’est pourquoi on la lui pillait sans cesse.

Pendant l’été, il leur arriva à tous deux une chose merveilleuse. Elle alla faire sa provision de lichen et le mettre à sécher ; son mari l’aida à transporter ce lichen et à l’étendre au soleil, lorsque tout à coup le lichen se changea en une grande montagne. On la voit encore dans la chaîne des Montagnes Rocheuses. On l’appelle la Grande-Montagne.

Plus tard, l’Étranger sans feu entraîna vers la mer un homme, il l’étendit sur un gros sapin et l’y attacha solidement. Puis il s’éloigna à quelque distance, pas bien loin de là. Sa vieille femme se prit à pleurer à cette vue, mais l’Étranger lui dit :

— Ne te lamente pas, car bientôt mon fils renaîtra. Voilà que je m’en vais aller voir « Celui qui voit et agit en avant et en arrière ». Alors il se retira en pleurant, s’en alla vers le peuple et rassembla une grande foule de guerriers[16].

Peu après on lui enleva de nouveau sa belle femme. Les ravisseurs disparurent, comme la première fois, au bord de la mer. Kρwon-étan se mit donc à leur recherche et atteignit le rivage, où il trouva deux jeunes gens assis sous un arbre, et un vieillard qui cherchait son fils. Aussitôt qu’ils virent le vieillard, ils se cachèrent pour épier sa venue. Celui-ci atteignit la grande eau, dont les rivages sont arides et dont on ne peut voir l’extrémité ni d’un côté ni de l’autre. Alors les deux jeunes gens se transformèrent en ours, et, tout en marchant comme ces animaux, ils traversèrent la grande eau où, redevenant hommes, ils tuèrent le vieillard.

Cependant Kρwon-étan arriva chez ceux qui lui avaient ravi L’atρa-tsandia, et, pour mieux espionner ses ennemis, il se cacha au milieu d’un buisson touffu. Tout à coup, sa femme parut et se mit à chercher et à interroger du regard la localité. Subitement elle vit briller les yeux de son mari à travers les branches du buisson.

— C’est un homme, un libérateur qui est caché là, pensa-t-elle.

Pour lui faire comprendre qu’elle avait vu, elle puisa de l’eau, et, sans faire semblant de rien, elle en jeta sur le buisson en guise de signal.

Le Pygmée, qui se tenait en ce moment sous la tente, accourut alors :

— Pourquoi donc jeter ainsi de l’eau ? Que signifie cela ? dit-il à L’atρa-tsandia d’un ton jaloux.

— Les maringouins me dévorent et je les chasse, répliqua-t-elle. Alors Nakkan-tsell, croyant qu’elle disait vrai, retourna sous sa tente.

Kρwon-étan s’en revint donc comme la première fois vers ses guerriers qu’il avait cachés dans la forêt, et leur apprit qu’il venait encore de retrouver sa femme, mais qu’elle était bien gardée, et qu’ils auraient à combattre pour la reprendre.

Ils résolurent donc de contourner la grande eau. Mais ils ne croyaient pas ce lac si vaste, car ils tournèrent autour pendant vingt jours et campèrent durant vingt nuits avant de revenir auprès des Pygmées.

Quand ils y arrivèrent, L’atρa-tsandia était assise sur le seuil de sa tente, remuant sans cesse les pieds comme une idiote ; car ses pauvres pieds étaient usés de vieillesse et tout déchirés.

— Ma tante, dit-elle à une autre vieille femme, mes pieds sont tout déchirés.

Celle-ci y mit un gâteau composé de viande pilée et de graisse douce, et ses pieds furent réparés et remis en bon ordre. Alors elle sortit pour aller au-devant de son mari.

Kρwon-étan lui dit de nouveau :

— Voici tes compatriotes qui viennent pour te délivrer ; mais ils sont sans provisions. Donne-nous d’abord à manger.

L’atρa-tsandia lui donna du pémican ou gâteau de viande pilée et de graisse douce.

— Suis-moi dans la forêt, lui dit-il, j’ai besoin de toi.

— Ah ! que dis-tu là ? répliqua-t-elle. Cesse donc ce langage, voilà que je suis vieille et que mes pieds sont tout déchirés.

L’Étranger sans feu s’en retourna donc seul vers ses guerriers ; mais le lendemain, quand l’aube blanchit, ils se levèrent pour combattre, et ils firent un grand nombre de morts. Kρwon-étan tua tous les Pygmées, et, à défaut de leur chef qui était absent, il combattit pendant longtemps son frère cadet sans pouvoir le vaincre. À la fin, cependant, il parvint à le renverser, lui enfonça son couteau entre les clavicules, lui fendit le corps du haut en bas, et le tua. Alors il lui arracha les entrailles et les répandit sur la terre. Il le traita comme un animal, il l’empala sur un pieu aigu et le hissa sur le faîte de sa loge, après l’avoir paré et coiffé avec soin.

Ensuite Kρwon-étan reprit sa femme L’atρatsandia et s’en retourna. Quant à Nakkan-tsell le chef des Pygmées ou Petits-Ennemis, l’Étranger sans feu chercha encore à le vaincre, mais il ne put en venir à bout. Leurs haches de pierre, leurs couteaux de silex et leurs flèches se rencontraient toujours pointe à pointe, taillant contre taillant.

Ils cessèrent donc de se combattre, et Kρwon-étan vécut encore fort longtemps. La vieillesse seule en vint, dit-on, à bout.

(Racontée par Sylvain Vitœdh, en 1870,
au fort Bonne-Espérance.)


V

L’EN AKρEY

(les pieds-de-chien)


Un homme bigame nommé Kρwon-étan demeurait avec son frère cadet au bord de l’eau. Ces deux frères s’étant fâchés l’un contre l’autre, l’aîné fabriqua une auge de bois pendant le sommeil de son cadet, l’y enferma, l’y lia comme il faut, ferma l’auge et la jeta à la mer.

Le coffre flotta. En flottant, il vogua à travers les grosses lames de la mer. Une mouette l’aperçut et accourut vers cet objet à tire d’ailes. L’homme lié dans l’auge lui dit :

— Ma bru, nage pour moi devant mon cercueil.

La mauve se mit à nager et le calme se fit. Alors le cercueil vogua tranquillement et atteignit le rivage opposé, où il atterrit.

Mais il était impossible à l’homme lié de sortir de son cercueil, parce qu’il y était étroitement enlacé. Alors un loup blanc accourut vers le coffre.

— Mon beau-frère, lui dit l’homme, ronge ces liens qui me retiennent captif.

Le loup essaya bien, mais il ne put en venir à bout. Survint une martre qui rongea si bien les cordes, de ses incisives, que l’homme fut délivré de ses entraves et sortit de son cercueil.

Il s’en alla sur un sentier que des chiens seuls avaient foulé et battu. On n’y voyait que des pas de chiens. Il y avait en ce lieu un tréteau et sur ce tréteau l’Étranger plaça son auge de bois. Sur cet échafaud se trouvait aussi de la venaison, dépouille opime d’animaux tués à la chasse. Il prit la graisse d’une croupe, mais elle puait tellement la fiente de chien qu’il ne put la manger, et repoussa cette viande à cause de son odeur.

S’en allant donc sur le sentier tracé par des chiens, l’Étranger se vit entouré d’une obscurité profonde dans laquelle il n’avançait que lentement. Il avisa alors la dépouille empennée d’un grand aigle blanc qui était suspendue en cet endroit. Il la prit, s’en revêtit comme d’un vêtement, afin de s’aider dans son voyage, et vola vers un village qu’il aperçut du haut des airs. Au milieu de ce village jouaient des enfants.

— Tiens, voilà bien mon vêtement d’aigle blanc, s’écrièrent-ils en voyant l’Étranger qui descendait vers eux. Alors ils se jetèrent sur lui et percèrent en maint endroit son vêtement en peau d’aigle blanc.

Cependant l’Étranger s’en alla vers les adultes de cette nation, qui lui dirent :

— Nous autres, nous ne tuons personne. Demeure avec nous.

Il résista longtemps à leurs instances, mais à la fin, il consentit à demeurer avec eux.

Ces hommes-là étaient à moitié chiens et à moitié hommes. Dans la tente où on l’introduisit, se trouvait une belle fille nubile. L’Étranger alla vers elle et la considéra. À partir de la ceinture jusqu’au bas, elle avait le corps d’une chienne.

— Entre, étranger, lui dit-on.

Une grande foule de peuple accourut et se disputa la possession du voyageur.

— Moi, c’est moi seul qui l’aurai ; c’est chez moi qu’il faut qu’il entre, s’écriaient de toutes parts ces gens hospitaliers.

L’Étranger demeura dans la maison où était la fille nubile. Celle-ci lui offrit à manger des cuissots de souris. Il en mangea, se coucha et s’endormit. Quant aux hommes-chiens, ils ne dormirent pas, car ils ignoraient ce que c’était que le sommeil.

L’Étranger étant demeuré en léthargie pendant deux jours, les hommes-chiens se prirent à se lamenter et à entonner le chant funèbre : « Atsina ![17] hey ! hey ! atsina ! hey ! hey ! » parce qu’ils le croyaient morts. Mais lui, se réveillant tout à coup :

— Voilà, leur dit-il, que dans mes rêves j’ai découvert pour vous une médecine soporifique.

Il jeta au feu des yeux de lièvre blanc, et aussitôt les Pieds-de-chien, qui ne dormaient jamais, s’assoupirent et s’endormirent.

Or, le grand hibou blanc arctique était la pâture des Pieds-de-chien. Ils pourchassaient ces oiseaux à l’aide de filets. En ce moment, deux de ces harfangs venaient d’arriver et se tenaient perchés à quelque distance.

Un homme-chien alla vers eux, et, les ayant pourchassés vers ses filets, il s’en revint.

— Je vais tendre d’autres filets pour prendre ces oiseaux, dit-il.

Mais lorsqu’il revint au lieu où il avait vu les deux hiboux blancs, ces oiseaux s’étaient déjà envolés. Cependant il tendit ses filets sur les arbres pour y prendre ces gras et délicieux oiseaux.

Après cela il s’en retourna auprès du voyageur et lui dit :

— Or sus, demeure ici et surveille ces oiseaux, notre nourriture.

Atsina obéit parce qu’il était étranger, et il épia les hiboux. Mais ceux-ci s’étaient enfuis.

— As-tu revu les deux oiseaux blancs ? lui demanda-t-on.

— Non, répondit-il,

La fille nubile, qui était devenue sa femme, ajouta à cela :

— Ils se sont envolés, il est impossible de les prendre.

Alors Atsina, apercevant les deux hiboux perchés sur un arbre, il alla vers eux et les perça de ses flèches. L’un des deux demeura suspendu entre deux rameaux par la tête. Le second fut blessé mais non tué. La femme-chien le vit se sauver et en avertit son mari. Atsina partit en courant, mais le harfang pénétra dans la tente et blessa la femme de l’Étranger à tel point qu’elle en mourut.

Néanmoins Atsina demeura avec les Pieds-de-chien tout l’hiver, pendant lequel la famine régna dans le pays.

— Les hiboux ont pris le large, se dirent ces gens-là, allons à leur recherche.

Or, sur l’eau, ils aperçurent des souris qui nageaient. Comme la souris est un animal nocturne, elle était aussi la pâture des Pieds-de-chien, habitants de la nuit, et ils leur donnèrent la chasse en pirogue, les perçant de leurs flèches.

Puis ils remontèrent sur les terres hautes où pullulaient les souris, grâce à l’absence complète de hiboux dans ces parages élevés, et ils en tuèrent beaucoup. Ces grosses souris jaunes étaient leurs rennes. On les voyait courir de ci de là dans la plaine par grandes troupes[18]. Les Pieds-de-chien leur donnèrent une chasse en règle. On les perça de flèches, on en prit d’autres au collet, on les éventra, les femmes en découpèrent la viande, on les traita comme des rennes ou des élans, on suspendit leur chair au-dessus du foyer pour la boucaner et la faire sécher.

Tout à coup, en l’absence de la population, cette viande, exposée sur les boucans, tomba dans le feu. Tout fut consumé, viande, tentes et ustensiles. Les hommes-chiens, attribuant ce malheur à Atsina, lui dirent :

— Ce pays-ci n’est pas le tien, retourne-t-en, car tu nous portes malheur.

Atsina s’en alla donc tout seul tristement et sans connaître son chemin.

  1. Je croyais avoir fait cette découverte en 1874, lorsque, en 1877, je lus dans les « Matériaux » de M. E. Cartailhac, de Toulouse (année 1875, p. 59), que M. E. Guimet, de Lyon, avait établi les mêmes rapprochements avant moi.

    Cela déconcerta mon amour-propre ; toutefois, cet accord avec un savant de cette force me confirma dans la réalité de la coïncidence du mythe hindou avec la vérité génésiaque.

    Quelque temps après, je trouvai que Châteaubriand, dans ses notes sur le Génie du christianisme, avait fait avant nous la même remarque. Doit-on pour cela nous accuser de plagiat, M. Guimet et moi ? Ce serait d’autant plus injuste que Châteaubriand lui-même ne fut pas le premier à formuler cette identification.

    On la doit à Corneille de Lapierre, jésuite belge du XVIe siècle. Feuilletant ce roi des commentateurs de l’Écriture, j’ai été bien étonné de lui voir exposer la même idée. (Comm. in Genes., xxv.) Mais, ce qui est encore plus fort, c’est qu’il ne donne pas cette similitude comme étant de lui, mais comme une opinion reçue et admise par plusieurs savants de son époque : « Putant aliqui…, etc. »

    On ne m’accusera donc pas d’innovation.

    J’ajouterai à ceci que Par-Abrahma peut aussi bien dériver de Pater-Abraham que de Habar-Abraham : l’Étranger ou voyageur Abraham. L’histoire présente des exemples de transformisme plus forts que celui-là.

  2. Voir W. Dall, Alaska and its ressources.
  3. Les Tuskis ou Esquimaux asiatiques, appelés aussi Esquimaux Cachalots, font partie de cette seconde fraction du peuple Innoït, dont les Esquimaux feignent de croire que descendent les Européens.
  4. Les Déné font à leurs femmes la même recommandation. Voir la légende d’Eltchilékwié.
  5. Ceci rappelle le nom que les anciens Égyptiens donnaient aux peuples de la race de Cham : Nahsi (les Noirs).
  6. Le titre de cette légende est tout à fait impropre et n’a absolument aucun rapport avec le récit. C’est un exemple des contradictions de l’esprit humain. Je propose de l’intituler : Yekkρay Ttsiégœ, la Femme du Jour. (Origine des Dindjié.)
  7. Ce mode de chasse est employé en Chine (Du Halde), et l’était aussi parmi les Caraïbes (de Porto-Seguro).
  8. On voit ici la contradictoire du mythe esquimau de Maligna. Ici, c’est la femme qui est lunaire et qui poursuit l’homme. Chez les Esquimaux, la femme est solaire et est poursuivie par le mari, de race lunaire. Seconde édition des Kourous et des Pandous.
  9. Ce saut me semble, ici, être une sorte de consécration, de bénédiction. Tel il était en usage chez les payens, du temps des Hébreux. Les prêtres de Baal, en compétition avec Élie, sautaient par-dessus l’holocauste. Ainsi en agissaient aussi les Saliens, les Corybantes et autres prêtres.
  10. Voilà la raison pour laquelle les Cris appellent le brochet iyinikinusew, le poisson-homme.
  11. Ce fleuve est le Youkon ou Nakotsia Kwendjig.
  12. Évidemment un tronçon de bambou. On sait qu’on peut en faire des barriques. D’après Hérodote, les riverains de l’Indus en faisaient des nacelles. Encore un indice de la provenance asiatique des Déné-Dindjié.
  13. Cette particularité rappelle la fable d’Osiris, dont Isis, qui en recueillit et en ramassa les débris, ne put parvenir à retrouver le membre phallique. Par un jeu de mots propre au Déné, doigt (ρoë) se prend aussi pour ce membre (sé ρoë).
  14. Ce nom, que nous avons vu convenir au Noé et à l’Hercule arctiques, semble ici déplacé, mais les Dindjié ne m’en ont pas donné d’autre.
  15. On voit, par cette légende, que les Dindjié avaient de la divinité la même idée que les Anciens. Comparez avec les images de Jéhovah, telles qu’elles sont exprimées dans la Bible. De là ces hécatombes d’animaux que l’on immolait dans le culte du vrai Dieu, et qui encoururent les reproches des prophètes eux-mêmes, à cause de l’idée grossière que l’on se faisait de la divinité.
  16. Ce paragraphe est diffus. Le conteur, ne se souvenant pas bien des détails, n’a pu mieux l’éclaircir.
  17. Atsina est le nom vrai des Minnetaries, appelés aussi Absorokè, Arrapahœs, Indiens des chûtes, et Gros-ventres, Indiens du Sud adoptés par les Pieds-noirs, qui sont de race solaire.
  18. Ceci n’est point une exagération. Sous le cercle, au printemps, l’Arvicola fulva, grosse souris jaune, se montre en si grand nombre que, dans une heure, on peut en tuer une cinquantaine à l’aide d’un bâton ou avec les pieds. Elles nagent fort bien.