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Le mariage de Josephte Précourt/17

La bibliothèque libre.

XVII. — MICHEL ET JOSEPHTE SONT ENFIN RÉUNIS


Michel était demeuré plusieurs heures inconscient à l’hôpital de la rue Saint-Antoine, où il avait été transporté, à la hâte. Tout son côté droit était grièvement brûlé. Une partie de la bibliothèque en flammes, de l’honorable M. La Fontaine s’était effondrée, non loin de lui, tandis qu’il mettait enfin la main sur les papiers dont le premier ministre était si anxieux de sauver du feu. Des bois enflammés l’avaient atteint lourdement à l’épaule. Il était demeuré là sans pouvoir bouger, des minutes interminables. De temps à autre, il appelait au secours. Enfin, un pompier l’avait entendu et délivré. Il était temps. Atrocement brûlé, il perdait peu à peu conscience de tout, mais les documents étaient intacts, et il put même signifier à son sauveur que des choses précieuses que sa main gauche retenait encore avec force avaient besoin de sa vigilance durant le transport à l’hôpital. Puis, la nuit s’était faite complètement…

Lorsqu’il rouvrit de nouveau les yeux et put promener un regard conscient autour de lui, il fut tout étonné de ce qu’il voyait ; une chambre inconnue, aux murs nus et si blancs, si blancs ; une odeur d’éther et de plusieurs autres médicaments frappaient son odorat, et près de lui, mais… à qui appartenaient ces grands yeux bleus aimants qui le regardaient si fixement ? À qui cette petite main qui tenait enlacée sa main gauche ? Et cette voix… Rêvait-il, un délire bienfaisant le saisissait-il enfin ?… Mais la voix s’élevait encore, si douce, si aimante.

— Michel, c’est moi, Josephte… Je suis tout près de toi. Tu es revenu parmi nous, enfin !… Tu me vois, tu m’entends, n’est-ce pas ? Michel, mon bien-aimée Michel !

— Josephte, murmura faiblement le jeune homme… toi ! Que fais-tu… ici ?

— Je te soigne, je veille sur toi, je t’arrache à la mort… Car je ne puis plus vivre sans toi… je le comprends, va, maintenant, Michel.

— Je ne comprends pas… beaucoup, moi, au contraire. Mais ne me quitte pas… Je t’aime tant, Josephte, moi aussi… Je ne souffre presque plus… quand je te vois…

— Plus jamais nous serons séparés, Michel.

— Merci… tu es bonne… de me tromper… ainsi. Non, non, garde ma main… Jules ne peut… le défendre… en ce moment.

— En ce moment, ni plus tard, Michel… Crois-moi !

— Oui, Josephte. Mais j’aimerais dormir gardé par toi, ainsi… Reste… ne pars pas… je…

Et de nouveau Michel fut enlevé à toute conscience. Mais il semblait cette fois reposer paisiblement. Le médecin qui entra bientôt prononça enfin le mot que Josephte attendait depuis tant d’heures d’angoisses et de douleurs : « Sauvé petite, il est sauvé !… Mais veillez-le bien encore. Aucune autre visite d’ici à deux jours… Et ne lui parlez qu’à peine vous-même… Faites encore ce dernier sacrifice, mon enfant, » avait ajouté le vieux praticien, en pressant doucement la petite main de la jeune fille qui pleurait de bonheur, agenouillé, au pied du lit.

Mais dès le surlendemain, l’excellente constitution de Michel faisait des merveilles. Il demanda lui-même qu’on le haussât dans son lit plus confortablement. Il s’informa tout d’abord des événements, puis de Maître Amable Berthelot. Mais… justement celui-ci entrait, immédiatement après la visite du médecin, qui permettait quelques entretiens.


— Tu ne refuseras plus de m’épouser, maintenant, vilain Michel !

— Enfin, Michel ! Vous voilà capable de recevoir vos amis, fit son patron en saisissant avec émotion sa main valide.

— M. Berthelot, je suis content, moi aussi. Je reviens d’assez loin, n’est-ce pas ?… Hier après-midi, j’ai cru reprendre pied chez les vivants, mais… dans des conditions si merveilleuses que… je ne pense pas… ce matin… cette douceur réelle,… possible.

— Et si vous ne vous étiez pas abusé ?… Attendez, attendez que je sois parti, Michel.

— Mais je ne veux pas que vous partiez si vite… M. Berthelot, les documents… de l’honorable Hippolyte… ?

— Sont entre ses mains, Michel. Il ne pouvait en croire ses yeux. Sa reconnaissance est vive.

— Non, non. Ne parlez pas ainsi.

— Bien au contraire. Et le bon Amable Berthelot déposa soudain sur le lit une large missive officielle. Michel, le premier ministre a décidé de vous rendre la monnaie de votre pièce. Papier contre papier. Dès que voudrez lire le document, que je vous laisse, vous verrez que votre départ pour les États-Unis est contremandé et qu’un bel avenir se lève maintenant pour vous au Canada.

— Cher M. Berthelot… c’est possible tout cela ?

— Comment, mais vous devenez un des beaux partis de la ville. Vous n’aurez qu’à choisir, parmi… et M. Berthelot se prit à rire doucement, afin de dissimuler son émotion, parmi nos plus belles jeunes filles, tiens !… Mais ne me faites pas de tels yeux stupéfaits. Tenez, je vais vous lire la lettre. Le jargon officiel d’une belle nomination de coroner-adjoint, en outre d’un contrat de société dans le bureau légal de Maître Amable Berthelot, tout cela va vous entrer dans l’esprit comme une indéniable réalité.

— Oh ! non, non, ne lisez pas, je m’incline devant ces incomparables nouvelles, sans que vous en ajoutiez davantage, allez. Mais…

— Il n’y a pas de mais. Je connais une petite personne qui vous mettra, là-dessus vite à la raison, tout à l’heure ?

— M. Berthelot, que voulez-vous dire ? Vous savez bien que…

— Il ne m’appartient pas de vous en révéler plus long. Mais vous avez bien gagné un peu de bonheur, Michel. Croyez-y ferme comme roc. Allons, je m’en vais.

— Sitôt ?

— Une autre visite s’annonce… Voyez, on frappe. Ah ! entrez, entrez, Mme Précourt… Oh ! les belles roses, mais pas plus rafraîchissantes à regarder que vous, chère Madame… Au revoir, Michel. À demain.

Mathilde Précourt s’avança vivement vers Michel dès que M. Berthelot eut refermé la porte. Ses yeux rayonnaient.

— Mon petit Michel, quelle bonne nouvelle ! C’est presque de la convalescence que ton état nous promet, ce matin.

— Je me sens mieux, en effet. Et n’était ma maladresse au sujet d’une brûlure…

— Ne parle plus de cela, de grâce mon enfant… Aussi bien, je ne veux pas te fatiguer par une longue conversation… Je vais aller droit au but. Michel, il faut que la princesse redevienne un peu ce qu’elle était autrefois pour toi… une sorte de maman, à laquelle on obéit sans répliquer…

— Chère Madame Précourt, vous le voyez bien, puis-je résister même à des ennemis, ainsi abattu, sans force… Alors votre bonté…

— Bien, Michel. Voici ce que je veux de toi, en ce moment. Tu vas voir Josephte, cet après-midi…

— Josephte, la fiancée de Jules Paulet ? Non, non.

— Elle n’est plus la fiancée de Jules Paulet.

— Ce n’est pas possible.

— C’est pourtant la simple vérité.

— Mais…

— Sa parole lui a été rendue. Le pauvre Jules comprend d’ailleurs qu’il ne pouvait épouser une jeune fille dont le cœur appartenait si bien à un autre.

Princesse !

— Oui, Michel, ton héroïsme d’il y a trois jours a décidé de graves événements. Des fiançailles se sont rompues ; un voyage de deux ans en Europe s’est résolu pour Jules Paulet et ses sœurs.

— Je crois rêver.

— Il y a encore de très beaux rêves qu’on fait tout éveillé, à ton âge, Michel. Et tu as, en outre, combien mérité ton bonheur, je le répète.

— Où est Josephte ? Mais… dites-moi, Madame, je n’ai pas déliré heureusement, avant-hier, Josephte était près de moi, me parlait…

— Oui, elle n’a quitté ton chevet qu’hier, la pauvre petite. Un mal de gorge s’est déclaré et j’ai pris peur. D’ailleurs, tu allais mieux tout à fait. Et, j’ai tenu à la faire reposer, avant que de nouvelles émotions…

— Je veux voir Josephte, princesse, tout de suite…

— Non, non, cet après-midi seulement. Écoute-moi, encore Michel. Dès que tu seras en état de sortir, je te conduis moi-même jusqu’en notre vieille maison de Saint-Denis.

— Et Josephte ?

— Elle y viendra plus tard, il faut bien respecter les convenances, souligna avec malice, la bonne Mathilde.

— Je veux tout ce que vous voulez, Madame Précourt, vous êtes toujours la sagesse et la bonté même… Mais à une condition… Josephte va entrer… Elle est… je suis sûre… elle est…

— Oui, oui, ici, ici, cria une petite voix enrouée de larmes, en ouvrant la porte.

Et Josephte courut vers le lit, s’emparant de la main de Michel, et le regardant, souriant, pleurant, tout son cœur dans ses yeux.

— Michel, Michel ! Enfin, nous voilà réunis… pour toujours. Tu ne refuseras plus de m’épouser, maintenant, vilain Michel !

— Josephte… apprends-moi…

— Mais qu’est-ce que cette lettre, que tu saisis… farouchement. Oh ! à partir d’aujourd’hui, il ne peut plus y avoir de secret entre nous. Laisse-moi lire ce long document.

— Lis si tu veux, ma chérie… Après tout !… Tu es surprise, n’est-ce pas ? Quelle bonté l’honorable M. La Fontaine me témoigne…

— Tu trouves ? fit Josephte avec une moue. Mais il t’a presque tué, notre cher Premier.

— Ne parle pas ainsi.

— Michel, avoue-le-moi, bien sincèrement, si ton avenir ne devenait si bien assuré, aurais-tu encore repoussé la petite main que tu tiens dans la tienne ?

— Non, Josephte, car une de mes dernières pensées avant de sombrer tout à fait dans une nuit horrible, fut que, si la vie m’était conservée, plus personne, plus rien ne nous séparerait désormais. Je t’enlèverais à tous. Tu étais à moi, comme j’étais à toi. Tu m’aimais je l’avais deviné, va, malgré tous ces incidents malheureux, presque autant que je t’aimais.

— Presque autant, dis-tu ? Presque, Michel ? Ceci reste à prouver. Mais nous avons toute la vie pour en décider.

— Josephte, je suis heureux… Mais, ma belle petite promise, ne me quittera pas aujourd’hui, n’est-ce pas ? Sinon, je douterai encore de tout ce bonheur…

— Bientôt, je ne te quitterai plus jamais, Michel. Et ce sera sous le ciel de notre Richelieu héroïque, à deux pas du tombeau de notre cher Olivier, que nous échangerons nos promesses d’éternelle affection.


Marie-Claire DAVELUY


Fin