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Le mystère des Mille-Îles/Partie II, Chapitre 12

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 29-30).

— XII —


Ses ébats aquatiques furent interrompus par les éclats d’une voix qui n’avait rien de commun avec le doux organe de la mystérieuse et belle Renée.

Intrigué, Hughes sortit de l’eau afin de se mettre à la recherche des inconnus qui troublaient son bain.

Il se rendit de l’autre côté de l’île, à l’endroit où la terrasse chère à sa nouvelle amie s’abaissait vers l’eau.

Deux personnes, — oh ! deux être, dont l’aspect aurait suffi à démontrer la véracité de la théorie de Darwin, — se présentèrent à sa vue.

Si l’on devait s’en rapporter aux vêtements, il s’agissait d’un homme et d’une femme. Mais, quel homme et quelle femme !

Ils étaient unis par les doux liens du mariage, à n’en pas douter, puisqu’ils se querellaient à bouche que veux-tu, avec des accents d’une aigreur tout à fait conjugale.

Pour décrire le mâle de ce couple charmant, on ne peut se servir du cliché bien connu et dire qu’il ressemblait à un pot à tabac, bien que sa largeur, comparée à sa hauteur, nous eût justifié d’avoir recours à cette expression toute faite. Mais, d’un autre côté, il était tellement contrefait, tellement tordu, bossu, biscornu, qu’il était impossible de le comparer à aucun objet existant sous le soleil de Dieu.

Imaginez un corps dont le ventre était représenté par une outre de dimensions plus que respectables et dont le dos se recourbait, de façon on ne peut plus gracieuse, en une protubérance au moins égale à celle du devant de son individu.

Ses jambes cagneuses, trop grêles pour l’immensité du tronc, étaient compensées par des bras si longs que, pour attacher le lacet de ses bottines, cet homme devait à peine avoir besoin de se pencher.

Posée de guingois sur un cou tout crochu, la tête était tout en bosses et en creux, en monts et en vallées.

En somme, cet intéressant individu faisait songer au M. Quilp, du Magasin d’Antiquités, de Charles Dickens.

Sa compagne n’avait rien à lui envier.

Si l’homme pouvait, à la rigueur donner l’idée d’un tonneau sur lequel auraient poussé d’étranges végétations, la femelle, par contre, était exactement l’image d’une barrique de dimensions extraordinaires.

Haute, large, forte, elle imposait tout de suite le respect, car l’homme le plus normalement constituée se sentait tout petit garçon auprès d’elle et comprenait parfaitement qu’un seul coup des mains énormes de la digne femme l’aurait envoyé rouler à vingt pas.

Sa figure était ornée d’une moustache qui aurait fait l’orgueil d’un garçon de vingt ans.

Pour nous résumer, disons qu’elle aurait été très bien à sa place dans un cirque pour remplir l’emploi de femme-phénomène.

Va sans dire, la voix de ces deux personnages portait très loin.

Aussi, Hughes ne tarda-t-il pas à comprendre le sujet de la querelle.

L’homme était occupé à attacher au rivage la chaloupe qui avait intrigué l’aviateur le jour précédent. Évidemment, il revenait d’un voyage à la terre ferme.

— Si c’est pas honteux ! criait la femme. À ton âge !

— Voyons ! voyons, vieille ! disait l’autre d’un ton conciliant.

— Y a pas de : voyons ! reprit sa compagne. Tu t’es encore soûlé comme un goret ! Chaque fois que tu vas au village, ça recommence.

— Pourquoi faire tant de bruit pour un pauvre petit coup ?

— Un petit coup ? Non, mais ! Entendez-vous ça ? Tu es plein !

— Faut bien se distraire ; c’est pas si amusant sur notre île.

— Est-ce que je me distraie, moi ? Et puis, où as-tu pris cette boisson ? Y a beau y avoir la prohibition, tu en trouves toujours !

— C’est un ami…

— Tu en as de beaux amis !… Et pendant que tu t’amuses, là-bas, il se passe des choses ici.

— Des choses ? Quelles choses ?

— Tu ne sais jamais ! Naturellement, puisque tu es saoul !… Il y a que Mme Renée rôde un peu trop avec l’aviateur.

En entendant ces mots, Hughes dressa la tête et, avec d’infinies précautions, il se rapprocha du couple, afin de ne pas perdre une syllabe.

— Eh bien, reprenait l’homme. Où est le mal ? Elle est si seule qu’elle peut bien s’amuser un peu ; ça n’arrive pas si souvent, une chance pareille.

— Ah ! tu crois encore, toi aussi, que ce godelureau est tombé ici par hasard et qu’il n’est pas un suppôt des bandits de New-York ?

— Tiens ! tiens ! se dit Hughes, je vais en apprendre de belles !

— Mais, non, voyons ! dit l’homme. Quel intérêt auraient-ils à envoyer un aviateur ici ?

— Sait-on jamais avec ces gens ? Ils doivent encore manigancer quelque chose. Comme s’ils n’en avaient pas fait assez à cette pauvre petite femme !… Toujours est-il qu’elle semble s’attacher à ce beau garçon. Ah ! ces jeunesses ! Ça pense toujours à l’amour.

— Hé ! Hé ! dit l’homme. Pas si bête !

— Tais-toi, vieux sacripant ! Peux-tu penser à ça, avec une tête pareille ?

— Et toi ?

— Moi ?… Tiens, tu me fais pitié !… Je te disais donc qu’elle s’attache à l’aviateur. Et, ce matin, elle m’a ordonné de porter un déjeuner à la porte de la chambre de ce dernier… de la chambre où il est entré, comme un voleur, sans demander de permission à personne.

— À qui l’aurait-il demandée ? Nous nous sommes tous cachés à son apparition.

— Et ce n’est pas tout ! À midi, il va falloir servir un grand dîner aux deux étourneaux et dans la belle salle à manger, donc ! On va ouvrir, pour l’occasion, les pièces fermées depuis…

— C’est donc pour ça qu’elle m’a envoyé chercher tant de bonnes choses au village. Ah ! je comprends !

— Mais, non, tu ne comprends rien ! Tu ne vois pas que ce vaurien va l’attirer ; puis, un beau jour, il l’enlèvera sur son aéroplane pour l’amener où, grands dieux !… Enfin, c’était pour te prévenir d’ouvrir l’œil comme moi. Et, pour ça, te saoûle plus !