Le mystère des Mille-Îles/Partie III, Chapitre 10

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Éditions Édouard Garand (p. 38-39).

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— Encore une fois, j’avais mal placé ma confiance. Mais, heureusement, mon cœur n’était pas en jeu ; comme je vous l’ai déjà dit, je n’éprouvais pas d’amour mais seulement de l’amitié pour Gaston.

« La découverte de ce complot me démontrait que Jarvis et Edward ne reculeraient devant rien pour en venir à leurs fins. Je sentais bien que je serais toujours en danger grave, près d’eux.

« C’est pourquoi, je décidai de m’enfuir en Europe, où ils n’oseraient pas me suivre et où j’espérais trouver des amis véritables qui me défendraient, au besoin.

« Un plan s’était formé rapidement dans ma tête. Je téléphonai à une agence de voyages et put retenir une cabine sur un transatlantique qui partait le lendemain même. Je ne tarderais donc pas à me rendre à Paris et, là, je ferais en sorte de me débarrasser de Jarvis, et par le fait même d’Edward, en faisant nommer un nouvel administrateur. Les preuves du complot, que j’avais entre les mains, devaient m’aider à le faire condamner. Mais il importait d’abord que je m’éloigne, car qui sait ce qu’ils mijotaient.

« Mes dispositions prises, mes préparatifs terminés à la hâte, je m’apprêtais, le lendemain matin, à me rendre au port pour m’embarquer.

« Le moment venu, ma femme de chambre, que je n’amenais pas avec moi, fit venir un taxi. Notez ce détail ; il a son importance, comme vous le verrez bientôt.

« Cinq minutes avaient à peine passé, que le taxi arrivait. J’y montai, en donnant le nom du navire où je me rendais.

« Le chauffeur me conduisit au port. Mais, là, sortie de la voiture, je constatai avec surprise, qu’il s’était arrêté auprès d’un yacht de plaisance.

— « Mais ce n’est pas ici que je vous ai dit de me conduire, lui fis-je remarquer.

« Avant qu’il m’eût répondu, deux hommes, venus je ne sais d’où, m’avaient soulevée de terre, me prenant chacun par un bras et, en deux bonds, m’avaient fait monter à bord du yacht.

« J’eus beau crier et me démener, on m’enferma dans un petit salon et le yacht se mit tout de suite en mouvement.

« Je compris alors et ma terreur fut grande. Je me rendis compte que je n’étais pas partie assez vite, malgré ma précipitation, pour échapper aux machinations de mes deux persécuteurs.

« On m’enlevait ! Pourquoi ? Qu’allait-on faire de moi ? Je me le demandais avec épouvante, pendant que, par le hublot, je voyais s’éloigner la terre.

« J’avais été trahie ! Tout mon plan avait été révélé ! Par qui ? Sans doute, par ma femme de chambre, qui m’avait aidée dans mes préparatifs.

« Évidemment, les bandits l’avaient payée très cher. Elle avait dû les prévenir de mon départ ; puis, quand je lui eus dit de téléphoner pour faire venir un taxi, elle avait appelé un chauffeur désigné par eux.

« Trahie ! Enlevée ! Et, cette fois, je ne pouvais m’échapper : ils me tenaient bien !

« Où me conduisait-on ? Que voulait-on faire de moi ?

« Les heures succédaient aux heures ; nous étions en pleine mer et personne ne s’était montré.

« Vers le soir, un homme âgé, vint m’apporter de la nourriture, mais refusa obstinément de répondre à mes questions.

« La nuit vint : nous voguions toujours. Je m’endormis, très tard, couchée sur un divan.

« Le voyage dura quatre ou cinq jours, sans que je fusse mieux renseignée. Je ne voyais toujours que le même domestique muet, et ne pouvais sortir du salon, qui, avec un cabinet de toilette communiquant avec cette pièce, constituait tous mes appartements.

« Enfin, je pus me rendre compte de la destination du bateau.

« Nous avions quitté la mer et pénétré dans un fleuve que je reconnus comme étant le Saint-Laurent. Je compris bientôt que nous nous dirigions vers les grands Lacs.