Le mystère des Mille-Îles/Partie IV, Chapitre 6

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Éditions Édouard Garand (p. 45-46).

— VI —


Hughes, pensif, regardait le jour se lever. À mesure que la lumière se faisait plus claire, il se disait que commençait pour lui une journée décisive, qui serait comme l’un des sommets de sa vie.

Il méditait, debout devant la fenêtre qu’il avait ouverte pour laisser entrer les effluves du matin. L’aurore était l’heure qu’il préférait à toutes.

Il songeait, mais sans mélancolie, ni crainte. Le danger ne l’effrayait pas ; à vrai dire, il y songeait peu. Toute sa jeunesse se délassait devant un beau spectacle de la nature. Plus tard, il deviendrait actif, brave, téméraire, s’il le fallait. Pour l’instant, il goûtait la volupté d’une contemplation passive.

Un bâillement se fit entendre. Hughes se retourna et vit Renée qui, s’éveillant, reprenait lentement contact avec la vie quotidienne.

— Vous vous éveillez en même temps que l’aurore, dit gaiement le jeune homme. J’assiste donc au lever de deux beautés.

— Votre indiscrétion est double, par conséquent, répondit Renée, pendant qu’elle s’asseyait dans son lit, en ramenant sur ses épaules la chemise qui avait glissé.

— Je ne suis pas indiscret, répliqua Hughes, car j’admire de loin, en dévot.

Cependant, il se retira dans sa chambre pour permettre à la jeune femme de procéder à sa toilette.

Ce ne fut pas long, la pensée des graves événements qui se préparaient était revenue à l’esprit de Renée. Il tardait à celle-ci de discuter avec son compagnon le sujet qui les intéressait tous deux à un si haut degré.

Ils descendirent et, sitôt dehors, ils se heurtèrent au gardien qui semblait les attendre.

Cette fois, ils n’eurent pas besoin de le prier pour le faire parler. De lui-même, il leur donna les renseignements qu’ils attendaient.

— Les hommes de Jarvis Dunn sont revenus, la nuit dernière, dit-il.

— Je les ai vus, interjeta Hughes.

— Ah !… Ils voulaient absolument aller vous attaquer et, si possible, vous enlever tous les deux.

— Et s’ils n’y avaient pas réussi ?

— Le bon Dieu sait ce qu’ils auraient fait… Mais j’les ai bien empêchés d’aller vous déranger. J’leur ai dit que vous pouviez absolument pas partir aujourd’hui encore, que vot’ aéroplane est pas réparé et qu’ils pouvaient attendre. J’ai eu ben du tintouin ; à la fin, entraînés par mon fils, ils sont partis… Mais, faites attention, ils sont pas loin « Faut les surveiller » qu’a dit un des hommes. Pour ça, ils sont allés s’poster sur une île toute proche et ils guettent.

« À vot’ place, j’resterais pas, car on sait pas ce qu’ils vont faire, la nuit prochaine. Vous devriez partir tout de suite.

— Vous savez bien que mon avion n’est pas prêt.

— Ça fait rien. J’veux pas être cause d’un malheur. Aussi j’vas vous conduire en yacht.

— Vous vous exposeriez à leur vengeance.

— Non, voyez-vous, ils veulent vous empêcher de leur nuire, pour garder la fortune. Mais, comme ils ont peur de la police, ils veulent pas commettre de crime inutile. À quoi ça leur servirait de me faire du mal ? se venger ? Ils sont bien trop peureux, pour risquer la prison seulement à cause de ça. Et puis, il y a mon fils : j’vous assure qu’il a encore des bons sentiments. Jamais il permettrait aux autres de faire du mal à son vieux père. J’risque donc seulement de perdre ma place. Tant pis ! J’veux pas gagner mon pain par un crime. Et puis vous m’en trouverez une autre…

Hughes était ému.

— Vous êtes un brave homme, dit-il. Mais, s’ils sont près d’ici, les suppôts de Jarvis nous verraient.

— Oui, mais, en plein jour, on pourrait plus facilement se sauver que la nuit… Pensez à Mme Renée !

Hughes hésitait. Le plan du bonhomme lui souriait. Mais il lui répugnait d’abandonner son avion. Non seulement il aurait ainsi perdu une somme assez considérable ; mais il aurait laissé des dépouilles entre les mains de l’ennemi ; cela aurait été une défaite partielle. Sa fierté se révoltait à cette pensée.

Mais il y avait Renée… Devait-il risquer sa liberté pour un point d’honneur ? Un combat se livrait dans sa conscience.

Il dit enfin :

— Avant de prendre une décision, je vais examiner de nouveau mon aéroplane. Peut-être, après tout, pourrais-je m’en servir.