Le mystère des Mille-Îles/Partie II, Chapitre 5

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 23-24).

— V —


Le premier étonnement passé, Hughes se félicita de sa bonne fortune qui l’avait amené dans un endroit ainsi civilisé et il résolut d’en profiter.

Descendant du roc qui lui servait d’observatoire, il traversa le jardin et se dirigea vers ce qui lui paraissait être le portail principal de l’énorme maison.

La porte, en chêne massif et sculptée, était ornée de ferronneries ouvragées, de clous à la tête démesurée et d’une forme bizarre, de gonds se prolongeant sur toute la largeur du vantail et d’une poignée représentant une figure grimaçante.

Il y avait aussi un heurtoir de dimensions proportionnées au reste et conçu dans le même style que les autres ornements.

Hughes souleva ce heurtoir qui retomba en faisant un bruit énorme, prolongé par l’écho rebondissant, semblait-il, dans le vide de longs corridors.

Plusieurs minutes se passèrent. Malgré le tapage qu’avait fait le coup de heurtoir, personne ne paraissait l’avoir entendu. Peut-être les hôtes du château se trouvaient-ils dans une pièce trop éloignée ? La bâtisse était si grande !

Le jeune homme frappa de nouveau ; puis une troisième et une quatrième fois. Comme le premier, ses appels restèrent sans réponse.

Hughes remarqua alors le silence complet dont s’enveloppait la maison, le jardin, toute l’île. Aucun bruit ne se faisait entendre, sauf le clapotis de l’eau au bas de la falaise.

Il constata également des signes d’abandon complet : l’herbe poussant entre les pierres du pavé qui entourait le château ; les fenêtres soigneusement fermées et garnies à l’extérieur de toiles d’araignées ; surtout, l’air de tristesse indéfinissable mais invincible qui entoure les demeures délaissées. Pourtant, bien qu’il fut peu soigné, le jardin portait les traces d’une présence humaine : ces sentiers battus, ces fleurs… c’était une énigme de plus.

Sans s’arrêter à se poser des questions sur cette solitude, l’aviateur songea que la maison lui fournirait tout de même un abri. Mais, avant de chercher les moyens d’y pénétrer, il fallait manger, car le dernier repas était déjà lointain.

Heureusement, le jeune homme avait apporté des provisions dans son aéroplane. Pourvu quelles ne se fussent pas perdues dans l’atterrissage forcé, tout serait bien.

Les provisions étaient intactes. Avec un appétit creusé par toutes les émotions de la journée, Hughes avala un nombre respectable de sandwiches et de biscuits.

Puis il revint vers le château. À l’angle de la façade, se trouvait une petite porte qui s’ouvrit dès que le jeune homme eut tourné la poignée.

Il pénétra à l’intérieur, mais, tout d’abord, il ne distingua rien, car la porte s’ouvrait sur un couloir de côté, complètement obscur. Bientôt, il remarqua un autre couloir allant le long de la façade et au bout duquel il voyait une lueur.

Hughes suivit ce dernier corridor, qui l’amena au vestibule d’entrée, source de la clarté qu’il avait aperçue.

Ce fut un éblouissement. Vaste, haut de murs, délicieusement décoré, le vestibule donnait l’illusion d’un portique de temple. Il était éclairé par de hautes fenêtres garnies de verrières et par un dôme aux verres dépolis.

Les murs étaient recouverts de grands tableaux et de vieilles tapisseries. Formé d’une mosaïque savante, le parquet ne portait aucun tapis, sa beauté suffisant à satisfaire le regard. La muraille était de marbre jusqu’à la hauteur d’appui. De hauts lampadaires de fer forgé, de lourds bahuts d’un autre âge et des fauteuils grands comme des trônes meublaient le vestibule.

Devant tant de richesse, Hughes crut rêver. Il attendit longtemps ; il appela. Mais personne ne vint. Enfin, il se résolut à se mettre à la recherche des hôtes.

Sur cette première pièce s’ouvraient des salons dont la décoration et l’ameublement étaient aussi splendides.

Notre héros les parcourut. Puis il gravit les marches du monumental escalier qui s’élevait au bout du vestibule.

Là, plus encore qu’au rez-de-chaussée, il eut l’impression hallucinante d’être dans un temple, un temple de l’amour.

Les chambres à coucher, les boudoirs, la bibliothèque et jusqu’aux cabinets de toilette avaient été arrangés avec le souci évident d’en faire le séjour d’une femme aimée.

Les couleurs tendres, des tentures, les peintures — fresques ou tableaux — les sculptures, les bibelots et jusqu’aux reliures des livres reflétaient cette préoccupation. Tout portait à la rêverie sentimentale, aux émotions douces.

Mais la personne qui avait conçu le plan et la décoration de ces pièces n’avait pas, malgré sa passion dont elle avait donné tant de témoignages, une âme de fillette enamourée. Dans chaque objet on sentait, en plus de son aspect sentimental, une frénésie dans l’amour, une inquiétude indéfinissable qui finissaient par oppresser. Une atmosphère de passion brûlante flottait partout.

Hughes s’attarda dans sa contemplation, au comble de l’étonnement. Le plus étrange, c’est que la maison, où ne se remarquait pas de trace de poussière, était inhabitée. En effet, non seulement le jeune homme ne rencontra pas âme qui vive, mais il ne vit aucun article de vêtement, aucun objet personnel comme il en traîne même dans la demeure la mieux tenue.

Chaque chose était rangée avec soin, comme si le décorateur venait de partir et que le château, tout neuf, attendît ses maîtres.