Le nouveau Paris/16

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Paris : Louis-Michaud (p. 52-64).

JOURNÉES DU 12 JUIN ET DU 10 AOÛT 1792


Lorsque l’artificieux Lafayette favorisa la fuite de Louis XVI, et l’exposa à son retour à Paris aux lazzis du peuple indigné, c’est qu’il avait fondé d’avance sur ce hardi stratagème, le projet d’une République. Les événements qui suivirent cette fuite honteuse confirment cette assertion. Depuis lors, en effet, la faction d’Orléans demanda à grands cris la déchéance du roi, et donnant un plein essor à la licence de la presse, le monarque des Français ne fut plus désigné que sous la figure d’un stupide cochon.

Le peuple, entraîné par les discours et les écrits séditieux que payaient les conducteurs de cette même faction, honteux d’obéir à un chef avili, plongé dans la boue, ne le regarda plus que comme une pièce mécanique inutile à l’action du gouvernement, surtout puisqu’il existait une Assemblée nationale.

Ce fut dans ces circonstances que parut la première Constitution. Le roi prisonnier à qui elle restituait une partie de sa primitive autorité, l’accepta. Mais se défiant encore de sa force sous ce puissant bouclier, il ne s’entoura plus que de nobles conspirateurs, que de prêtres fanatiques, qui formèrent cet opiniâtre parti d’opposition, dont le but était de paralyser la volonté nationale, et de laisser mourir les lois nouvelles sur le papier.

Cette résistance insolente, ce mépris soutenu des droits d’un peuple enthousiasmé de la liberté, la France cernée de tous côtés de troupes étrangères, la scène des poignards à langues de vipères au château des Tuileries, le serment constitutionnel abjuré par les prêtres, les suggestions perfides des évêques pour détourner le roi de recevoir la communion pascale des mains d’un prêtre assermenté, le courroux de ses sujets témoins de toutes ces atrocités, telles furent les principales causes qui précipitèrent l’orage sur sa tête coupable et sur celle de ses fallacieux conseillers.

Des agitateurs en chef parmi lesquels on comptait Marat et Fréron, profitèrent de ces premiers crimes et de ces infractions aux lois, pour encourager les conjurés dans leurs projets. Ils firent naître par leurs feuilles périodiquement incendiaires[1], des rixes entre les citoyens et les nouveaux satellites du roi ; moyen adroit par lequel ils provoquèrent le licenciement de sa garde, et le livrèrent sans défense aux insultes de la populace.

Les Tuileries, dès lors, devinrent le chef-lieu de ralliement des apprentis égorgeurs. C’était là qu’ils venaient, sous la direction du duc d’Orléans, étudier les rôles de sa grande tragédie.

D’un autre côté, le chant du coq, affiche royaliste du député André, faisait bouillonner les têtes. On ne voyait la justice et la raison que dans les maximes de Drawn Marat.

De là naquirent les querelles d’opinions, les divisions entre les vieux amis ; l’effroyable discorde plana sur Paris et les provinces. Chaque jour, il y avait des désordres à réprimer, des attentats à punir ; chaque jour, on insultait le prêtre à l’autel ; le frein de la religion était rompu. Insensiblement la terreur et la défiance s’emparèrent des esprits. La création du papier-monnaie, en augmentant les alarmes, fortifia l’esprit des exécrables auteurs du pacte de famine exécuté et prolongé depuis avec autant d’astuce que de barbarie.


Journée du 21 juin 1792.


Enfin arriva le 21 juin 1792. Calme, sage, magnanime le 20 juin 1791, que le Parisien fut différent de lui-même à cette quatrième époque de la Révolution !

Aussi terrible que le jour où, commandé par Lafayette, il alla chercher le roi à Versailles, il marcha sous les bannières des faubourgs, au château des Tuileries. La menaçante diversité des armes désignait la trempe de chaque caractère et sa barbare industrie. On eût dit qu’il y avait pour chaque individu un roi à poignarder, à égorger, à déchiqueter, à couper par pièces.

En un moment, le palais fut investi, escaladé : des pièces de canon furent pointées contre les portes des vestibules. Des brigands montés sur les combles, s’introduisaient par les fenêtres. Tout ce qui retardait l’impétuosité des assaillants était brisé en éclats. On voyait voltiger du haut du pavillon du Nord et retomber sur la terrasse la collection des édits et arrêts du conseil dispersée par des mains sacrilèges.

Déjà les principaux conjurés avaient pénétré jusqu’à la chambre du roi. À l’aspect de ce monarque assis à côté de son épouse et de ses enfants, ils s’arrêtèrent interdits. En effet, il est juste de dire que Louis se montra tranquille, en n’opposant à 200 mille baïonnettes que son cœur pour défense.

Bientôt leur stupeur se changea en ironie. L’un d’eux coiffa Capet du bonnet rouge ; il lui présenta une bouteille pour l’abreuver du vin des assaillants. Le roi but et trinqua avec un sans-culotte.

Les bataillons populaires, désespérés de ce risible dénouement, et jugeant que le coup était manqué, se débandèrent, ils sortirent du jardin avec les Charbonniers qui n’avaient pour armes que leurs bâtons, et pour drapeau qu’un sac à charbon attaché au bout d’un gourdin. Ils firent place au régiment de Flandres et aux grenadiers de la garde parisienne qui se rangèrent en bataille sur toute la longueur de la terrasse.

Cependant le roi, échappé encore une fois au glaive, mais tremblant pour ses jours, s’enferma dans son château et fit interdire, le matin, l’entrée des Tuileries au public.


Plan des Nobles et des Émigrés pour renverser la Constitution de 1791.


Ce fut durant cette captivité que les aristocrates travaillèrent à organiser dans le midi la coalition des fidèles sujets de Jalès[2], pour opposer un front terrible aux efforts des Jacobins d’Orléans-Égalité, annuler le serment du clergé, maintenir dans son intégrité le culte catholique et exterminer sans pitié, du sol de la patrie, les fondateurs de la liberté.

Ce qui pouvait seconder le plus efficacement ce hardi projet, c’était le plan proposé depuis plusieurs mois, et bientôt mis à exécution, de stipendier des écrivains mercenaires, des correspondants dans les provinces, des chanteurs adroits, des hommes intelligents dans les bureaux de l’assemblée pour la secrète communication des pièces, des observateurs au club des Jacobins, dans la société des Cordeliers, dans chaque section des orateurs et des applaudisseurs apostés, des motionnaires aux Tuileries, au palais royal, dans les cafés, dans les ateliers, aux spectacles et dans les guinguettes. Deux cent mille livres furent consacrées au paiement des gages de ces différents acteurs.

Mais ce fut justement ce plan qui accéléra la chute du trône. Les sourdes manœuvres des royalistes furent déjouées par la prévoyance des amis de la liberté. Si Capet avait ses écrivains, ses observateurs, ses tenants ; les patriotes avaient aussi les leurs ; ils furent bien plus habiles. À l’aide de la faction, ils entraînèrent la masse pure des citoyens, qui n’aspiraient qu’après le calme, et voulaient fermement le maintien des lois.


Premiers symptômes de la journée du 10 août 1792.


L’orage s’annonçait de loin par de sourds murmures. Les habitants des faubourgs formaient une corporation redoutable sous le nom de sans-culottes, qui leur avait été donné en signe de dérision par Lacueil, et qu’ils voulurent conserver comme un titre de gloire ; les femmes elles-mêmes demandaient la parole dans les groupes qui se renouvelaient sans cesse. Le mot tyran remplaçait celui de roi dans toutes les bouches. On appelait les nobles, aristocrates, et les prêtres calotins. La terrasse des Feuillants était le seul passage permis au public pour aller aux séances de l’Assemblée. Le peuple, de peur de souiller son pied libre de la poussière du jardin d’un despote exécré, fixa lui-même avec un ruban tricolore la ligne de démarcation qui fut scrupuleusement observée. Il assigna à l’intérieur de la promenade royale le nom de forêt noire. L’indignation des citoyens était à son comble.

Mais les voici à la veille du jour qui allait expier tant d’attentats, tant de perfidies. Les Marseillais, dès leur entrée dans Paris, avaient commencé le cours de leurs assassinats ; rien n’égalait l’audace de leurs chefs, et les patriotes s’applaudissaient de les voir en avant.

Le 9 août, dès les 4 heures après midi, ils se rassemblaient au faubourg Saint-Antoine au nombre de deux à trois mille ; c’était pour venir assiéger le château. Le terrible mot d’ordre fut incontinent communiqué dans toutes les sections assemblées. Ce soir-là même, un quidam parcourut les terrasses des Tuileries avec un étendard dont la légende était conçue en ces termes : « Amis, demain le trône sera


LES MOTIONNAIRES AU CAFÉ DU CAVEAU (Musée Carnavalet)

renversé, demain nous serons libres. » On lisait sur les

visages l’attente d’un sinistre événement.

Il ne tarda pas à se confirmer. Dès les onze heures de la nuit, le tocsin sonnait, on battait la générale. L’attaque allait commencer à deux heures. Nombre de particuliers qui, la veille, assiégeaient les boutiques des fourreurs pour y louer des bonnets de grenadiers, accoururent au château augmenter l’élite des royalistes, les uns en uniformes, les autres en habits de couleur ; tous s’étaient introduits à la faveur d’une consigne, ordonnant l’entrée libre à tous porteurs d’une carte bleue, avec ces mots en lettres noires : Entrée des appartements. Mais l’État-Major avait particulièrement signalé un individu qui devait se présenter pour y pénétrer et assassiner le roi. Il ne parut pas.


Le 10 août 1792,


Néanmoins le roi ne se coucha point. Le nombre de ses défenseurs s’accrut tellement jusqu’à près de 4 heures, qu’à peine était-il possible d’arriver jusqu’à son cabinet. Il était trois heures. Le peuple vengeur se montrait. Des détachements de bataillons précédés de leurs canons, se répandaient dans les cours du jardin et du château. À cinq heures, on comptait plus de six mille hommes.

On avait posé des détachements de la garde nationale et des Suisses à la droite et à la gauche de l’escalier qui conduisait de la chapelle à l’appartement du roi. Le danger alors devenait de plus en plus menaçant. Déjà l’on parlait, pour concilier les esprits, de conduire la famille royale à l’Assemblée ; il s’agissait même d’une pétition tendant à obtenir le renvoi dans la matinée de tous les Marseillais et Bretons qui étaient dans la Capitale. À ces propositions, des cris de : vive le roi ! se firent entendre.

Bientôt Capet entouré d’une foule d’officiers généraux, de courtisans et de grenadiers, descendit pour passer en revue les divers détachements qui, au moment de son passage, firent retentir les cris de : vive la nation ! tandis que les royalistes criaient : vive le roi ! On s’aperçut après son passage que les troupes étaient mécontentes ; car il fut à peine remonté au château, qu’une partie de ces mêmes troupes qu’il avait passées en revue se retirèrent ; à 6 heures il ne restait pas deux mille hommes.

Mais les Parisiens et le peuple des faubourgs hérissés de fer, inondaient les rues. Ils traversaient les ponts en longues colonnes, malgré les canons qui les barraient ; ils s’avançaient à pas de géants vers les Tuileries ; l’air retentissait de leurs cris de fureur qui se mêlaient aux tintements du tocsin.

Avant sept heures, ils étaient avec les Marseillais en bataille rangée sur la place du Carrousel en face du château. Dans cet intervalle, les officiers suisses versaient eux-mêmes de l’eau-de-vie aux soldats de leurs corps. Un officier général en proposa aux volontaires de la garde nationale. Bientôt après, une voix ayant fait commandement, par le flanc à droite, par file à gauche, une légion de courtisans déploya soudain espingoles, poignards, sabres, pistolets, défila au milieu des volontaires, et alla se ranger en ordre de bataille dans le cabinet du roi. C’est dans cette situation hostile qu’il fut mandé à l’Assemblée nationale. Une partie de cette légion armée et un détachement du bataillon de Saint-Thomas qui faillit partager le sort des Suisses, protégèrent son passage à travers les flots du peuple en fureur, que la puissance insinuante de la parole parvint seule à calmer un instant.

Mais à l’aspect des Suisses, il s’indigna, il rugit, et c’est alors qu’un simple citoyen se précipitant au-devant du roi, alors à découvert, et saisissant sa main, lui dit : « Ce n’est pas un assassin qui te parle, c’est un honnête homme qui veut te conduire sans péril à l’Assemblée nationale. Mais pour ta femme, elle n’entrera pas ; c’est une S. G. qui a fait le malheur des Français. » Le roi, d’un air pénétré, serra la main de cet homme ; et, dans cet instant même, le député Rœderer, qui était auprès de Capet, le quitta pour s’approcher du perron de la salle des séances. Là, il proclama le décret de l’Assemblée qui appelait dans son sein le roi et toute sa famille.

À la voix de Rœderer le peuple s’apaise de nouveau et Louis et sa famille entrent dans l’Assemblée. Grand Dieu ! Ce calme fut comme l’intervalle du silence terrible entre l’éclair et le tonnerre laissant après sa chute, le signe épouvantable de sa colère.

Tout à coup, on entend une décharge de mousqueterie ; d’autres répondent. Des torrents de fumée roulent dans les airs ; le jour en est obscurci ; on ne se distingue plus ; le grand escalier est déjà jonché de morts et de mourants.

C’est dans ce fatal moment que les Suisses, pour feindre une réconciliation, jettent des paquets de cartouches par les croisées, font retentir les cris de : vive la nation ! Les Marseillais et les volontaires de la garde parisienne, persuadés que les Suisses se rendent au vœu du peuple, se présentent en foule au grand escalier des appartements, et, soudain, les traîtres font feu de bataillon et feu de file sur les volontaires et les Marseillais. Trois décharges consécutives encombrent les degrés de ce fatal escalier où la mort semble attendre ses victimes qui nagent dans les flots de sang.

À cette vue, le combat devient général. Onze coups de canon, encore visibles aujourd’hui, frappent la façade du château, vis-à-vis le Carrousel. Un boulet entame le bord de la fenêtre de la chambre du roi. Ici, le peuple de sang-froid conserve une présence d’esprit imperturbable dans les justes transports de sa colère. Il combat et se défend en lion ; il veut réduire en poudre le château et les tyrans qui l’assassinent.

Déjà les flammes dévorent la maison de l’État-Major des Suisses et celles environnantes. Les assaillants s’emparent des avenues du château. Les Suisses téméraires pâlissent à l’aspect de 100.000 baïonnettes ; ils résistent encore. Quels cris de douleur et de rage, quels rugissements ! On les entend tomber sous leurs armes pesantes, en poussant l’affreux hoquet de la mort. Là, des têtes volent par les croisées, ici, des corps tout entiers sont jetés du haut des galeries. On déchire, on lance par les airs tous les matelas de lits-de-camp des satellites du roi ; la laine éparse retombe à terre à flocons comme une pluie de neige.

C’est maintenant que ce même peuple, oubliant sa magnanimité, va déshonorer sa victoire. Altéré de sang et de vin, il s’enivre dans les caves. Sa cruauté va se tourner en férocité. Tous ses vices les plus hideux vont se découvrir et se trahir.

Les Suisses, partout dispersés, sont partout poursuivis ; partout ils sont atteints. En vain, ces misérables rendent les armes, demandent la vie à deux genoux ; le vainqueur ivre est sourd à leur prière. Ils sont impitoyablement assommés, massacrés, transpercés de baïonnettes et de poignards. Leurs membres, en chaque endroit dispersés, semblent renaître pour de nouveaux supplices. Que dis-je, ma plume tremblante pourra-t-elle l’écrire ? des femmes, véritables furies, purent les voir rôtir sur les brasiers de l’incendie, et contemplèrent d’un œil sec leurs entrailles fumantes.

Les brigands s’étaient aussi mêlés aux vainqueurs. Tourmentés par la faim, après avoir apaisé leur soif brûlante, ils pénètrent dans les cuisines. Ô comble de barbarie ! Un malheureux aide, qui n’avait pas eu le temps de se sauver, fut par ces tigres enfoncé, pétri dans une chaudière et dans cet état exposé au feu ardent des fourneaux. Puis, se précipitant sur les comestibles, chacun saisit ce qui se trouve sous ses mains. L’un emporte une broche garnie de volailles ; un autre un turbot ; celui-là une carpe du Rhin qui l’égale par sa taille.

Chargés de ces captures, les bandits reparaissent audacieusement dans les cours, et défilent avec les Marseillais et les volontaires, qui, chacun, portaient en trophée les armes des Suisses vaincus, et les lambeaux sanglants de leurs uniformes.

La bataille gagnée, le château devint complètement la proie de tous les voleurs accourus depuis plusieurs jours des différents départements.

Tandis que les patriotes, les vrais braves qui venaient de renverser le trône, et d’asseoir sur ses débris la base de la liberté, retournaient dans leurs foyers, en chantant l’hymne de la victoire, en accompagnant religieusement les corps de leurs compagnons d’armes morts sur le champ d’honneur, des monstres à figure humaine se réunissaient par centaines sous le vestibule de l’escalier du midi, dansaient au milieu des flots de sang et de vin. Un bourreau jouait du violon à côté des cadavres ; et des voleurs, les poches pleines d’or, pendirent d’autres voleurs aux rampes.

Des milliers d’individus, tant hommes que femmes, plus menaçants, plus affreux les uns que les autres sous leurs haillons sanglants, inondaient les appartements. Les glaces tintaient sous les coups de baïonnettes qui les brisaient en éclats.

On arrive au lit de la reine. L’ivresse sans pudeur le rend le théâtre des plus infâmes obscénités. Le boudoir de la moderne Messaline devient aussi le rendez-vous des plus viles prostituées. On y voyait des scélérats, les uns éructant sur le sein de leurs maîtresses, les autres dormant parmi leurs larcins amoncelés.

L’incendie du palais de Priam ne présenta point un plus épouvantable désordre. Les escaliers résonnaient sous les pas précipités des filous, des escrocs qui montaient, qui descendaient, qui se croisaient, qui se heurtaient, qui couraient dans les corridors, pénétraient dans toutes les chambres : ils avaient déjà fracturé les secrétaires du roi, de la reine, de madame Élisabeth, des femmes de la cour. Assignats, or, argent monnayé, montres, bijoux, pierreries, diamants, écrins, tant d’objets précieux leur étaient aussitôt tombés en partage. Des manœuvres se promenaient hardiment dans la galerie avec des montres à chaînes de brillants. D’autres, voleurs de profession, dégalonnaient les habits des gens du roi, faisaient main basse sur la garde-robe, pillaient les étoffes, le linge, l’argenterie de table, les liqueurs, les bougies, les livres des bibliothèques, en un mot, tous les effets qui pouvaient s’emporter clandestinement : on brisa des vases de porcelaine du plus grand prix, pour en enlever les attaches.

Tandis que ces violences se commettaient, les héros en chef faisaient porter avec ostentation par leurs aides, les grands chandeliers d’argent de la chapelle, avec des plats d’argent et une bourse de cent louis, à l’Assemblée, afin de faire disparaître jusqu’au moindre soupçon de spoliation.

Quoi qu’il en soit, cette journée offrit le tableau achevé de la destruction du trône du dernier roi des Français ; et en effet, si l’on peut comparer les petites choses aux grandes, un jeune Savoyard debout au sommet de l’orgue de l’église, soufflait dans un tuyau le Dies irae : on eût dit de l’ange trompette du jugement.

C’est après la tempête que l’on vient contempler ses ravages. Quand la réflexion remplace le premier effroi, combien l’on gémit à l’aspect de la nature bouleversée !

Que l’on se figure donc ici ceux des citoyens paisibles que la curiosité avait portés aux Tuileries, pour s’assurer si le château existait encore : ils erraient lentement, frappés d’une morne stupeur, le long de la terrasse hérissée de débris de bouteilles. Ils ne pleuraient pas ; ils semblaient pétrifiés, anéantis. Ils reculaient d’horreur à chaque pas, à l’odeur et à l’aspect de ces cadavres sanglants, mutilés, égorgés, éventrés, sur les visages desquels vivait encore la colère.

D’autres, plus stoïques, faisaient remarquer aux passants des nuées de mouches avides de sang, que la chaleur avait attirées dans leurs larges blessures, et dans leurs yeux sortis de leurs orbites.

Cependant la populace fatiguée de carnage, succombant sous le poids des dépouilles, disparut avec le soleil, pour aller se livrer au repos. Si, le lendemain, elle retrouva sa raison, elle dut sentir aussi, en punition, la pointe acérée des remords.

En ce jour, l’anarchie fit le premier essai de son effroyable toute-puissance, et préluda aux massacres de septembre. L’Assemblée législative pouvait se couvrir d’une gloire immortelle, et mériter le titre de fondatrice de la liberté républicaine : au contraire, elle ne montra, dans le moment d’un si beau triomphe sur la tyrannie royale, ni sagesse, ni dignité, ni courage. Elle ne se présenta point aux assassins, aux brigands, aux démolisseurs ; elle ne sut pas imiter l’homme-Dieu qui, dans une tempête, étendant majestueusement la main, commande aux vents et à la mer de s’apaiser. Elle laissa abuser de la victoire une portion de scélérats, qui, dans la frénésie de l’ivresse, se crut seule la tête, le cœur et le bras de toute la France.

  1. Marat dirigeait l’Ami du Peuple et Fréron l’Orateur du Peuple.
  2. Ou Jallez, bourg de l’Ardèche. Cette conspiration de nobles contre l’Assemblée nationale échoua piteusement.