Le nouveau Paris/4

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Paris : Louis-Michaud (p. 22-26).

EXPLOSION



C’est Paris qui a fait la Révolution, et c’est Paris qui l’a gâtée ; je dois l’envisager sous ce double rapport.

De toutes les révolutions, la nôtre fut la plus juste, la plus légitime, la plus impérieusement commandée par toutes les circonstances. Il fallait tuer la cour de Versailles, pour qu’elle ne nous tuât point.

La Révolution s’est faite parce qu’elle devait se faire, parce que la capitale était menacée par les satellites de la cour. L’immense population de la grande cité a réagi, et bien à temps ; ce fut le coup de queue de la baleine qui renverse l’esquif du harponneur.

Paris allait être livré à toutes les horreurs d’une ville prise d’assaut ; tout était trahison, perfidie du côté de la cour. On n’avait voulu les états-généraux que pour rétablir les finances, payer les dettes qu’elle avait occasionnées, et recommencer le lendemain sur de nouveaux frais. On s’était servi de Necker ; et celui-ci quoique placé bien près du mouvement, n’en pressentit point l’explosion. C’est qu’elle n’aurait pas eu lieu, si la cour n’eût pas médité et préparé les projets les plus sanguinaires et les plus féroces. La détermination prise le onze juillet nous sauva, la cour n’avait pas su calculer que tous les argentiers et les créanciers du royaume n’avaient confiance qu’au ministre Necker, qui, mis en parallèle avec Calonne le déprédateur jouissait d’une grande estime. Les capitalistes tremblèrent pour leurs coffres, la rue Vivienne paya une partie du régiment des gardes-françaises[1]. La peur qui était bien fondée se propagea, tout s’arma en un instant parce que chacun tremblait ; les troupes de la cour qui devaient tout exterminer, furent lentes à entrer. Le prince Lambesc[2] avait daigné avertir la veille les Parisiens, en donnant aux Tuileries un coup de sabre à un vieillard, qu’on allait leur distribuer des milliers de coups de sabre. Ce bon patriote mérite toute notre reconnaissance. Un boulet de canon coupa à propos la chaîne qui retenait en l’air le pont-levis de la Bastille. C’est ce boulet de canon qui renversa le monarque et la monarchie. Je ris de pitié quand je vois une multitude d’écrivains vouloir assigner les causes de la Révolution, en chercher les auteurs et ignorer qu’en politique c’est un jour qui en enfante un autre, que chaque jour est, ou peut être, une révolution nouvelle, ainsi que, dans un tremblement de terre, chaque commotion a une direction particulière, horizontale, verticale, diagonale, souvent opposée. Un combat était engagé entre la cour et le peuple de Paris, mais de là à ce qui en est résulté, il y a eu une série d’événements qui tous font pour ainsi dire de chacun d’eux une révolution particulière.

Sans doute le parti étranger a joué un très grand rôle parmi nous. Le ministère britannique n’a pas voulu qu’on reprochât aux seuls Anglais d’avoir coupé la tête à leur roi. Après avoir fait signer à ce monarque inepte et fallacieux le traité de Pilnitz, le ministère britannique a voulu que la mort de Louis XVI fût le signal du déchirement et du démembrement de la France continentale et de ses colonies. Il en fut tout autrement. Ce fut l’échafaud dressé qui écarta à jamais le trône et qui rendit tous les Français comme solidaires de la sentence qui avait été prononcée ; audace, justice ou cruauté, la nation entière fut liée dès cet instant à une république. Ce fut la haine, l’animosité du cabinet britannique ; ce fut l’accueil qu’il accorda à tous les rebelles et aux traîtres déchaînés contre leur patrie ; ce furent les guinées, qui, en alimentant successivement toutes les factions, leur donnèrent cette force et cette énergie qui finirent par aboutir à un seul point, la destruction de toutes les formes monarchiques, le renversement de ce qui avait été.

C’est en voulant détruire sans ressource le crédit et la dernière espérance des républicains, que Pitt a ébranlé la banque anglaise ; son or est chez nous.

Pitt a ouvert la bouche d’un Mallet du Pan[3] et d’un Rivarol[4], il en est sorti les imputations les plus absurdes, les calomnies les plus risiblement audacieuses, les raisonnements les plus faux et les plus contradictoires.

La Révolution aurait pu s’arrêter le 18 juillet, après que Louis XVI eut pris et baisé la cocarde nationale sur le balcon de l’hôtel de ville ; mais Pitt et ses complices avaient besoin de toutes les horreurs délirantes dont la France a été le théâtre. Il fit recommencer la Révolution ; il paya tous les hommes pervers qui tenaient le sabre ou la plume ; il envoya de tous côtés ses émissaires, il commanda à Paris la journée du 10 mars, du 31 mai, du 3 octobre 1793. Cette dernière surtout lui fut chère en ce qu’elle décidait la perte des plus zélés et des plus purs républicains, des Girondins ; en ce qu’elle menaçait la tête de 73 représentants


FÊTES ET ILLUMINATIONS AUX CHAMPS-ÉLYSÉES (18 juillet 1790)

du peuple vraiment courageux, qui dénonçaient au département

les erreurs de leurs collègues et les trames impies de l’étranger. Pitt se réjouissait de voir la Convention caresser ses complices, et punir ses ennemis. Il jeta des monceaux de bitume dans le foyer brûlant, fit encore les soulèvements successifs de Germinal et Prairial an 3, et n’ayant que des demi-succès, il tenta l’audacieuse et désespérée conspiration de Vendémiaire : mais le canon tua ce jour-là les royalistes ; peu lui importait pourvu que le sang français coulât.

Après avoir abusé les rois de l’Europe, et trompé les émigrés, il osa envoyer au corps législatif ces rebelles, ces hommes sans pudeur, ces royalistes déhontés qui obligèrent la main du gouvernement à trancher subitement dans le vif dans les deux conseils et jusques dans le sein même du Directoire.

Immortelle journée du 18 Fructidor ! c’est ta clémence qui a montré ton pouvoir, et tu devrais être le dernier jour de la Révolution.

Mais non ! la cour de Vienne perpétuellement trompée menace encore la République, et ajoute foi à la possibilité d’un horrible bouleversement. Il fallait bien compter sur l’aveuglement de l’Europe, sur son ignorance quant à ses véritables intérêts.

Tous ces efforts contre la France mettent à nu la faiblesse d’un gouvernement ennemi. Il se trouve isolé ; ce n’est plus qu’une puissance du 3e ordre ; sa position géographique a surpris une sorte d’admiration qui va cesser. Les infidèles ministres d’un peuple qu’on a rendu insolent, et qu’on a élevé dans l’arrogance, entendent de loin le bruit de cette tempête que l’indignation a soulevée contre eux. Voici le terme de leur charlatanisme, voici le moment où le pied du Français débarquant sur leurs côtes va ordonner l’abaissement de leur usurpation et rendre à toute société politique ses droits violés. En châtiant ces insulaires, le repos du monde est assuré, et la liberté visitera des peuples nés pour elle.

  1. La Bourse se trouvait dans cette rue.
  2. Charles-Eugène de Lorraine, duc d’Elbeuf, prince de Lambesc, était parent de Marie-Antoinette, colonel-propriétaire du régiment royal-allemand et grand Écuyer de France.
  3. Mallet du Pan ou Mallet-Dupan ; Genévois, était directeur du Mercure historique et politique de Genève qui fut réuni au Mercure de France.
  4. Rivarol collabora avec Peltier à la publication de l’Acte des Apôtres, pamphlet politique du plus mauvais goût.