Aller au contenu

Le parc du mystère/12

La bibliothèque libre.

Monsieur de Homem Christo
à Madame Rachilde.

Vous me condamnez à la Trappe, ma chère amie, et je reconnais bien là votre manque de mesure ! Vous croyez donc que le but de la vie est la contemplation de cette même vie, intérieurement ou extérieurement, dans un silence oppressant ou dans une curiosité maladive ? Non, Rachilde, l’homme n’est pas fait, n’a pas été créé pour une inaction, toujours coupable à mes yeux. Je sais qu’il fut de très grands saints qui se turent devant toutes les turpitudes, destinés qu’ils semblaient être pour l’abîme de la prière, mais, je sais aussi qu’il y eut les Croisades : Dieu le veut… que l’homme défende son nom, marche, au cri de sa conscience, pour ne pas laisser envahir le territoire sacré par les plantes parasites.

Je suis le plus imparfait de ses serviteurs et je ne prétends pas enseigner les humbles mortels, qui, comme moi, sont imparfaits, mais je crois fermement que nous pouvons, que nous devons lutter contre l’inertie dangereuse des végétatifs (l’ombre du mancenillier,) et que si nous sommes doués de l’esprit de combat nous nous devons, à nous et aux voisins, de chercher à gagner des batailles.

Je n’en ai pas fini avec le mystère de la mort, j’ai eu la preuve qu’on peut la faire reculer ou l’éclairer par la flamme de la foi.

Un jour, où, en prison pour crime politique (le crime politique c’est d’être d’avis contraire à la foule) j’ai appris, oui, qu’on pouvait ajourner son trépas par une fervente adjuration à la puissance supérieure.

Autour des murs de cette prison, j’entendais battre la marée humaine qui demandait mon sang pour effacer de simples paroles imprimées sur une feuille éphémère et je devinais bien que je ne pourrais jamais par la seule éloquence de ma jeunesse et de mes gestes de protestation me faire entendre ou comprendre d’un peuple furieux.

J’eus peur, je l’avoue, j’ai prié avec une fervente ardeur. Je fus sauvé par cette foi qui soulève des montagnes, par une très misérable mais très tendre manifestation de la confiance du fils perdu en son père enfin trouvé…

… Et par degrés, comme la mer se retire parce qu’elle a reçu l’ordre de ne pas franchir un seuil, la foule s’en alla comme elle était venue, poussant des clameurs de mort de plus en plus éloignées de ma personne et cette nuit-là elle dut tuer un autre prisonnier, une autre victime, parce que son heure n’était pas la mienne !

Et que dites-vous de ce geôlier, me glissant dans mon cachot chaque jour la proie de la vraie marée montante, de l’océan qui l’envahissait peu à peu me forçant à me baigner dans une boue affreuse jusqu’à la ceinture parce que le château-forteresse dans lequel j’étais interné plongeait ses assises dans le sable de la plage, de ce geôlier compatissant me glissant une planche, d’une meurtrière à l’autre, le soir, discrètement ? Il est vrai qu’au matin pour me réveiller d’une façon pénitencière, il la retirait si subitement, parfois, que je tombais souvent de sommeil et dans l’eau…

À la guerre comme à la guerre. Mais ne pas avoir de rhumatismes c’est autant de pris sur l’ennemi ? Non, Rachilde, il est impossible que vous n’ayez pas eu, jamais, la révélation de l’au-delà ! Je ne peux pas vous croire parce que votre ironie même a l’air de dissimuler comme une crainte de ce mystère qui nous entoure et nous presse de toutes parts. Certes, vous avez la belle santé de l’animale qui peut s’appuyer sur une des plus redoutables puissances de la nature : l’indifférence ou l’insensibilité, mais si vous cherchiez bien, vous découvririez une chose, au moins, en dehors de l’ordre naturel dans votre cerveau inhumain puisqu’aussi bien il tend à revenir à la seule force d’un élément, de la puérilité bestiale, je ne rencontre pas d’autres adjectifs pour qualifier une sorte de plénitude de toutes vos facultés d’écrivain, combien… vaine !

Pardonnez si je suis amer, mais je ne me reconnais aucune disposition pour la Trappe. Et si vous voulez que je redevienne plus courtois, montrez-vous plus loyal adversaire. Cherchez à me prouver que vous êtes capable d’un scrupuleux examen de conscience. Moi j’ai bien risqué de vous paraître ridicule. Ce n’est pas rien de la part d’un orgueilleux de ma trempe !

Votre toujours très dévoué,

H. C.