Le photographe
RAOUL DE GARDEFEU | MM. | Gil Pérez. |
LE COLONEL BARON DE GOURDAKIRSCH. | Lassouche. | |
ALEXANDRE, domestique de Gardefeu | Priston. | |
UN COMMIS DE MAGASIN | Martal. | |
LA BARONNE DE GOURDAKIRSCH | Mmes | Ferraris. |
MÉTELLA | Antonie. | |
GERTRUDE, femme de chambre | Élisa. | |
Deux Commissionnaires. |
À Paris, de nos jours.
Un salon chez M. de Gardefeu. — Porte d’entrée au fond ; à droite et à gauche, portes donnant dans l’appartement ; en pans coupés, de chaque côté de la porte d’entrée, des fenêtres. — Grand désordre dans le salon ; à droite, bien en évidence, contre le mur, un grand châssis contenant une peinture en grisaille, qui représente une forêt avec un torrent et des rochers ; ce châssis est monté sur des roulettes. — Au fond, à gauche, un marchepied à double rampe, haut de cinq ou six degrés.
Scène PREMIÈRE
Alexandre est assis dans un fauteuil. Coup de sonnette.
Je m’y attendais !… je m’y attendais !… C’est le dix-huitième depuis ce matin… On doit être fatigue, en bas, de tirer le cordon comme ça !…
La porte du fond s’ouvre : entre le premier commissionnaire, une enseigne sous le bras.
On m’a dit d’apporter ça chez M. de Gardefeu.
Qu’est-ce que c’est ?
Très bien. Posez cette pancarte contre le mur et allez-vous-en.
Bonjour, monsieur.
Bonjour ! (Sort le commissionnaire.) Il y a eu dix-huit coups de sonnette comme ça… Le premier a été donné vers trois heures du matin : c’était monsieur !… je ne l’attendais pas ; il se précipita dans ma chambre… C’était d’une indiscrétion !… il aurait pu me trouver avec… avec un de ses cigares… « Lève-toi, me dit-il ; nous allons faire subir à mon appartement une transformation complète… Mon salon est celui d’un homme du monde… il faut que nous en fassions l’atelier d’un photographe… Lève-toi… descends… Tu recevras les diverses personnes que je vais t’envoyer… » Monsieur dit et s’éloigne, me laissant en proie à un étonnement indicible ! (Coup de sonnette.) Ça fait dix-neuf !
Entre le douzième commissionnaire.
Monsieur Raoul de Gardefeu ?…
Qu’est-ce que vous lui voulez ?
Voici des portraits-cartes… et puis une collection de vues, des paysages, des monuments…
Mettez tout cela dans ce coin… Maintenant, vous pouvez filer.
Je file !
Je flairai une aventure galante et je sautai en bas de mon lit. La procession commença. (Coup de sonnette.) Elle continue…
Entre un commis de magasin : il est chargé de fioles et de bouteilles.
Monsieur Raoul de Gardefeu ?…
C’est ici… Qu’est-ce que vous apportez ?
Collodion liquide… acide pyrogallique… acide acétique cristallisable…
Qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce que c’est ?…
Ce sont des produits chimiques de la maison Tricot… Proto-sulfate de fer…
Et vous êtes bien sûr de tout ça ?
Parfaitement sûr.
Vous ne me comprenez pas… Je vous demande s’il n’y a pas de danger pour les personnes qui se serviront de toutes vos machines…
Machines !… Aucun danger, monsieur, à la condition cependant que les personnes qui se serviront de mes… machines… sauront bien leur métier…
Ah ! ah ! il faut savoir ?…
Sans doute !… Ammoniaque… iodure d’argent… bitume de Judée… albumine… hyposulfite de soude… solution de chlorure d’or… C’est tout… Monsieur, j’ai l’honneur de vous saluer. (A part, en sortant.) Machines !…
Votre serviteur, monsieur… J’ai bien envie de flanquer tout ça par la fenêtre, moi… Quand je ne connais pas, je me méfie. (Coup de sonnette.) Encore !… dix-neuf et deux, ça fait vingt et un. (Entre Gardefeu, portant à la main un de ces supports à cercle de cuivre qui servent chez les photographes à fixer la tête pendant la pose ; derrière Gardefeu, encore un commissionnaire, portant un appareil de photographie.) Ah ! c’est monsieur… Bonjour, monsieur.
Scène II
On a apporté l’enseigne ? et le paysage ? et le marchepied ?
Oui, monsieur, tout est là…
Qu’est-ce que tu dis de cette invention ?… Hein ?… C’est pour tenir la tête du patient… ça donne plus de naturel à la pose… (Au commissionnaire.) Placez l’appareil, mon ami… placez et disparaissez…
Le commissionnaire s’en va.
Monsieur, il y a là quelque chose qui m’inquiète…
Quoi donc ?
Vous avez peur, vous… un artiste !…
Je ne suis pas artiste, monsieur… je suis…
Il fait le geste d’épousseter.
Tu ne l’es plus. Tu es mon préparateur. Je t’élève à cette dignité.
Oh ! alors…
Je te reproche d’avoir peur, et moi-même je tremble…
Vous voyez bien !…
Au bout de la rue, j’ai aperçu le coupé de Métella…
Métella !…
Elle vient ici, sans doute : c’est toi qui la recevras… Dis que je suis parti pour un lointain voyage, dis ce tu voudras, mais arrange-toi de façon qu’elle s’en aille et qu’elle ne revienne pas de la journée. (Coup de sonnette.) La voici…
Son coup de sonnette !… ça fait vingt-deux…
Elle doit être furieuse… Hier soir, je devais aller prendre une tasse de thé chez elle…
Farceur !
Monsieur Alexandre !…
Puisque je suis préparateur… vous savez bien… vous m’avez élevé…
C’est juste.
Il sort, par la gauche.
Scène III
On a peur de Métella… je me le disais bien, qu’il s’agissait d’une galante aventure…
Entre Métella.
Ah ! te voilà, toi ?…
Oui, me voilà, moi.
Et monsieur de Gardefeu ?
Monsieur de Gardefeu ?
Oui…
Vous ne savez pas où il est ?… Je croyais bien que tout le monde savait ça, par exemple !… Il est… il est… à Beauvais, mon maître…
À Beauvais !
Et pourquoi est-il allé à Beauvais ?
Écoutez-moi, madame, je vous en prie, écoutez-moi avec attention… Hier soir, monsieur était là… bien tranquille… près de moi… il s’habillait pour aller prendre une tasse de thé chez madame, quand tout à coup… paf !…
Qu’est-ce qui arrive ?
Une dépêche télégraphique, que lui envoyait son oncle de Beauvais… Il est enrhumé, cet oncle de Beauvais, il est enrhumé… et, dès qu’il est enrhumé, il veut qu’on aille le voir… Alors monsieur est parti tout de suite… parce c’est un oncle à héritage… et vous devez comprendre… à cause…
Qu’est-ce que c’est tout ça ?…
Tout ça ?…
Oui…
Comment ! madame ne voit pas ?…
Je vois que ce sont des appareils de photographie.
Madame voit très bien : ce sont des appareils…
Écoutez-moi, madame, je vous supplie de m’écouter avec attention. Hier soir… monsieur allait partir… je recevais ses adieux… quand tout à coup, paf !…
Encore une dépêche ?…
Non, madame, une idée… « Alexandre, me dit-il, je veux, à mon retour, faire moi-même le portrait de celle que j’adore. Tu achèteras tout ce qu’il faut. »
À quoi bon ? puisque je lui ai donné une photographie…
C’est vrai, madame, et même une photographie assez vaporeuse… elle est dans la chambre de monsieur… de temps à autre, je la regarde… et je deviens rêveur…
Eh bien, alors, qu’a-t-il besoin ?…
Ah ! madame… faire photographier la femme que l’on aime par l’objectif du coin… c’est une chose… la photographier soi-même, c’en est une autre… voyez le Titien…
C’est bien drôle…
Ah ! tu ne veux pas t’en aller… nous allons voir !… (Haut). Et puis, tenez, je vais tout vous dire…
Si nous faisons de la photographie, ce n’est pas pour ceci, ce n’est pas pour cela… c’est pour tâcher de gagner un peu d’argent…
Un peu d’argent !…
Oui, madame…
Mais… je croyais M. de Gardefeu très riche…
Oh ! la la… très riche !… Est-ce qu’on est riche ?… on a une trentaine de billets de banque, un peu de crédit chez un bijoutier… on achète des chevaux et une voiture sans débourser un sou… si le marchand de chevaux demande une garantie, on lui montre la voiture… si le carrossier a des doutes, on lui fait voir les chevaux… et allez donc, voilà un homme riche !… Tant que ça flambe, ça brûle… au bout du fossé la culbute…
Et vous en êtes à la… ?
À la culbute !… oui, madame !…
On se moque de moi… (Haut.) Comment mon pauvre Alexandre ?…
Nous nous relèverons par le travail, madame… il nous reste nos bras.
Avec laquelle vous avez l’honneur d’être, pas vrai, madame ?…
Adieu, Alexandre.
Adieu, madame.
Décidément ! on se moque de moi ! (Elle sort.)
Scène IV
Allons donc ! j’en étais bien sûr… Venez, monsieur, elle est partie et elle ne reviendra pas.
Et qu’est-ce que tu lui as dit pour la faire partir ?
Que monsieur s’était fait photographe parce qu’il n’avait plus le sou.
Par exemple !…
Monsieur en sera quitte pour lui dire qu’il est encore opulent…
Je connais Métella… les paroles ne suffiront pas, il faudra des preuves… Enfin, je n’ai pas le temps de penser… Accroche ça là-bas.
Alexandre et Gardefeu prennent les cadres apportés par le deuxième commissionnaire.Oui, monsieur.
Il y a de tout, là dedans…
C’est bien vrai, ça, il y a de tout….
Des avocats…
Des pédicures…
Des actrices…
Et des hommes d’État !…
Des demoiselles qui, en réalité, sont des dames, et des dames qui ont diablement l’air d’être de ces demoiselles…
La vie humaine, quoi la vie humaine !…
À la bonne heure ! cela commence à prendre une tournure…
Maintenant ça vous a un air…
L’enseigne ?… où est l’enseigne ?…
La voici, monsieur.
Il lui montre l’enseigne qui, sur un fond rouge tris vif porte ces mots : EDGAR, PHOTOGRAPHE.
C’est bien… c’est très bien… allez, Alexandre, et accrochez cette enseigne au-dessus de la porte de notre hôtel.
Je sors, monsieur, et quand je reviendrai…
Quand tu reviendras ?…
Je ne vous dis que ça… vous serez surpris…
Du mystère ?… avec le meilleur des maîtres !…
Je ne vous dirai pas autre chose… on est artiste ou on ne l’est pas… vous serez surpris quand je reviendrai.
Il sort, emportant renseigne.
Scène V
Cet imbécile d’Alexandre qui s’en va dire que si je me suis fait photographe, c’est parce que je n’avais plus… Ce n’est pas du tout pour ça !… (Tout en parlant, il regarde des portraits-cartes déposés sur la table.) C’est parce que j’ai un ami qui s’appelle Robert, et qui est farceur… Hier soir, ne sachant que devenir pendant les deux heures que j’avais à passer avant d’aller prendre le thé chez… Tiens, tiens… voilà un de ses portraits, à Métella… et encore un autre… Je me suis laissé mener par ce Robert dans un bal de bienfaisance… à l’Opéra… Au milieu de ce bal, nous avons rencontré mademoiselle Mirza Frimousse, une petite des Variétés, fort gentille, mais qui, à ce qu’il paraît, n’a pas de très bons yeux, car, en m’apercevant, elle m’a fait l’honneur de me prendre pour son photographe ordinaire… « J’espère, m’a-t-elle dit, j’espère, monsieur Edgar, que je vous en fais gagner, de cet argent, avec mon portrait !… Je me vends bien, n’est-ce pas ?… Jusque-là le quiproquo n’avait rien de très intéressant, mais à minuit, au moment où j’allais partir, nous apercevons une femme… oh ! mais une femme, avec des épaules… de ces épaules qui font dire : « Voilà une personne chez qui il me serait fort agréable d’aller prendre une tasse de thé… » Et quel sourire !… « Est-ce que tu la connais ? dis-je à Robert. — Parfaitement ! C’est une Viennoise… la baronne de Gourdakirsch… femme d’un colonel honoraire au service de l’électeur de Birkenfeld… Veux-tu que je te présente ?… — Volontiers… » Alors Robert… voilà où le farceur se révèle !… alors Robert… me pousse en avant et dit : « Madame la baronne, permettez moi de vous présenter monsieur Edgar, photographe. Là-dessus, il se campe, attendant son effet ; moi, je ne bronche pas et je m’incline. Une idée assez folâtre venait de germer dans mon esprit… Je soupçonne violemment le baron de Gourdakirsch, le colonel honoraire… (Il va prendre un cadre pour l’accrocher et commence à monter sur le marchepied.) je le soupçonne violemment d’aller, lui aussi, prendre de temps en temps une tasse de thé chez Mélella… On fait une grande consommation de thé, chez Métella… (Revenant sur le devant de la scène.) Il y est excellent, d’ailleurs !… (Il retourne à son marchepied, monte un échelon de temps à autre et, à la fin du monologue, se trouve en haut.) J’entrevis je ne sais quelle lointaine espérance d’une revanche ; je résolus de pousser jusqu’au bout la plaisanterie de ce farceur de Robert, et, puisqu’il lui avait plu de m’improviser photographe, de rester photographe… Je savais à quoi cela m’obligeait : il fallait être brillant, spirituel, original… Je le fus… Je parlai de mes voyages, de mes travaux, de mes découvertes, de mes rêves d’artiste et de mes souffrances… La baronne fut émue !… Je conclus en lui déclarant que bien heureux étaient ceux de mes confrères qui avaient eu l’occasion de mettre le soleil au service de sa beauté !… « Je vous arrête là, me dit-elle : jamais ils n’ont pu faire de moi un portrait passable… je ne viens pas en photographie… — Ah ! madame, répliquai-je, permettez-moi de vous dire que si vous vouliez bien venir chez moi… vous viendriez tout de suite ! — Croyez-vous ?… — J’en suis sûr… J’ai, moi, des appareils particuliers et je fais une certaine photographie qui n’est pas celle de tout le monde… — Vous me donneriez envie d’essayer… — Essayez donc, madame ! Demain, à deux heures, si vous le voulez, je serai à vos ordres. — Votre atelier ? — 64, rue Saint-Georges… — Eh bien, dit-elle, c’est convenu, demain, à deux heures, je serai chez vous… » Chez moi !… Je l’attends ! Elle va venir ! Et voilà pourquoi je suis photographe !
Rentre Alexandre en costume extrêmement fantaisiste de rapin. Gardefeu est debout sur le marchepied.
Scène VI
Qu’est-ce que c’est que ça ? une mascarade !…
Un peu de fantaisie… le genre artiste… Et si j’avais un conseil à donner à monsieur…
Ce serait ?…
J’y pensais !…
Descendez alors et hâtez-vous…
Un mot encore… Si la baronne vient…
C’est une baronne ?
Ai-je besoin d’ajouter que je compte sur une discrétion ?…
Absolue !… Cependant vous me permettez d’en parler dans le quartier ?…
À la condition que ça n’ira pas plus loin. Si la baronne vient ici, tu la recevras…
Avec transport !… vous verrez ça…
S’il vient d’autres personnes, tu te dépêcheras de les envoyer…
Chez Nadar ?…
Si tu veux…
On se doit ça, entre confrères…
À tout à l’heure, Alexandre… Toi aussi, tout à l’heure, tu seras surpris.
Chacun son tour !
Sort Gardefeu.Scène VII
Nous n’avons pas mal arrangé tout ça avec le patron. (Il prend un cadre, il va l’accrocher dans un des coins de la pièce, un peu haut, et reste sur le marchepied, le dos tourné. — Lisant.) « Vue prise dans la Basse-Égypte… » As-tu fini ?… c’est les Batignolles !… fiez-vous donc aux voyageurs !…
Entre rapidement Gourdakirsch.
Scène VIII
Il faudrait être tout à fait bête pour ne pas avoir de soupçons !… Hier au soir, je vais chez Métella… mon intention était de lui demander une tasse de thé… il est excellent, le thé, chez Métella !… Virginie, la femme de chambre, me reçoit et me dit : « Madame a sa migraine, la théière est renversée. » Je suis jaloux, je ne réponds rien, je m’en vais… et, ce matin, j’étais sous les fenêtres de la cruelle !… Je la vois monter dans son coupé… je me cache, et je me mets à courir… derrière la voiture… Elle vient dans cette maison… 64, rue Saint-Georges… dix minutes après, elle en sort, je me recache et je me remets à courir… Métella rentre chez elle ; moi, je reviens rue Saint-Georges, au pas, et, arrivé devant ce même numéro, devant le numéro 64, je me trouve en face d’une enseigne : EDGAR, PHOTOGRAPHE.
Sur ces derniers mots, il a élevé la voix : Alexandre se retourne.Bon ! voilà un client !
Et, il y a une heure, cette enseigne n’était pas là, qu’est-ce que cela signifie ? Il faudrait être tout à fait bête pour ne pas avoir de soupçons !…
Écoutez-moi, monsieur…
Je vous écoute.
Vous allez aller chez Nadar.
Pour quoi faire ?
Pour vous faire photographier… si vous y tenez…
Je n’y tiens pas… Je viens pour acheter des photographies…
Tiens, mais, au fait… Monsieur achète et paie : moi, je revends et on me paie : c’est une affaire !… (Haut.) Très bien, monsieur… Si monsieur veut une vue des Batignolles. ?
Comment ?…
Je veux dire… de la Basse-Égypte… (Prenant sur la table un paquet de portraits-cartes.) Monsieur préfère des avocats ?… des hommes politiques ?…
J’y suis !… monsieur demande à voir des femmes…
Oh !
J’ai deviné… Il y a eu un éclair dans le regard de monsieur quand j’ai parlé des femmes…
Un homme de mon pays ne dit pas : « les femmes… » (Avec une violence contenue.) il dit : « une femme !… » et il meurt…
Chaque peuple a ses usages… Monsieur est étranger.
Oui… Népomuc, baron de Gourdakirsch… (Saisissant une des photographies que lui présente Alexandre.) Ah ! la voici…
Métella !
Elle avait ce costume, le jour où je la vis pour la première fois.
Alors vous achetez ?…
Je crois bien !…
Voici un autre portrait…
Ah !… elle avait ce costume, le jour où je lui écrivis cette lettre…
Celle que portait Métella, le jour où, voyant qu’elle ne répondait pas à ma lettre… je pris le parti de me faire annoncer chez elle.
Vous êtes un gaillard, avec votre air…
Oui ! je suis un gaillard… Elle me mit à la porte.
Vous m’étonnez, monsieur le baron.
Je ne perdis pas courage, je me présentai une seconde fois… et, ce jour-là…
Et, ce jour-là ?…
Ce jour-là, je ne fus pas mis à la porte… (Bousculant toutes les photographies.) Ah ! j’aurai beau chercher, je ne la trouverai pas avec cette robe de chambre mauve sur mauve, gaze sur gaze, qu’elle avait chez elle, le jour où je ne fus pas mis à la porte et où elle m’offrit cette tasse de thé !…
Une idée !… (Haut.) Écoutez-moi, monsieur le baron… (Mystérieusement.) Il y a encore un portrait de mademoiselle Métella… il y en a encore un… mauve sur mauve, gaze sur gaze…
Où ca ? où ça ?
Cinq louis…
Mettons en dix… et vous aurez cette photographie…
Oui… vite ! vite !…
Je vais lui coller celle qui est dans la chambre de monsieur… (A part, en sortant.) celle qui me rend rêveur !
Il faudrait être tout à fait bête pour ne pas avoir de soupçons !
Voilà, monsieur.
Oh !
C’est bien cela, n’est-ce pas ?…
Le jour où le docteur Faust demanda à Satan le mot suprême, le dernier mot de toutes les choses humaines, le diable lui montra une enfant de seize ans, belle comme celle-ci, étendue sur un canapé rouge… Le canapé de Métella n’est pas rouge, il est bleu de ciel… mais, en photographie, cette différence est un détail… Voici vos dix louis.
Il sort en couvrant le portrait de baisers.
Scène IX
Monsieur ! monsieur !… vous emportez le cadre… (Avec force.) Que pensera-t-il, mon maître, quand, en entrant dans sa chambre il ne verra ni son cadre ni sa photographie ?…
Entre Gardefeu, en costume de photographe ; trop élégant, d’une élégance un peu extravagante.
Scène X
Qu’en dis-tu ?…
Tout à fait bien, monsieur, vous êtes tout à fait bien.
Qu’est-ce que cela signifie ? tu as un air…
Écoutez-moi, monsieur. Il est venu un baron…
Quel baron ?
Népomuc, baron de Gourdakirsch.
Ciel ! est-ce qu’il se douterait que sa femme ?…
Sa femme !…
C’est elle que j’attends.
Comme ça se trouve !… (Froidement.) Il ne m’a pas parlé de sa femme.
Il désirait acheter des photographies, voilà tout… des portraits de mademoiselle Métella…
Il y en avait trois, justement !
Il y en avait trois, oui, monsieur. (A part.) Gardons-nous bien de lui avouer…
Tu les lui as vendus ?
Parbleu !…
Coup de sonnette.
On vient de sonner, Alexandre !…
On ne fait que depuis ce matin…
Deux heures… ce doit être elle… (Allant à la fenêtre.) En effet, c’est elle !
Parole d’honneur !… ça me fait quelque chose, à moi aussi…
Vite ! vite !… ayons l’air de vrais photographes… Qu’est-ce que nous pourrions bien faire pour avoir l’air de vrais photographes ?…
V’là une plaque… je vas frotter…
Solide au poste… ne craignez rien !…
Gardefeu se blottit sous le voile qui recouvre l’appareil ; Alexandre frotte sa plaque avec fureur. — Entrent la baronne et Gertrude ; la femme de chambre porte sur le bras une robe de sa maîtresse.
Scène XI
Monsieur…
Mande pardon, madame, mande pardon…
Je viens pour…
Mande pardon, madame… mais comment a-t-on laissé monter madame ?
Je viens pour faire faire ma photographie.
Alors madame a retenu son tour, madame a un rendez-vous pris d’avance ?… sans cela, mande pardon… nous sommes écrasés, madame, nous sommes écrasés…
Mais… j’ai eu le plaisir de rencontrer monsieur Edgar hier soir, et nous avons pris rendez-vous…
Où donc est-il ?
M’sieu Edgar ! (A part.) Où s’est-il fourré ? (Haut.) M’sieu Edgar !…
Hum ! hum !
Ah ! il est là…
Qu’est-ce qu’il fabrique là-dessous ?… (Haut.) C’est une dame…
Quelle dame ?…
Une dame qui dit qu’elle a pris rendez-vous !
Oui, monsieur Edgar, c’est moi.
Le nom de cette dame ?… le nom ?…
Mande pardon, madame… vous entendez…
Baronne Charlotte de Gourdakirsch.
Baronne Charlotte de Gourdakirsch…
Je suis exacte, comme vous voyez.
Monsieur ! monsieur !…
Qu’est-ce qu’il y a ?…
La femme de chambre…
Eh bien ?…
Elle est jolie…
Très jolie… mais qu’est-ce qu’elle tient donc à la main ?…
Monsieur Edgar…
Madame ?…
Voulez-vous avoir la bonté de me dire dans quel salon je pourrai changer de toilette ?
Changer de toilette, madame ?…
Mais oui plusieurs personnes m’ont dit hier, et vous-même m’avez affirmé que la robe que j’avais à ce bal…
Elle vous allait divinement.
Excellente idée, madame ! (A part.) Je vais donc les revoir !…
Quoi, monsieur ?
Les épaules qui m’ont enchanté…
Pas fâché de ça, moi… je les verrai aussi !
Voulez-vous avoir la bonté de m’indiquer ?…
Tout de suite, madame !… Alexandre…
Patron ?…
Quel salon indiquerai-je à madame la baronne ?
Le boudoir olive…
Fichtre ! il y a des tableaux… mes Fragonard…
Mais il me semble que chez tous les photographes il y a un salon ?…
Un salon, madame ?… il y en a dix, chez moi !… il y en a vingt !… mais je cherche celui qui est le plus digne…
Oh ! monsieur…
Patron ?…
Introduisez madame dans le boudoir olive… (A part.) Bah si ça l’amuse de regarder mes Fragonard, elle les regardera…
Je les regarde bien, moi !…
Si madame veut se donner la peine…
Monsieur…
Elle entre à gauche.
Si l’on vous le disait, pourtant, que l’on vous aime !…
Ist Ihre liebe Familie wohl ?…
Elle entre par la gauche.
Scène XII
Je n’ai rien compris… mais elle est délicieuse !
Elle est là ! elle est là ! et tout à l’heure… Tu auras soin de l’emmener, la femme de chambre…
Soyez tranquille, monsieur…
Des infirmes !…
Vive la photographie !
Vive la photographie !
Frottons des plaques, Alexandre.
Frottons des plaques, monsieur !
Ils frottent chacun une plaque, et frottent avec les signes de la joie la plus vive. — Entre Gourdakirsh, avec son cadre.
Scène XIII
Vous êtes gais ?…
Le travail rend l’homme joyeux… Que désire monsieur ?
C’est le baron…
Patatras ! (Bas, à Alexandre.) Appuie-toi vite sur cette porte, et, si la baronne veut, entrer, empêche-la…
Compris !
Il s’adosse à la porte de gauche et s’y appuie.
Oui, monsieur… mais…
Je suis venu chez vous tout à l’heure, j’ai acheté des portraits…
De Métella
De mademoiselle Métella…
Je sais… Vous en avez acheté trois…
Pardonnez-moi, j’en ai acheté quatre…
Ça va se gâter…
Voici le quatrième !
Comment ?…
Collodion… bismuth… versez !… Protosulfite de protosulfate… Voilà ! voilà !…
Il se sauve en bousculant Gourdakirsch.
Le misérable ! Et il lâche la porte !…
Il se précipite et s’adosse à la porte de gauche, en appuyant de toutes ses forces.
Il faudrait être tout à fait bête pour ne pas avoir de soupçons…
Le temps seulement de vous demander une explication… (Lui montrant la photographie.) Voyez-vous ce qu’il y a d’écrit, là, au bas de cette photographie… au bas de cette photographie qui ne se trouvait pas avec les autres ?
Je déclare que je ne vois rien !… (A part.) Si je le tenais, cet Alexandre !…
« O mon Fernand, tous les biens de la terre ! 15 février 1864, minuit et quart ; signé Métella… »
O mon Fernand !
Tous les biens de la terre…
15 février 1864.
Vous êtes Fernand ?
Je suis Edgar… Fernand, c’est dans la Favorite… Edgar, c’est dans Lucie… vous confondez !…
C’est du même auteur.
Ça n’est pas une raison !
Cette explication est insuffisante… pouvez-vous m’en donner une meilleure ?
Un mot encore… Voulez-vous vous ôter de devant cette porte ?…
Par exemple !…
Et me permettre d’entrer dans cette chambre ?…
Jamais !
Il suffit… J’aurai l’honneur de vous revoir d’ici à peu de temps !!!… À bientôt, monsieur… (Il sort : Gardefeu quitte la porte sur laquelle il s’appuyait. — Gourdakirsch reparaît brusquement.) Monsieur ! monsieur !…
Monsieur !…
Il faudrait l’être tout à fait… pour ne pas en avoir…
Il sort.
Scène XIV
Grâce au ciel, la baronne n’a pas bougé !… (Appelant.) Alexandre !… Alexandre !… (Allant à la porte du fond.) Faudra-t-il que j’aille vous chercher, monsieur Alexandre ?
Entre Alexandre.
Vous me pardonnez, monsieur ?…
Je te pardonne parce que j’ai besoin de toi !… Tu te tiendras en bas, devant la porte, et si le baron de Gourdakirsch revient, de gré ou de force, tu l’empêcheras d’entrer.
Entre Gertrude.
Die Gnädige Frau ist fertig, mein Herr…
Gardefeu et Alexandre l’écoutent sans la comprendre. — Paraît la baronne.
Ah !… Donnez-vous la peine d’entrer, madame la baronne.
Entre la baronne.
Scène XV
Suis-je bien ainsi ?
Oh ! madame la baronne !… Alexandre…
Patron ?…
Conduisez mademoiselle dans le salon d’attente !…
Certainement, patron, je vais l’y conduire. (A part.) Et si les dieux sont justes…
Ne puis-je garder ma femme de chambre près de moi ?
Mais… sans doute…
Oh ! non, madame, vous ne le pouvez pas…
Oh ! non, madame, vous ne le pouvez pas !…
Les autres photographes permettraient peut-être, mais moi… vous comprenez ?…
Non, je ne comprends pas… mais ça ne fait rien… allez, Gertrude…
Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle, qu’on vous offre le bras pour faire le chemin.
Sie sind sehr gütig, mein Herr.
C’est exactement ce que j’allais vous dire…
Ils sortent.
Scène XVI
Et alors, monsieur Edgar ?…
Madame la baronne ?…
Ah ! je crois bien, madame, que j’opère moi-même !
Ce photographe est exalté !
Si vous le permettez, nous nous occuperons de la pose.
Très volontiers… Quelle pose choisirons-nous ?
La pose la plus naturelle à madame la baronne.
La plus naturelle ?…
Oui, madame.
Il me semble que debout, tenant à la main un livre… que je ne lirais pas…
Debout ?… et avec un livre ?…
Vous n’aimez pas ?…
Oh ! non… oh ! non…
Cherchons autre chose…
Voyons… voyons… la pose la plus naturelle… pas debout, d’abord… madame la baronne ne doit pas être debout…
Les Arabes ont un joli mot : ils disent qu’il vaut mieux être assis que debout… ils ajoutent même qu’il y a quelque chose qui vaut mieux…
Monsieur…
Mais il n’y a qu’un fauteuil, madame… asseyez-vous donc sur ce fauteuil, je vous en prie… (La baronne s’assied.) Abandonnez-vous, madame la baronne, ne craignez pas de vous abandonner un peu…
Est-ce bien ainsi ?
Ah !
Qu’avez-vous, monsieur ?…
Rien…
De plus en plus exalté, il me semble !…
Le bras, maintenant… Voulez-vous pas que nous nous occupions du bras et de la main ?
Il prend la main.
Mais, monsieur…
Je suis photographe, madame.
C’est vrai… je suis absurde !
Le coude un peu en dehors… Là, ne bougeons plus. Ah ! quelle main !… une personne qui a une aussi jolie main doit avoir un bien joli pied…
Monsieur Edgar !…
Il serait fâcheux qu’on ne vît pas ce pied…
Mais… quel moyen ?…
En risquant un pied… un seul, sur ce petit tabouret… Voulez-vous pas, madame, risquer, au moins, le bout de ce joli pied sur ce petit tabouret ?
Si vous le croyez bon…
Je le crois très bon…
C’est que… il m’a été dit que la photographie grossissait les objets que l’on mettait en avant…
Très vrai… très vrai… avec les appareils de mes confrères… mais pas avec les miens… Mes appareils, à moi rapetissent les objets…
Oh ! alors…
Elle avance un pied.
Merci, madame !
Vous avez quelque chose, décidément… Seriez-vous malade ?
Singulier photographe !…
Maintenant, nous arrivons au point délicat…
Comment ?…
La position de la tête.
Ah !
Regardez-moi, madame, regardez-moi… en mettant un peu la tête de trois quarts…
Comme ceci ?…
Oui… de façon à ce que, pour me regarder, la prunelle de madame la baronne soit obligée de glisser doucement… Là !… ne bougeons plus… regardez-moi, regardez-moi ainsi !… le plus tendrement… je veux dire le plus naturellement que vous pourrez !
Voyons, monsieur !… commençons-nous ?
Nous commençons, madame : seulement…
Il ferme le rideau d’une des deux fenêtres. — Le jour diminue sur la scène.
Mais, monsieur…
Vous faites de la photographie sans lumière !…
Vous allez comprendre, madame… Mes confrères font la chambre noire dans l’appareil ; moi, je fais la chambre noire autour de l’appareil… toute la différence est là !
Il ferme le second rideau de la même fenêtre.
Que faites-vous, monsieur ?…
Je fais la chambre noire. (La baronne, en se levant, a laissé glisser l’écharpe de dentelle qui lui enveloppait les épaules, et Gardefeu aperçoit les épaules). Ah ! madame ! madame !…
Oh ! cette fois, monsieur…
Pardonnez-moi… j’avoue que je n’ai pas été maître… que voulez-vous ? je ne suis pas un ange…
Non, cela est vrai, vous n’êtes pas un ange ; mais vous êtes un photographe, et il me semble que vous l’oubliez.
Vous avez raison, madame… À c’t’appareil, photographe !… tout de suite !… Qui es-tu, pour oser dire à une grande dame qu’elle est belle ?… un artiste, c’est-à-dire un de ces hommes qui ont une flamme bleue sur le front… Qu’est-ce que c’est que ça ?… On s’en fiche pas mal, de la flamme bleue que tu as sur le front… et de celle que tu as dans le cœur peut-être…
Ne faites pas attention, madame !…
Dès le commencement de cette séance, j’ai remarqué que vous étiez exalté.
Ah !
S’il vous plaît, nous remettrons à un autre jour…
Non, madame, vous êtes venue ici pour faire faire votre photographie : car je suis photographe, moi, vous me l’avez rappelé…
Je n’ai pas voulu vous offenser…
Est-ce qu’on peut nous offenser, nous autres ?… (Amèrement.) Un photographe, un photographe obscur… (Avec éclat.) Et à propos d’obscurité…
Vous dites ?…
Il y a encore trop de jour… Décidément, il y a encore trop de jour !
Il ferme, d’un seul coup, les deux rideaux de la seconde fenêtre complète obscurité sur la scène.
Monsieur, monsieur ! Mais il est fou !
Scène XVII
Monsieur, monsieur… c’est le baron !
Toujours le même ?…
Oui, monsieur, celui de Gourdakirsch.
Alexandre rouvre les rideaux d’une fenêtre.
Mon mari !…
Vous êtes perdue, madame la baronne.
Perdue… parce que je suis chez un photographe !
Lui, un photographe, jamais de la vie !
Je suis le vicomte Raoul de Gardefeu !
Monsieur de Gardefeu !
Le séducteur à la mode !
Mais vous avez raison… je suis perdue… mon mari est si violent !
La baronne se cache derrière les rideaux d’une fenêtre et Gardefeu roule le fond de paysage devant cette fenêtre.Cachez-vous, madame, cachez-vous. (A Alexandre). Pourquoi ne l’as-tu pas empêché d’entrer ?
Vous allez voir pourquoi !
Scène XVIII
Il entre rapidement, une énorme canne à la main.
Me voilà, moi !
Baron…
Allons… passage !…
Où voulez-vous aller ?
Derrière ce paysage, afin de voir la femme qui s’y cache.
Il n’y a pas de femme…
Il n’y a pas… Écoutez ?… Entendez-vous le frou frou de la soie… Ah ! ce bruit est bien doux dans de certaines circonstances… mais il y en a d’autres, n’est-ce pas, Fernand ?…
Edgar ou Fernand… vous me laisserez passer !
Eh bien, oui… c’est vrai… il y a là une femme…
Vous avouez ?…
Mais cette femme est chez un photographe… et, chez les photographes, les paravents, c’est sacré… Tout le monde vous dira ça !…
Je vous l’accorde.
Eh bien ?…
Mais si ce photographe… en est un autre ?…
Quoi ?…
Si vous êtes photographe, rien de plus facile pour vous que de faire mon portrait…
Sans doute !…
Eh bien !… vous allez voir à quel point je suis sûr de mon affaire… Si vous parvenez à faire mon portrait… je jure… entendez-vous bien… je jure, après le portrait fait, de m’en aller sans chercher à voir la femme qui est là.
Je le jure.
Alexandre !
Patron ?…
Nous allons faire le portrait de monsieur le baron.
Mais nous ne savons pas, monsieur !
L’honneur d’une femme, Alexandre !…
Je ne dis pas… mais…
Eh bien, ce portrait ?…
Nous allons le faire, Alexandre, nous allons le faire !
Oui, nous allons le faire…
Permettez-moi de vous poser.
Il l’oblige à tourner le dos.
Le dos tourné ?…
C’est plus original.
Jamais !…
Un homme de mon pays pose toujours de face.
Il brandit sa canne.
Eh bien, soit !… de face… mais ne bougeons plus, au moins !…
Soit !… (Le poussant, à part.) Si je pouvais voir !…
Ne bougeons plus.
Je ne bougerai plus, mais dépêchons-nous !
La plaque a été frottée, n’est-ce pas, Alexandre ?
Pour ça, oui !… nous n’avons fait que ça…
Alors préparons le bain.
Quel bain ?
Apporte la table, Alexandre… nous allons faire un petit mélange…
Avec quoi, monsieur ?
Avec ce qu’il y a dans ces fioles.
V’là ce que je craignais !
Nous y sommes !… Voyons, Alexandre…
Voilà, monsieur… Qu’est-ce que nous mettions ?
Mettons un peu de tout.
Une fois qu’on y est !…
Mettons de ça…
Et puis de ça…
Et puis de ça…
Et puis de ça…
Et puis de ça…
Oh ! le flacon de rhum… j’allais verser !…
Bah ! verse tout de même.
Alors, ça fera un petit punch !
Qu’est-ce que nous pourrions mettre encore ?
Voulez-vous de l’eau de Cologne ?
C’est le portrait de madame Gibou que vous allez faire là !…
Maintenant il faut glisser la plaque là dedans, et fourrer le tout dans l’appareil… (Il se prépare à rentrer sous le voile. — À Alexandre.) Dis donc, Alexandre ?…
Patron ?…
Ce qu’il y aurait de drôle… mais, là, de vraiment drôle, c’est que nous arrivions à le faire, le portrait !…
On ne sait pas !… il y a tout ce qu’il faut…
Ne bougeons plus.
Il disparaît sous le voile. — Moment de silence. Gardefeu s’agite sous le voile.
Eh bien, ce portrait ?…
Comment voulez-vous que je le fasse, votre portrait ? je n’y vois rien du tout !… Alexandre, donne-moi une bougie…
Voilà monsieur !…
Gardefeu rentre sous le voile avec la bougie : explosion de l’appareil. — Gourdakirsch est à moitié renversé, le paravent tombe, découvrant la baronne dont le visage est caché par l’écharpe de dentelle ; Gourdakirsch saute sur elle.
Bon !… cachez le visage… la main me suffira !… Ah ! ah ! madame, vous n’aviez pas deviné celle-là, que la main me suffirait !…
Je suis perdue !…
Monsieur, je ne sais comment vous dire… je vous demande mille fois pardon… cette main est bien jolie… mais je ne la connais pas, ce n’est pas celle de Métella… La main de Métella est, plus petite.
Ah bah !… il ne reconnaît pas…
Monsieur de Gardefeu, et vous surtout, madame, je vous prie encore une fois de recevoir mes excuses.
Vous saviez qui j’étais, monsieur ?…
Oui, monsieur, je le savais… et j’espère que j’aurai le plaisir de vous revoir… Madame la baronne de Gourdakirsch est chez elle, le soir, tous les mercredis… vous vous en souviendrez.
Oui. monsieur. (Appelant.) Alexandre !
Patron ?…
Accompagnez monsieur le baron de Gourdakirsch.
On y va…
Je vous laisse… (A part.) Courons chez Métella… Il faudrait être tout à fait bête pour avoir encore des soupçons.
Il sort.
Scène XIX
Cela est donc vrai que vous n’êtes pas photographe ?
Je ne le suis pas.
J’espère que vous n’oublierez pas ce que vous a dit mon mari… madame la baronne de Gourdakirsch est chez elle…
Le soir…
Tous les mercredis.
Elle se dirige vers la porte.