Le poison des pierreries/Préface

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F. Ferroud (p. I-III).

LETTRE-PRÉFACE

À Georges Rochegrosse.


Voici, mon cher ami, un conte allégorique auquel, toutes moites de lumière orientale, tes aquarelles ont donné la brûlante beauté dont je n’espérais point le vêtir.

C’est à ton art, à ton érudition, à ton amour passionné des races évanouies que j’ai dû d’oublier l’aversion que m’en avaient inspiré tout ensemble l’éducation du collège, — qui nous peint cet admirable cycle sous des aspects si maussades et des couleurs si ternes, — et l’art académique qui le fige dans une esthétique gardant elle aussi tout le rébarbatif d’une grammaire.

Nos romantiques suppliaient qu’on les délivrât des Grecs et des Romains ; tu as bien plutôt délivré ceux-ci du conventionnel dont on les affublait, et tu nous les as montrés tout frémissants de volupté dramatique, aussi proches de nos âmes que la plus intense modernité. Ainsi, lorsque, après des classes ennuyeuses, nous eûmes la curiosité de relire ces poètes d’Athènes et de Rome qu’on nous avait fait ânonner, nous les trouvâmes vivants et splendides, et nous comprîmes qu’on ne nous avait fait voir que leurs sépulcres.

Si donc ce texte rachète par quelque don de la vie son manquement au prestige suprême de l’art d’écrire, c’est à toi que l’éloge en devra faire retour. Et c’est à M. Ferroud que je devrai rendre grâce d’avoir donné, sinon à mon talent, du moins à ma vieille et profonde affection pour toi, l’occasion de s’affirmer solidaire de ta pensée et de ton art.

De mon ouvrage, il n’y a guère à dire. J’y ai mêlé, dans un décor ancien, la magie, la sensualité, l’amour et la mort. C’est un mélange sombre et éternel, un philtre plus puissant que ceux de la fée Athana, et c’est en lui que fume depuis toujours le vertige qui affole l’humanité. De ce conte l’agrément et la meilleure raison d’être seront donc, au gré du public, comme pour tant de ceux que tu as commentés, dans les rêves chatoyants que ton pinceau en fit fleurir. Ils en offriront tout le rehaut et tout le prix. Pour avoir uni nos deux noms et confié au burin si souple et si fidèle de l’excellent graveur Decisy le soin de transposer les créatures éclatantes que ta fantaisie anima, notre éditeur et ami méritera quelque rare offrande. Il est pourtant déjà riche, et cet amateur d’écrins n’a pas négligé, depuis des années, de te demander quelques belles parures grecques, carthaginoises, syriennes, telles que tu sais les choisir dans tes voyages aux pays du faste barbare, telles que tu aimes les ravir sur la chair balsamique des princesses d’autrefois. Pourtant tu as encore trouvé le moyen de l’étonner par une pierrerie nouvelle.

Imprégnée des fatals effluves du sein chaleureux d’Alilat, c’est, cette fois, une opale étrange et maléfique. Mais elle s’est purifiée au feu de l’abîme où la jeta le jeune Sparyanthis ; et comme, après des siècles de légende, tu l’as ressuscitée à la clarté de ton coloris, elle ne sera pas vénéneuse aux doigts de notre hôte, ni à ceux des amateurs qu’il convie à en admirer l’orient. Le poison s’est évaporé, la pierrerie seule demeure, sertie dans un filigrane de phrases qu’elle éclipse, et que j’eusse voulu digne d’un feu aussi pur. Mais tous ceux qui, depuis si longtemps, ont appris en cette maison à t’admirer et à s’émouvoir de tes trouvailles me diront, mon cher ami, qu’il n’était donné à personne d’égaler un joaillier pareil, et qu’il me devra suffire d’avoir été le docile ouvrier qui, dans un coin de l’atelier, rive et ajuste la monture au bijou choisi par le maître. Ainsi couvert, à l’ombre même de l’opinion qu’ils se firent de toi et forçant leur indulgence, je pourrai goûter sans remords le plaisir et la fierté de t’avoir été, une fois de plus, un cordial compagnon sur la route infinie des rêves.

Camille Mauclair.