Le premier Flirt de Loulou
Oui
24 janvier 1903
Bon pour représentation aux Mathurins
Le Premier flirt de Loulou
Loulou, 15 ans, robe frôlant terre, tablier à bavette, cheveux sur le dos, grande et gosse | Mlle | J. Magret |
Simone, cousine mariée depuis 2 ou 3 ans | Mlle | Marsay |
Diane, sœur de Loulou | Mlle | Marny |
M. de Folleuil | M. | Dieudonné |
Papa | M. | Mofière |
Scène 1e
(Elles sont dans le cabinet de Papa et prennent le thé en causant.)
Ainsi, tu n’as pas voulu nous aider ?…
J’ai pas voulu… J’ai pas voulu n’est pas l’mot… mais je n’vois pas beaucoup l’utilité d’arranger tous ces machins-là, moi !…
Mais c’est pour exposer les cadeaux que Diane a reçus…
Justement !… J’n’aime pas ces exhibitions-là !… J’trouve ça d’un goût détestable !…
Ah ! bah !
Oui… ça n’se fait qu’pour forcer les amis à y aller d’un fort cadeau !
Mais, Loulou…
Ah ! ma foi ! ça en a l’air, toujours !… Ainsi, l’cousin Cotoyant ?… Crois-tu qu’il aurait donné un clavecin comme celui qu’il a donné, si y n’y avait eu qu’nous pour le voir ?…
Le fait est qu’il est superbe !… La caisse est en citronnier… Elle est ancienne !…
Ben, c’est pas pour les beaux yeux d’Diane que l’cousin Cotoyant s’est fendu d’une vieille carcasse d’citronnier, vous pensez !… Il est bien trop rat !… Il a envoyé c’te bête d’instrument pour épater…
Ce bête d’instrument !… Comment, Loulou, tu n’aimes pas le clavecin ?…
Ah ! non !… J’le déteste !… Si tellement qu’y m’fait presque r’gretter l’piano… ainsi !… (Un temps. Elle se balance.) C’est égal, vous direz tout c’que vous voudrez, mais y m’semble qu’on pourrait s’marier sans faire tant d’histoires que ça !…
Quand ce sera toi qui te marieras, tu changeras d’avis…
Moi ?… Ben, j’vous promets bien qu’quand je m’marierai, je n’ferai pas d’fêtes, moi !
Pourquoi ?…
Pac’que je trouve pas ça réjouissant, de s’marier !… J’trouve même ça triste !
Pas moi !…
Toi, parbleu, toi !… tu t’maries parc’que tu crois qu’on s’marie pour s’amuser…
Mais pas du tout !…
Si, si !… Au fond c’est pour ça qu’on s’marie !… S’amuser ?… ah ! ouiche ! si vous appreniez comme moi c’que c’est qu’les devoirs conjugaux !…
Tu apprends ce que c’est les devoirs conjugaux ?… toi ?…
Un peu !…
Mais où ?… où apprends-tu ça ?…
Ben, dans l’cours de morale… J’vous réponds qu’c’est pas drôle, les d’voirs conjugaux !… Et encore !… Je n’sais même pas si on nous dit tout…
Moi qui suis mariée, je…
Par exemple, y a une chose qui m’console… C’est qu’c’est aussi embêtant pour le mari qu’pour la femme !
Mais le mari n’est pas absolument tout dans le mariage, il y a aussi les enfants…
Oui… y a aussi ça !…
Les enfants qui procurent tant de joies…
Des joies… des joies… pas tout l’temps, toujours !…
Qu’est-ce que tu en sais ?
Comment, c’que j’en sais !… Mais toi, y a deux mois, tu n’trouvais p’t’êtr’pas qu’ça procurait tant d’joies qu’ça, les enfants ?…
Il y a deux mois ?…
Oui… l’jour de la naissance de Bébé… (mouvement de Simone) quand j’ai été chez toi pour te dire que p’pa avait une loge pour « Le Marquis de Priola » et qu’on y allait l’soir…
Ah ! oui…
J’arrive avec Fraülein et j’demande si tu es là… Tout le monde avait l’air effaré… Nous montons, on entendait des cris qu’ça faisait frémir. J’demande c’que c’est, et l’domestique m’répond : — « C’est madame… y a sept heures qu’elle crie comme ça… » J’dis : — « Elle a donc sa névralgie ? ». Y m’fait signe que non… Alors, moi, j’demande c’qu’on t’a fait pour qu’tu pousses des cris pareils… car ça r’doublait… Fraülein était verte… Elle répétait : — « Was gibt’s ? Mein Gott ! Was gibt’s » — mais elle n’bougeait pas !… Tout à coup ton mari entre comme un fou… Il était vert aussi… j’lui r’demande c’qu’y a… y n’me répond rien… et nous restons comme ça…
C’est bon… c’est bon !…
Et tu criais toujours plus fort !… Moi, quand j’criais la moitié d’ça dans l’temps, on m’donnait l’fouet !… Enfin le docteur Cherdin arrive !… Ah ! il était pas vert, lui !… il était violet !… d’un beau violet !… Y r’ssemblait à une guigne… et y s’met à crier aussi : — « Allons venez !… C’t’un garçon ! » Alors ton mari dit : — « C’t’un garçon !… Tu diras à mon oncle et à ma tante que c’est un garçon !… » Et y gambadait dans l’salon… Moi, j’étais ahurie !… Fraülein riait bêtement !… Et toi, d’puis que tout l’monde criait, tu n’criais plus… (Simone rit.) C’t’égal !… Cinq minutes avant, tu en faisais une vie !… Aussi j’ai pensé…
Qu’est-ce que tu as pensé ?
Dame ! J’ai pensé : ah ! bien !… les enfants… Si c’est pas plus amusant à commencer qu’à finir…
(Simone hausse les épaules.)
Diane !… Nous avons oublié de placer la guitare !…
La guitare ?… Y a une guitare ?… ah ça ! Tout l’monde te donne donc des instruments d’musique ?… J’parie qu’c’est Gérard qui t’a envoyé ça ?
Oui.
J’en étais sûre !… C’est un cadeau bête et roucoulant comme lui… faut encore lui savoir gré de n’pas avoir choisi un mouton… ou bien des tourterelles… car il avait encore ça !…
Tu ne l’aimes pas, ce pauvre Gérard !…
Ah ! non !… plains-le !… plains-le un peu !… Y n’a pas besoin que j’l’aime, puisque tout l’monde l’adore !… Y a déjà encombrement !…
Enfin, qu’est-ce qu’il t’a fait, Gérard ?
À moi, rien du tout !… J’aime pas les p’tits jeunes gens à la pose !… V’là tout !…
Les petits jeunes gens ?… A-t-on vu, cette gamine ?… Mais Gérard a vingt-huit ans…
Ben, c’est pour ça qu’c’est un p’tit jeune homme !…
Ah !… Quel âge faut-il avoir pour être un homme ?
Quarante ans !…
Quarante ans !… Tu épouserais un homme de quarante ans, toi ?…
Épouser… Épouser… toujours épouser !… mais vous n’pensez donc qu’à ça !… Vous n’êtes vraiment pas sérieuses !…
Elle est renversante !…
D’ailleurs, oui, j’épouserais bien un homme d’quarante ans… Certainement !… Pourquoi pas ?…
M. de Folleuil, par exemple !…
C’est stupide, c’que tu dis-là… tu sais !…
Pourquoi ? Il a quarante ans, Mr de Folleuil… il a même mieux !… Papa a cinquante ans et il a dit l’autre jour que son ami Folleuil avait six ans de moins que lui…
Et puis après ?… Qu’est-ce que ça m’fait , tout ça ?… Tu m’embêtes à la fin !…
Qu’est-ce qu’elle a ?…
Elle trouve M. de Folleuil charmant !… Elle va toujours chez papa quand il est là… et elle ôte son tablier… et elle se lave les mains avec du savon horriblement parfumé, parce qu’il lui baise la main…
Cette pauvre Loulou !
Si vous croyez qu’c’est poli pour ces d’moiselles c’que vous faites là !… d’parler tout bas comme ça…
Loulou ! Sais-tu qui est un monsieur qui se promène souvent avec Mr de Folleuil ?
J’suis pas sa bonne, à m’sieu de Folleuil !… J’suis pas chargée d’l’garder !… ni d’savoir avec qui y’s’promène !…
Là !… Là !… ne te fâche pas !… Je rencontre ce monsieur tous les matins à bicyclette, au Bois…
Avec m’sieu de Folleuil ?…
Oui…
Et dire que j’peux pas sortir l’matin à cause d’mes leçons… Si c’est pas rageant !…
Et l’autre jour, en venant voir Diane, je l’ai croisé dans l’escalier… Il est grand… brun…
Brun ?… Jamais d’la vie !… Il a été blond… Et maintenant il est… (cherchant) flamme de punch !…
Qui ?
Ben, m’sieu d’Folleuil.
Scène 2e
Ah ! voilà Papa !…
Lui-même…
Bonjour, mon oncle…
Bonjour mes enfants… (Il les regarde avec inquiétude.) Vous allez rester dans mon cabinet ?…
Ça te gêne ?
Dame !…
C’pauv’papa !…
N’aie pas peur… nous nous en allons !…
C’est ça… Je ne vous retiens pas, mes petits enfants, j’ai à écrire… (à Loulou qui va pour sortir avec les autres) Reste,
Loulou, j’ai à te parler…
Scène 3e
Tu veux m’parler, P’pa ?
Oui, est-ce que tu as à travailler ?
… Turellement ! J’travaille tout l’temps, moi !…
Enfin… peux-tu laisser ton travail pendant une demi-heure à peu près ?…
Pourquoi ?
J’ai quelque chose à te donner à faire…
Quoi ?…
Des lettres à copier… Si toutefois tu as le temps…
Oui… oui… Je m’arrangerai… (à part) Si embêtantes qu’elles soient, les lettres, elles s’ront toujours moins sciantes qu’Fraülein et ses déclinaisons…
Voici… C’est au sujet de la ferme des Aulnaies… Tu me copieras ces trois lettres… J’en veux garder le double… Tu vois… il y en a une pour le père Pinson, le meunier…
Oui… oui… Je verrai bien !…
Attends donc !… En voici une autre pour mon avoué… et une troisième pour…
Mais oui… j’vois !… Donne vite, j’suis pressée !… (à part) Y croit toujours qu’y faut tout m’expliquer, p’pa !…
Tiens… mets toi là…
Mais non… J’vais les écrire là-bas… Fraülein m’attend… avec ses déclinaisons… (à part) J’aime mieux êtr’là-bas… Y s’rait tout l’temps sur mon dos, p’pa !…
Je suis fâché d’interrompre ta leçon d’allemand… mais je n’ai pas le temps de copier moi-même ces lettres… J’ai donné rendez-vous à Folleuil à deux heures et demie… Il est deux heures vingt-cinq et je ne suis pas habillé…
Y va v’nir ici, dis ?
Qui ?…
Ben, m’sieur d’Folleuil ?…
Oui… et je ne serai pas prêt !…
(Il disparaît derrière une portière.)
Ah ! y va venir ici !…
(Elle reste plantée au milieu de la scène.)
Quand tu auras copié les lettres, tu les rapporteras sur mon bureau…
J’reste là, moi !… (Elle tapote sa robe) J’vais ôter mon tablier !… (Elle ôte son tablier et se passe les mains sous le nez) Elles sentent plus guère bon !… (regardant la pendule) Deux heures trente-sept… Il est en r’tard d’sept minutes !…
(Elle essaie plusieurs poses « gracieuses » et finit par faire tomber une pile de livres posés sur le bureau.)
C’est toi, Folleuil ?…
Non, p’pa !…
Comment, tu es encore là, toi !…
Mais oui, p’pa !… J’copie tes lettres !…
Je croyais que tu allais les écrire dans ta chambre…
J’voulais !… mais y m’a semblé qu’tu aimais mieux qu’non…
Eh !… Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ?…
(On entend le timbre de la porte d’entrée)
Le v’là !… c’est lui !… (émue) C’est sûr, lui !
(Elle baisse le nez et a l’air d’écrire attentivement.)
Scène 4e
(Folleuil s’avance sans que Loulou paraisse s’apercevoir qu’il est là. À deux pas du bureau, il s’arrête en riant.)
Raté ! y voit qu’je l’vois !…
Mademoiselle Loulou… J’ai l’honneur de vous présenter mes très respectueux hommages…
C’est pour vous moquer d’moi que vous m’faites des phrases comme ça ?…
Mademoiselle, je ne me permettrais pas de…
Ah ! non !… ça vous gêne !… C’que ça m’est du reste équilatéral !…
Pardon, mademoiselle, vous disiez ?…
Oui, j’vois bien !… Vous faites celui qui n’comprend pas… pour m’donner une leçon, ça !… parce qu’je n’parle pas un langage pur… mais ça m’est égal aussi, vous savez !…
Ça se voit bien !…
Y s’aperçoit que j’suis vexée… J’dois avoir l’air bête comme tout !…
Je suis à toi dans cinq minutes !… Loulou va te tenir compagnie pendant que je m’habille !…
Mademoiselle Loulou, j’ignore quel méfait j’ai pu commettre, mais je vous supplie humblement de recevoir mes excuses…
(Il lui baise la main)
Ça sentait encore un peu !… y a pas à dire… Il est excellent, c’savon-là !…
(Elle écrit)
Comment !… Vous allez écrire…
Mais dame !…
C’est ça que vous appelez me tenir compagnie !…
…
Voulez-vous bien laisser vos paperasses, mademoiselle Loulou ?… Non… Vous ne voulez pas ?… Ah ! mais… Je vais le dire à papa, moi, vous savez ? (Loulou ne bouge pas) René !… Ta fille ne veut pas me parler… Elle écrit… Elle écrit tout le temps…
Loulou !… Sois donc polie… Cesse tes écritures ou va-t-en !…
M’en aller… ah ! mais non !…
(Elle se lève et vient s’asseoir en face de Folleuil d’un air résigné.)
Alors, mademoiselle Loulou, nous allons causer ?…
J’vous écoute !…
Moi qui allais vous demander de parler !… C’est gentil tout plein de vous entendre gazouiller… tandis que moi… je suis un vieux grinchu.
Oui… j’sais bien !…
Ah ! bien, à la bonne heure !… Vous êtes franche !…
Mais… je n’voulais pas dire… (à part) Je n’fais qu’des gaffes, moi !…
Travaillez-vous toujours beaucoup ?…
Tout l’temps !
Vous aimez beaucoup l’étude ?
Moi ?… ah ! non !… voyons ?… est-c’que j’ai la tête de quelqu’un qui aime l’étude ?… Mais j’la déteste, l’étude !… j’labourine !… C’est p’pa qui a imaginé de m’faire passer mes examens… et même mon bachot… Du diable si j’sais pourquoi, par exemple !…
Le bachot aussi ?… C’est une drôle d’idée !…
S’pas ?… Et encore, si p’pa était un savant, j’comprendrais ça… à la rigueur !… mais c’est pas ça du tout…
C’est vrai, René ?… Tu veux que Melle Loulou passe son baccalauréat ?…
Mais oui !… mais oui !… Il faut que la femme s’élève au-dessus du niveau…
Ben, moi !… J’vois pas du tout la nécessité d’ça !…
Ah ! ni moi, sapristi !…
Ah !… (compatissante) Vous n’devez pas savoir grand’chose non plus, vous ?
Mon Dieu, je ne suis certainement pas un puits de science, mais enfin !…
Folleuil !… Il sait tout, Folleuil !… Il a passé tous les examens qu’on peut passer !… Polytechnique… Ecole des Chartes… Conseil d’État… Il a fait son droit… son droit tout entier !… Il est docteur en droit !…
Ah ! bah !…
Il paraît que je n’en ai pas l’air ?…
Alors, v’s’avez eu une carrière quelconque… quand v’s’étiez jeune ?…
Non, mademoiselle !… J’ai passé ma jeunesse à voyager… J’ai fait des voyages… de très grands voyages…
Ah !… vous avez fait de très grands voyages !… (inquiète) Est-c’que vous les racontez ?
Non, soyez tranquille… Je ne raconte pas mes voyages… pas encore, du moins… Je les raconterai peut-être plus tard… Quand je serai… je ne dis pas précisément gaga… mais enfin un peu… un peu…
(Il cherche le mot.)
Un peu raplaplat…
Merci !… C’est bien ce que je voulais dire…
Ben non !… C’est pas c’que vous vouliez dire du tout !… J’vois bien que vous êtes fâché…
Fâché ?… Et pourquoi ?…
Pour raplaplat… J’ai cru qu’vous l’cherchiez d’bonne foi, moi, vot’mot !… (à part) Jamais j’ai été si moule !… Aussi y m’impressionne !… C’est plus fort que moi… Y m’impressionne normément…
Es-tu bientôt prêt, voyons !
Faitement !… c’est bien ça ! Y s’embête !… Y s’embête avec moi !…
Dans un instant, je me dépêche…
Y s’dépêche… C’est pas sûr !… J’l’voudrais, d’ailleurs… parc’que quand y s’dépêche, y démolit toujours quelqu’chose… et c’est plus long !…
Avez-vous le temps de lire un peu ?…
Faut bien !…
On vous fait lire surtout des auteurs sérieux ?…
Des auteurs qui s’prennent au sérieux, plutôt !… Oui…
Dans ce moment, qu’est-ce que vous lisez ?…
L’Emile.
Hein ?
Ça vous choque ?…
Non… mais…
Si, si… Je vois bien qu’ça vous choque…
C’est que moi, Melle Loulou, je suis… comme je vous l’ai dit déjà… un grinchu, et…
Pourquoi êtes-vous grincheux ?
Mais… je ne sais pas !…
C’est p’t’êtr’ parc’qu’vous avez un mauvais estomac, qu’vous l’êtes ?
Mademoiselle, si ça vous est égal, je préfère l’être sans motif…
… core une gaffe !… (haut) Enfin… vous trouvez drôle qu’on me fasse lire l’Emile, s’pas ?
Je ne trouve rien… Je ne sais pas élever les petites filles, moi !…
Pourquoi pas les mômes ?
Je suis un peu misanthrope…
Misanthrope ?… ah ! oui !… Molière et Louis XIV disaient comme ça !… qu’est-ce que c’est qu’un misanthrope ?…
C’est un homme…
Ecœuré !… v’là tout !… Pas besoin d’grands mots pour dire ça !…
…
Ça l’colle sous bande ! (haut) J’vous d’mande pardon… moi, j’dis c’que j’pense…
J’en suis convaincu, mademoiselle.
Parc’que j’suis une (appuyant) « petite fille » mal élevée.
Oh !!!
Oui… oui… Les gens polis disent que j’suis élevée à l’américaine… les autres disent que j’suis mal élevée, tout bonnement.
Mais je ne dis rien, moi !…
Non… Mais c’t’intérieurement… Vous n’pouvez pas n’pas trouver extraordinaire que j’vous parle comme ça… à vous… qu’tout l’monde cajole… qu’tout l’monde respecte…
Vous l’savez bien !… Toutes ces dames sont à genoux d’vant vous… Folleuil par ci… Folleuil par là… Y a pas d’partie sans Folleuil… pas d’plaisir sans Folleuil… Enfin, y a qu’Folleuil, quoi !…
Je suis vraiment radieux d’apprendre que toutes ces demoiselles sont à genoux devant moi… J’avoue ne pas m’en être aperçu…
J’ai pas dit « ces d’moiselles », j’ai dit ces « dames »… Non… Ces d’moiselles vous trouvent vieux, figurez-vous !…
Ça ne m’étonne pas !…
Je m’suis presque disputée avec elles à cause de ça, ainsi… Elles se sont moquées d’moi, parc’que j’disais qu’on pouvait très bien vous…
(Elle s’arrête court).Qu’on pouvait très bien me quoi ?…
… Pas vous… mais enfin quelqu’un… n’importe qui d’quarante ans.
Mademoiselle Loulou, votre discours manque de clarté… Je serais pourtant heureux de connaître vos petites idées sur… « n’importe qui de quarante ans ?… »
Ben, j’disais que… qu’un monsieur de c’t’âge-là… ça compte encore…
Ça compte même trop, hélas !…
Moi, j’trouve qu’c’est un âge très bien !…
Vous n’êtes pas romanesque, Melle Loulou !…
Quelles choses ?
Ben, des choses pratiques… positives… J’vois les amies d’Diane, s’pas ?… elles sont pas du tout comme moi… C’est des jeunes filles langoureuses, sentimentales… mystérieuses… J’sens bien qu’même si j’avais l’temps, j’pourrais pas être comme ça…
Enfin, vous avez quelquefois pensé à… aux… (à part) C’est compliqué comme tout de parler aux petites filles…
Aux quoi ?…
Aux… choses du cœur ?…
À l’amour, vous voulez dire ?
… Naturellement, j’y ai pensé !… D’abord, je l’vois dans mes livres… dans Racine, dans Paul et Virginie, dans Molière, même dans Corneille, qui est pourtant si embêtant !…
Eh bien ?…
Ben, j’trouve que, dans les livres, l’amour est pas assez simple… Il est compliqué, prétentieux… J’voudrais quelqu’chose d’bon enfant, d’gentil, d’caressant… et je n’trouve qu’des guirlandes, du fatal ou des gnangnan !… moi, y m’semble qu’l’amour n’doit pas être fait ni d’marivaudages, ni même de mots…
Ah !… et de quoi doit-il être fait ?…
J’sais pas au juste !… J’me l’demande… (On entend dans la pièce à côté un petit bruit sec puis la voix de papa).
Sacrr !… Il suffit d’être presse !…
Il a cassé sa bretelle ! Quelle veine !… faut qu’il en cherche une aut’paire… Qu’y l’accroche, c’est cinq minutes de gagné !…
Vous apprendrez ça plus tard, mademoiselle Loulou… Vous avez le temps !…
Oh ! ça, c’est vrai !… (pensive) C’t’égal !… Ça doit êtr’amusant d’être aimée… même si on n’en profite pas !…
Vous serez une petite femme très pratique… Vous avez de la tête…
Oui… J’ai assez de tête… (un temps)… J’aurais même, au besoin, du cœur !…
Scène 5e
Me voilà !…
Déjà !… Comment a-t-y fait ?…
Eh bien, tu mets le temps à t’habiller, toi !
Est-y malhonnête ! (haut) Comment, p’pa ?… TU as déjà changé d’bretelles ?…
Changé de bretelles ? Non… Pourquoi aurais-je changé ?…
Ah !… c’est que j’espér… (se reprenant) J’croyais qu’tu avais cassé ta bretelle… Ça avait fait un p’tit bruit… et on t’avait entendu jurer…
Ai-je juré ?… (à Folleuil) A-t-elle été sage, cette petite ?…
Melle Loulou a été charmante… comme toujours…
C’est qu’elle devient de plus en plus insupportable… Ça augmente…
C’est pas étonnant, puisque j’grandis !…
Laisse donc !… Elle est drôle comme tout et…
(Il mâchonne la fin de sa phrase en se tournant tout à fait vers papa)
Qu’est-c’qu’y dit ?… Qu’est-c’qu’y dit ?… que je serai la joie du XXe siècle !… Pourquoi dit-y ça ?…
Voyons, dépêchons-nous !… Nous seront ridiculement en retard !…
Voilà !… Voilà !… (Il pousse Folleuil dehors, et sort avec lui.)
Y m’a pas seul’ment fichu un coup d’œil en partant !!!