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Le rapport Despouy sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté

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Introduction


1. Nous vivons, à n’en pas douter, une des périodes les plus contrastées de l’histoire. Il y a, d’une part, ceux qui profitent avec avidité des éblouissants prodiges de l’évolution technologique, de la culture, de la révolution informatique, d’une ère spatiale riche en promesses, etc. De l’autre, un nombre considérable de personnes qui mènent une vie marquée par l’indigence, l’adversité et la marginalisation. Ainsi, tandis que le rythme du changement s’accélère pour une partie de l’humanité, l’autre connaît une existence statique, voire une régression. C’est de ce mouvement vers le bas que proviennent nos plus vives préoccupations. En effet, le plus grave tient non pas au fait que ceux qui avancent sont peu nombreux, ou qu’ils peuvent se raréfier de jour en jour, mais que beaucoup s’enfoncent, chaque jour plus nombreux et à un rythme qui donne le frisson.

2. Mais que savons-nous de cette population ? Quels sont ses effectifs, comment et où vit-elle ? Pourquoi cette armée d’exclus augmente-t-elle ? Assurément, ce qu’on sait d’eux représente peu de choses et ce qu’on a voulu en savoir encore moins. La preuve en est que cette couche de population n’est quasiment jamais incluse dans les statistiques : si elle l’est, il s’agit en général d’estimations globales, de pourcentages probables, régulièrement sous-évalués. Il semble que bon nombre de gouvernements aient tendance à faire étalage de la richesse, tout en se montrant extrêmement avares d’informations sur la pauvreté.

3. Or la réalité mondiale est implacable : elle montre que la misère ne connaît pas de frontières géographiques, qu’elle s’étend sur tous les continents et qu’elle est présente, quoique à des degrés divers, tant dans les pays industrialisés que dans ceux qui se trouvent sur la voie du développement. Pis encore, ce phénomène s’accentue et le nombre de pauvres ne cesse d’augmenter, dépassant largement 1 milliard de personnes. Selon certaines estimations, il atteindra rapidement 2 milliards. Cependant, quel que soit le mode de calcul retenu, il est certain que, sur les 5,7 milliards d'habitants que compte la planète, 1,5 milliard d’entre eux sont désespérément démunis et que ce nombre s’accroît d’au moins 25 millions par an. Si les tendances économiques et démographiques se maintiennent, le nombre de pauvres quadruplera, si l’on en croit l’UNICEF, en l’espace d'une vie.

4. Selon l’OMS, le fléau le plus meurtrier et le plus impitoyable et la principale cause de souffrances sur cette terre est la misère. On ne peut qu’être frappé de la façon dont s’agrandit le fossé entre les bien-portants et les pauvres, notamment dans le cas des plus démunis, non seulement suivant les régions et les pays, mais également à l’intérieur d’un même pays. En outre, la logique perverse qui contribue à cet engrenage de l’exclusion se manifeste même au sein des populations défavorisées, touchant tout particulièrement les enfants, les personnes âgées et des millions de femmes dont le principal handicap tient précisément à leur sexe.

5. Nous savons aujourd’hui que la misère fait un plus grand nombre de victimes que les horreurs de la guerre. Cependant, il serait utile de s’interroger sur l’ampleur de la misère provoquée par les guerres et, dans le même temps, sur le nombre de guerres qui résultent de la misère. Par ailleurs, nul n’ignore que les migrations intérieures et internationales constituent un des aspects les plus préoccupants de l’actualité et que la pauvreté, surtout sous ses formes les plus extrêmes, compte parmi les principales causes et circonstances aggravantes de ces migrations. Ceux qui ont été contraints à l’exil et qui ont eu la chance d’être accueillis dignement, tout en bénéficiant de la protection juridique du pays qui leur avait donné asile, savent fort bien que tel n’est pas vraiment le sort qui attend des personnes fuyant la pauvreté. Non que le spectre de la misère soit moins effrayant que celui d’une prison clandestine : mais la protection juridique d’une personne victime de persécutions politiques est une conquête de la sensibilité humaine, tandis que la misère ne bénéficie pas encore d’un régime similaire.

6. Au-delà de ce panorama à la fois poignant et inquiétant du contour apparent de ce que l’on pourrait appeler la carte mondiale de la misère, la présente étude vise à percer à jour la situation de ceux qui y vivent. À cette fin, la Rapporteur spécial a dû s’appuyer sur des personnes et des organisations qui ont, au fil du temps, tissé avec cette population des liens durables fondés sur la compréhension et la fraternité. L’objet d'une telle entreprise est de rendre compte, au travers de leur expérience, des véritables aspects de cet univers si particulier. Mais, outre la description des conditions de vie qui caractérisent la misère, l’approche méthodologique adoptée ici consiste à mettre en évidence les vices cachés, les préjugés et les stigmates qui nous empêchent de voir la réalité propre aux plus pauvres et, partant, l’extrême pauvreté d’une réalité qui engendre, alimente ou tolère un tel état de choses.

7. Du point de vue juridique, que représente la misère si ce n’est un véritable engrenage de précarités : piètres conditions de vie, habitat insalubre, absence de domicile fixe, omission fréquente des registres d’état civil, chômage, mauvaise santé, éducation insuffisante, marginalisation, impossibilité de participer à la vie civile et d’assumer des responsabilités, etc. ? La particularité de cet engrenage tient au fait que les carences — qu’il s'agisse de la faim, de la promiscuité, de la maladie ou de l’analphabétisme — s’additionnent et que chacune d'elles influe de manière négative sur les autres, créant ainsi un cercle vicieux horizontal de la misère.

8. Cet exemple suffit à montrer à quel point l’extrême pauvreté est révélatrice de l’indivisibilité et de l’interdépendance de l’ensemble des droits de l’homme. En outre, les témoignages auxquels le Rapporteur spécial a eu accès font ressortir comment la misère se transmet fréquemment de génération en génération, rendant une telle situation de plus en plus inextricable. Le cercle vicieux de la misère se manifeste ainsi également de façon verticale. Il s’agit par conséquent d’un engrenage infernal qui prive les personnes concernées de toute possibilité réelle et effective d’exercer leurs droits de l’homme et d’assumer des responsabilités.

9. La question est de savoir, en l’occurrence, s’il existe des similitudes entre la situation d’un esclave de l’époque coloniale, celle de quiconque a été jusqu’à récemment victime de l’apartheid et celle d’une personne qui vit aujourd'hui dans la misère. À cela, il convient de répondre, bien évidemment, par l’affirmative. Parmi les nombreuses similitudes, la plus manifeste tient à ce que, dans les trois cas, il s’agit de personnes spoliées de leurs droits de l’homme. Quant aux différences, qui sont également multiples, la première qui vient à l’esprit est que l’esclavage a été vivement contesté dès l’époque où il était pratiqué de façon institutionnelle. L’apartheid, pour sa part, a été rejeté et combattu par la quasi-totalité des mécanismes dont l’humanité s’était entre-temps dotée. Au contraire, la misère peut commodément perdurer dans l’indifférence générale, ou masquer derrière un voile opaque l’image abstraite de sa dimension plurielle.

10. Ignorées, installées dans des zones d’habitation isolées et éloignées, ou entassées dans les faubourgs des innombrables métropoles contemporaines, des millions de personnes mènent une existence dans laquelle chaque instant est une lutte féroce pour survivre. Ce combat quotidien, les gestes de solidarité fréquemment observés dans ce monde marqué par la précarité et la détresse, revêtent une telle signification qu’ils devraient nous aider à revaloriser la condition humaine. Pour y parvenir, établir un ordre de priorité et profiter d’une telle expérience, il est indispensable de modifier notre perception de la misère et, surtout, de ceux qui y vivent. La seule voie possible consiste à nous rapprocher de cette population en créant des liens durables de participation. Tant la théorie que la pratique enseignent que rien ne pourra être accompli en faveur des personnes se trouvant dans une situation d’extrême pauvreté si ce n’est en s’associant à celles-ci. C’est seulement dans la mesure où elles pourront exercer pleinement tous leurs droits que nous verrons apparaître dans sa plénitude l’être humain qui se cache aujourd'hui derrière le masque de la misère.

11. Il convient d’ajouter que le document élaboré lors du Sommet mondial pour le développement social de Copenhague, dont l’application incombe aux gouvernements, présente de manière lucide et courageuse des lignes directrices concrètes visant à relever efficacement les innombrables défis d’un monde en constante mutation. En témoignent, par exemple, les trois grands objectifs du Sommet, dont l’élimination de l’extrême pauvreté, considérée comme une nécessité impérieuse. Les liens entre les droits de l’homme et la pauvreté absolue, reconnus à Copenhague, cadrent avec l’orientation de la présente étude et servent de référence générale aux recommandations qui y sont formulées. Certaines de ces recommandations s’appliquent expressément à l’extrême pauvreté, tandis que d’autres touchent à la mise en œuvre des engagements du Sommet.

12. À l’échelon international, il s’avère urgent de s’employer résolument à harmoniser les activités des différents organes et institutions du système des Nations Unies, notamment celles de caractère économique, social et ayant trait aux droits de l’homme, qui influent directement ou indirectement sur la pauvreté. À cet égard, l’une des propositions figurant dans le présent rapport vise à asseoir à une même table ceux que, de manière figurée, l’on pourrait appeler les humanistes, agissant par le truchement des organes chargés de protéger la liberté et les droits de l’homme, et les personnes qui, dans l’intérêt collectif, ont pour tâche d’administrer la majeure partie des ressources disponibles dans le système (PNUD, Banque mondiale, FMI, etc.). L’idée est que l’humanisme et le réalisme des uns et des autres concourent à une vision globale des grands objectifs actuels et à une concertation sur des stratégies concrètes pour enrayer la progression de la pauvreté et de l’exclusion sociale, aux fins d’une élimination rapide de la misère. Bref, il s’agit de conjuguer les efforts en vue de donner corps à un principe élémentaire, consistant à faire en sorte que les riches et les pauvres, voyageant sur une même planète, cessent enfin de s’acheminer vers des directions opposées.


A. Origines de l’étude


13. Dans sa résolution 1990/15, la Commission des droits de l’homme a prié la Sous-Commission d’examiner plus à fond la question de l’extrême pauvreté et de l’exclusion sociale et de réaliser une étude spécifique sur ce thème. Deux années plus tard, dans sa résolution 1992/11, la Commission a demandé à la Sous-Commission d’établir sur cette question une étude qui porterait sur des aspects énumérés dans cette résolution. La même année, dans sa résolution 1992/27, la Sous-Commission a chargé M. Leandro Despouy de cette étude, intitulée "Les droits de l’homme et l’extrême pauvreté". La Commission des droits de l’homme et le Conseil économique et social ont approuvé cette nomination dans leurs résolutions 1993/13 et 1993/44 respectivement[1].


B. L’éradication de la misère : un des idéaux fondateurs du système des Nations Unies


14. Le présent rapport est la première étude sur l’extrême pauvreté entreprise par les Nations Unies sous l’angle des droits de l’homme. S’il met en relief un certain vide dans la littérature juridique contemporaine, cela ne signifie nullement que les liens entre la misère et les droits de l’homme aient été absents de la pensée des fondateurs de l’Organisation, ni même de celle de son prédécesseur, la Société des Nations. En effet, la Partie XIII du Traité de Versailles (1919), qui contenait la Constitution de l’Organisation internationale du Travail, disait qu’"une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale" et que le mécontentement qui est engendré pour un grand nombre de personnes par l’injustice, la misère et les privations met en danger la paix et l’harmonie universelles. Beaucoup plus tard, le 10 mai 1944, au moment où se discutaient les bases de la nouvelle réorganisation institutionnelle du monde, la Déclaration de Philadelphie a réaffirmé cette orientation de l’OIT en signalant que "la pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous".

15. Le 10 décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme établissait dans son préambule que "l’avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme". L’énoncé de cet idéal a été repris en des termes analogues dans les préambules des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme adoptés en 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui précisent en outre que "cet idéal ne peut être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits civils et politiques, aussi bien que de ses droits économiques sociaux et culturels, sont créées".

16. En 1969, la Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social affirmait que l’avancée dans ce domaine exige la pleine utilisation des ressources humaines, ce qui comporte, notamment, le fait d’assurer aux secteurs défavorisés ou marginaux de la population des chances égales de progrès social et économique.

C. Evolution récente de la perception du phénomène de l'extrême pauvreté au sein du système des Nations Unies

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17. Pendant longtemps, l'extrême pauvreté a été perçue comme un phénomène essentiellement économique, ce qui explique que, dans l'enceinte des Nations Unies, elle ait été étudiée surtout dans le contexte de la problématique économique et sociale. C'est ainsi que la Commission des droits de l'homme a évoqué ce thème en premier lieu sous le point de la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels. En ce sens, l'étude de M. Asbjørn Eide sur le droit à une alimentation suffisante en tant que droit de l'homme (Nations Unies, Droits de l'homme - Série d'études, No 1. et celle de M. Danilo Türk sur la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels E/CN.4/Sub.2/1992/16 (rapport final de l'étude).) ont signifié un énorme progrès dans l'explicitation des liens de ces derniers avec les droits civils et politiques, montrant ainsi le caractère indivisible et interdépendant des droits de l'homme. On se rappellera aussi qu'en 1987, le père Joseph Wresinski (Le père Joseph Wresinski est le fondateur du Mouvement international ATD quart monde. Né lui-même dans une famille pauvre, il a fondé le Mouvement dans les années 50, avec les familles qui vivaient dans un camp de sans-logis près de Paris.) avait, dans son intervention devant la Commission des droits de l'homme, demandé que la question de l'extrême pauvreté soit examinée comme une atteinte à l'ensemble des droits de l'homme. Ce n'est pourtant qu'au début de cette décennie que l'examen de la question de la pauvreté et de l'extrême pauvreté a acquis une véritable dynamique dans l'ensemble du système des Nations Unies, en particulier dans les organes chargés de la protection des droits de l'homme.

18. Pour sa part, l'Assemblée générale a adopté une série de résolutions concernant les droits de l'homme et l'extrême pauvreté dans lesquelles elle s'est félicitée de la décision de faire une étude spécifique et a déclaré en attendre les résultats. En 1992, dans sa résolution 47/196, elle a proclamé le 17 octobre Journée internationale pour l'élimination de la pauvreté. Moins de six mois plus tard, à la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, tenue à Vienne en 1993 Voir A/CONF.157/23., un consensus universel s'est dégagé pour considérer l'extrême pauvreté et l'exclusion sociale comme des atteintes à la dignité humaine, s'opposant à la jouissance pleine et effective des droits de l'homme, et pour préconiser l'adoption de mesures urgentes pour les éliminer. Lors du Sommet mondial pour le développement social, tenu à Copenhague en 1995 (Voir document A/CONF.166/9.), les Etats ont franchi un nouveau pas en s'engageant à mettre en place des politiques et des stratégies afin de réduire considérablement toutes les formes de pauvreté, d'atténuer les inégalités et d'éradiquer la pauvreté absolue. Finalement, dans sa résolution 48/183, l'Assemblée générale a proclamé l'année 1996 Année internationale pour l'élimination de la pauvreté, et, dans sa résolution 50/107, elle a proclamé la première Décennie des Nations Unies pour l'élimination de la pauvreté (1997-2006).

D. Objectif et mandat du Rapporteur spécial

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19. La présente étude, dont l'achèvement coïncide avec l'Année internationale pour l'élimination de la pauvreté, est l'aboutissement de réflexions préliminaires exposées dans les deux rapports intérimaires (E/CN.4/Sub.2/1994/19 et E/CN.4/Sub.2/1995/15.). Elle a pour finalité d'apporter une vision complète de l'extrême pauvreté sous l'angle des droits de l'homme, de favoriser une véritable prise de conscience de la gravité de ce phénomène, de contribuer à en donner une meilleure connaissance et ainsi à mener des actions plus appropriées pour l'éradiquer.

20. Selon les résolutions qui définissent son mandat, le Rapporteur spécial doit traiter essentiellement "des incidences de l'extrême pauvreté sur la jouissance et l'exercice de l'ensemble des droits de l'homme et des libertés fondamentales des personnes qui la subissent". A cette fin, la Commission et la Sous-Commission ont donné quelques directives méthodologiques au Rapporteur spécial pour l'accomplissement de sa tâche. En premier lieu, le Rapporteur spécial doit :

  • Tirer profit de l'expérience et de la pensée des plus pauvres et des personnes engagées à leur côté pour une meilleure connaissance de l'extrême pauvreté;
  • Mettre en évidence les efforts des personnes très pauvres pour pouvoir exercer leurs droits et participer pleinement au développement de la société où elles vivent;
  • Faire ressortir les conditions permettant à ces personnes de devenir partenaires dans la réalisation des droits de l'homme.

21. Etant donné l'importance des liens familiaux comme élément de cohésion sociale, le Rapporteur spécial a aussi été prié, lors de l'Année internationale de la famille en 1994, de prêter attention au rôle de celle-ci comme soutien des personnes dans leur lutte pour faire face à la misère. Enfin dans sa résolution 1995/16, la Commission des droits de l'homme l'a invité à continuer d'accorder l'attention voulue à la déclaration et au programme d'action qui seraient adoptés par le Sommet mondial pour le développement social, intégrant ainsi la présente étude dans les stratégies et les efforts de l'ensemble des organes et institutions du système des Nations Unies pour éliminer la pauvreté.

22. En s'appuyant sur ces recommandations, le Rapporteur spécial vise à proposer ici un nouvel outil de connaissance et d'analyse sur l'extrême pauvreté. Il espère ainsi contribuer à ce que soient engagées des actions - aux niveaux local, national et international - plus adaptées et donc plus efficaces, et dont le fil rouge serait le respect de l'ensemble des droits de l'homme, consacrés dans les instruments internationaux s'y référant.

E. Sources et informations reçues

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23. Pour s'acquitter du mandat qui lui a été confié, le Rapporteur spécial a cherché, depuis 1992, à recueillir des informations sur la base d'un questionnaire adressé aux Etats, aux organisations intergouvernementales et aux organisations non gouvernementales et en particulier celles qui ont des membres qui travaillent depuis longtemps sur le terrain avec des personnes vivant dans l'extrême pauvreté.

24. Il tient à remercier les gouvernements pour les nombreuses réponses qu'il a reçues et qui ont été pour lui un encouragement en raison de l'intérêt qu'elles manifestent pour cette étude. Il remercie les organisations intergouvernementales dont beaucoup ont consacré au cours de ces dernières années d'importants efforts à la connaissance, l'analyse et la mise en oeuvre de programmes de lutte contre la pauvreté. Il adresse ses remerciements également aux organisations non gouvernementales, et particulièrement à celles qui travaillent depuis longtemps dans les lieux de misère et sans lesquelles cette étude n'aurait pas été possible.

25. Enfin, il dédie l'étude aux personnes qui font face quotidiennement à la misère dans le monde. Elles lui ont permis d'acquérir et transmettre une nouvelle connaissance, et de comprendre que l'enjeu de leur combat acharné et sans trêve contre la misère est le respect de la dignité humaine : la leur, mais aussi celle de tous les hommes, y compris de ceux qui l'ignorent ou la tolèrent.

F. Méthodologie

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26. La méthodologie adoptée suit les directives rappelées précédemment. L'extrême pauvreté étant un sujet mal connu et difficile à cerner par des méthodes habituelles, notamment en raison de la difficulté d'atteindre les personnes vivant dans la misère, le Rapporteur spécial a non seulement étudié les réponses aux questionnaires précédemment mentionnés et les principaux ouvrages sur la question, mais il a aussi : a) suivi de près l'expérience des organisations non gouvernementales engagées durablement sur le terrain; b) participé à des rencontres, à des universités populaires Sous ce terme, le Rapporteur spécial évoque, dans tout son rapport, les Universités populaires - quart monde, qui rassemblent des personnes très pauvres et d'autres citoyens, pour l'apprentissage d'un dialogue. La compétence de l'enseignement des très pauvres y est reconnue et s'enrichit des savoirs et expériences des autres citoyens, grâce à un travail préparatoire de réflexion, d'analyse du vécu et de formation à la prise de parole., à des séminaires, etc., avec des personnes venant de lieux de misère; c) utilisé des monographies retraçant sur plusieurs générations la vie de familles extrêmement pauvres.

G. Terminologie

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27. Plusieurs expressions sont utilisées pour identifier l'extrême pauvreté. On a déjà vu dans le précédent rapport que des termes comme "pauvreté absolue", "pauvreté extrême", "pauvreté critique", "pauvreté aiguë", "indigence", "grande pauvreté" ou "misère" étaient également utilisés comme termes à peu près équivalents. Le Rapporteur spécial a par ailleurs rencontré le terme "quart monde" qui est utilisé dans plusieurs documents auxquels il fait référence plus loin Ce terme "quart monde" a été créé par le père Joseph Wresinski dans le but de donner une identité sociale positive aux personnes vivant dans l'extrême pauvreté dans le monde..

28. Quelle que soit la terminologie utilisée, toutes les études traitant du sujet distinguent une catégorie extrême à l'intérieur de la pauvreté. Ainsi, la Déclaration et le Programme d'action de Copenhague font une distinction entre la "pauvreté" ou "pauvreté générale" et la "pauvreté absolue" ou "extrême pauvreté". Au sein des organes des droits de l'homme des Nations Unies, la distinction la plus couramment adoptée est celle de pauvreté/extrême pauvreté. C'est pourquoi le Rapporteur spécial maintient, quant à lui, son option pour la terminologie employée dans la résolution établissant son mandat, à savoir : "extrême pauvreté".

29. Cette unification de la terminologie n'a d'autre finalité que de faciliter l'identification d'un phénomène qui a fait l'objet d'approches très diverses. Cela ne supprime nullement la nécessité d'établir des critères juridiques pour définir l'extrême pauvreté dans la perspective des droits de l'homme, conformément à l'objet de cette étude.

H. Plan d'exposition

30. Après cette partie introductive, l'ampleur et la gravité du fléau de la misère, ainsi que les insuffisances des statistiques et des indicateurs, seront examinées dans le chapitre I. Dans le chapitre II, les activités des principaux organes du système des Nations Unies dans ce domaine et le passionnant débat qu'a ouvert la recherche des nouveaux paradigmes du développement seront abordés. Vu l'importance de la matière sur ce sujet, une partie de ces activités sera traitée en annexe (voir annexe II). Dans le chapitre III, une approche juridique de l'incidence de l'extrême pauvreté sur l'ensemble des droits de l'homme sera menée, et quelques critères juridiques pour une définition de celle-ci seront dégagés. Dans le chapitre IV, les préjugés et les discriminations dont sont victimes les personnes très pauvres seront évoqués, ainsi que des pistes pour atteindre cette population méconnue. Pour finir, seront formulées quelques recommandations.

31. En raison des difficultés financières que traverse l'Organisation des Nations Unies et des restrictions imposées à la longueur des rapports, certains sujets qui ont été développés dans les précédents rapports intérimaires, comme par exemple celui des travaux des organisations internationales, feront en grande partie l'objet de renvois à ceux-ci afin de privilégier les sujets qui sont spécifiques à cette étude.

I. LE FLEAU DE LA MISERE

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A. Gravité, ampleur et aggravation du phénomène de la misère

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1. Gravité du phénomène

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32. Dans son remarquable Rapport sur la santé dans le monde, 1995 : Réduire les écarts, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) donne une image saisissante de l'ampleur et de la gravité de l'extrême pauvreté dans le monde. Dans la dernière édition de la Classification internationale des maladies qui passe en revue de A à Z toutes les affections connues de la science médicale, la tueuse la plus impitoyable et la plus efficace, qui est aussi la principale cause de souffrances sur cette terre, est classée par l'OMS sous le code Z 59.5 : il s'agit de la pauvreté extrême. Dans son rapport, l'OMS déclare aussi que la pauvreté est la principale raison pour laquelle les nourrissons ne sont pas vaccinés, les populations ne disposent pas d'eau saine ni d'un assainissement adéquat, les médicaments curatifs et autres traitements adéquats sont introuvables et les mères meurent en couches. C'est la principale cause d'une faible espérance de vie à la naissance, des handicaps et incapacités dues à la famine. C'est aussi l'une des grandes responsables des maladies mentales, du stress, des suicides, de la désintégration des familles et des toxicomanies. La pauvreté exerce son influence néfaste à tous les stades de la vie humaine, de la conception à la tombe, poursuit ce rapport. Elle conspire avec les maladies les plus meurtrières et les plus douloureuses pour rendre misérable l'existence de tous ceux qui en souffrent.

33. Déjà dans son étude sur le droit à une alimentation suffisante en tant que droit de l'homme Nations Unies, Droits de l'homme - Série d'études, No 1. en 1989, M. Asbjørn Eide signalait : peu importe la méthode employée pour quantifier ou décrire la situation, les faits sont atterrants : plus d'un milliard de personnes souffrent chroniquement de la faim. Aucune autre catastrophe n'a causé autant de ravages que la faim, qui a fait au cours des deux dernières années plus de morts que la première et la seconde guerre mondiale réunies.

34. Dans son étude sur les droits de l'homme et l'invalidité (Nations Unies, Droits de l'homme - Série d'études, No 6.), l'auteur du présent rapport cite, parmi les principales causes directes d'invalidité, la malnutrition et la misère, qui constituent en outre des facteurs aggravant celle-ci. De son côté, l'UNICEF a signalé à plusieurs reprises que l'extrême pauvreté se traduit, dans beaucoup de pays, par un taux de mortalité infantile élevé, des incapacités et l'analphabétisme et, dans son rapport annuel de 1995, elle affirme que les maladies et la malnutrition continuent à prélever 35 000 vies d'enfants tous les jours.

35. Selon le Comité de la science et de la technique au service du développement, l'extrême pauvreté est étroitement liée à d'autres aspects préoccupants de la condition humaine (Pour le Comité de la science et de la technique au service du développement, il existe aussi un décalage entre l'humanité et la nature, qui est à l'origine de problèmes écologiques de plus en plus sérieux, dont certains affectent des régions très éloignées des pays où ils prennent naissance. Là encore, la question des besoins essentiels se pose puisque certaines dégradations écologiques les plus marquées s'observent dans les régions en proie à une extrême pauvreté. Voir aussi à ce sujet les paragraphes concernant le Programme des Nations Unies pour l'environnement dans l'annexe II du présent rapport ainsi que le rapport final de Mme Fatma Zohra Ksentini sur les droits de l'homme et l'environnement (E/CN.4/Sub.2/1994/9).). L'un d'eux est le fait que la majorité des populations très pauvres du monde sont soit des femmes, soit des enfants, soit des personnes âgées qui dépendent normalement de soins dispensés par les femmes.

36. Le Programme d'action de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, tenue à Beijing en 1995 A/CONF.177/20., signale que si la pauvreté touche les ménages dans leur ensemble, du fait de la répartition des tâches et des responsabilités entre les sexes, ce sont les femmes qui portent le fardeau le plus lourd et doivent gérer la consommation et la production des ménages dans une situation de pénurie de plus en plus aiguë. Les femmes des zones rurales sont celles pour qui la situation est la plus difficile.

37. Un problème particulier dont la pauvreté et l'urbanisation sont les causes principales est celui des enfants des rues. Selon l'OMS, un grand nombre de ces enfants n'ont pas encore l'âge nubile légal, n'ont ni parents, ni tuteur, ne connaissent aucun adulte en qui ils aient confiance et qui puisse les accompagner chez un médecin et ne disposent pas de l'information nécessaire. Garçons et filles sont très vulnérables à l'abus des drogues, à la prostitution et à toutes les formes d'exploitation criminelle et, dans certaines régions, ils risquent même d'être exécutés par des commandos de la mort. En raison de ces conditions de vie très pénibles et sans espoir, à Rio de Janeiro au Brésil, 55 % des enfants des rues ont admis qu'ils avaient cherché à se suicider. Selon de récentes estimations, le nombre des enfants des rues atteindrait 100 millions dans le monde. Il pourrait y en avoir 40 millions en Amérique latine, 25 millions en Asie et 10 millions en Afrique, et encore 25 millions ailleurs, y compris dans le monde développé.

38. La Banque mondiale, dans son Rapport annuel - 1995, fait également état de cette situation dramatique des enfants. "Chaque année, 3 millions d'enfants des pays en développement meurent faute d'eau salubre; 12 millions meurent d'autres causes avant leur cinquième anniversaire; et 130 millions n'ont pas accès à l'école primaire. Plus de 1 million d'enfants sont aveugles par manque de vitamine A, et 50 millions souffrent d'infirmités graves, mentales et physiques, par manque d'iode. Dans les pays à faible revenu, plus de la moitié des jeunes enfants sont anémiques et ainsi s'enclenche le cercle vicieux de la pauvreté : les mères mal nourries mettent au monde des nouveau-nés d'un poids insuffisant, qui courent le plus grand risque de devenir la prochaine génération de pauvres."

2. Ampleur et aggravation du phénomène

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39. Fait révélateur d'une prise de conscience croissante de l'aggravation du phénomène de la pauvreté dans le monde, l'Assemblée générale, dans ses résolutions successives intitulées "Droits de l'homme et extrême pauvreté" (Voir annexe I.), s'est déclarée, dans les mêmes termes que la Commission des droits de l'homme, "profondément préoccupée par le fait que l'extrême pauvreté continue de s'étendre dans tous les pays du monde, quelle que soit leur situation économique, sociale et culturelle, et qu'elle a des effets graves sur les individus, les familles et les groupes les plus vulnérables et les plus désavantagés, compromettant l'exercice de leurs droits et de leurs libertés fondamentales".

40. Au-delà de la différence de degré de développement des pays, l'OMS constate qu'il existe un phénomène commun à tous les pays : l'aggravation de la pauvreté des groupes et communautés défavorisés, notamment dans les bas quartiers des grandes villes, que ce soit dans les pays développés ou dans les pays en développement. Il existe un fossé non seulement entre les riches et les pauvres, mais également entre les pauvres et les plus pauvres de tous, non seulement entre les régions et les pays, mais aussi entre les populations d'un même pays. Une sous-classe défavorisée existe dans chaque pays, mais aussi dans chaque ville.

41. Le Département du développement économique et social, dans son Rapport sur la situation sociale dans le monde - 1993 (ST/ESA/235-E/1993/50/Rev.1.), signale qu'au cours des 10 dernières années, la pauvreté s'est aggravée en Afrique et en Amérique latine aussi bien en chiffres absolus qu'en termes relatifs. En Amérique latine, les progrès que les années d'expansion rapide avaient permis d'accomplir dans la lutte contre la pauvreté, pendant les années 70, ont été réduits à néant pendant les années 80. Au début de la décennie, on estimait qu'il y avait dans la région 35 % des ménages qui vivaient dans la pauvreté, contre 40 % en 1970; à la fin de la décennie, c'est-à-dire en 1989, 37 % des ménages et 44 % de la population totale vivaient dans la misère.

42. L'urbanisation galopante et non planifiée est autant la cause que l'effet de l'aggravation de la pauvreté : "A mesure que le monde s'urbanise, la pauvreté s'urbanise elle aussi. Déjà aux Etats-Unis, en Europe, en Amérique latine, la ville est devenue un haut lieu d'une pauvreté extrême. Dans les pays en développement, elle permet de moins en moins d'échapper à la misère, surtout en l'absence de services sociaux. Elle devient même le lieu d'une pauvreté spécifique, où les plus faibles sont plus vulnérables encore que partout ailleurs, victimes toutes désignées de la prostitution, de la criminalité organisée ou non, de la violence, y compris celle des forces de sécurité. Enfants dans la rue, enfants esclaves vendus au plus offrant, femmes seules surchargées d'enfants, vieillards sans ressources vivent souvent plus mal aujourd'hui dans ces immenses villes et bidonvilles que dans les campagnes dont ils ont fui la misère. En 1980, seulement un tiers des habitants des pays en développement étaient urbanisés. Aujourd'hui, la moitié de la population mondiale vit déjà dans les villes" (Revue française "Les enfants du monde", No 128, 1996.).

43. Le Rapport sur la situation sociale dans le monde - 1993 indique qu'en Amérique latine, la pauvreté s'est aggravée surtout dans les régions urbaines. En 1986, il y avait plus de pauvres en milieu urbain (94 millions) qu'en milieu rural (76 millions). A de rares exceptions près, la population des ménages pauvres en milieu rural est restée stable ou a diminué, en dépit de la morosité de l'activité économique. Néanmoins, c'est dans les campagnes que continuaient de vivre la grande majorité des ménages extrêmement misérables, dont les revenus étaient insuffisants pour se procurer ne serait-ce que le panier alimentaire minimum.

44. La pauvreté qui, toujours selon le même rapport, avait été virtuellement éliminée dans les pays à économie planifiée pendant la période d'industrialisation rapide de l'après-guerre, y est réapparue à la fin des années 90. L'on estime qu'environ la moitié des pauvres des pays développés vivent en Europe orientale et dans l'ancienne Union soviétique. Même s'il est difficile de définir les seuils de pauvreté sans ambiguïté, chacun s'accorde à reconnaître que le nombre de personnes qui vivent dans la pauvreté a augmenté dans tous les pays de cette région au cours des 20 dernières années. Les études de la Banque mondiale, de l'Office des statistiques de l'Union européenne et quelques autres convergent dans leurs conclusions sur cette question. Cependant, "le risque de tomber dans la misère était plus élevé, dans l'ancienne Union soviétique, pour les familles nombreuses, et par conséquent pour les enfants, pour les ménages dirigés par des femmes et pour les familles n'ayant qu'un seul gagne-pain".

45. Pendant les années 80, la composition sociale des groupes vivant dans la misère dans cette région s'est beaucoup modifiée. Ce sont les travailleurs qui se sont le plus appauvris. Le niveau de vie des citadins, par ailleurs, s'est dégradé plus que celui des agriculteurs. Vers la fin des années 80, les sans-abri et les mendiants - groupes sociaux qui avaient disparu sous le socialisme - ont peu à peu refait leur apparition dans le paysage urbain de nombre de pays de l'Est et de l'ancienne Union soviétique.

46. Par ailleurs, il ne faut pas négliger l'expansion du phénomène dans les pays industrialisés. La prise de conscience de l'aggravation du phénomène a été exprimée récemment, en 1995, par le Conseil de l'Europe, qui parle d'un "problème dont l'importance s'accroît rapidement"; le Conseil signale qu'il "ne manque pas aujourd'hui de signes qui montrent que la pauvreté et l'exclusion sociale posent de plus en plus de problèmes à tous les pays d'Europe" (Conseil de l'Europe, Programme intergouvernemental d'activités pour 1995, Activité II.1b, Dignité humaine et exclusion sociale, p. 77.). Un rapport récent de la Commission des affaires sociales et de l'emploi du Parlement européen nous rappelle que "l'Europe de 1995 ne sait plus où cacher ses pauvres. Ce phénomène paradoxal dans une des régions les plus prospères de notre planète affecte plus de 52 millions de personnes. Une personne sur sept pratiquement est menacée par la pauvreté et par l'exclusion sociale dans l'ensemble de l'Europe". Le rapport souligne qu'il s'agit de chiffres certainement sous-estimés.

47. Face à l'ampleur d'un fléau qui atteint aussi gravement des millions de personnes dans toutes les régions du monde, le Rapporteur spécial fait sien le point de vue de l'UNICEF qui, dans son remarquable Rapport sur la situation des enfants dans le monde - 1993, estime qu'"aucune des grandes causes jugées prioritaires aujourd'hui - telles que le ralentissement de la croissance démographique, l'égalité des femmes et des hommes, un développement écologiquement viable ou la démocratie en politique - n'obtiendra le succès que si les besoins les plus fondamentaux du quart oublié de la population mondiale restent insatisfaits."

B. Statistiques et méthodes permettant de mesurer la pauvreté

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48. L'étendue de la pauvreté et l'accélération du phénomène, surtout à partir des années 80, sur lesquelles s'accordent les principaux organismes internationaux, constituent une évidence qui suscite bien des inquiétudes. Ces organismes, toutefois, n'utilisent pas tous les mêmes méthodes d'évaluation et n'aboutissent pas aux mêmes conclusions quant à l'ampleur du phénomène. Les chiffres, en effet, peuvent varier selon la méthode utilisée (indicateurs), les efforts déployés pour arriver jusqu'à la population étudiée, les moyens techniques mis en oeuvre et, bien évidemment, l'intention dans laquelle les données sont compilées.

1. Méthodes de mesure de la pauvreté

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49. Certaines méthodes, extrêmement réductrices, prennent le montant des revenus comme unique paramètre pour mesurer la pauvreté et l'extrême pauvreté tandis que d'autres, beaucoup plus sophistiquées, font appel à une multitude d'indicateurs. Comme on peut le supposer, les chiffres ainsi obtenus à l'aide de formules aussi variées ne peuvent que différer. Ainsi, si l'on exclut des statistiques sur la pauvreté, les personnes qui gagnent plus d'un dollar par jour mais sont sans abri et non scolarisées, le nombre de pauvres recensés sera bien moins élevé que si l'on inclut également celles qui sont sans abri et ne sont pas scolarisées. Il est incontestable que, dans ce domaine, même aujourd'hui, on ne peut compter sur des statistiques précises et moins encore fiables car, comme le reconnaissent la plupart des organismes et des instituts qui s'occupent de cette question à l'échelle internationale, les instruments quantitatifs les plus usuels tendent à sous-estimer l'ampleur des phénomènes qu'ils prétendent mesurer (Ezcurra, Ana Maria. La Banque mondiale. "Políticas para el problema de la probreza en el Sur" (à paraître prochainement).).

50. En 1985, la Banque mondiale a fixé la "ligne de pauvreté" à 370 dollars par an et par habitant et la "ligne de pauvreté extrême" à 275 dollars par an. A partir de ces chiffres, elle a calculé qu'il y avait, cette année-là, dans le "monde en développement", 1 milliard 115 millions environ de pauvres dont 630 millions d'indigents. Cette estimation présente la particularité d'avoir été prise comme référence par divers organes et organismes des Nations Unies, parfois de façon confuse, sans préciser laquelle de ces deux catégories de pauvres était considérée, parfois encore de manière critique, la ligne d'indigence étant assimilée à la ligne de pauvreté, partant du principe qu'un dollar par jour constituait un seuil extraordinairement bas pour mesurer l'indigence. Peu après, la banque elle-même a modifié ces chiffres (Selon les statistiques de la Banque mondiale, en 1985, la pauvreté touchait 19 % de la population en Amérique latine et dans les Caraïbes. Dans un document ultérieur, la Banque a modifié ce chiffre, estimant que pour l'Amérique latine, il était de 22,4 % en 1985 et de 25,2 % en 1993.) et, en 1993, a fixé pour l'Amérique latine à 2 dollars par jour la "ligne de pauvreté" et à un dollar celle de la pauvreté extrême (Julio Boltviink, ancien directeur du Programme régional du PNUD pour l'élimination de la pauvreté, a, en 1994, appliqué cette "ligne de pauvreté" de deux dollars au Mexique. Sur la base de cette donnée empirique, sa conclusion a été que cette ligne ne pouvait s'interpréter que comme une ligne de dénutrition au-dessous de laquelle il y aurait dénutrition calorique (aucun des autres besoins n'étant satisfait). En d'autres termes, cette ligne permettrait, non pas de circonscrire l'univers de la pauvreté, comme on le prétend, mais d'identifier la population dont la survie physique est menacée. C'est pourquoi, de l'avis de l'auteur, un chiffre inférieur (à un dollar) n'a aucune signification car les personnes qui se trouveraient à ce niveau de revenu, seraient techniquement mortes.).

51. Dans ses précédents rapports intérimaires, le Rapporteur spécial a eu l'occasion d'examiner en détail les méthodes les plus couramment utilisées dans les différentes régions géographiques (Voir E/CN.4/Sub.2/1994/19.). Ce qui est nouveau à présent, c'est une certaine tendance à utiliser simultanément plusieurs indicateurs classiques pour obtenir une plus grande fiabilité dans les statistiques. Par exemple, en Amérique latine et dans les Caraïbes, où l'on emploie traditionnellement la méthode du "seuil" ou de "la ligne de pauvreté", on utilise depuis peu, à titre complémentaire, la méthode des besoins essentiels non satisfaits. Les résultats en ce qui concerne l'écart entre les pourcentages sont réellement surprenants : alors que la Banque mondiale arrive pour toute la région à un taux de 25 % pour 1990, la CEPALC obtient, en se fondant sur la ligne de pauvreté, un taux de 45,9 % en 1992. De son côté, le Programme régional pour l'élimination de la pauvreté (PNUD), appliquant la méthode dite de "la mesure intégrée de la pauvreté", parvient à un taux de 61,8 %, soit un chiffre supérieur de 36,6 % aux estimations de la Banque mondiale. Ces résultats reflètent les disparités énormes que peuvent engendrer les différentes variantes méthodologiques pour la mesure de la pauvreté.

52. Il est intéressant de voir également ce qui se pratique dans d'autres organes de l'ONU. Une distinction est faite, dans le rapport sur la situation sociale dans le monde, entre les personnes qui sont pauvres et celles qui sont très pauvres. Une personne peut être considérée comme pauvre "lorsque la somme de ses revenus - provenant de la terre, de son capital ou de son travail - ne lui permet pas d'avoir un régime nutritionnellement adéquat et de satisfaire ses besoins essentiels non alimentaires".

53. Ainsi, la Commission de la science et de la technique au service du développement a créé en 1993 un groupe d'étude qui s'est donné pour tâche d'examiner le rôle de la technologie dans la satisfaction des besoins essentiels et de réfléchir aux nouvelles démarches scientifiques pouvant venir en aide sur ce plan aux populations à faible revenu. Le groupe d'étude a défini les besoins essentiels comme étant les éléments minimaux nécessaires pour entretenir la vie chez tous les humains sans exception, c'est-à-dire une alimentation suffisante et appropriée, des soins de santé et des services de distribution d'eau et d'assainissement, mais aussi l'accès à l'éducation et l'information pour que les individus et les collectivités puissent participer à des activités productives et exploiter de manière rationnelle les biens et services de base qui sont à leur disposition.

54. Comme on le constate, la tendance actuelle en matière d'indicateurs est plutôt axée sur la notion de besoins essentiels entendus dans un sens plus large que les besoins alimentaires. Cette tendance était également présente au Sommet de Copenhague qui a insisté sur le fait que la satisfaction des besoins humains fondamentaux est un élément décisif pour la réduction de la pauvreté et pour la réalisation d'un véritable développement social et plus encore sur le fait que "ces besoins sont étroitement liés les uns aux autres et concernent la nutrition, la santé, l'eau et l'assainissement, l'éducation, l'emploi, le logement et la participation à la vie culturelle et sociale" (par. 35 b) du Programme d'action).

55. Ce sont essentiellement ces critères qui ont été utilisés par le Sommet mondial pour cerner l'extrême pauvreté qu'il a aussi appelée "pauvreté absolue" et qu'il a caractérisée comme un état de "privation aiguë en ce qui concerne les besoins fondamentaux de l'être humain : nourriture, eau salubre, installations hygiéniques, santé, abri, éducation et information", en notant qu'elle "dépend non seulement du revenu mais aussi de l'accès aux services sociaux" (par. 19 du Programme d'action). Plus précisément, il a demandé d'élaborer des méthodes permettant de mesurer toutes les formes de pauvreté, en particulier la pauvreté absolue" (par. 25 du Programme d'action), et d'une manière complémentaire "d'élaborer au niveau national les mesures, critères et indicateurs permettant de déterminer l'étendue et la répartition de la pauvreté absolue.

56. Le Rapporteur spécial chargé de l'étude sur les relations entre la jouissance des droits de l'homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels, et la répartition des revenus, à la fois aux niveaux national et international, pourrait, par l'élaboration d'indicateurs quantitatifs et qualitatifs du développement social, fournir une contribution très utile dans ce domaine.

2. Disparité et insuffisance des données

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57. Quelle que soit la méthode de mesure utilisée et les écarts qui en résultent, il est incontestable que le nombre de personnes qui vivent dans une pauvreté extrême sera toujours alarmant. Comme on l'a déjà vu, depuis un certain temps ce nombre, estimé à 1,1 milliard, est jugé insuffisant et certains pensent que s'il était convenablement réévalué, il pourrait atteindre les 2 milliards. Ainsi, il est dit dans une publication récente des Nations Unies au sujet de l'Année internationale pour l'élimination de la pauvreté que, sur les 5,7 milliards d'habitants de la planète, 1,5 milliard sont désespérément pauvres et que ce nombre augmente d'environ 25 millions par an. Selon l'UNICEF, si la tendance économique et démographique se maintient, le nombre de pauvres quadruplera en l'espace d'une vie humaine. Toutes les minutes, un bébé sur cinq naît dans la pauvreté.

58. En Afrique, une personne sur deux vit dans la misère. Le continent africain compte 16 % des pauvres du monde, vivant pour la plupart (60 %) dans les zones rurales de l'Afrique subsaharienne.

59. Comme signalé dans le précédent rapport, la seule région où le nombre de pauvres a proportionnellement diminué est l'Asie, en raison de l'amélioration de la situation de l'Inde, du Pakistan et de la Chine ainsi que du développement spectaculaire des pays appelés les quatre "dragons". Cependant, l'Asie continue à avoir le plus grand nombre de pauvres dans le monde, même si l'Afrique en détient le pourcentage le plus élevé. La Commission permanente de l'atténuation de la pauvreté de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement précise en outre que "même dans la région de l'Asie et du Pacifique, où la croissance a été particulièrement forte, le nombre de personnes vivant dans la misère a augmenté, en partie à cause de l'accroissement constant de la population" (TD/B/CN.2/2, par. 10.).

60. Selon les chiffres contenus dans le Rapport sur la situation sociale dans le monde, 1993 (Voir par. 41.) et l'indice de pauvreté, présenté par le Rapporteur spécial dans une annexe à son rapport intérimaire de 1994 (E/CN.4/Sub.2/1994/19, annexe III.), l'Amérique latine viendrait au troisième rang après l'Asie et l'Afrique, si l'on se réfère au nombre de pauvres, ou après l'Afrique et l'Asie si l'on tient compte du pourcentage de la population touchée par la pauvreté.

61. En Europe, des estimations faites en 1989 recensaient déjà de 3 % à 5 % de la population totale vivant en situation de cumul de précarités ("Pour une justice accessible à tous : le regard des familles en grande pauvreté sur les mécanismes d'aide légale et sur certaines initiatives locales." Conseil de l'Europe, Direction des droits de l'homme, Strasbourg 1992.). Comme on l'a vu, tant le Conseil de l'Europe que le Parlement européen affirment que la situation s'est beaucoup aggravée.

62. Ces estimations, au-delà de leurs disparités et de leurs insuffisances évidentes montrent que dans la mesure où on a une meilleure compréhension de la pauvreté les chiffres font apparaître une aggravation du phénomène et cela non seulement dans les pays en développement mais aussi dans les pays dits en économie de transition ou industrialisés.

3. Rareté et insuffisance des données sur la pauvreté et l'extrême pauvreté

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63. Telles sont dans les grandes lignes, les données dont nous disposons aujourd'hui. Il faut néanmoins se demander les raisons d'une telle insuffisance. Sont-elles d'ordre technique, sociologique ou d'une autre nature ? On constate que même dans les pays industrialisés qui disposent des moyens techniques et financiers pour élaborer des statistiques de qualité, celles-ci ne sont pas en mesure de prendre en compte la partie la plus pauvre de la population. Ainsi, la Commission des Communautés européennes (CCE) souligne, dans son Rapport final du Second programme européen de lutte contre la pauvreté, en date du 13 février 1991, l'imperfection des données concernant la pauvreté qui a pour conséquence une sous-estimation de la pauvreté et plus encore une absence d'estimation de l'extrême pauvreté.

64. Au moins quatre raisons expliquant la rareté et l'insuffisance des données peuvent être identifiées :

a) Les personnes les plus pauvres ne sont pas atteintes pour l'élaboration des statistiques

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65. Ainsi, le rapport de la CCE mentionné ci-dessus, signale que les personnes sans foyer en sont exclues et que les nomades, les réfugiés politiques, les immigrés clandestins ou les habitants des bidonvilles sont inévitablement sous-représentés. De même, les personnes hébergées dans les établissements médico-sociaux de toute nature ne sont pas reprises dans les chiffres, alors qu'elles sont vraisemblablement plus pauvres que la moyenne. Dans le cadre d'enquêtes se basant sur un échantillon représentatif de familles d'un pays, les personnes les plus défavorisées ne sont généralement pas interrogées en raison de cette difficulté de les atteindre, constate encore ce rapport.

66. Dans les pays en développement, où nombre de personnes extrêmement pauvres n'apparaissent même pas sur les registres d'état civil, où les moyens manquent pour effectuer des statistiques même sur les secteurs relativement identifiables de la population, celles-ci, lorsqu'elles existent, ne sont absolument pas complètes ni fiables.

b) Les paramètres utilisés ne sont pas adaptés

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67. Comme mentionné précédemment, les indicateurs actuels amènent généralement à une sous-estimation de la pauvreté. Le rapport précité de la CCE fait le même constat et précise que les chiffres obtenus dans les enquêtes se fondent sur les dépenses. Or, dans les ménages pauvres, les dépenses dépassent souvent les revenus, car ces ménages sont davantage susceptibles d'accumuler des dettes que de faire des économies. Cela est particulièrement vrai lorsque les revenus sont précaires et varient d'un jour à l'autre (Un effort particulier de perfectionnement des indicateurs est proposé par Mme Katherine Duffy dans le rapport d'orientation pour les projets du Conseil de l'Europe, "Dignité humaine et exclusion sociale".).

c) Le manque d'intérêt et de considération à l'égard de la population la plus pauvre

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68. Le fait que les personnes vivant dans l'extrême pauvreté n'apparaissent pas dans les statistiques ne résulte pas seulement de difficultés techniques. C'est aussi le reflet du manque d'intérêt et de la déconsidération dont elles sont victimes. De ce fait, elles sont exclues du droit élémentaire d'être correctement recensées.

69. Les plus pauvres sont conscients de cette déconsidération, ce qui peut avoir des conséquences directes sur le résultat d'enquêtes mesurant la pauvreté. Ainsi, et toujours dans le même rapport de la CCE, il est constaté que la dévalorisation qui s'attache à la pauvreté conduit des personnes en grande difficulté à ne pas se déclarer pauvres dans les enquêtes qui leur demandent de se situer sur une échelle allant de la richesse à la pauvreté. Une étude de l'Institut international d'études sociales (IIES) ("Asuntos de creciente importancia en las investigaciones sobre la pobreza: cuestiones laborales". Documento de debate, por Michael Lipton (DP/66/1994) IIES, Ginebra, 1994.) signale avec ironie : "Etre reconnu (et se reconnaître) comme pauvre fait partie du malheur d'être pauvre".

d) Manipulation des données

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70. Le Département du développement économique et social (Le chapitre VII du Rapport sur la situation sociale dans le monde, 1993 est consacré à l'étude des liens entre la répartition du revenu et la pauvreté.) avertit qu'il ne faut cependant pas perdre de vue que les statistiques disponibles sont insuffisantes et, même lorsqu'il existe des statistiques officielles concernant la répartition du revenu, des activités illégales ou parallèles peuvent beaucoup modifier la situation. Il nous met en garde sur le fait que "les seuils de pauvreté sont inévitablement quelque peu arbitraires, et de modestes changements peuvent beaucoup accroître ou réduire les estimations du nombre de ceux qui vivent dans la misère". Ceci rend possible la manipulation des données statistiques soit en augmentant ou, plus fréquemment, en diminuant le nombre de pauvres, et cela pour des raisons politiques, économiques et autres, qui n'ont que peu à voir avec la lutte contre la pauvreté.

4. Nécessité d'une meilleure connaissance quantitative et qualitative de l'extrême pauvreté

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71. Comme on le constate, les sociétés se sont longtemps accommodées de l'absence de connaissances précises sur la partie la plus pauvre de la population et continueraient de l'oublier si son accroissement ne venait maintenant troubler leur fonctionnement.

72. Conscient des conséquences néfastes de l'insuffisance des statistiques sur la mise en oeuvre et sur l'efficacité des mesures de lutte contre la pauvreté, le Sommet mondial pour le développement social, dans son Programme d'action demande aux Etats "d'améliorer la fiabilité, la validité, l'utilité et la diffusion des statistiques et autres données sur le développement social" (par. 16 e)). Plus précisément, il leur demande d'"élaborer des méthodes permettant de mesurer toutes les formes de pauvreté, en particulier la pauvreté absolue" (par. 25).

73. Le Sommet mondial de Copenhague a aussi souligné la nécessité d'une meilleure connaissance qualitative dans ce domaine. En effet, dans son Programme d'action il demande que l'on mette au point des indicateurs qualitatifs du développement social (par. 83 h)) et que l'on évalue les changements de niveaux de pauvreté également du point de vue qualitatif (par. 29 b)). Le chapitre III du présent rapport montrera tout l'intérêt d'une telle approche.

74. La conjonction de ces deux approches, quantitative et qualitative, permet une complémentarité indispensable, plus encore que pour d'autres sujets, à une connaissance pertinente de l'extrême pauvreté. Cette dernière étant évidemment elle-même indispensable à la mise en oeuvre de mesures efficaces, comme cela a été demandé à Copenhague.

II. TRAVAUX DES INSTITUTIONS ET ORGANISATIONS INTERNATIONALES SUR LA PAUVRETE

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A. Vers un nouveau paradigme : le développement humain durable

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75. Traditionnellement, le concept de développement a une connotation avant tout économique. Il définit la croissance d'un pays et s'exprime régulièrement en chiffres, en pourcentages ou en formules mathématiques. Ainsi, durant de nombreuses années, tant les politiques que les économistes et les planificateurs du développement ont utilisé la moyenne du revenu par habitant comme indicateur de la croissance ou de la récession d'un pays avec pour résultat qu'une grande partie des activités nationales de développement ont été concentrées exclusivement sur la croissance économique, négligeant souvent la dimension humaine du développement et l'effet positif des investissements sociaux sur son accélération.

76. Toutefois, ces dernières années, ce concept purement économique, qui identifie d'une manière quelque peu schématique la "croissance économique" au "développement", commence à évoluer et un débat extrêmement intéressant s'est engagé sur la question dans diverses sphères de la vie internationale. C'est ainsi que les derniers rapports du PNUD (Il s'agit des rapports annuels sur le développement humain de 1991 à 1996 établis par le PNUD.) reflètent cette évolution salutaire. Ils associent la croissance économique à d'autres indicateurs humains de base comme l'espérance de vie, l'analphabétisme des adultes, la mortalité infantile, l'égalité des sexes, etc., afin de jeter les bases de la notion de développement humain. Il s'agit en réalité d'intégrer de nouveaux paramètres d'évaluation du développement aussi fiables que les précédents mais beaucoup plus révélateurs de la réalité du progrès économique, social et culturel des peuples.

77. Cet effort de clarification s'inscrit dans une réalité qui est à la fois tangible et vérifiable : toute croissance économique n'est pas nécessairement source de bien-être pour la population tout entière. Il arrive souvent hélas que les progrès que fait apparaître cet indicateur ne profitent pas dans les faits, de manière égale, à toutes les couches de la société. Aussi la croissance doit-elle se faire non seulement en termes quantitatifs mais et surtout en termes qualitatifs. Pour le développement humain, il faut prendre en compte non seulement l'essor économique mais aussi la répartition équitable de ses résultats. Contrairement à ce qui se passe avec les crises économiques qui frappent en général sans attendre et avec plus de force les couches les plus déshéritées de la population, le progrès - la richesse en particulier - tend à se concentrer dans les secteurs les plus nantis et ne s'infiltre pas vers les couches inférieures avec la même facilité. C'est pourquoi l'Organisation des Nations Unies, durant la quatrième Décennie pour le développement, propose comme stratégie internationale, un style de développement ayant une base large dans lequel "le progrès économique est réparti aussi largement que possible" entre tous les secteurs de la société.

78. Le développement doit lui aussi être "durable" c'est-à-dire que la satisfaction des besoins actuels doit se faire grâce à une utilisation rationnelle et adaptée des ressources naturelles existantes sans compromettre l'approvisionnement et l'avenir des générations futures. D'où l'accent mis actuellement sur l'équilibre écologique, la préservation de l'environnement, etc., comme condition sine qua none pour que les bénéfices du progrès se maintiennent et que le développement soit durable.

79. Comme cela a déjà été dit dans de très nombreuses résolutions du Conseil économique et social, de la Commission des droits de l'homme et de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, la participation de la population à la prise des décisions est un des éléments ou moteurs essentiels du développement ce qui implique, entre autres choses, qu'il soit au service des personnes, pour les personnes et par les personnes, qu'il se fasse autour des personnes et non l'inverse.

80. Bref, on pourrait dire que la notion de développement humain repose sur une compréhension beaucoup plus authentique et complète de la réalité : en effet, si c'est le véritable niveau de développement d'un pays que l'on prétend évaluer objectivement, il faut, en plus de connaître son taux de croissance économique, voir dans quelle mesure l'ensemble de sa population exerce réellement et effectivement ses droits économiques, sociaux et culturels, participe à la vie politique et jouit pleinement de la liberté.

81. Comme on pourra le voir, cette conception du développement a un double mérite : celui de placer l'ensemble des droits de l'homme au nombre des éléments indissociables du développement durable et, transcendant l'approche classique et traditionnelle de la coopération technique et économique internationale, celui d'incorporer le social et les secteurs de priorité humaine à ses principaux buts et objectifs (Voir "Nouvelles stratégies en matière de coopération internationale", rapport établi par M. Leandro Despouy pour la Conférence mondiale sur les droits de l'homme (A/CONF.157/LACRM/9).). En effet, on constate, ces dernières années, qu'en matière de coopération internationale, les ressources affectées à la santé, à l'éducation, à la justice, aux droits de l'homme en général, à la protection des enfants, des femmes, des handicapés et autres groupes vulnérables, à la sauvegarde de l'environnement, à la défense du patrimoine culturel des populations autochtones, etc., ont sensiblement augmenté (Voir "Coopération technique avec le Gouvernement paraguayen dans le domaine des droits de l'homme", document établi par M. Leandro Despouy (E/CN.4/1994/78/Add.1).).

82. Il convient de souligner, comme nous le verrons ci-après, que l'impact de ce nouveau paradigme sur les programmes et activités des divers organismes des Nations Unies est sans précédent, même si, incontestablement, il marque profondément leurs écrits.

83. Nous passerons brièvement en revue les activités de quelques-uns des principaux organismes qui s'occupent directement ou indirectement de la lutte contre la pauvreté. Faute de place, nous nous limiterons à trois d'entre eux dans le corps du rapport et nous mentionnerons, dans l'annexe II, un certain nombre d'autres organisations internationales qui oeuvrent dans ce domaine. Une brève mention sera également faite des activités de certaines organisations non gouvernementales qui exécutent des programmes de développement, d'appui aux micro-entreprises, etc., tels que la Banque Grameen.

B. Le Programme des Nations Unies pour le développement

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84. La contribution du PNUD dans ce domaine est très importante pour deux raisons. La première est sa participation décisive à l'élaboration du concept de développement humain durable et à son application. Comme il a déjà été dit, cela a véritablement transformé l'ancienne approche de la coopération internationale. Elle s'est diversifiée et étendue à la sphère sociale ou à d'autres domaines ou secteurs de priorité de caractère humain avec pour résultat qu'un plus grand nombre de projets de cette nature visent actuellement à favoriser les couches les plus déshéritées et les plus vulnérables de la population. La deuxième raison tient à ce que le PNUD a fait de l'élimination de la pauvreté sa priorité la plus élevée. Celle-ci figurait déjà dans son programme de 1992 à 1996 au nombre de ses six principaux objectifs et un aspect important de ses stratégies consistait à appuyer les organisations communautaires, les organisations non gouvernementales et les institutions gouvernementales qui pourvoyaient aux besoins des pauvres.

85. Enfin, les documents d'analyse et de réflexion du PNUD portant sur des expériences concrètes menées dans divers pays sont extrêmement intéressants. Il en va de même des orientations présentées dans certaines de ses publications qui servent de cadre général à l'élaboration de stratégies nationales pour l'élimination de la pauvreté (Voir "Erradicación de la pobreza: Marco general para la elaboración de Estrategias nationales"; "From Poverty to Equity: Ab Empowering and Enabling Strategy".).

C. La Banque mondiale

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86. Durant ses 50 années d'existence, cette institution a, avec les quatre filiales qui constituent le groupe de la Banque mondiale, mené à bien dans quelque 140 pays, plus de 6 000 opérations de financement représentant un montant qui dépasse les 300 milliards de dollars. Depuis sa fondation, elle a, entre autres, pour objectif principal, d'éliminer la pauvreté. Créée à la fin de la seconde guerre mondiale, elle a joué un rôle décisif dans la reconstruction économique de l'Europe et du Japon et est aujourd'hui, à l'échelle mondiale, la principale source de financement et d'assistance technique aux pays en développement.

87. Jusqu'à la fin des années 70, la quasi-totalité des prêts servait à financer des travaux d'infrastructure : construction de routes, de digues, de ports, etc. Avec la crise de la dette extérieure, au début des années 80, la Banque mondiale a, avec le FMI, préconisé l'application de ce qu'il est convenu d'appeler les "programmes d'ajustement structurel". Il s'agit pour l'essentiel d'imposer comme condition à l'octroi de certains types de prêts l'adoption de mesures ou politiques économiques que, de l'avis de la Banque, les gouvernements doivent mettre en oeuvre pour rééquilibrer certaines grandes variables macro-économiques telles que le déficit budgétaire, la balance des paiements, l'inflation, etc.

88. Les mesures visées ci-dessus ont pour caractéristique commune de tendre à réduire le déficit budgétaire et à ouvrir l'économie. Le premier grand objectif (résorber le déficit budgétaire) est de faire en sorte que les pays débiteurs réalisent un excédent commercial qui leur permette de continuer à assurer le service de la dette extérieure. Le deuxième objectif (ouverture de l'économie) tend à ce que les paiements puissent être réalisés sans affecter les courants d'exportation des pays industriels (Voir Juan C. Sánchez Arnau, "Recesión, ajuste estructural y pobreza rural en America latina", document présenté à la FAO.). Enfin, la stabilité monétaire est la garantie que les recettes fiscales, converties en dollars, permettent de faire face aux règlements extérieurs.

89. Les critiques sévères qu'ont suscité les conditions ainsi imposées de l'extérieur aux politiques économiques nationales ont été avivées par le coût social qui a accompagné ces programmes d'ajustement structurel dans la plupart des pays en développement dans lesquels ils ont été appliqués. Cela apparaît tant dans les études qu'ont effectuées les organismes des Nations Unies qui s'occupent des questions sociales et des droits de l'homme que dans les nombreuses résolutions qu'ils ont adoptées à ce sujet (Voir, entre autres, le rapport final établi par M. Danilo Turk, Rapporteur spécial, sur la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels (E/CN.4/Sub.2/1992/16), les différents rapports du Groupe de travail sur le droit au développement et ceux du Secrétaire général, en particulier celui qui est intitulé "Ensemble préliminaire de principes directeurs de base sur les programmes d'ajustement structurel et les droits économiques, sociaux et culturels" (E/CN.4/Sub.2/1990/10) et celui qui porte la cote E/CN.4/1995/25. Il convient également de rappeler le rapport de 1989 de l'UNICEF intitulé "L'ajustement à visage humain" qui est toujours d'actualité. Parmi les multiples résolutions qui se rapportent à la question, il y a lieu de mentionner les résolutions 1991/27, 1992/29 et 1994/37 de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités ainsi que la résolution 1993/14 de la Commission des droits de l'homme.). Il convient de mentionner parmi les multiples objections qui sont formulées, entre autres, celles qui suivent : il s'agit d'un réel obstacle à l'exercice du droit au développement; la charge de l'ajustement n'est pas équitablement répartie et retombe normalement sur les secteurs à faible revenu, creusant ainsi les disparités; les palliatifs prévus pour en atténuer les effets négatifs sont insuffisants ou inadaptés. Mais les critiques qui reviennent le plus souvent sont celles qui mettent l'accent sur l'effet négatif des ajustements structurels sur la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels.

90. A en juger, toutefois, par ses rapports, la Banque a apporté, ces dernières années, des innovations intéressantes tant dans l'affectation des ressources, faisant du social une de ses priorités, que dans sa façon de travailler, multipliant les contacts avec les organisations non gouvernementales. Pour mieux rendre compte de cette évolution, nous préférons reproduire tels quels les propos tenus par les autorités de la Banque à ce sujet, propos parus dans sa publication intitulée "Les leçons du passé, les enjeux de l'avenir", à savoir : "Au cours des années, les enjeux se sont modifiés. Le Groupe de la Banque a tiré les leçons de l'expérience, ce qui l'a conduite à infléchir son approche en matière de développement". "Alors qu'on pensait initialement que la croissance finirait, par osmose, par avoir des retombées sur les pauvres, on a maintenant réalisé que, pour faire reculer la pauvreté, il faut aussi prendre des mesures en faveur des groupes les plus démunis et les plus vulnérables".

91. Du fait de cette orientation qui est encourageante, la Banque mondiale est actuellement l'une des principales sources d'investissement dans des secteurs tels que l'éducation, la santé, la planification de la famille, l'environnement, dans les pays en développement. En effet, ayant compris que ce type d'investissement dans le capital humain est indispensable pour réaliser la croissance, elle a augmenté le volume de ses prêts qui sont passés de 5 % de leur montant total au début des années 80 à plus de 17 % en 1994 (Selon le rapport annuel 1995 de la Banque mondiale, les prêts de la Banque aux secteurs de l'éducation ont dépassé 2 milliards de dollars pour chacun des trois derniers exercices. En outre, au cours de l'exercice 1994, les 25 % du total des prêts d'investissement de la Banque ont été directement ciblés sur les pauvres. Dans le document A/CONF.157/PC/61/Add.19 préparé par la Banque mondiale lors de la Conférence de Vienne, celle-ci signalait déjà que près de la moitié des opérations de la Banque ont une composante liée à la levée des obstacles à la participation économique de la femme.). A Copenhague, au Sommet mondial, elle a annoncé son intention de majorer de 50 % sa contribution au secteur social durant les trois prochaines années (Les différentes banques régionales de développement s'orientent également dans cette direction. C'est ainsi que la Banque interaméricaine de développement (BID) est parvenue à porter sa capacité annuelle de prêts à 7 milliards de dollars étant entendu que 40 % du volume des prêts ou la moitié de ses opérations viseraient le social, la recherche de l'équité et la réduction de la pauvreté.). Tout récemment, James Wolfensohn, quelques jours après avoir pris ses fonctions en tant que nouveau président de la Banque, en a confirmé les orientations en ces termes : "Sans développement social parallèle, il ne peut y avoir de développement économique satisfaisant". Enfin, la Banque s'est déclarée prête à répondre favorablement aux demandes de coopération des gouvernements en matière d'enseignement des droits de l'homme et a décidé de confier au Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme le soin d'orienter ces programmes (Voir A/50/698, par. 34 et E/CN.4/1996/51.).

92. Même s'il ne dispose pas d'éléments propres à évaluer l'ampleur des changements qui se sont produits, le Rapporteur spécial juge important de mentionner les nouvelles formes de rapports qui se sont instaurées entre la Banque et les organisations non gouvernementales, comme on le lit dans une publication récente de celle-ci : "Au fil des cinq dernières années, la Banque mondiale a modifié sa façon d'agir. Par le biais de la participation, elle a appris à écouter les partenaires et à donner aux associations locales les moyens de concevoir et réaliser des projets" (Banque mondiale, Actualités, "La participation est efficace", numéro du 29 février 1996.). Pour l'exercice 1995, 41 % des projets approuvés par la Banque prévoyaient la participation d'organisations non gouvernementales.

D. Le Fonds monétaire international

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93. Le FMI n'a pas été, quant à lui, aussi sensible au changement d'orientation qui s'est manifesté dans le social, à l'échelle internationale. Etant donné sa mission "d'ordre macro-économique, sa contribution du FMI au développement social ne peut qu'être indirecte et son rôle de conseil en matière de politique sociale est nécessairement limité" (Toutes les citations concernant le FMI qui sont reproduites dans le présent chapitre sont tirées de sa contribution au Sommet de Copenhague intitulée : "Le dialogue de politique économique avec le FMI : la dimension sociale".). "Dans le domaine social, l'analyse et le conseil technique ou de politique générale relèvent en grande partie d'organisations internationales autres que le FMI, telle que la Banque mondiale, la Banque régionale de développement, la FAO, l'OIT, le PNUD, l'UNICEF, ainsi que des donateurs bilatéraux et des organisations non gouvernementales". Néanmoins, le conseil d'administration du FMI en 1988 a souligné qu'il était "nécessaire d'aider les pays membres à évaluer les conséquences des programmes d'ajustement appuyés par le FMI sur la répartition des revenus et sur la pauvreté, d'améliorer la compréhension par les services du FMI des mécanismes par lesquels les politiques d'ajustement affectent les groupes pauvres des populations, et de tirer davantage partie de l'expérience et des compétences de la Banque mondiale et des institutions de l'ONU".

94. Dans le cadre de la surveillance qu'il exerce au niveau international, "le FMI a attiré l'attention sur toute une gamme de questions touchant les problèmes du chômage et du marché du travail dans les pays industrialisés, les avantages économiques de la réduction des dépenses improductives, le renforcement des institutions et les investissements en ressources humaines dans les pays en développement et les filets de protection sociale dans les économies en transition". En outre, reconnaissant que, le plus souvent, les ajustements structurels ont, à court terme, des effets négatifs sur les secteurs les plus démunis et les plus vulnérables de la population, le FMI a préconisé l'adoption de divers palliatifs. Certains ont un caractère purement conjoncturel - il s'agit de moduler dans le temps ou d'échelonner l'impact négatif de l'ajustement - d'autres ont trait aux subventions directes à la consommation, aux programmes des travaux publics, au contrôle des dépenses sociales du secteur public, au développement de la petite entreprise, à la sécurité alimentaire, etc. Ces palliatifs n'ont cependant pas amené de grands changements dans les critiques que continue de formuler la plupart des organismes des Nations Unies qui s'occupent des questions sociales et des droits de l'homme en ce qui concerne l'impact négatif qui accompagne, dans ces deux secteurs, les programmes d'ajustement structurel. Il n'est que de citer la décision 1996/103 adoptée par la Commission des droits de l'homme à sa dernière session, par laquelle elle a décidé de créer un groupe de travail à composition non limitée de la Commission chargé d'élaborer un ensemble de principes directeurs de base concernant les programmes d'ajustement structurel et les droits économiques, sociaux et culturels. La décision prévoit que le Groupe se réunira une semaine avant la cinquante-troisième session de la Commission, en mars 1997.

E. Le Sommet mondial pour le développement social

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95. Le Sommet mondial pour le développement social (Copenhague, 6-12 mars 1995) auquel ont participé près d'une centaine de chefs d'Etat et de gouvernement, autant de représentants de diverses organisations internationales et plus de 1 000 organisations non gouvernementales, a marqué l'histoire des relations internationales. Dans sa Déclaration et le Programme d'action qui ont été adoptés, l'importance accordée aux problèmes sociaux est du même ordre que celle que reconnaissent traditionnellement les principaux dirigeants de la planète aux questions politiques, économiques et de sécurité.

96. Les dix engagements proclamés dans la Déclaration de Copenhague sur le développement social (Succinctement, il s'agit de : 1) créer l'environnement économique, politique, social, culturel et juridique voulu pour créer le développement social; 2) éliminer la pauvreté; 3) promouvoir le plein-emploi; 4) promouvoir l'intégration sociale; 5) assurer entre les femmes et les hommes l'égalité et l'équité; 6) assurer effectivement à tous un accès équitable à une éducation de qualité et aux soins médicaux; 7) accélérer le développement de l'Afrique et des pays les moins avancés; 8) veiller à ce que les programmes d'ajustement structurel comprennent des objectifs de développement social; 9) accroître le montant des ressources affectées au développement social; et 10) renforcer la coopération internationale au service du développement social par l'intermédiaire de l'Organisation des Nations Unies.) reflètent le consensus universel que suscite la dimension sociale du développement. La pauvreté, le chômage et l'exclusion sociale y sont également considérés comme trois grands problèmes sociaux qui affligent l'humanité en cette fin de siècle. Il importe de rappeler, à ce sujet, que, dans tous les sommets mondiaux de la présente décennie (A savoir la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992), la Conférence mondiale sur les droits de l'homme (Vienne, 14-25 juin 1993), la Conférence internationale sur la population et le développement (Le Caire, 5-10 septembre 1994), la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes (Pékin, 4-13 septembre 1995).), la pauvreté et son élimination sont au coeur des préoccupations.

97. Dans le domaine qui nous intéresse, les principales idées que renferme le rapport sur le Sommet de Copenhague sont les suivantes :

a) Il faut créer un climat économique, politique, social, culturel et juridique propice au développement social. Pour ce faire, le développement doit être durable, la croissance économique reposer sur une assise large et le système de libre-échange être équitable. Les programmes d'ajustement structurel devront renfermer des propositions de développement social visant particulièrement à éliminer la pauvreté, à promouvoir le plein emploi et l'emploi productif et à favoriser l'insertion sociale.

b) Eu égard aux effets pernicieux que la pauvreté a sur la vie matérielle et spirituelle de l'individu, son élimination de la surface du globe est un impératif moral, social, politique et économique de notre temps. Ainsi considérée, l'extrême pauvreté apparaît comme un outrage à la dignité humaine. Elle empêche l'individu de jouir pleinement de ses droits et le place dans une situation telle qu'il lui est impossible d'assumer ses responsabilités.

c) Il existe un lien évident entre la pauvreté, d'une part, et l'isolement et l'exclusion, d'autre part. Aussi est-ce dans les sociétés stables, sûres et justes que l'intégration et la cohésion sociales s'opèrent le mieux, dans celles dont les fondements reposent sur la promotion et la protection de tous les droits de l'homme. C'est pourquoi, il faut informer dûment les pauvres de leurs droits et leur donner les moyens de se faire respecter et améliorer l'information et la communication entre les différents secteurs.

d) La pauvreté, plus particulièrement dans sa forme extrême, est un phénomène multidimensionnel, aux multiples facettes, qui ne peut être combattue exclusivement par des moyens économiques mais qui exige l'adoption de mesures dans divers secteurs et la mise en place de politiques intersectorielles.

e) Pour des raisons tant de justice que d'efficacité, il est indispensable d'associer les pauvres à l'élaboration, à l'exécution, au suivi et à l'évaluation des programmes qui les concernent eux en particulier ou la société tout entière. Cette participation peut se faire directement ou par le truchement d'associations qui sont en mesure de les représenter. C'est la raison pour laquelle il convient de promouvoir et d'appuyer la création de ces associations.

f) Il faut reconnaître le rôle que joue la famille dans la lutte contre la pauvreté et en tant que facteur de cohésion sociale.

g) La pauvreté tout comme l'extrême pauvreté existent, bien qu'à des degrés différents, dans tous les pays. De même, et cela est inquiétant tandis - que les uns s'enrichissent, les autres s'appauvrissent toujours plus.

h) Enfin, il faut distinguer entre la pauvreté et l'extrême pauvreté et élaborer une définition de cette dernière afin de pouvoir énoncer clairement ce concept, ce qui s'avérera extrêmement utile et nécessaire au moment d'élaborer des politiques concrètes destinées à éliminer la pauvreté. A l'aube d'un nouveau millénaire, le Sommet de Copenhague a eu le grand mérite de placer, pour la première fois dans l'histoire, l'élimination de la misère au nombre des objectifs les plus urgents et prioritaires de l'humanité.

III. UNE APPROCHE DE L'EXTREME PAUVRETE EN TERMES DE DROITS DE L'HOMME

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98. Le droit international des droits de l'homme reconnaît chacun et l'ensemble de ces droits à toute personne, sans discrimination aucune. Enonçant les discriminations inacceptables en droit comme en fait, les articles 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et des deux Pactes internationaux, stigmatisent explicitement celles fondées sur l'origine sociale ou sur la fortune. Et pourtant, malgré cette reconnaissance universelle, lorsqu'on expose aux personnes vivant dans l'extrême pauvreté le contenu des droits de l'homme, elles affirment: "Ce n'est pas pour nous !" S'agissant des personnes vivant dans l'extrême pauvreté, le problème qui se pose est donc celui de la réalisation et de l'exercice de ces droits, dans leur totalité. 99. Suivant la méthodologie qui lui a été demandée, le Rapporteur spécial s'appuiera plus spécialement dans ce chapitre sur des éléments résultant des contributions fournies par des ONG engagées dans la durée dans les zones de misère dans les diverses régions du monde, les travaux du séminaire sur l'extrême pauvreté et le déni des droits de l'homme (Ce séminaire a réuni, du 12 au 14 octobre 1994 à New York au Siège des Nations Unies, une quarantaine de personnes venant du monde entier. Il a permis la participation, sur un pied d'égalité, de personnes vivant en extrême pauvreté, de personnes engagées à leurs côtés, d'experts des questions relatives à l'extrême pauvreté et aux droits de l'homme, de représentants d'organisations inter et non gouvernementales. Il avait pour objectif de mieux connaître les conditions de vie et la réflexion des personnes et familles vivant en extrême pauvreté. Il fut un élément important de la consultation directe entreprise par le Rapporteur spécial.)(Voir E/CN.4/1995/101.), des monographies de familles extrêmement pauvres (Ces monographies de famille sont le fruit d'une méthodologie qui permet de suivre l'histoire de familles vivant dans l'extrême pauvreté sur plusieurs générations. Le Rapporteur spécial s'est particulièrement basé sur les monographies incluses dans l'ouvrage Est-ce ainsi que les familles vivent... ? Editions Quart Monde, Paris, 1994. Deux résumés de ces monographies ont été joints en annexe au second rapport intérimaire (E/CN.4/Sub.2/1995/15, annexe II).) ainsi que des rencontres avec des personnes très pauvres au cours d'Universités populaires.

100. Sur la base de ces diverses contributions, le Rapporteur spécial constate que les circonstances dans lesquelles les personnes et familles très pauvres sont contraintes de vivre, leur ont donné un sens aigu de la justice et de la dignité. "Est-ce normal qu'on me refuse un logement ? ...Il est vrai que je ne sais pas lire, mais est-ce normal qu'à l'école, on ne veuille pas entendre mon avis sur mes enfants ? Est-ce normal qu'on m'ait mis à l'orphelinat parce que notre cabane au bidonville a brûlé et que ma mère est à la rue ? Ce n'est pas normal, nous dit un père de famille, car moi aussi je suis un homme."

101. Sans doute, comme d'autres groupes de population, les personnes pauvres ignorent-elles qu'elles sont des sujets de droits de l'homme aux termes de traités et qu'elles peuvent donc, si elles estiment être les victimes d'une violation d'un ou plusieurs des droits définis par ces traités, s'en réclamer. Si elles méconnaissent souvent le langage et les instruments de défense des droits de l'homme, les très pauvres n'en ont pas moins une perception claire de ce que les droits devraient assurer pour que soit respectée la dignité de tout homme. D'où la nécessité de faire appel à leur expérience pour mieux comprendre les fondements des droits de l'homme et pour mieux les asseoir, d'autant plus que par leur résistance permanente à la misère, les très pauvres se trouvent de fait au rang des défenseurs des droits de l'homme, telles ces familles accueillant dans leurs logements surpeuplés d'autres familles à la rue. "Chez nous, disent-elles, on ne laisse pas quelqu'un à la rue."

102. Il était donc indispensable dans le cadre de cette étude de confronter le droit international des droits de l'homme à la réalité de la vie des personnes très pauvres. A cet effet, le Rapporteur spécial retranscrit une sélection de témoignages, dont il a pu évaluer le caractère représentatif. En procédant de la sorte, il entend, non seulement donner une image plus parlante et plus pertinente d'un déficit criant dans la réalisation et l'exercice des droits de l'homme dans des conditions d'extrême pauvreté, mais aussi développer des outils pour une approche juridique du sujet.

103. Pour bien percevoir les liens entre l'extrême pauvreté et les droits de l'homme, il est apparu nécessaire d'examiner d'abord quelques principes fondamentaux des droits de l'homme sous l'éclairage de l'expérience des très pauvres. Le rapport examinera ensuite de façon non exhaustive plusieurs droits spécifiques et leur interdépendance.

A. Quelques principes fondamentaux des droits de l'homme au regard de l'extrême pauvreté

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1. La dignité humaine et le principe d'égalité

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a) L'égale dignité de tous les êtres humains

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104. La Déclaration universelle des droits de l'homme a été le premier texte international à reconnaître dans l'ordre juridique le concept de dignité humaine, abandonné jusqu'alors aux seuls philosophes. Elle commence en effet par ces mots : "Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde". Ce principe apparaît dès lors comme le fondement, la source des droits reconnus dans la Déclaration.

105. La portée de ce texte a été telle qu'on a vu apparaître ce principe de dignité humaine dans l'ordre juridique interne de nombreux pays, entraînant ainsi l'apparition d'une législation et d'une jurisprudence fondée sur celui-ci (Cf. "Pour une analyse juridique du concept de 'dignité' du salarié", Olivier de Tissot, Revue française de droit social, décembre 1995. Cet article relève l'apparition dans les codes et la jurisprudence française du concept de dignité.).

106. Au niveau international, ce principe de dignité humaine apparaît notamment dans les résolutions relatives aux droits de l'homme et l'extrême pauvreté de l'Assemblée générale, de la Commission des droits de l'homme et de la Sous-Commission. La Conférence mondiale sur les droits de l'homme a aussi identifié la misère comme une "violation de la dignité humaine".

107. Le fait que les mots "reconnaissance de la dignité" soient les premiers de ce texte majeur suffirait donc à justifier de commencer la présente analyse par l'évocation de ce principe. A l'appui de cette orientation, le Rapporteur spécial a constaté qu'il n'était pas de témoignage de personnes en situation d'extrême pauvreté qui ne mette l'accent sur les atteintes à la dignité inhérente à sa condition d'être humain.

108. "Ce n'est pas normal qu'on nous traite ainsi, on est pourtant des hommes" nous disent souvent les personnes très pauvres. "Nous avons l'impression que nous sommes des chiens. Mais pour les chiens, dans le parc de dressage au milieu du quartier, il y a de l'eau, de l'électricité, alors que nous n'en avons pas. C'est vraiment une injustice."

109. Ces atteintes à la dignité poursuivent les personnes qui vivent dans l'extrême pauvreté tout au long de leur vie et jusqu'à leur mort, comme en témoigne le fait suivant rapporté par une personne engagée aux côtés d'une famille. Dans un bidonville d'Amérique latine, une femme avait illicitement accueilli son frère malade, à la sortie de l'hôpital. Lorsque le propriétaire s'aperçut que l'homme était mourant, il exigea, sous peine d'expulsion, qu'il soit transporté dans la rue, la nuit, pour ne pas avoir à payer les frais d'enlèvement du corps. Cet "inconnu" trouvé mort dans la rue fut donc enterré de manière anonyme.

110. De telles situations sont à ce point révélatrices de l'extrême pauvreté, que le PNUD a incorporé parmi ses indicateurs l'impossibilité pour les pauvres d'enterrer décemment leurs morts. Comment ne pas songer ici à l'Antigone de Sophocle et se rappeler qu'une des premières aspirations, un des premiers gestes de civilisation de l'homme a été de pouvoir enterrer ses morts dans la dignité.

b) Le principe d'égalité et de non-discrimination

111. L'article premier de la Déclaration universelle des droits de l'homme affirme : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits." Le droit international des droits de l'homme établit donc un lien intrinsèque entre dignité et égalité et ces deux notions sont, conjointement, les fondements du principe de non-discrimination. Celui-ci est un principe général unanimement établi dans la Déclaration universelle et dans tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. Comme cela apparaît tout au long de ce chapitre, les personnes qui vivent dans l'extrême pauvreté sont pourtant fréquemment les victimes d'une discrimination, de fait ou de droit, qui porte atteinte au principe d'égalité. Ainsi le principe de libre circulation des personnes à l'intérieur de l'Union européenne exclut explicitement celles qui ne peuvent apporter la preuve qu'elles "disposent des ressources suffisantes pour ne pas tomber à charge de l'assistance du pays d'accueil" (Voir à ce sujet la pétition 240/1991 présentée au Parlement européen, par Mme C. Lepied.).

112. "La pauvreté ... [entraîne] très souvent l'isolement, la marginalisation et la violence" est-il affirmé dans la Déclaration de Copenhague au paragraphe 16, et le paragraphe 19 du Programme d'action souligne que parmi les différentes formes sous lesquelles se manifeste la pauvreté, se trouvent la discrimination sociale et l'exclusion. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a établi que la non-discrimination dans l'accès aux droits est un principe directement applicable quel que soit le niveau de ressources de l'Etat partie (Lors de l'examen des rapports des Etats parties, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels reconnaît que des facteurs en rapport avec l'économie desdits Etats, notamment l'insuffisance des ressources, peuvent entraver la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Toutefois, dans son Observation générale 3 sur la nature des obligations des Etats parties découlant du Pacte, il relève que le Pacte impose diverses obligations ayant un effet immédiat et qui sont indépendantes des contraintes découlant du caractère limité des ressources dont disposent les Etats parties, entre autres ils "s'engagent à garantir" que les droits considérés "seront exercés sans discrimination" et à "agir" en vue d'assurer progressivement le plein exercice desdits droits.). De son côté le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a fait remarquer que la pauvreté peut être un élément d'aggravation de la discrimination raciale (Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale estime, dans ses conclusions sur l'examen des rapports présentés par les Etats parties, que la pauvreté est un principal sujet de préoccupation et un facteur qui entrave l'application de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il souligne également que l'appauvrissement général d'un pays ainsi que le dysfonctionnement de ses services sociaux et de la sécurité sociale entraînent des phénomènes de discrimination raciale ou ethnique et, à ce titre, sont un sujet de préoccupation pour lui. Il recommande aux Etats parties de faire rapport sur ces questions et d'autres touchant à la réduction de la pauvreté, notamment les lois et mesures relatives à la pauvreté, aux services sociaux et de santé et à l'impact social des programmes d'ajustement structurel sous les auspices du FMI (voir CERD/C/304/Add.6, conclusions sur Madagascar).).

2. L'enchaînement de précarités met en évidence l'indivisibilité et l'interdépendance des droits de l'homme

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113. Les principes d'indivisibilité et d'interdépendance étaient au coeur de la pensée des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ils ont été régulièrement réaffirmés depuis par l'Assemblée générale, la Commission des droits de l'homme et la Sous-Commission ainsi que par la Conférence mondiale sur les droits de l'homme en 1993 (Déclaration et Programme d'Action de Vienne, par. I, 5) et le Sommet mondial de Copenhague (Programme d'action, par. 15 b)).

114. La Convention relative aux droits de l'enfant a reconnu de manière explicite cette indivisibilité, en traitant conjointement l'ensemble des droits de l'homme dans un même texte. Sans doute n'est-il pas dû au hasard que cette synthèse se soit faite autour des enfants, qui, plus que d'autres, ont besoin d'une protection particulière.

115. Lorsque les personnes extrêmement pauvres évoquent leur situation, le message qui ressort le plus couramment de leurs descriptions est qu'elles sont soumises à un enchaînement de précarités qui se renforcent mutuellement et que la persistance rend de plus en plus difficilement surmontables.

116. Décrivant les conditions de vie quotidienne lors du séminaire d'octobre 1994 (voir par. 99), un participant d'Amérique latine a ainsi témoigné : "Sans logement, sans eau potable, sans électricité, sans une nourriture suffisante, sans travail, sans revenu minimum ou d'autres ressources, il n'est tout simplement pas possible d'être en bonne santé, de veiller à ce que les enfants aillent à l'école, de participer aux activités locales (y compris aux festivités, voire à des anniversaires), de participer au processus politique en tant que citoyen, ou même de voir sa vie de famille respectée."

117. Plusieurs participants ont qualifié cette situation de "cercle vicieux de la misère". Un participant européen a illustré cela en ces termes : "Quand on vit dans l'extrême pauvreté, sans instruction, on a du mal à trouver du travail. Sans ressources, on est dans l'impossibilité d'avoir un logement décent ou de régler ses factures. Notre famille s'est retrouvée sans électricité, même sans eau. Nous avons du mal à nous nourrir convenablement. Dans ces conditions, mes enfants ont des difficultés à apprendre."

118. De son côté, un participant africain a déclaré : "Continuellement nous devons nous préoccuper de notre logement, de la nourriture que nous devons trouver pour nos enfants et pour nous-mêmes. Sans cesse nous nous demandons ce que nous allons faire pour que nos enfants puissent grandir bien. Tout cela forme un manteau de soucis qui nous recouvre et cela nous empêche d'exercer des responsabilités."

119. Un autre Africain a renchéri : "Comment peut-on parler de 'démocratie' et de 'droits de l'homme' lorsque la satisfaction des besoins essentiels de l'être humain demeure un rêve." Et une personne d'Europe occidentale a complété ce tableau de la situation en déclarant : "Tout cela a aussi des répercussions sur la vie sociale : on perd sa liberté de mouvement; on est parfois obligé de vivre caché avec sa famille; on n'ose plus assister à des fêtes locales ni même exercer nos droits de citoyens."

120. Ces faits permettent d'affirmer qu'un homme dans la misère n'est pas un homme libre : il n'est pas en mesure d'exercer ses libertés publiques et individuelles. Les deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme reconnaissent d'ailleurs que "l'idéal de l'être humain libre, ... libéré ... de la misère ne peut être réalisé que si les conditions permettant à chacun de jouir de ses droits économiques, sociaux et culturels, aussi bien que de ses droits civils et politiques, sont créées".

121. Ignorer ces principes fondamentaux des droits de l'homme que sont la dignité humaine, l'égalité, et l'indivisibilité des droits, dont l'expérience des populations très pauvres nous rappelle l'importance, compromettrait définitivement le rendez-vous entre les très pauvres et les droits de l'homme auquel la Commission a voulu, par ses résolutions successives et par cette étude, convier l'ensemble des défenseurs des droits de l'homme.

B. Les conditions de vie dans l'extrême pauvreté et leur impact sur les droits de l'homme

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122. Comme il l'a annoncé, le Rapporteur spécial se propose ici d'examiner, de manière non exhaustive, plusieurs droits fondamentaux et leur interdépendance, au regard du vécu et de l'expérience des personnes vivant en extrême pauvreté.

1. Le droit à un niveau de vie suffisant

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123. L'article 25 de la Déclaration universelle affirme que "toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille". Ce droit est également reconnu dans l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui met plus spécialement l'accent sur "le droit fondamental qu'a toute personne d'être à l'abri de la faim".

124. Dans les régions où sévit la famine, les plus pauvres sont les premières victimes de ce fléau puisqu'ils n'ont aucune réserve. "On voudrait manger et on n'a rien à manger, on voudrait boire et on n'a rien à boire. Dans la maison où j'habite, nous sommes deux adultes avec six enfants pour dormir. Je suis responsable de tous. Quand Dieu me donne un peu de maïs, c'est tellement rare que je suis obligée d'en manger aussi avec eux".

125. De nombreux témoignages montrent à l'évidence que les personnes vivant dans l'extrême pauvreté ont rarement accès à ce droit à la sécurité d'existence. L'insécurité dans laquelle elles sont plongées rendent tout projet de développement impossible. A contrario, l'accès à des ressources suffisantes et régulières peut représenter un véritable tremplin. Dans une université populaire d'Europe, une jeune femme, bénéficiaire d'un droit à un revenu minimum d'existence, en témoigne en ces termes : "Auparavant, nous ne savions jamais de quoi nous allions vivre demain. A partir du moment où nous pouvons compter sur un revenu régulier et fixe, nous osons faire des démarches nouvelles. Ceux d'entre nous qui n'avaient absolument rien, aucune sécurité, ont dû apprendre à vivre avec une somme d'argent fixe. Après, ils ont pu commencer à apprendre à lire et à écrire".

126. Il est intéressant sur le plan du droit de noter que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (HRI/GEN/1/Rev.1, Observation générale 3 adoptée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (par. 10).) a formulé l'opinion que "chaque Etat partie a l'obligation fondamentale d'assurer, au moins, la satisfaction de l'essentiel de chacun des droits. Ainsi, un Etat partie dans lequel par exemple, nombreuses sont les personnes qui manquent de l'essentiel, qu'il s'agisse de nourriture, de soins de santé primaires, de logement ou d'enseignement, est un Etat qui, à première vue, néglige les obligations qui lui incombent en vertu du Pacte.

2. Le droit au logement

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127. L'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels établit le droit de toute personne à un logement suffisant pour elle-même et sa famille. Ce droit est un droit pivot en ce qu'il est aussi un moyen pour la réalisation d'autres droits fondamentaux. Ainsi, à titre d'exemple, le Comité des droits de l'enfant a qualifié le droit au logement visé à l'article 27 de la Convention, d'élément essentiel du droit à un niveau de vie suffisant pour permettre le développement général de l'enfant (Déclaration du Comité des droits de l'enfant à la deuxième Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat II) (CRC/C/50, annexe VIII).). Le Comité a également rappelé l'importance de l'universalité et de l'interdépendance des droits de l'homme, et a décidé d'apprécier la façon dont le droit au logement des enfants est mis en oeuvre à la lumière de l'application des principes généraux de la Convention, à savoir le droit à la protection contre la discrimination (art. 2), l'intérêt supérieur de l'enfant (art. 3), le droit à la vie (art. 6) et le droit de participation (art. 12).

128. Le logement des personnes très pauvres, lorsqu'elles en ont un, est caractérisé par sa précarité. Constructions faites à l'aide de matériau de récupération ou de mauvaise qualité, dépourvues d'eau potable, de système d'assainissement et d'électricité, ou immeubles sociaux de qualité médiocre, ces habitations sont souvent situées dans un environnement malsain, à proximité de zones industrielles polluantes, de voies ferrées. Dans une grande métropole occidentale, sur un mur qui sépare une cité très pauvre d'une voie ferrée à grande vitesse, on peut lire sur une plaque : "A la mémoire des 11 enfants de notre cité victimes de l'incompréhension de la société. Ils ont payé de leur vie l'absence de ce mur réclamé pendant 13 ans".

129. L'insécurité des conditions de logement des très pauvres peut aussi provenir de mesures d'expulsion légale ou arbitraire ou de l'impossibilité de payer régulièrement un loyer, même minime.

130. Les habitations des très pauvres sont presque toujours éloignées des services de base ou situées dans des hameaux très isolés dans la montagne ou la campagne. Un médecin engagé avec des populations très pauvres témoigne : "Une fillette est venue au dispensaire du village chercher un médicament. Elle a attendu longtemps et patiemment qu'on le trouve. Juste avant de repartir, elle m'a dit qu'elle devait se dépêcher de rentrer, car il n'y avait qu'une seule paire de chaussures pour elle et sa mère et c'était elle qui l'avait prise pour aller au village. Et le chemin était très long entre le dispensaire et la montagne où elle habitait."

131. Dans ces conditions(Voir à ce sujet le document de travail présenté par M. Rajindar Sachar sur le droit à un logement convenable (E/CN.4/Sub.2/1992/15).), la vie des familles très pauvres est caractérisée par l'instabilité et parfois l'errance, car bien des situations montrent qu'elles perdent plus fréquemment que d'autres la sécurité de base qu'est le logement.

132. Les mauvaises conditions de logement ont, en outre, une grande incidence entre autres sur la santé et l'emploi. Un homme d'Asie décrit la situation fort bien en ces termes : "Notre vie est une vie d'errance. On va de taudis en taudis, vivant près de décharges, sous des ponts ou dans des cimetières, ou même dans la rue. Quand on vit dans ces conditions il est extrêmement difficile de se faire soigner. De plus il faut faire des petits travaux particulièrement pénibles et durs pour la santé."

3. Le droit à l'éducation

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133. L'article 26 de la Déclaration universelle consacre le droit de tout individu à l'éducation et en exige la gratuité "au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental". Ce droit est également consacré de manière plus détaillée encore par les articles 13 et 14 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il constitue un domaine important de la Convention relative aux droits de l'enfant, et fait l'objet de l'essentiel de l'activité de l'UNESCO. La Déclaration mondiale sur l'éducation pour tous de Jomtien (1990) a ainsi affirmé, dans son article 1, que "toute personne - enfant, adolescent ou adulte - doit pouvoir bénéficier d'une formation conçue pour répondre à ses besoins éducatifs fondamentaux".

134. L'éducation est sans conteste l'un des moyens les plus efficaces de briser le cercle vicieux de la misère. Elle permet d'acquérir des connaissances et une formation ouvrant un meilleur avenir et une meilleure maîtrise de son existence. Force est pourtant de reconnaître que malgré les efforts consentis ces dernières années par la plupart des Etats, l'éducation reste le plus souvent inaccessible à ceux qui vivent dans la misère.

135. La précarité du logement et l'errance qui en résulte parfois nuisent à la scolarisation régulière des enfants et entravent le développement intellectuel et physique de ceux-ci, par suite du manque de stabilité, du manque d'espace, de l'insalubrité, de la promiscuité, du bruit, etc. En outre, des problèmes liés à l'absence de domicile légal ou de papiers d'identité sont aussi une cause de non-scolarisation. Un témoignage provenant d'une monographie de famille d'Asie établit un rapport direct entre l'impossibilité de scolariser correctement les enfants et la question du domicile : "Le logement de la famille étant construit sur un terrain squatté, il ne peut être considéré comme un domicile légal et dans ce pays, ni les biens, ni les personnes ne peuvent avoir d'existence juridique en dehors d'un lien légalisé avec la terre. De ce fait la mère ne peut obtenir de certificat de résidence qui permettrait à ces enfants d'aller à l'école publique."

136. L'insuffisance des revenus familiaux amène souvent les enfants à prendre part à la recherche quotidienne de moyens de subsistance de la famille ou à travailler à l'extérieur, ce qui réduit leur disponibilité à apprendre, et les amène parfois à quitter l'école ou à vivre dans la rue. Le faible niveau d'instruction ou l'analphabétisme fréquents des parents ne leur permettent pas d'aider leurs enfants dans la scolarité. Enfin, les enfants sont parfois objets de rejet et de discrimination à l'école en raison de leur origine sociale. "A l'école, mes enfants sont mal considérés, insultés, exclus des sorties scolaires parce que nous n'avons pas les moyens de les payer. Ils sont toujours placés au fond de la classe. Mes enfants sont marqués à vie par cette expérience", rappelle un témoignage.

4. Le droit au travail

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137. L'article 23 de la Déclaration universelle consacre le droit au travail. Les articles 6, 7, 8 et 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels le reconnaissent également, dans des conditions justes et favorables, assurant un revenu et une existence décente pour soi-même et sa famille, ainsi que le droit à la sécurité sociale.

138. Pour les populations très pauvres, sans logement, sans instruction et sans formation, obtenir un emploi relève de la gageure. Vivre sans adresse reconnue ou dans certains quartiers mal famés ou excentrés est un handicap majeur. Quand les personnes très pauvres trouvent un emploi, il est, du fait de leur manque de qualification, très souvent précaire, nuisible pour la santé, trop mal rémunéré pour garantir un niveau de vie suffisant, et encore moins une sécurité pour l'avenir. De plus, ces emplois ne sont généralement pas porteurs de reconnaissance sociale.

139. Un témoignage d'Amérique latine donne une idée du lien entre logement et travail : "Comme je n'ai pas d'emploi, je ne peux pas obtenir de logement. Je me trouve dans un cercle vicieux, sans chance de m'en sortir. Pourtant je cherche du travail, mais quand je me présente quelque part, on me répond : 'la semaine prochaine', c'est toujours 'la semaine prochaine', mais elle n'arrive jamais."

140. Ces difficultés créent un sentiment d'humiliation et d'inutilité et la dévalorisation sociale et personnelle qu'elles entraînent peuvent aussi aller jusqu'à provoquer la rupture de la cellule familiale. Un autre homme témoigne à cet égard : "J'aime ma famille. Tous les jours je sortais tôt de chez moi à la recherche d'un travail afin d'apporter quelque chose à manger à ma femme et à mes enfants. Tous mes efforts étaient vains. Quand je rentrais chez moi le soir, je ne sais pas comment ils s'étaient débrouillés pour trouver de quoi manger. La nourriture me restait en travers de la gorge. Je me sentais inutile et en plus je leur retirais un peu de la nourriture qu'ils avaient gagnée. J'étais une charge pour eux, c'est pour ça que je suis parti."

141. Les personnes très pauvres sont ainsi dans l'impossibilité, comme le soulignait en son paragraphe 9 la Déclaration de Copenhague du Sommet mondial pour le développement social, de "contribuer au bien-être de leur famille, de leur communauté et de l'humanité".

142. Par ailleurs, les travaux de l'OIT et de l'UNICEF traduisent l'ampleur du travail des enfants dans le monde. Celui-ci est une conséquence immédiate des conditions d'extrême pauvreté que vivent leurs parents. La plus grande partie de ces travailleurs mineurs sont exposés à des conditions assimilables à l'esclavage, qui constituent un déni des droits de l'homme et en particulier des dispositions des articles 4 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Les conclusions du Groupe de travail de la Sous-Commission sur les formes contemporaines d'esclavage et celles des organes chargés de l'application des Conventions de l'OIT fournissent de nombreux éléments pertinents à cet égard (Voir les rapports du Groupe de travail sur les formes contemporaines d'esclavage.).

5. Le droit à la santé

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143. Ce droit est reconnu dans l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Il est qualifié par l'article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels comme "le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique ou mentale qu'elle soit capable d'atteindre". Le droit à la santé fait l'objet de l'ensemble de l'activité de l'Organisation mondiale de la santé qui a lancé un programme "Santé pour tous d'ici l'an 2000" et a remarquablement démontré l'impact de l'extrême pauvreté sur la santé dans son rapport de 1995.

144. Il a été vu précédemment comment les conditions de vie dans l'extrême pauvreté exposent les très pauvres à de graves dangers pour leur santé. Les statistiques disponibles montrent aussi que le taux de mortalité est particulièrement élevé dans les populations très pauvres et que l'espérance de vie y est considérablement réduite (Voir Rapport sur la santé dans le monde, OMS, 1995.). Les grossesses et les naissances y sont particulièrement risquées et, faute de moyens financiers, il est généralement difficile de se faire soigner en cas de maladie. Souvent, les services de santé sont inaccessibles, insuffisants et inadaptés. En outre, les personnes très pauvres se méfient des conséquences que peut avoir sur d'autres aspects de leur vie une intervention des services de santé. Une personne témoigne : "Dans mon immeuble il y a une dame qui a une mauvaise santé. Elle a mal aux poumons et elle ne veut pas se faire soigner, parce que son mari ne peut pas s'occuper tout seul de leurs quatre enfants. Elle a peur qu'on lui place les enfants si elle va à l'hôpital."

145. Il est aussi démontré que les populations les plus pauvres sont celles qui sont le moins bien atteintes par les campagnes de vaccination alors qu'elles sont le plus exposées aux maladies.

6. Le droit à la protection de la famille

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146. L'article 16 de la Déclaration universelle affirme que "la famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'Etat". La protection de la famille apparaît aussi dans la plupart des instruments internationaux des droits de l'homme et notamment à l'article 10 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et à l'article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La Convention des droits de l'enfant rappelle qu'elle est "le milieu naturel pour la croissance et le bien-être de ses membres, et en particulier de l'enfant". Le Sommet de Copenhague, dans le paragraphe 9 de sa Déclaration, a lui aussi affirmé qu'un des buts principaux du développement social est d'offrir à tous les moyens d'exercer leurs droits et de s'acquitter de leurs responsabilités pour contribuer au bien-être de leur famille.

147. Les récits de vie recueillis dans les différentes régions du monde montrent cependant jusqu'à quel point les liens familiaux sont menacés par les conditions de vie dans la misère. Sans cesse confrontée à des difficultés matérielles, administratives et autres, et souvent menacée sur le plan de la dignité et de la santé des individus qui la forment, la famille est exposée à l'éclatement à tout moment: les parents, et particulièrement les pères, sont parfois amenés à chercher du travail loin du foyer; les enfants courent le risque d'être retirés et placés dans une autre famille ou en institution ou parfois contraints à partir travailler ou vivre dans la rue. L'absence de domicile peut aussi avoir des implications sur la cohésion de la cellule familiale comme en témoigne ce récit provenant d'Asie : "Parfois un des enfants va mendier, ce qui constitue un délit dans ce pays. Un soir, il est arrêté par la police et envoyé dans un home de redressement pour mineurs. Sa mère va le voir régulièrement. Elle ne peut le faire sortir car elle n'a pas de certificat de résidence. Il faudra tout le soutien d'autres habitants du bidonville pour que la mère puisse se faire inscrire, elle et ses enfants sur le certificat de résidence de sa propre mère, elle-même inscrite sur celui d'une amie. Alors seulement son fils peut retourner dans sa famille."

148. Cet exemple montre combien les gestes de solidarité entre personnes en situation d'extrême pauvreté permettent parfois de préserver les liens familiaux.

149. En contraste, l'aide apportée par les services sociaux officiels est parfois perçue comme une entrave à l'exercice des responsabilités familiales. Une femme d'Amérique du Nord a ainsi déclaré : "J'étais dans un centre d'hébergement avec mes enfants. Là, le service social me surveillait de si près que je n'osais plus rien faire. Je n'osais pas corriger mes enfants quand ils avaient fait une bêtise. Si on nous entendait crier, immédiatement quelqu'un du Bureau du bien-être de l'enfant venait voir ce qui se passait. J'avais tellement peur qu'on me retire mes enfants que je n'osais rien faire. Mes responsabilités de mère, je ne les ai exercées vraiment que lorsque j'ai pu sortir de ce lieu et avoir un appartement. Mon fils avait alors huit ans."

150. Les atteintes à la vie familiale sont d'autant plus graves qu'il ressort des témoignages que la famille constitue souvent le dernier rempart contre la misère et l'exclusion ainsi que le premier lieu de résistance à celles-ci. "Une personne peut se trouver totalement coupée de sa famille et de son milieu social. Cet isolement est très pénible car la famille est souvent la dernière protection contre la misère absolue", comme le rappelle un témoignage d'Europe orientale.

7. Le droit au respect de la vie privée

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151. Ce droit est consacré par l'article 12 de la Déclaration universelle ainsi que par l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

152. Les témoignages montrent pourtant, s'il en était besoin, jusqu'à quel point il est illusoire de parler de ce droit pour des gens qui vivent sur les trottoirs d'une grande ville, dans l'errance ou entassés dans des bidonvilles ou une seule pièce d'un modeste appartement.

153. L'intervention des services sociaux peut être vécue comme une immixtion arbitraire dans la vie privée. "Quand on vit dans la misère, on nous dit parfois : 'Si vous restez avec votre mari - ou avec votre femme - on vous place vos enfants.' On n'a pas le droit de nous dire ça. On a tout fait ma femme et moi, on s'est même séparés pour qu'ils ne touchent pas aux enfants. On a même fait une déclaration à la police pour le prouver, alors qu'on n'est pas mariés ! De quel droit ils se permettent ça !"

154. Cette intrusion dans la vie privée des familles très pauvres est sans limites. Ainsi, il n'est pas rare que des jeunes femmes subissent des pressions pour limiter leurs naissances ou abandonner leur enfant; il arrive même qu'elles soient stérilisées d'office ou contraintes à l'avortement. "J'étais dans un foyer quand je me suis retrouvée enceinte. Je suis allée chez le médecin et j'ai apporté un certificat médical. Au foyer, ils ont dit qu'ils allaient se réunir pour décider si je devais avorter ou garder l'enfant."

8. Le droit à la personnalité juridique et à l'inscription sur les registres d'état civil

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155. Ces droits sont reconnus dans l'article 6 de la Déclaration universelle et dans les articles 16 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et leur jouissance est une précondition à la réalisation de nombreux autres droits.

156. S'agissant du droit d'"être enregistré immédiatement après sa naissance et d'avoir un nom" (art. 24), il peut être mis en échec par l'absence d'un domicile légal, qui fait obstacle à l'inscription sur les registres d'état civil. Cette non-inscription entraîne d'énormes difficultés pour obtenir les papiers nécessaires pour prouver sa filiation, pour se marier, pour exercer les droits politiques, pour pouvoir circuler librement à l'intérieur et hors des frontières d'un pays, pour donner des garanties à la justice, pour obtenir un emploi, pour bénéficier des services sociaux, pour ne pas être emprisonné, etc. Des difficultés de ce type ont d'ailleurs été rencontrées par des participants au Séminaire, empêchant même certains de pouvoir s'y rendre.

157. Ainsi, de nombreux enfants et adultes vivant en extrême pauvreté, parce qu'ils ne figurent pas sur les registres d'état civil, n'ont aucune existence juridique et de ce fait n'ont accès à aucun droit et à aucune protection.

9. Le droit à la vie, le droit à l'intégrité physique

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158. L'article 3 de la Déclaration universelle établit que "tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne". Le droit à la vie "inhérent à la personne humaine" est de même protégé par l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui consacre séparément, en son article 9, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne. L'article 6 de la Convention relative au droit de l'enfant fait de même référence au droit inhérent de l'enfant à la vie.

159. Pourtant, les conditions de vie des personnes dans l'extrême pauvreté sont telles qu'à l'heure actuelle d'éminents juristes (Voir l'article de M. Louis-Edmond dans Pettiti, "Misère, violation des droits de l'homme en Europe aujourd'hui", dans Revue Quart Monde, No 151, 1994. D'autres auteurs, comme M. Frédéric Sudre, considèrent que "la misère réunit déjà les éléments constitutifs du traitement dégradant, dégagés par la Commission et la Cour européenne", ibid.) se demandent, à propos de la misère, si "un traitement inhumain et dégradant peut l'être non seulement par la violence physique, la torture, mais aussi sur le plan psychique, du respect de la dignité humaine".

160. La vie et l'intégrité physique des enfants qui vivent dans la rue sont constamment menacées : par la drogue, la prostitution pouvant entraîner le SIDA, violences de tout type, enlèvement, détention, assassinats, etc.

161. Le Comité des droits de l'homme a, pour sa part, déclaré ceci : "L'expression 'le droit à la vie' ... inhérent à la personne humaine ne peut pas être entendue de façon restrictive, et la protection de ce droit exige que les Etats adoptent des mesures positives. A cet égard, le Comité estime qu'il serait souhaitable que les Etats parties prennent toutes les mesures possibles pour diminuer la mortalité infantile et pour accroître l'espérance de vie et en particulier des mesures permettant d'éliminer la malnutrition et les épidémies" (HRI/GEN/1/Rev.1, Observation générale 6 adoptée par le Comité des droits de l'homme (par. 5).).

10. Le droit à la justice

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162. Les articles 10 et 11 de la Déclaration universelle établissent pour tous les individus un égal "droit au droit" et les conditions générales de son exercice. De leur côté, les articles 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques établissent ce même droit, en le précisant.

163. Les témoignages disponibles tendent pourtant à mettre en évidence une véritable négation du "droit au droit" s'agissant des personnes vivant dans l'extrême pauvreté. En effet, l'accès à la justice pour les personnes très pauvres est entravé par plusieurs obstacles, entre autres :

i) La situation d'indigence dans laquelle ils se trouvent;

ii) L'illettrisme ou le manque d'instruction et d'information;

iii) La complexité des procédures;

iv) La méfiance, voire la peur, née de leur expérience de la justice. En effet, qu'ils soient en position de défendeurs ou d'accusés, ils voient souvent leur demande se retourner contre eux : "Grand est en effet le risque de se voir reprocher telle ou telle situation hors la loi de l'existence quotidienne, pourtant sans relation directe avec le motif du recours; les personnes très pauvres ont appris que pour demander son dû sur un point il est souvent préférable de ne pas être en tort sur d'autres." ("Pour une justice accessible à tous : le regard des familles en grande pauvreté sur les mécanismes d'aide légale et sur certaines initiatives locales", Conseil de l'Europe, Direction des droits de l'homme, Strasbourg, 1992, cote H (92) 2.)

v) La lenteur de la justice, alors que leurs demandes concernent le plus souvent des domaines très sensibles de la vie qui exigeraient un règlement rapide, comme la restitution des enfants;

vi) Dans de nombreux pays, le fait qu'il ne soit pas permis de se faire accompagner ou représenter par des associations de solidarité qui pourraient aussi se constituer partie civile.

164. Un autre aspect qui commence à prendre une ampleur dramatique est celui de l'impunité avec laquelle des personnes vivant dans la misère et la marginalisation sont victimes de la violation des droits de l'homme les plus fondamentaux. Ainsi, dans plusieurs pays, notamment en l'Amérique latine, des escadrons de la mort se livrent en toute impunité à de multiples assassinats d'enfants et de vagabonds, qualifiés de "desechables" ("jetables"). La Commission interaméricaine des droits de l'homme a été saisie de plusieurs plaintes à ce sujet (On se réfère à la plainte No 11 544 présentée par Casa Alianza y el Centro de Estudias Judiciales Internacionales (CEJIL) et les plaintes Nos 11 286, 11 288, 11 290 présentées aussi par le CEJIL.). Il apparaît au Rapporteur spécial qu'il est urgent que la Sous-Commission, et en particulier les Rapporteurs spéciaux sur l'impunité, étudient cette nouvelle modalité de violation massive des droits de l'homme.

165. A une autre échelle, cette impunité peut se rencontrer aussi dans les pays industrialisés, du fait des difficultés d'accès à la justice. L'affaire judiciaire Weiss évoquée par le Rapporteur spécial dans son rapport précédent (E/CN.4/Sub.2/1995/15, annexe II:) montre que si les personnes très pauvres ne peuvent être soutenues et représentées devant la justice par des associations, les atteintes aux droits de l'homme dont elles sont victimes restent impunies.

11. Le droit de participer à la vie politique

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166. L'article 21 de la Déclaration universelle consacre le droit de toute personne "de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l'entremise de représentants librement choisis". Cette disposition est reprise et amplifiée à l'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui prévoit aussi le droit de chacun de voter et d'être élu, et d'accéder aux fonctions publiques de son pays.

167. On a déjà vu que l'errance et la non-inscription sur les registres d'état civil constituent des obstacles majeurs à l'exercice de ce droit. L'analphabétisme, un faible niveau d'instruction, ou même la discrimination sociale constituent aussi des difficultés majeures pour un exercice responsable des droits politiques. "Quand je me suis présenté au bureau de vote pour me faire inscrire on m'a dit : 'non, vous sortez de prison, vous n'avez pas le droit de voter'. En réalité, ils s'étaient trompés, c'est mon père qui avait fait de la prison. Quand je suis allé à la gendarmerie pour faire rectifier, ils m'ont répondu : 'les défauts de l'un, c'est les défauts de l'autre', et ils n'ont rien fait pour que je puisse voter."

168. Les rapports d'observation électorale montrent que les personnes très pauvres sont plus exposées que d'autres aux manipulations peu scrupuleuses de la liberté de choix, fondement de la démocratie représentative.

169. D'un point de vue prospectif, dans ce domaine comme dans d'autres, le développement de la société de l'information, qui permettra, par exemple d'organiser une consultation des citoyens par l'électronique, est susceptible de générer de nouvelles exclusions parmi les populations les plus pauvres et les moins instruites (Voir à ce sujet, "Bâtir une société européenne de l'information pour tous", Premières réflexions du Groupe d'experts de haut niveau, Commission européenne, Bruxelles, janvier 1996, p. 88 et suiv.).

12. Le droit de participer à la vie sociale et culturelle

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170. L'article 22 de la Déclaration universelle établit que "toute personne ... est fondée à obtenir la satisfaction des droits sociaux et culturels indispensables à sa dignité". L'article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels établit de même le droit de chacun de participer à la vie culturelle.

171. Pourtant les personnes vivant dans l'extrême pauvreté sont parfois refoulées des lieux culturels. Ainsi en témoigne une personne engagée auprès de familles très pauvres : "J'avais prévu d'emmener un groupe d'enfants du quartier au zoo. C'était une fête pour les enfants, mais lorsque nous sommes arrivés, on nous a refusé l'entrée, à cause de 'l'aspect des enfants'." Face à de tels affronts, les personnes en situation d'extrême pauvreté hésitent à participer à la vie sociale et culturelle, même à des fêtes locales (cf. par. 119 du présent chapitre).

172. La culture n'est donc pas un "en plus" que l'on apporterait une fois tous les autres droits assurés. "La culture, c'est avoir des connaissances qui permettent d'être autonomes, de se diriger dans la vie et de pouvoir réfléchir", disent des participants d'une université populaire; "c'est aussi ce qui nous relie aux autres, ce qu'on peut apporter aux autres, ce que nous apprenons les uns des autres et qui permet de nous respecter".

173. Rétablir le droit à la culture dans les zones de grande pauvreté est donc une dimension essentielle de la lutte contre la misère. Prend ici tout son sens le plaidoyer permanent de l'UNESCO pour la "dimension culturelle du développement" (Voir à ce sujet les nombreux travaux de l'UNESCO, dans le cadre de la Décennie mondiale du développement culturel, ainsi que le Rapport de la Commission mondiale sur la culture et le développement de l'UNESCO, "Our creative diversity", commission présidée par M. J. Pérez de Cuéllar, 1996.). L'action culturelle permet de développer avec les très pauvres des relations nouvelles, de faire valoir leur expérience et leurs attentes propres et d'accéder ainsi effectivement à leur reconnaissance comme des êtres humains ayant des capacités à cultiver, des réflexions à partager et des responsabilités à exercer.

174. C'est dans cette perspective que le Sommet mondial pour le développement social de Copenhague a affirmé la nécessité absolue de trouver un nouvel équilibre entre le développement économique le développement social et le développement culturel, soulignant combien les besoins humains fondamentaux sont étroitement liés et concernent des domaines aussi variés que la santé, l'eau, l'éducation, l'emploi, le logement et la participation à la vie culturelle et sociale.

C. Critères pour une définition juridique de l'extrême pauvreté

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175. Les éléments d'analyse des conditions de vie dans la misère et leur impact sur l'ensemble des droits de l'homme auxquels il a été fait référence mettent en évidence une série d'éléments essentiels à prendre dûment en considération dans toute approche juridique de l'extrême pauvreté.

176. Tout d'abord, la misère est la négation non d'un droit en particulier ou d'une catégorie de droits mais de l'ensemble des droits de l'homme. L'analyse qui précède montre jusqu'à quel point elle constitue une atteinte non seulement aux droits économiques et sociaux, comme on le suppose généralement dans une perspective économique, mais aussi et dans la même mesure, aux droits civils, politiques et culturels, et, de surcroît un outrage au droit au développement. De ce point de vue, l'extrême pauvreté témoigne de manière tout à fait particulière de l'indivisibilité et de l'interdépendance des droits de l'homme.

177. L'analyse effectuée sur les conditions de vie dans la misère souligne qu'il s'agit d'un processus cumulatif de précarités qui s'enchaînent et se renforcent mutuellement : mauvaises conditions de vie, habitat insalubre, chômage, mauvais état de santé, absence de formation, marginalisation, etc. Il convient, par conséquent, de parler d'un véritable "cercle vicieux horizontal" de la misère, selon les propres paroles des intéressés.

178. Cela soulève deux questions qu'à aucun moment il ne faut perdre de vue. La première, d'ordre juridique, est qu'il s'agit fondamentalement non pas d'un problème de "reconnaissance" mais "d'exercice" réel et effectif, par les personnes extrêmement pauvres, de l'ensemble des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La deuxième, celle de l'indivisibilité et, surtout, de l'interdépendance des droits de l'homme, permet de voir jusqu'à quel point, dans un enchaînement négatif tel que celui qui est décrit, la privation d'un droit peut avoir des répercussions négatives sur l'exercice des autres. Il apparaît que le fait de rétablir un droit ne suffit pas à lui seul à assurer à celui qui vit dans l'extrême pauvreté le plein exercice de tous ses droits.

179. Autre aspect du phénomène, également pervers, est sa tendance marquée à se perpétuer du fait qu'il se transmet de génération en génération. En témoignent les multiples recherches portant sur de nombreuses périodes de l'histoire et les différentes monographies relatant la vie d'une même famille sur plusieurs générations auxquelles a eu accès le Rapporteur spécial. Il est surprenant de constater comment la misère se perpétue et combien il est chaque jour plus difficile d'en sortir. Il se crée ainsi un véritable "cercle vicieux vertical" de la misère (Compte tenu de l'existence d'un cercle vicieux horizontal déjà mentionné, c'est à juste titre que le Sommet de Copenhague a préféré parler de "cercle infernal" de la pauvreté (Programme d'action, par. 39 f)).).

180. Enfin, la plus importante retombée sociale de la misère est l'exclusion et, fréquemment, la stigmatisation de ceux qui en sont victimes. En effet, si l'exclusion peut parfois entraîner la misère, la seconde va toujours de pair avec la première.

181. Compte tenu de ces particularités, les critères traditionnels d'appréciation de la pauvreté, de l'extrême pauvreté et leurs définitions, sont manifestement insuffisants pour en avoir une approche plus globale et plus complète, conforme au mandat du Rapporteur spécial. Aussi, l'approche qui est proposée dans le présent rapport offre au moins trois particularités, à savoir :

i) D'examiner les différents environnements dans lesquels survient la pauvreté (économique, sociale, politique, civile, culturel, etc.);

ii) D'obtenir les informations auprès des intéressés eux-mêmes qui ne sont généralement pas consultés, pas même lorsqu'il s'agit d'études ou de programmes les concernant. Or, c'est indispensable non seulement parce que cela fait partie de toute approche des droits de l'homme, mais aussi, parce que, dans le cas contraire, il est impossible de connaître la dynamique intérieure de la pauvreté;

iii) De montrer concrètement comment chaque forme de précarité aggrave l'autre et ainsi de suite jusqu'à l'extrême pauvreté.

182. En d'autres termes, on cherche par cette méthode non pas à savoir ce que gagnent les gens, mais à comprendre ce qui leur arrive réellement. On ne saurait donc les exclure : sans eux, on ne pourrait jamais savoir ni combien ni de quoi ils souffrent, à supposer, bien sûr, que ce soient réellement eux qui nous intéressent.

183. Passant aux critères d'une définition, il faut tenir compte qu'en plus de l'effet négatif que les diverses formes de précarité exercent les unes sur les autres (enchaînement des précarités) à mesure qu'elles s'accentuent et s'intensifient, l'exclusion s'aggrave tout comme l'insécurité, les possibilités de jouir réellement des droits de l'homme s'amenuisent et les difficultés d'assumer les responsabilités s'accroissent. Or, lorsque les diverses formes d'insécurité s'exacerbent et perdurent au point que l'existence tout entière de la personne est dominée par ces innombrables, carences et précarités, c'est la misère dans ce qu'elle a d'implacable.

184. En définitive, ce cumul de précarités ou de carences en matière de santé, d'éducation, d'habitat, de participation, etc., dont la persistance tourmente la vie de ceux que frappe la misère correspond, dans le langage juridique courant, à une expression précise et bien définie : la négation absolue des droits les plus élémentaires de l'homme.

185. Comme le Rapporteur spécial l'a indiqué dans son premier rapport méthodologique, il n'avait pas l'intention de présenter à la Sous-Commission pour adoption une définition précise de l'extrême pauvreté, mais étant donné qu'au Sommet de Copenhague les Etats ont été invités à élaborer, si possible pour 1996, une définition de la pauvreté absolue, dans le cadre de l'application du Programme d'action, le Rapporteur spécial soumet à la réflexion des experts la définition proposée dans son rapport méthodologique accompagnée de quelques brefs commentaires (voir annexe III).

IV. LA JOUISSANCE DES DROITS DE L'HOMME POUR TOUS, COMME OBJECTIF UNIVERSEL ET COMME MOYEN D'ERADICATION DE LA MISERE

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A. La misère, nouveau visage de l'apartheid

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(Ce sous-titre s'inspire du discours prononcé par le Président Nelson Mandela à la Conférence de Copenhague, dans lequel il a notamment déclaré : "La pauvreté est le nouveau visage de l'apartheid, le nouveau visage de l'esclavage".)

186. L'une des principales difficultés rencontrées par le Rapporteur spécial dans l'élaboration de la présente étude a été, aussi paradoxal que cela puisse paraître, d'éviter que son attachement et sa fidélité à la description des faits - aussi utile qu'indispensable - ne trahissent le message transmis par ceux qui vivent dans une extrême pauvreté. Autrement dit, comment faire pour décrire avec véracité les conditions de vie lamentables, les souffrances et, surtout, la déchéance que la misère provoque chez les individus, sans en donner une version fataliste, laissant entendre que les personnes qui y sont tombées ne pourront jamais s'en sortir ou, pis encore, que leur déchéance est telle qu'elles ne sont déjà plus des êtres humains comme les autres, ce qui reviendrait à alimenter involontairement des arguments racistes ou xénophobes ? Dépeindre les aspects les plus terribles de la misère sans faire le jeu de ceux qui ont un regard discriminatoire à l'égard des plus pauvres devient ainsi un véritable dilemme.

187. Pour le résoudre, le Rapporteur spécial a décidé de prendre pour référence d'autres situations semblables faisant ressortir l'engrenage infernal des discriminations. Tel est le cas, par exemple, de l'apartheid. Comment le régime raciste et colonialiste de l'Afrique du Sud a-t-il pu justifier et mettre à exécution une politique d'exclusion sociale et de surexploitation de la population noire ? Le mécanisme dont il s'est servi pour atteindre des objectifs aussi ignobles consistait en une négation délibérée des droits économiques, sociaux, politiques et culturels de cette population, le fondement raciste (de sinistre mémoire) établi à cet effet permettant de refuser à celle-ci des conditions identiques à celles des autres humains. L'esclavage a produit un phénomène équivalent. Au-delà des motivations purement économiques et utilitaires des deux systèmes, les fondements idéologiques étaient semblables : l'esclave n'était pas considéré comme un être humain et, partant, était privé de tous les droits(Cela démontre jusqu'à quel point des personnes peuvent ne pas être reconnues comme êtres humains tant qu'elles ne sont pas identifiées par leurs droits : autrement dit, on ne les identifie pas en tant qu'êtres humains tant que leurs droits ne sont pas reconnus. Au-delà de la dignité, valeur inhérente et commune à tout être humain, quelles que soient l'époque considérée, les circonstances de la vie et la condition sociale de tel ou tel individu, l'on peut se demander ce qu'est un être humain, spolié de tous ses droits.).

188. Force est de reconnaître que la similitude que présentent ces deux situations ne tient pas seulement à la négation totale des droits que chacune entraîne, mais également aux difficultés que pose leur description. Si l'on dépeint, par exemple, les terribles conséquences de l'esclavage et le niveau de déchéance auquel il peut aboutir, l'interprétation qui pourrait en être donnée - ce que font les esclavagistes - est que l'être humain, avili par la servitude, était effectivement un objet et, par conséquent, ne méritait pas un traitement égal à celui des êtres humains. Cependant, c'est sous l'impulsion des luttes entreprises par les esclaves eux-mêmes et des idéaux de la pensée humaniste que l'on a reconnu l'égalité de dignité de tous les êtres humains et que l'on a pu reconnaître l'être humain derrière sa condition d'esclave. On a ainsi pu voir comment cet être, jusqu'alors considéré comme un objet par les esclavagistes, devenait - dans la mesure où il pouvait exercer ses droits sur un pied d'égalité - un être humain dans l'ensemble de son comportement, même aux yeux de ceux qui le niaient. On a vu également comment en Afrique du Sud, après avoir obtenu la reconnaissance de ses droits individuels et de ses libertés fondamentales, la population noire a entamé, de concert avec ceux qui l'avaient exclue, un des processus politiques les plus originaux et les plus exemplaires de ce siècle, laissant loin derrière elle, et à marche forcée, les traces de cette forme contemporaine d'esclavage qu'était l'apartheid.

B. Vers une nouvelle prise de conscience de l'extrême pauvreté

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1. La nécessité d'un changement de regard

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189. Dans la première partie du chapitre précédent, l'on s'est employé autant que possible à montrer de quelle façon et avec quelle intensité la misère touche les personnes et les familles qui vivent dans de telles conditions. La présente section a pour objet d'analyser - tâche en apparence moins complexe - l'image qu'en ont les autres (c'est-à-dire les riches, mais aussi les pauvres dont le point de vue, aussi surprenant que cela puisse paraître, n'est guère différent).

190. Toute analyse qui se veut objective sur la question doit partir néanmoins d'un premier constat fondamental : il s'agit en l'occurrence d'une population que nous ignorons. Pis encore, nous ne savons pas que nous l'ignorons et, si la réalité sociale nous l'impose, force est de reconnaître alors à quel point nous tenions à l'ignorer. Témoin les énormes remparts (généralement beaucoup plus coûteux que les innombrables logements qu'ils sont censés cacher) dressés autour des faubourgs de bon nombre de grandes métropoles du monde. "Les riches, écrivait Charles Booth, fondateur de l'Armée du salut au siècle dernier, ont tiré un rideau sur les pauvres, et sur ce rideau, ils ont peint des monstres".

191. Par ailleurs, il faut bien admettre également que, si l'on sait quoi que ce soit des personnes vivant dans une extrême pauvreté, cela se résume d'ordinaire à fort peu de choses et, le plus souvent, à des informations erronées. De fait, nos sociétés en ont, pour l'essentiel, une image péjorative et empreinte de préjugés. Le sentiment prédominant est une sorte de crainte et de mépris à leur égard. D'une manière générale, on tient les personnes en question pour responsables de la situation dans laquelle elles se trouvent, étant peu à même, voire incapables d'évoluer. On les croit condamnées (et c'est cette conviction qui, en réalité, les condamne) à vivre dans la misère, comme si elles avaient délibérément choisi d'y tomber ou d'y rester.

192. Mais une fois surmontées les barrières de l'ignorance et les idées toutes faites qui entravent notre jugement, une réalité sociale complexe apparaît alors et nous découvrons un monde non seulement que nous connaissons mal, mais face auquel la plupart de nos réactions se révèlent inopportunes et parfois extrêmement préjudiciables. Telle est la conclusion qui se dégage du témoignage d'une personne disposant d'une solide formation qui, après avoir passé de nombreuses années dans des lieux de misère, en compagnie de familles très pauvres, présente ainsi divers exemples de réactions inadaptées dont elles ont généralement pâti :

  • a) "Il s'agit d'une population extrêmement vulnérable, auprès de laquelle on ne doit pas intervenir inconsidérément, sous peine de détruire l'équilibre précaire dans lequel elle survit. Elle est plus sensible que d'autres aux erreurs et aux échecs.
  • b) Il faut savoir que son expérience ne fait pas partie de l'expérience des autres hommes : les moyens de survie qu'elle met en place au jour le jour paraissent incohérents à ceux qui peuvent faire des projets à plus long terme. Ce sont pourtant d'ultimes sécurités, derrière lesquelles il n'y a plus rien, et qui ne peuvent donc être abandonnées pour entrer dans des projets dont la réussite n'est pas garantie par un investissement humain durable avec elles.
  • c) A cette population plongée dans l'immédiat de la survie, et ainsi privée de sa mémoire et de son histoire, occultées par la souffrance et l'épuisement, on répond cependant en répétant les mêmes gestes d'urgence, sans souci de cohérence, sans les inscrire dans une durée et dans une histoire qui pourraient restructurer le temps, éclairer l'avenir.
  • d) A cette population dont les forces s'éparpillent à répondre aux multiples manques, on fait des réponses parcellaires et spécifiques qui ignorent ces efforts et perpétuent l'impossibilité de cohésion de leur existence.
  • e) A cette population que l'incohérence de la vie dans une extrême pauvreté contraint à faire des gestes contradictoires et même antagonistes, on n'hésite pas à faire des réponses contradictoires quand cela nous convient.
  • f) A cette population dont la misère casse si souvent les liens familiaux et sociaux, qui ne peut avoir qu'une vision émiettée de sa condition, on va répondre de manière fractionnée, au cas par cas, problème par problème, individu par individu, accentuant ainsi les séparations et les divisions.
  • g) A cette population prisonnière de la misère et dépendante, on répond par de multiples interventions, un contrôle social, des projets élaborés, mis en oeuvre et évalués sans elle."

2. Valorisation des efforts consentis par les personnes vivant dans une extrême pauvreté

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193. Il est à la fois étonnant et émouvant de constater que, même à l'intérieur de ce monde précaire, marqué par l'adversité et l'infortune, certains accomplissent des gestes pathétiques de solidarité, destinés à préserver les liens familiaux, à fournir une aide à quiconque se trouve dans la même situation, etc. En tout état de cause, ces gestes traduisent une volonté de lutte, même si celle-ci ne produit que de maigres succès, de modestes triomphes et de multiples échecs. Ces succès qui peuvent paraître insignifiants, ces multiples batailles qui se perdent quotidiennement, expriment à leur manière (dans le langage sans paroles de ceux qui, dans la majorité des cas, n'ont pas appris à se servir de mots) la réalité d'un combat, d'un refus, d'un effort, d'une lutte silencieuse et imperceptible, dont l'intensité et l'opiniâtreté permettent néanmoins à des millions de personnes d'affronter jour après jour, à chaque instant de leur vie, l'engrenage infernal de la misère.

194. L'UNICEF, une des organisations qui déploient dans ce domaine une intense activité, le confirme : "Ceux qui sont en première ligne dans la lutte contre la pauvreté absolue - le quart le plus pauvre de l'humanité - se battent presque 24 heures par jour pour subvenir aux besoins les plus élémentaires de leur famille". Il est indispensable d'"épauler les efforts des plus pauvres qui continueront à se battre, comme ils l'ont toujours fait, pour subvenir à la plupart de leurs besoins, en ne comptant que sur leurs propres efforts" (UNICEF, La situation des enfants dans le monde, 1993.).

195. Si l'on ne comprend pas cette lutte, ce refus constant de la misère, il sera impossible de briser l'image fataliste qu'elle projette. En outre, sans une valorisation de ces efforts, et surtout sans s'appuyer sur ceux-ci, il risque d'être difficile de contribuer à libérer ceux qui vivent dans la misère.

3. Comment atteindre les plus pauvres ?

196. Comme on l'a vu, les personnes les plus pauvres constituent la couche de la population qui est la moins prise en compte par les statistiques. Il en va de même pour les politiques sociales et l'accès aux services de base (santé, éducation, planification de la famille, etc.) : les indigents en sont généralement privés, ces services n'étant pas axés sur eux, ou se révélant inadaptés ou inaccessibles. Cependant, l'on commence désormais à privilégier d'autres façons d'aborder le problème, du fait de l'aggravation du phénomène de l'extrême pauvreté et de l'exclusion sociale, qui s'ajoute à la faillite chronique des politiques sociales traditionnelles : celles-ci fournissent généralement une assistance éphémère et atteignent rarement les groupes les plus pauvres, ne leur offrant aucune réponse durable qui leur permette d'échapper à la misère.

197. Dans une publication récente intitulée "Atteindre les plus pauvres", l'UNICEF a procédé à une intéressante évaluation des activités réalisées par de petites organisations non gouvernementales locales et par ATD-Quart monde dans des poches de pauvreté situées sur différents continents. Mis à part l'examen de sept expériences concrètes, cette étude met en évidence - et c'est en cela qu'elle revêt de l'importance - les mesures à prendre et la dynamique à créer à l'égard de cette population pour pouvoir mieux la connaître et nouer des liens de confiance réciproques qui permettent aux personnes intéressées de participer à tel ou tel projet communautaire ou de s'intégrer dans une autre activité en vue d'échapper d'une façon ou d'une autre à la misère.

198. La consigne essentielle d'une telle approche méthodologique visant à atteindre les plus pauvres est qu'on ne peut rien faire "pour" eux si ce n'est "avec" eux. Autrement dit, les pauvres doivent être associés tant à l'élaboration qu'à l'exécution et à l'évaluation des programmes. Avant même le stade de l'élaboration, il faut étudier le terrain pour apprendre d'emblée à connaître la population la plus pauvre et les besoins de la communauté tout entière. Autre élément important, le contact direct avec les familles, sans lequel l'on ne saurait établir des liens de confiance fondés sur la compréhension mutuelle, qui puissent subsister malgré le temps et acquérir un caractère durable.

199. Un aspect important de cette approche est la façon dont on tient compte des relations humaines pour bâtir un projet avec les personnes, familles et groupes concernés par la grande pauvreté. Dans ce sens, on constate une sensibilité particulière de ces personnes à s'intégrer à des projets qui concernent directement la famille, et qui créent un lien avec la communauté environnante.

200. Deux éclaircissements importants sont à faire à ce sujet. Premièrement, dans la méthode présentée par l'UNICEF l'expression "les plus pauvres" n'est pas utilisée pour déterminer la catégorie de population située au pôle extrême de la pauvreté, même si le plus souvent cela coïncide. L'expression "les plus pauvres" désigne la population la plus difficile à atteindre au sein d'une communauté pauvre. Deuxièmement, plus qu'une désignation, "atteindre les plus pauvres" devient l'expression d'une démarche : qui sont les plus pauvres ? pourquoi ne les atteint-on pas ? Comment les atteindre ? Une telle démarche permet d'envisager un développement communautaire qui n'exclut personne.

201. Il est intéressant de noter que le PNUD, dans son remarquable document directif intitulé Poverty Eradication: A Policy Framework for Country Strategies (1995), formule des directives méthodologiques ainsi que des priorités d'action pour éradiquer la pauvreté en mettant également l'accent sur nombre de considérations évoquées dans les paragraphes précédents. En effet, il souligne en premier lieu la nécessité de mesurer la pauvreté et développe des conseils méthodologiques à cette fin. Mesurer la pauvreté implique deux étapes distinctes : premièrement, il faut identifier qui sont les personnes vivant dans la pauvreté et où elles se trouvent. Mais indépendamment de la façon de mesurer la pauvreté, l'exercice d'identification devrait permettre de répondre à la question de savoir pourquoi certains groupes, et pas d'autres, souffrent d'une privation particulière. Pour le PNUD, l'élaboration de ces stratégies d'éradication de la pauvreté exige donc d'identifier soigneusement la population cible : cet exercice de "repérage" doit se faire en incorporant la perception que les gens eux-mêmes ont de leur situation.

202. Cette approche participative à l'égard des personnes se trouvant dans une situation de pauvreté a été fortement encouragée lors du Sommet de Copenhague : "Il conviendrait de prendre les mesures suivantes pour démarginaliser les pauvres et leurs organisations : ... Encourager et aider les pauvres à s'organiser pour que leurs représentants puissent participer à l'élaboration des politiques économiques et sociales et à collaborer plus efficacement avec les institutions gouvernementales et autres institutions appropriées, pour obtenir les services et facilités dont ils ont besoin." (Programme d'action de Copenhague, par. 28 e).)

203. Le Secrétaire général a exprimé cette préoccupation directement aux personnes concernées à l'occasion de l'ouverture de l'Année internationale pour l'élimination de la pauvreté : "A ceux qui vivent dans la pauvreté, je leur adresse ce message. Nous vous écoutons. Nous vous demandons de nous dire ce que nous pouvons faire pour répondre à vos aspirations; non pas ce que nous pouvons faire pour vous, mais ce que nous pouvons faire avec vous" (Conclusion du discours prononcé à l'occasion de l'ouverture de l'Année internationale pour l'élimination de la pauvreté (Communiqué de presse SG/SM/95/327, 15 décembre 1995).).

204. En résumé, la lutte pour l'élimination de la pauvreté nécessite non seulement une connaissance approfondie de ses causes et des facteurs qui la produisent, l'aggravent et la perpétuent, mais également une évaluation de ses incidences sur l'ensemble des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De plus, comme nous l'avons vu, il est indispensable de mettre en place des mécanismes de participation faisant intervenir les personnes les plus pauvres à tous les stades de l'application des politiques élaborées à leur intention. Ce n'est qu'ainsi que l'on pourra obtenir des résultats concrets et durables. L'être humain qui se cache sous le masque hideux de la misère ne pourra se réaliser dans toute sa plénitude que s'il peut exercer effectivement tous ses droits et ses libertés.

V. RECOMMANDATIONS

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A. Recommandations se rapportant expressément à l'extrême pauvreté

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205. Dans tous les documents importants publiés au cours des dix dernières années, notamment à l'occasion de la Conférence de Vienne sur les droits de l'homme et du Sommet de Copenhague pour le développement social, l'extrême pauvreté apparaît comme une négation de l'ensemble des droits de l'homme, son élimination figurant parmi les principaux buts et objectifs à atteindre. Plus récemment, la période 1997-2006 a été proclamée dans la même optique Décennie des Nations Unies pour l'élimination de la pauvreté, l'idée étant de conférer au système des Nations Unies un rôle décisif dans la lutte contre ce fléau. Aussi, en guise de conclusion à la présente étude, semble-t-il opportun de formuler les recommandations suivantes.

1. Niveau international

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a) Décennie des Nations Unies pour l'élimination de la pauvreté

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206. L'examen du phénomène de l'extrême pauvreté et de son impact sur les droits de l'homme devrait constituer un "axe central" dans les activités de la Décennie des Nations Unies pour l'élimination de la pauvreté. A cet égard, les mesures qui seront entreprises pour atteindre l'objectif visé devront être évaluées également en fonction de leurs incidences sur les personnes les plus pauvres.

b) Organes permanents ayant des compétences dans le domaine des droits de l'homme

207. L'extrême pauvreté devrait être intégrée, en tant que thème prioritaire, dans les programmes respectifs de l'Assemblée générale, de la Commission des droits de l'homme et de la Sous-commission.

208. Cette dernière, au sein de laquelle la question de l'extrême pauvreté a été matière à une féconde réflexion, devrait continuer d'offrir le cadre voulu pour maintenir un courant de communication entre experts et organisations non gouvernementales, permettant de procéder à de véritables échanges de vues et de tenir cette question à l'étude. La Sous-Commission pourrait également s'appuyer sur ses efforts antérieurs et réaliser une étude pour analyser d'une manière approfondie le contenu, la portée, l'exigibilité et l'application des droits économiques, sociaux et culturels. De même, dans le cadre de l'étude que M. José Bengoa effectue actuellement au sujet des rapports entre la jouissance des droits de l'homme, notamment des droits économiques, sociaux et culturels, et la répartition du revenu, la Sous-Commission pourrait contribuer à l'amélioration des indicateurs quantitatifs et à l'établissement d'indicateurs qualitatifs permettant de mesurer la pauvreté de façon appropriée et d'en évaluer l'impact, principalement dans les domaines ou secteurs considérés comme prioritaires. Compte tenu des importants concours que les organisations non gouvernementales fournissent jour après jour et de manière croissante tant en matière de développement que dans d'autres secteurs liés à l'action sociale et aux droits de l'homme, il serait utile que la Sous-Commission entreprenne, en collaboration étroite avec ces organisations, une étude dans laquelle elle mettrait en évidence l'étendue de leurs activités touchant à l'extrême pauvreté, l'intérêt de leurs méthodes de travail et la façon dont elles exécutent leurs programmes. Une telle étude permettrait de mieux tirer parti de leurs connaissances et de leur expérience, et de canaliser un volume accru de ressources fournies au titre de la coopération vers des projets sur le terrain.

c) Organes créés en vertu d'instruments relatifs aux droits de l'homme

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209. A cet égard, il serait souhaitable que les organes chargés de surveiller l'application des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme demandent aux gouvernements, lors de l'examen des rapports des Etats ou des communications présentées, des renseignements précis au sujet des politiques et des mesures concrètes adoptées au niveau intérieur pour donner aux personnes les plus pauvres la possibilité d'exercer effectivement les droits reconnus dans lesdits instruments. Cette recommandation, qui cadre avec une pratique de plus en plus couramment suivie par ces organes, notamment au Comité des droits de l'enfant, est d'autant plus importante que, comme il a été démontré dans la présente étude, la misère est un des obstacles à l'exercice effectif de l'ensemble des droits de l'homme.

210. Enfin, vu les énormes contraintes qu'entraîne la misère, les organes de contrôle devraient établir des mécanismes qui facilitent la participation des personnes les plus pauvres, par l'intermédiaire de leurs associations représentatives, l'objectif étant de pouvoir évaluer objectivement dans quelle mesure ce secteur particulièrement touché de la population exerce effectivement ses droits. Bien entendu, tant dans l'examen des rapports que des communications, le caractère indivisible et interdépendant des droits de l'homme nécessite une analyse approfondie de la façon dont la limitation de certains droits influe sur la jouissance ou la réalisation des autres droits.

d) Organismes et institutions du système des Nations Unies

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211. Mis à part la responsabilité qui incombe aux organes ayant des compétences spécifiques dans le domaine des droits de l'homme, il est évident que tous les organismes et institutions du système devraient tenir compte des aspects de la misère qui touchent à la protection des droits de l'homme, aussi bien dans l'élaboration de leurs politiques et stratégies que dans le choix des méthodes à employer pour éliminer la pauvreté. De fait, le caractère multidimensionnel de problèmes tels que la misère et l'exclusion sociale laisse entrevoir, ainsi qu'il ressort du chapitre II et de l'annexe I de la présente étude, une forme de responsabilité partagée pour les différentes composantes du système, d'autant que les stratégies de lutte contre la pauvreté mises en oeuvre par certains organes ou institutions peuvent être freinées par l'orientation des politiques macro-économiques appuyées par d'autres. D'où la nécessité d'une coopération au sein du système et d'une harmonisation de ses stratégies pour que les objectifs de la Conférence de Vienne, du Sommet de Copenhague et de la Décennie puissent se réaliser.

212. Il est également nécessaire et urgent de procéder à une harmonisation des indicateurs permettant de mesurer la pauvreté. La grande diversité des critères actuellement employés au niveau international a un effet multiplicateur au niveau national, ce qui crée d'importantes incertitudes quant à l'exactitude des données fondamentales de la réalité sociale, qu'il s'agisse de l'ampleur de la misère, de son aggravation, etc. Cependant, outre le caractère homogène à conférer aux indicateurs quantitatifs, il faudrait aussi progresser dans l'élaboration d'indicateurs qualitatifs pour mieux saisir les caractéristiques de ce phénomène.

e) Organismes et institutions chargés de la coopération technique et économique

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213. A cet égard, de nombreuses idées et propositions novatrices ont été présentées lors du Sommet mondial pour le développement social de Copenhague, la plus importante étant la nécessité de consacrer davantage de ressources humaines et financières à la coopération technique et économique internationale pour que les aspects de la Déclaration et du Programme d'action qui touchent aux droits de l'homme puissent se concrétiser. Vu la spécificité du Centre pour les droits de l'homme, il faudrait que celui-ci puisse jouer un rôle décisif dans le domaine de la coopération technique tout au long de la décennie.

214. Il faudrait également tenir dûment compte de l'expérience acquise sur le terrain par les organisations non gouvernementales qui mènent depuis longtemps des activités dans des lieux où sévissent la pauvreté et la misère, et tirer parti des connaissances approfondies que leur procurent la proximité des plus pauvres et une présence permanente au niveau local.

f) Rôle de l'éducation relative aux droits de l'homme et de l'opinion publique

215. Comme on l'a vu, des facteurs d'ordre culturel ont une incidence directe sur le processus d'exclusion qu'engendre la misère et sur l'aggravation et la perpétuation de celle-ci. Pour cette raison, l'éducation relative aux droits de l'homme devrait être un élément central des stratégies à long terme de lutte contre l'exclusion sociale et la discrimination et devrait viser à mieux faire comprendre les liens existant entre l'extrême pauvreté et les droits de l'homme. Il faudrait que le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, chargé de coordonner les activités de la Décennie des Nations Unies pour l'éducation dans le domaine des droits de l'homme, ainsi que le Centre pour les droits de l'homme et l'UNESCO, conjuguent leurs efforts pour atteindre un tel objectif.

216. Enfin, les médias sont appelés à jouer un rôle déterminant en contribuant à forger une nouvelle vision culturelle de l'humanité, sans préjugés ni exclusions d'aucune sorte, privilégiant le respect de la dignité humaine.

2. Niveau national

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217. Les gouvernements étant responsables au premier chef de l'application à l'échelon national des engagements contractés au Sommet mondial de Copenhague, le Rapporteur spécial tient à rappeler que, pour atteindre les objectifs de développement social convenus à cette occasion, il est indispensable que le modèle de développement retenu au niveau intérieur repose sur une large assise, ait un caractère participatif et permette de répartir équitablement entre tous les membres de la collectivité les avantages offerts par le progrès. Autrement dit, il s'agit d'éviter les modèles de développement qui, en étant exclusivement fondés sur la réalisation d'objectifs macro-économiques, aggravent la situation des secteurs les plus défavorisés, accentuent la pauvreté et contribuent à l'exclusion sociale. L'expérience le prouve, si le modèle choisi a un caractère élitiste et engendre la pauvreté et l'exclusion, les politiques sociales appliquées ultérieurement ne pourront jamais compenser les coûts de la détérioration du tissu social provoquée par ledit modèle.

218. En vue de donner effet aux engagements pris à Copenhague, les gouvernements doivent, entre autres tâches, arrêter une définition de l'extrême pauvreté, améliorer les indicateurs classiques et élaborer des méthodes permettant de mesurer toutes les formes de pauvreté, notamment la pauvreté absolue. Cependant, pour entreprendre des activités visant à éliminer celle-ci, il est indispensable de mettre au point des politiques globales, correspondant au caractère multidimensionnel de ce phénomène. A cette fin, il est recommandé d'élaborer des programmes nationaux de lutte contre la pauvreté qui, de l'avis du Rapporteur spécial, devraient revêtir un caractère normatif sous la forme d'une loi-cadre prévoyant des mécanismes d'application. Ainsi, les activités entreprises par chacun des secteurs de l'administration (éducation, santé, par exemple) s'articuleraient autour de celles qui relèvent d'autres secteurs (travail, action sociale, etc.).

219. Il importe que ces programmes nationaux soient assortis de méthodes d'exécution conçues de telle sorte que les politiques de lutte contre la pauvreté atteignent effectivement ceux qui sont généralement laissés pour compte, du fait de leur exclusion sociale, de leur marginalisation ou de la misère dans laquelle ils vivent. L'une des directives adoptées à Copenhague stipule à cet égard que les pauvres doivent être associés à l'élaboration, à l'exécution, au suivi et à l'évaluation des programmes qui les concernent. Par ailleurs, il serait souhaitable que les gouvernements mettent à profit les connaissances et l'expérience des organisations non gouvernementales menant depuis longtemps des activités dans les zones touchées par la misère. Dans cette nouvelle perspective, la formation et le perfectionnement des compétences des travailleurs sociaux sont d'une importance cruciale pour obtenir des résultats positifs à l'échelon national. Les gouvernements qui ne disposent pas des moyens voulus à cet effet devraient recourir à la coopération internationale, une telle formation pouvant du reste s'inscrire dans le cadre de l'éducation relative aux droits de l'homme. Cette formation devra également tenir compte des critères énoncés dans le présent rapport et dans l'étude susmentionnée de l'UNICEF "Atteindre les plus pauvres". Elle devra en outre s'inspirer des directives qui pourraient être élaborées par les Nations Unies pour que les personnes les plus pauvres puissent jouir pleinement de tous leurs droits.

B. Proposition de politique générale

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220. Ainsi qu'il a été indiqué plus haut, tant la Déclaration que le Programme d'action de Copenhague ont le mérite de reconnaître que les droits de l'homme constituent une des composantes du développement social. Aussi l'atténuation de la pauvreté et la lutte contre l'exclusion sociale et la misère, qui comptent parmi les objectifs fondamentaux du Sommet semblent-elles étroitement liées à la réalisation des droits de l'homme, auxquels les deux documents en question font une large place.

221. Contrairement au traitement réservé au problème du chômage, pour lequel l'OIT a été désignée comme l'organisation clef pour atteindre les objectifs fixés en la matière lors du Sommet de Copenhague, ni la Déclaration ni le Programme d'action ne définissent précisément les moyens et les mécanismes à employer pour donner corps, au niveau international, à la dimension des droits de l'homme.

222. En tout état de cause, il est évident que le suivi de Copenhague dans ce domaine incombe essentiellement aux organes normalement chargés de la protection des droits de l'homme dans le système des Nations Unies, à savoir l'Assemblée générale, la Commission des droits de l'homme et la Sous-Commission. Cependant, le Rapporteur spécial estime que la Commission devrait établir un mécanisme idoine pour contribuer à la mise en oeuvre de tous les éléments liés aux droits de l'homme dans la Déclaration et le Programme d'action, éléments qui, tout en cadrant avec les dispositions prises lors du Sommet de Vienne au sujet de la misère et de l'exclusion, s'intègrent parfaitement aux objectifs de la Décennie des Nations Unies pour l'élimination de la pauvreté.

Mécanisme d'application

223. La Commission pourrait désigner un rapporteur spécial, ou charger un groupe de travail des tâches envisagées si elle considère que leur ampleur et leur complexité nécessitent la contribution d'experts de différentes régions. L'autre possibilité, probablement la plus souhaitable, serait de confier ces tâches au Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, qui pourrait bénéficier du concours d'experts régionaux désignés par la Commission.

Compétence du mécanisme

i) Application

224. La principale fonction de ce mécanisme consisterait dans l'exécution des activités directement liées à la réalisation des objectifs concernant les droits de l'homme qui sont énoncés dans le Programme d'action de Copenhague et dans les autres textes de référence.

ii) Harmonisation

225. A l'échelon international, de multiples organismes et organisations du système mènent des activités dans ce domaine, qu'il s'agisse du PNUD, de la CNUCED, de l'OIT, de l'UNICEF, de la Banque mondiale ou du FMI. Le mécanisme qui doit être établi aurait pour tâche d'encourager le dialogue au sein du système pour harmoniser les politiques et stratégies de ses différentes composantes ayant des incidences dans le domaine des droits de l'homme.

iii) Evaluation

226. Les rapports annuels que le Rapporteur spécial, le Groupe de travail ou le Haut Commissaire devrait présenter à la Commission et à l'Assemblée générale permettraient d'examiner régulièrement le déroulement des activités d'application, de coopération et d'harmonisation. Ils serviraient également de base à l'élaboration du document d'évaluation sur la réalisation des objectifs de Copenhague dans le domaine des droits de l'homme, qui pourrait être présenté en 1998, voire en 2000, une session de l'Assemblée générale étant prévue à cette occasion.

iv) Coopération internationale et assistance technique

227. S'agissant d'un mécanisme essentiellement axé sur la réalisation des objectifs de Copenhague, une part importante de sa contribution pourrait consister à fournir une assistance technique aux gouvernements, aux autorités locales, etc., avec lesquels une coopération s'avère nécessaire pour atteindre lesdits objectifs.

v) Aspects culturels

228. Il convient à nouveau de souligner l'importance des aspects culturels et des effets positifs de l'éducation relative aux droits de l'homme pour le succès de la Décennie et des objectifs définis tant à Vienne qu'à Copenhague.

vi) Commissions régionales

229. Par ailleurs, les différentes commissions régionales de l'ONU, qui ont réalisé d'importantes études sur les conditions propres à leurs régions respectives et participent activement à la lutte contre l'extrême pauvreté et l'exclusion sociale, pourraient collaborer étroitement avec le mécanisme envisagé dans le cadre de ses tâches d'application.

vii) Coopération avec les organisations non gouvernementales

230. Enfin, une étroite coopération devra s'instaurer entre le mécanisme et les organisations non gouvernementales afin de tirer parti de leur expérience.

231. L'articulation des tâches d'application, d'harmonisation, de coopération et d'évaluation permettra de concevoir la Décennie des Nations Unies pour l'élimination de la pauvreté comme un défi positif, sollicitant à chaque instant une grande partie de nos efforts et de notre créativité, en vue de mener une lutte efficace et systématique contre le problème croissant de la pauvreté, du chômage, de l'exclusion et de la misère : autrement dit, il s'agit d'entreprendre des activités beaucoup plus centrées sur la population et le bien-être de tous, et de restituer ainsi au développement cette dimension sociale, ce profil humain dont il a longtemps été dépourvu.

Notes à Insérer

= Annexe I RESOLUTIONS SE REFERANT A L'EXTREME PAUVRETE EN MATIERE DE DROITS DE L'HOMME ET DONT UNE GRANDE PARTIE APPUIENT LA NECESSITE DE L'ETUDE = Assemblée générale

Résolutions intitulées "Droits de l'homme et extrême pauvreté" : 46/121, 47/134, 49/179

Résolutions relatives à la Journée, à l'Année internationales pour l'élimination de la pauvreté et à la Décennie des Nations Unies pour l'élimination de la pauvreté : 47/196, 48/183, 50/107

Conseil économique et social

Résolutions intitulées : L'extrême pauvreté : 1988/47, 1993/44

Commission des droits de l'homme

Résolutions relatives à la question de la jouissance effective des droits économiques, sociaux et culturels : 1988/23 et suiv.

Résolutions intitulées "Droits de l'homme et extrême pauvreté" : 1989/10, 1990/15, 1991/14, 1992/11, 1993/13, 1994/12, 1995/16, 1996/10

Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités

Décision 1990/119, intitulée "Droits de l'homme et extrême pauvreté"

Résolutions intitulées "Droits de l'homme et extrême pauvreté" : 1992/27, 1993/35, 1994/41, 1995/28 = Annexe I RESOLUTIONS SE REFERANT A L'EXTREME PAUVRETE EN MATIERE DE DROITS DE L'HOMME ET DONT UNE GRANDE PARTIE APPUIENT LA NECESSITE DE L'ETUDE = Assemblée générale

Résolutions intitulées "Droits de l'homme et extrême pauvreté" : 46/121, 47/134, 49/179

Résolutions relatives à la Journée, à l'Année internationales pour l'élimination de la pauvreté et à la Décennie des Nations Unies pour l'élimination de la pauvreté : 47/196, 48/183, 50/107

Conseil économique et social

Résolutions intitulées : L'extrême pauvreté : 1988/47, 1993/44

Commission des droits de l'homme

Résolutions relatives à la question de la jouissance effective des droits économiques, sociaux et culturels : 1988/23 et suiv.

Résolutions intitulées "Droits de l'homme et extrême pauvreté" : 1989/10, 1990/15, 1991/14, 1992/11, 1993/13, 1994/12, 1995/16, 1996/10

Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités

Décision 1990/119, intitulée "Droits de l'homme et extrême pauvreté"

Résolutions intitulées "Droits de l'homme et extrême pauvreté" : 1992/27, 1993/35, 1994/41, 1995/28

Annexe II AUTRES TRAVAUX D'INSTITUTIONS ET D'ORGANISATIONSINTERNATIONALES SUR LA PAUVRETE

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Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance

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Comme on le sait, les opérations du Fonds ont toujours été centrées sur la survie, la protection et le développement des enfants. Outre l'oeuvre remarquable que le Fonds accomplit dans le domaine de la protection de l'enfance en général, il a le mérite d'avoir affecté et de continuer à le faire, une partie importante de ses ressources à des activités axées sur les pauvres et les couches les plus nécessiteuses de la population. La grande expérience qu'il a du travail avec les organisations non gouvernementales, est unique. Elle a inspiré en grande partie la présente étude et est dûment mentionnée dans les chapitres qui traitent des privations qu'engendre la misère. (Parmi les nombreuses publications du Fonds, il a été tenu compte entre autres de ses rapports annuels sur la situation des enfants dans le monde, en particulier de celui de 1993 ainsi que d'un ouvrage récent intitulé "Atteindre les plus pauvres" publié conjointement avec ATD-Quart Monde.)

L'Organisation mondiale de la santé

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Etant donné que la pauvreté, en particulier l'extrême pauvreté, joue un rôle déterminant dans le mauvais état de santé chronique de millions d'êtres humains et dans le taux élevé de mortalité que connaissent certains pays, une grande partie des activités de l'OMS visent à limiter les conséquences néfastes de ces deux phénomènes sur la santé. Cela ressort du fait que, dans son dernier rapport intitulé "Rapport sur la santé dans le monde, 1995 : réduire les écarts", trois des quatre priorités établies pour les activités sanitaires internationales ont trait à la pauvreté. La première vise à tirer partie au maximum à l'avenir des ressources destinées au secteur de la santé en les orientant vers ceux qui en ont le plus besoin. La deuxième a trait directement à la lutte contre la pauvreté et la troisième consiste à promouvoir une politique de santé pour tous, fondée sur le concept de l'"équité". En approuvant ces critères, la communauté internationale s'engage à améliorer la situation sanitaire de tous ses membres et à réduire les écarts qui existent entre les pays comme entre les différents groupes de population. (Dans le même esprit, voir la résolution de l'Assemblée mondiale de la santé, WHA48.16, dans laquelle il est demandé de développer une politique de santé holistique basée sur les concepts d'équité et de solidarité.) Comme on a pu le constater tout au long de la présente étude, les analyses et informations fournies par cette organisation ont été extrêmement utiles.

La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement

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Convaincue de la nécessité d'appuyer les nombreux efforts déployés aux niveaux tant national qu'international pour prévenir, atténuer et éliminer la pauvreté, la CNUCED a institué une commission permanente de l'atténuation de la pauvreté. Il résulte des travaux de cette commission qu'il est de l'intérêt de tous que les pauvres ne soient plus considérés comme un poids mort pour la société et que la lutte contre la pauvreté soit pour tous, pauvres et riches, donateurs ou bénéficiaires, une priorité absolue tant dans les programmes nationaux que dans les programmes internationaux. Il convient de

no match

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se reporter à ce sujet au rapport de la Commission permanente de l'atténuation de la pauvreté sur sa troisième session (TD/B/42(1)/10), aux documents TD/B/CN.2/2, TD/B/CN.2/8 à 10, TD/B/CN.2/GE.1/2, UNCTAD/PA/2 à 8 et, plus récemment, au rapport du Secrétaire général de la CNUCED à la neuvième session de la Conférence (TD/366) de janvier 1996. Les conclusions de la Conférence - qui se tiendra prochainement en Afrique du Sud - sur la mondialisation et la libéralisation et leurs effets sur l'atténuation de la pauvreté revêtent un grand intérêt pour la présente étude.

Le Programme des Nations Unies pour l'environnement

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Dans ses premières études déjà, le PNUE a insisté sur la dégradation profonde de l'environnement qui survient généralement dans les lieux ou les régions où les populations vivent dans le dénuement. Le cas de Haïti, où plus de la moitié de la population vit dans la misère, est très révélateur. Il suffit d'observer le niveau de déforestation du pays pour comprendre que nous sommes en présence d'une véritable catastrophe écologique, provoquée par la misère. Celle-ci, à son tour, est bien souvent le résultat direct de la dégradation de l'environnement. La situation d'extrême pauvreté et de marginalisation dans laquelle se sont retrouvées certaines populations autochtones après avoir été chassées de leur habitat naturel par la dégradation de l'environnement consécutive à l'installation d'industries polluantes illustre aussi ce phénomène.

Aboutir à un développement durable et écologiquement rationnel amène le PNUE à lutter contre le cercle vicieux de la pauvreté dans laquelle se débattent des millions d'êtres humains et qui les oblige à résoudre le problème quotidien de leur survie en détruisant l'environnement et les ressources de base dont dépendent pourtant leur survie et leur bien-être futurs. (Il est important de remarquer que toutes les institutions du système des Nations Unies doivent tenir compte dans leurs programmes et activités de cette dimension écologique du développement. Plus encore, en 1991, a été créé le Fonds pour le développement mondial, dont la Banque Mondiale est un des principaux contributeurs, pour octroyer des subventions ou des aides concessionnelles pour aider les pays en développement à entreprendre des projets qui contribueront à la protection de l'environnement mondial.)

Le Fonds des Nations Unies pour la population; le Centredes Nations Unies pour les établissements humains (Habitat)

Les activités qui bénéficient de l'appui du FNUAP sont axées principalement sur les pays les moins avancés et les secteurs à bas revenus, l'accent étant mis sur les soins de santé primaires, les femmes en âge de reproduction, la planification de la famille, etc. Habitat, qui joue un rôle très important dans l'élaboration des programmes de lutte contre la pauvreté urbaine, est partisan d'une approche globale du développement communautaire, estimant que la pauvreté ne se manifeste pas et ne se mesure pas seulement en termes monétaires. Pour découvrir ses multiples facettes, il faut observer de près les conditions déplorables où vivent les pauvres et le problème du logement qui, de jour en jour, empire dans tous les pays. Ainsi, en 1980, un tiers seulement des habitants du tiers monde étaient des citadins. Aujourd'hui, la moitié de la population mondiale vivent dans une ville et à mesure que la population urbaine s'accroît, la pauvreté augmente. (Voir "Les enfants du monde", Revue du Comité français pour l'UNICEF. En juin prochain, Habitat organise la première Conférence mondiale sur les établissements humains).

L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture;le Fonds international de développement agricole;le Programme alimentaire mondial

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Depuis sa création, la FAO a suivi avec beaucoup d'attention l'évolution de la pauvreté en milieu rural et a mis en oeuvre de nombreux programmes destinés à la combattre. En ce qui concerne les petits producteurs et les pauvres en général, elle mène dans divers domaines une action complémentaire (les principaux étant le développement de la production et de la croissance dans le secteur agricole, en particulier chez les petits producteurs; la promotion et l'assistance technique pour élargir l'accès des pauvres aux moyens de production; le développement des ressources humaines chez les pauvres par l'application de politiques alimentaires et de mesures nutritionnelles, la promotion de programmes de sécurité alimentaire, etc.). Etant donné qu'il y a toujours beaucoup de pauvreté dans les zones rurales et qu'elle est la principale cause des migrations internes, le FIDA consacre la plus grande partie de ses ressources à l'atténuer par des programmes d'assistance aux femmes de la campagne, aux petits propriétaires terriens et à ceux qui ne possèdent pas de terres. L'assistance alimentaire fournie par le PAM est destinée à lutter contre la faim et la pauvreté mais les programmes de cet organisme comme ceux de la FAO et du FIDA visent, dans tous les cas, à insérer les pauvres dans la vie active.

L'Organisation international du Travail

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Créée à la fin de la première guerre mondiale, cette organisation a effectué à l'échelle internationale un travail ingrat pour défendre les intérêts de tous les secteurs du monde du travail. Mais quand, dans les années 80, "le vent de dérégulation et de flexibilité ... s'est mis à souffler sur le monde" (voir La lettre du Bureau international du Travail, No 20, mai-juin 1996, Paris), l'OIT s'est surtout employée à faire appliquer les programmes sociaux destinés à pallier les effets négatifs des politiques d'ajustement structurel, en étroite collaboration avec la Banque mondiale et le FMI.

Toutefois, "après avoir entendu tant d'avis et diagnostics péremptoires, après avoir observé tant de médecines et de chirurgies miracles" - tels que furent considérés à l'époque les pronostics de l'OCDE et les recettes du FMI - "force est de constater que la situation de l'emploi dans le monde s'est détérioré ces 20 dernières années" (voir La lettre du Bureau international du Travail, No 20, mai-juin 1996, Paris). Après avoir été désignée comme l'institution clé, dans la composante de l'emploi, pour l'exécution du Programme d'action de Copenhague, l'OIT paraît déterminée à jouer un rôle beaucoup plus dynamique dans l'analyse de la conjoncture internationale et dans l'élaboration de propositions concrètes dans son domaine de compétence. Le cinquième rapport préparé pour sa quatre-vingt-troisième session (1996) intitulé "Politiques de l'emploi dans une économie mondialisée" en témoigne. De l'avis de l'OIT, le travail est somme toute le moyen le plus efficace de promouvoir l'insertion sociale et de lutter contre la pauvreté et l'exclusion, en particulier s'il s'agit d'un emploi productif et librement choisi. Ces derniers temps, l'OIT a souligné dans ses contributions - et c'est un aspect important qu'elles présentent - que le moyen le plus efficace de lutter contre le chômage et l'exclusion est de respecter l'ensemble de normes internationales du travail. De ce point de vue, les libertés syndicales sont la contrepartie et la garantie de la liberté du commerce (voir en plus du cinquième rapport, la dimension sociale de la libéralisation du commerce international, BIT, Genève, et la lutte contre le chômage et l'exclusion : problèmes et options politiques, BIT, Genève).

Les commissions régionales

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Au niveau régional, la Commission économique et sociale pour l'Asie occidentale (CESAO) et la Commission économique et sociale pour l'Asie et le Pacifique (CESAP) ainsi que la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) ont consacré une grande partie de leurs activités à l'élaboration de méthodes permettant de mesurer la pauvreté et de formuler des programmes et des politiques pour son élimination. Ce travail a été d'une très grande utilité pour le Rapporteur spécial.

La contribution des organisations non gouvernementales

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Cette question mérite une attention particulière et devrait faire l'objet d'une étude séparée car la contribution des organisations non gouvernementales à la lutte contre la pauvreté, l'extrême pauvreté, l'exclusion sociale et, de manière générale, leur action en faveur du droit au développement sont si vastes et leurs activités si variées qu'il est impossible d'en donner ici une description complète et juste.

A titre indicatif et à seule fin d'illustrer l'importance que peuvent avoir des institutions non gouvernementales, nous rappelons les activités d'un organisme mondialement connu sous son nom anglais, la Grameen Bank. Cette banque a pris le contre-pied de prudence bancaire traditionnelle en renonçant à exiger des garanties des emprunteurs et en créant un système bancaire fondé sur la confiance mutuelle, la transparence, la participation et la créativité. Elle consent des crédits aux villageois les plus pauvres du Bangladesh sans demander de caution. Pour la Banque Grameen, le crédit est l'issue qui permet d'échapper au cercle vicieux de la pauvreté et le catalyseur du processus du développement général. Elle considère le crédit comme un instrument d'émancipation, comme une arme donnée pour faire évoluer leur situation socio-économique aux pauvres qui ont été tenus à l'écart des banques pour la simple raison qu'ils étaient pauvres et donc financièrement inintéressants. Le professeur Muhammad Yunus, fondateur et directeur général de la Banque Grameen, est quant à lui parti du principe que si des ressources financières étaient mises à la disposition des pauvres à des conditions appropriées et raisonnables "ces millions de petites gens, avec leurs millions de petites activités, pourraient finir par faire quelque chose de prodigieux dans l'histoire du développement". = Annexe III =

Définition de l'extrême pauvreté

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"La précarité est l'absence d'une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et familles d'assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins grave et définitive. Elle conduit le plus souvent à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle tend à se prolonger dans le temps et devient persistante, qu'elle compromet gravement les chances de reconquérir ses droits et de réassumer ses responsabilités par soi-même dans un avenir prévisible."

Cette définition offre le double intérêt novateur : de saisir la pauvreté en terme de droits et de responsabilités; d'avoir été rédigée en association avec l'ensemble des partenaires sociaux d'un pays et en consultation avec des familles et des personnes très pauvres.

D'autre part, elle montre à la fois la proximité et la différence qui existe entre des situations de pauvreté (première partie de la définition) et d'extrême pauvreté (deuxième partie de la définition). Les deux situations apparaissent comme étant dues à des phénomènes analogues dont essentiellement le nombre, l'amplitude et la durée varient. Elle montre également que la ligne de démarcation entre la pauvreté et l'extrême pauvreté, si elle est bien réelle, peut être mouvante.

La persistance de la situation de précarités multiples sur une longue période, parfois sur plusieurs générations apparaît comme un élément contribuant à l'aggravation d'une situation de pauvreté en une situation de misère.

En mettant en lumière que l'extrême pauvreté est due à un cumul de précarités, cette définition nous situe dans le domaine de l'indivisibilité et de l'interdépendance des droits de l'homme. (Il s'agit de la définition proposée par le Père Joseph Wresinski, dans le rapport intitulé "Grande pauvreté et précarité économique et sociale", adopté par le Conseil économique et social français (Journal officiel, Avis et rapport du CES, p. 25) qui a été présentée à l'examen des experts de la Sous-Commission en premier lieu dans le Rapport préliminaire sur la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels, de M. Danilo Türk ( E/CN.4/Sub.2/1989/19).)

  1. Voir annexe I.