Le second examen des instituteurs en Allemagne

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Le second examen des instituteurs en Allemagne
Revue pédagogique, premier semestre 1884 (p. 165-168).

Le second examen des instituteurs. — Les instituteurs en Allemagne ont deux examens à passer. Le premier, qui correspond à notre examen du brevet élémentaire, se passe à la sortie de l’École normale ; il permet aux jeunes gens qui l’ont subi d’être placés comme stagiaires ; mais ils ne peuvent être nommés à titre définitif que s’ils passent, au bout de deux ans au moins et de quatre ou six ans au plus selon les États, un second examen, qui aboutit à une sorte de certificat d’aptitude professionnelle. Ceux qui ne peuvent l’acquérir au moment fixé peuvent être remerciés ; or ne les garde que par tolérance et jusqu’à ce qu’on ait un personnel assez nombreux pour pouvoir les congédier sans inconvénient.

Le Congrès des professeurs et directeurs d’écoles normales qui a eu lieu dans la ville de Hanovre et dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs dans notre dernier numéro, avait mis ce second examen à son ordre du jour, sous ce titre : « Secours que l’école normale doit prêter au jeune instituteur pour son développement professionnel. »

Nous résumons, d’après les Pädagogische Blätter, la discussion qui a eu lieu sur cette question.

Le rapporteur, M. Friese, directeur d’école normale, se plaint que beaucoup de jeunes gens, au sortir de l’école, une fois le premier examen passé, ne travaillent plus, n’aient plus le désir de progresser. Ceux qui sont placés dans les villes vont de Pavant, passent des examens élèves et même parfois des examens de l’instruction secondaire ; à en est autrement de ceux qui restent à la campagne. Il parait que tous les maîtres actifs, ayant quelque ambition, se poussent vers les villes, et surtout vers les grandes villes, où l’on trouve plus de. ressources et de satisfactions de différents genres.

Notons en passant que la Prusse compte 3,300 écoles dans 1,300 villes et 30,000 écoles pour 53,000 communes rurales ; tels sont les chiffres que donne le rapporteur ; il calcule que sur 4 millions et demi d’enfants obligés par la loi à fréquenter l’école, les villes en ont un million et demi, et les campagnes trois millions : vingt mille instituteurs se trouvent dans les villes ; les campagnes en possèdent un peu plus du double. Nous laissons à M. Friese la responsabilité de cette statistique.

IL ajoute que sur 934 instituteurs qui dans la province de Brandebourg se sont présentés au second examen, 737 seulement l’ont passé, c’est-à-dire moins de 75 % ; dans toute la monarchie prussienne, de 1875 à 1889, il s’est présenté 1,466 candidats à ce second examen, 350 qui auraient dû s’y présenter n’ont pas osé l’affronter ou y ont échoué. Bref, tout calcul fait, et en y comprenant d’autres provinces d’Allemagne, le rapporteur conclut qu’il y a 27 % d’instituteurs qui n’arrivent pas au but, qui ne passent pas le second examen, nécessaire à leur nomination définitive, qui n’ont pas su, pas pu, ou pas voulu s’y préparer convenablement. C’est en effet une proportion considérable et qui mérite d’appeler l’attention.

Que faire pour remédier à ce mal ? Les causes en sont multiples. Elles tiennent, d’après les divers auteurs qui se sont présentés, d’une part à ce qu’un certain nombre d’instituteurs n’ont pas passé par l’école normale ; il y eut un temps où, par pénurie de maîtres, on prenait de toutes mains tout ce qui se présentait, et aujourd’hui on en ressent les conséquences ; il a fallu également remplir les écoles normales nouvellement fondées de jeunes gens mal préparés dont une partie ne put servir.

À ces causes passagères, il faut joindre, d’après le rapporteur, celles qui viennent de l’enseignement même des écoles normales ; il n’est pas suffisamment éducatif, suggestif, il ne dépose pas dans l’esprit des jeunes gens des germes assez forts pour se développer plus tard dans la vie active. Cette critique a naturellement été formulée avec beaucoup de réserve, vu l’auditoire auquel elle s’adressait.

Plusieurs membres du congrès ont relevé aussi les conditions de la vie de l’instituteur à la campagne, les mariages prématurés, auxquels quelques orateurs ont pensé que l’autorité devrait faire opposition, parce qu’ils sont un obstacle au travail préparatoire qu’exige le second examen.

La discussion a surtout porté sur le caractère que doit prendre ce second examen pour répondre réellement à son institution et rendre de réels services. Le rapporteur s’est plaint que trop souvent ce second examen ne soit considéré que comme une répétition du premier ; alors le jeune maître n’est préoccupé que de se rappeler et de repasser ce qu’il a appris à l’école ; il n’est pas stimulé par le besoin ou le désir d’apprendre du nouveau, de s’appliquer à une nouvelle tâche.

IL faut donc s’attacher à donner au second examen un caractère pratique et professionnel, s’assurer, non pas que le candidat à repassé les matières de l’enseignement, mais qu’il a acquis l’art d’enseigner, qu’il connaît la pratique de l’école, tout ensemble les règlements et les méthodes, qu’il s’est développé, qu’il est devenu un maître. Sans doute, s’il demande à être interroge sur un côte spécial, s’il s’est perfectionné dans une des parties du savoir, on peut lui donner celte satisfaction et en inscrire le résultat sur son certificat. De même, s’il a eu, au premier examen, une partie faible, insuffisante, on peut se réserver de l’interroger de nouveau sur ce point pour lui permettre de réparer une lacune.

Ce sont en Allemagne les professeurs et directeurs d’écoles normales qui font passer ce second examen ; il leur appartient donc de ne pas entièrement perdre de vue leurs élèves pendant cet intervalle. Déjà pendant le cours régulier des études, le rapporteur demande que l’on pose les jalons d’une éducation complète, à la fois théorique en vue du premier examen, et pratique en vue du second. Il demande que les sujets d’examen ne soient plus tirés au sort, mais désignés par la commission en se fondant sur la connaissance qu’elle peut avoir de la valeur de chaque candidat.

Quant à la préparation spéciale à ce second examen, elle serait plus sérieuse si les inspecteurs des écoles faisaient mieux leur devoirs ; ce sont, comme on le sait, les ecclésiastiques qui sont chargés de ces fonctions. Le rapporteur se plaint avec une certaine vivacité qu’ils ne s’en acquittent pas avec zèle, qu’ils ne visitent pas les écoles, qu’ils ne surveillent et n’encouragent pas les jeunes maîtres ; il reconnaît que ce sont en effet des personnes peu qualifiées pour celte tâche, à laquelle leurs travaux habituels et leurs études ne les ont pas préparés.

Quelques-uns des membres du Congrès ont proposé de resserrer les rapports entre les maîtres des écoles normales et les jeunes instituteurs ; ils demandent que l’administration favorise le retour de ceux-ci à la maison mère, pour quelques jours de repos, de retraite, pendant lesquels ils retrouveraient des amis,des conseillers, des guides ; ils demandent que des visites régulières, officielles leur soient faites chez eux par les maîtres, et, à défaut de visites officielles, des visites amicales ; ils expriment enfin le désir. qu’une correspondance fréquente s’établisse entre les maîtres et les anciens élèves, pour le plus grand bien de ceux-ci, qui, livrés à eux-mêmes, seront bien aises de rencontrer ainsi un appui et des lumières. Ce n’est pas seulement le second examen qui y gagnera, ce sera le corps enseignant tout entier, ce sera l’école.

Un des délégués de la Bavière, inspecteur à Würzbourg, a donné quelques détails sur la façon dont les jeunes maîtres, dans ce pays, se préparent à ce second examen, qui est l’examen professionnel. Au commencement de chaque année, un plan de travail, avec des sujets de devoirs, élaboré par le comité des professeurs d’écoles normales, est soumis au gouvernement, qui fait les changements qu’il juge nécessaires, et donne son approbation. Les sujets de de devoirs roulent sur l’allemand, l’histoire, la géographie, souvent aussi l& pédagogie, l’arithmétique et l’histoire naturelle ; les côtés pratiques ne sont pas négligés ; des devoirs ont pour objet la tenue et l’enseignement de l’école. Tous sont choisis de façon à ce que les candidats puissent les préparer seuls. L’instituteur-chef (celui du chef-lieu de district), qui est chargé de diriger les études de ces jeunes maîtres, choisit dans le nombre certains sujets qu’il leur distribue. Les travaux écrits lui sont envoyés, il les corrige, et il en rend compte dans les conférences trimestrielles tenues sous sa direction. Parfois on demande aux candidats l’analyse de certains ouvrages ou parties d’ouvrages ; ces analyses sont écrites ou verbales et donnent lieu à des discussions.

Tous les travaux écrits sont envoyés au ministère, où il en est pris connaissance.

Cette organisation a été accueillie avec empressement par les jeunes maîtres, qui y trouvent une direction sûre, qui savent qu’ils ne travaillent pas au hasard, qu’ils suivent un plan, qu’ils ont un but vers lequel on les aide à marcher. De plus, il arrive souvent que l’instituteur-chef cause de ces différents sujets de travaux avec ses collègues plus âgés et que ceux-ci, y prennent intérêt, viennent assister et prendre part aux conférences des candidats. Ce sont autant de stimulants pour l’étude, pour l’’émulation, pour le progrès des uns comme des autres.