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Le second livre des Sonnets pour Hélène/Ainsi que ceste eau coule

La bibliothèque libre.
Sonnets pour Hélène, Texte établi par Roger Sorgéds. Bossard (p. 194-199).

STANCES

DE LA FONTAINE D’HELENE

Pour chanter ou reciter à trois personnes.
LE PREMIER

Ainsi que ceste eau coule et s’enfuyt parmy l’herbe,
Ainsi puisse couler en ceste eau le souci,
Que ma belle Maistresse, à mon mal trop superbe,
Engrave dans mon cœur sans en avoir mercy.

LE SECOND

Ainsi que dans ceste eau de l’eau mesme je verse.
Ainsi de veine en veine Amour qui m’a blessé.
Et qui tout à la fois son carquois me renverse,
Un breuvage amoureux dans le cœur m’a versé.

LE PREMIER

Je voulois de ma peine esteindre la mémoire :
Mais Amour qui avoit en la fontaine beu,
Y laissa son brandon si bien qu’au lieu de boire
De l’eau pour l’estancher, je n’ay beu que du feu.

LE SECOND

Tantost ceste fontaine est froide comme glace.
Et tantost elle jette une ardante liqueur.

Deux contraires effects je sens quand elle passe,
Froide dedans ma bouche, et chaude dans mon cœur.

LE PREMIER

Vous qui refraischissez ces belles fleurs vermeilles,
Petits frères ailez, Favones et Zéphyrs,
Portez de ma Maistresse aux ingrates oreilles.
En volant parmy l’air, quelcun de mes souspirs.

LE SECOND

Vous enfans de l’Aurore, allez baiser ma Dame :
Dites luy que je meurs, contez luy ma douleur.
Et qu’Amour me transforme en un rocher sans ame,
Et non comme Narcisse en une belle fleur,

LE PREMIER

Grenouilles qui jasez quand l’an se renouvelle,
Vous Gressets qui servez aux charmes, comme on dit,
Criez en autre part vostre antique querelle :
Ce lieu sacré vous soit à jamais interdit.

LE SECOND

Philomele en Avril ses plaintes y jargonne,
Et ses bords sans chansons ne se puissent trouver :
L’Arondelle l’Esté, le Ramier en Automne,
Le Pinson en tout temps, la Gadille en Hyver.

LE PREMIER

Cesse tes pleurs, Hercule, et laisse ta Mysie,
Tes pieds de trop courir sont ja foibles et las :
Icy les Nymphes ont leur demeure choisie,
Icy sont tes Amours, icy est ton Hylas.

LE SECOND

Que ne suis-je ravy comme l’enfant Argive ?
Pour revencher ma mort, je ne voudrois sinon
Que le bord, le gravois, les herbes et la rive
Fussent tousjours nommez d’Helene et de mon nom !

LE PREMIER

Dryades, qui vivez sous les escorces sainctes,
Venez et tesmoignez combien de fois le jour
Ay-je troublé vos bois par le cry de mes plaintes,
N’ayant autre plaisir qu’à souspirer d’Amour ?

LE SECOND

Echo, fille de l’Air, hostesse solitaire
Des rochers, où souvent tu me vois retirer,
Dy quantes fois le jour lamentant ma misère,
T’ay-je fait souspirer en m’oyant souspirer ?

LE PREMIER

Ny Cannes ny Roseaux ne bordent ton rivage,
Mais le gay Poliot, des bergères amy :

Tousjours au chaud du jour le Dieu de ce bocage,
Appuyé sur sa fleute, y puisse estre endormy.

LE SECOND

Fontaine à tout jamais ta source soit pavée,
Non de menus gravois de mousses ny d’herbis :
Mais bien de mainte Perle à bouillons enlevée,
De Diamans, Saphirs. Turquoises et Rubis.

LE PREMIER

Le Pasteur en tes eaux nulle branche ne jette.
Le Bouc de son ergot ne te puisse fouler :
Ains comme un beau Crystal, tousjours tranquille et nette
Puisses-tu par les fleurs éternelle couler.

LE SECOND

Les Nymphes de ces eaux et les Hamadryades,
Que l’amoureux Satyre entre les bois poursuit,
Se tenans main à main, de sauts et de gambades,
Aux rayons du Croissant y dansent toute nuit.

LE PREMIER

Si j’estois grand Monarque, un superbe édifice
Je voudrois te bastir, où je ferois fumer
Tous les ans à ta feste autels et sacrifice,
Te nommant pour jamais la Fontaine d’aimer.

LE SECOND

Il ne faut plus aller en la forest d’Ardeine
Chercher l’eau dont Regnaut estoit si désireux :
Celuy qui boit à jeun trois fois en la fonteine,
Soit passant ou voisin, devient tout amoureux.

LE PREMIER

Lune, qui as ta robbe en rayons estoilee,
Garde ceste fontaine aux jours les plus ardans :
Defens-la pour jamais de chaut et de gelée,
Remply-la de rosée, et te mire dedans.

LE SECOND

Advienne après mille ans qu’un Pastoureau desgoise
Mes amours, et qu’il conte aux Nymphes d’icy près.
Qu’un Vandomois mourut pour une Saintongeoise,
Et qu’encores son ame erre entre ces forests.

LE POETE

Garsons ne chantez plus, ja Vesper nous commande
De serrer nos troupeaux, les Loups sont ja dehors…

Demain à la frescheur avec une autre bande
Nous reviendrons danser à l’entour de ces bords.

Fontaine, ce-pendant de ceste tasse pleine
Reçoy ce vin sacré que je renverse en toy :
Sois dite pour jamais la Fontaine d’Heleine,
Et conserve en tes eaux mes amours et ma foy.