Le siège de Concarneau en 1619
VIII.
Prise et réduction de Conquerneau.
Le Roy Louis XIII étant à Tours au commencement de juillet 1619 ayant eu advis des comportemens du sieur de Lézonnet, gouverneur de Conquerneau, tendans à désobéissance et mauvaise volonté, il se résolut de lui oster cette place maritime, importante et forte d’assiette, pour luy empêcher de mal faire ; et, pour cest effet envoya Monsieur de Vendosme en son gouvernement de Bretagne[1], et le fit général d’une armée, laquelle consistoit en trois cents chavaux des compagnies d’ordonnance et en trois cents suisses et quelques canons qui descendirent le long de la Loire et furent conduits par mer ; en six vingt soldats tirés des compagnies des gardes que le Roy donna à conduire au sieur de la Besne[2], l’un des capitaines des gardes de S. M. et en quelques compagnies des régimens de Picardie, Navarre et Beaumont.
Le dit sieur de la Besne fit telle diligence que s’estant embarqué à Tours, le lundi 29 juillet 1619, trois jours après il descendit avec ses soldats entre Ingrande et l’abbaye St-Florent et continuant son chemin par terre, en six jours après il se rendit à Quimperlé qui n’est qu’à cinq lieues de Concarneau, ayant fait 57 lieues de Bretagne.
Le duc de Vendosme ayant eu advis de sa diligence luy manda de demeurer le jour de son arrivée à Quimperlé, et l’y attendre, et cependant qu’il fist prendre toutes les pelles et besches qui se trouveraient dans la ville : ce qu’il fit.
Ce jour mesme, le duc de Vendosme étant arrivé à Quimperlé, commanda à La Besne de se tenir prest avec sa troupe, ses pelles et ses besches, pour partir le lendemain au point du jour ; ce qui fut faict avec telle affection que La Besne arriva sur les trois heures de relevée devant Conquerneau et se logea en un petit fauxbourg, à près de soixante pas du pont de la chaussée de la ville, ayant percé de maison en maison. Là où il fut tiré sur luy et ses soldats plusieurs coups de gros fauconneaux, et force mousquetades ; mais aucun des siens ne fut blessé : il n’y eu qu’un seul homme, celui qu’il avait pris pour luy monstrer les advenües qui receut une mousquetade dans la cuisse. Enfin, il s’advança tellement, perçant de maison en l’autre, qu’il logea les siens dans la dernière maison la plus proche du dit pont de la chaussée.
En mesme temps Monsieur de Vendosme et le maréchal de Brissac arrivèrent devant Conquerneau ; ayant vu comme La Besne s’estoit logé, ils envoyèrent son tambour sommer ceux qui estoient dans la ville de rendre la place au Roy. Ils demandèrent quinze jours pour advertir leur gouverneur le sieur de Lézonnet (qui estoit sorti deux jours auparavent pour aller quérir du secours). On leur dit qu’on ne leur donneroit que jusques au lendemain du matin seulement ; ce que ne voulans accepter la trefve fut à l’instant rompüe, et lors on commença à tirer de part et d’autre.
Sur cela Monsieur de Vendosme se retira en son quartier qui estoit à Chef-du-bois[3] à une lieue de la ville ; et, sur les onze heures du soir il manda à La Besne qu’il eust à demander à parler à l’Hospital, sergent-major de dedans la ville, et à luy déclarer que luy et ses compagnons eussent à se saisir de Querchesne, qui commandoit dans Conquerneau, en l’absence de Lézonnet ; et que dans le lendemain du matin, ils eussent à le luy livrer, et la ville aussi, sinon qu’ils n’auroient pas la vie sauve.
Cela leur ayant été représenté par La Besne, l’Hospital et ses compagnons respondirent que si le dit Querchesne n’estoit comprins dans la capitulation ils se deffendraient si bien et si longuement qu’il ruyneroient l’armée du Roy, ayans assez de quoy pour soutenir le siège deux ans.
Sur cette response, La Besne leur répliqua : « Soldats qui estes renfermez et qui parlez si hardiment, je ne sçay qu’un seul expédient pour vous sauver la vie : que vous vous saisissiez de ceux qui vous commandent, et qui font les mutins aux dépens de vos vies que vous perdrez ignominieusement ; car vous serez tous pendus, c’est la grâce que l’on faict à ceux qui tiennent contre le Roy, comme vous faictes. Ce n’est pas pour vous montrer françois ainsi que vous dites que vous estes ; pensez-y entre cy et demain matin, et considérez ce que je vous représente, et recognoissez vostre faute au plus tost : encore vaudra-t-il mieux tard que point. »
Sucela chacun se retira sans plus parler de costé ny d’autre : néantmoins, à la pointe du jour, sur les trois ou quatre heures du matin, ils demandèrent à parler au sieur de la Courbe Hiré, capitaine de la garde de Monsieur de Vendosme. A quoy La Besne leur fit response que là où estoit un capitaine du régiment de la garde du Roy, comme il estoit, il ne permettroit point (Monsieur de Vendosme estant absent) qu’autre que luy parlementast avec eux : et qu’il estoit là pour conserver et tenir le rang de la garde du Roy. Alors ils envoyèrent prier le dit sieur de la Besne de les excuser et qu’ils avaient un grand désir de parler à luy pour capituler.
Sur cela le dit sieur de la Besne fit faire trefve de part et d’autre, puis s’en alla sur le bout de leur pont où Querchaisne et l’Hospital le prièrent d’intercéder envers Monsieur de Vendosme, afin que luy Querchaisne fust comprins dans leur capitulation. La Besne repondit que lorsque ledit La Courbe seroit arrivé que tous deux ensemble en prieroient M. de Vendosme ; mais qu’il craignoit bien que cela ne leur fust pas accordé, attendu qu’ils ne l’avoient pas cy devant contenté par les rodomontades qu’ils avoient faites de s’opiniastrer à vouloir soustenir un siège : que leur plus expédient estoit de rendre à l’heure présente la place, sinon qu’ils seroient tous pendus, et que le canon estoit arrivé par mer avec l’armée.
Les soldats de la ville lui dirent : qu’ils estoient tous serviteurs du Roy, et qu’il ne tiendroit point à eux que la place ne se rendist. Ce que Qerchaisne ayant entendu il leur dit qu’il les poignarderoit tous et luy mesme, s’ils n’avoient une honneste composition.
De tous ces pourparlers La Besne envoya aussitôt le sergent de Bure à Chef-du-bois pour en advertir Monsieur de Vendosme. Et en même temps arriva le capitaine La Courbe de Hiré lequel, après avoir sceu du sieur de la Besne tout le pourparler qu’il avoit eu la nuict avec Querchaisne, l’Hospital et les soldats, il fut advisé entre eux deux que La Courbe iroit parlementer avec eux pour les espouvanter par menaces réitérées ; et l’heure mesme La Courbe s’y en alla : et cependant La Besne s’advança aussi sur le dehors au pont de la chaussée, où arrivant il entendit La Courbe qui disoit aux soldats : « Saisissez-vous de Querchaisne. » Ce qu’ayant entendu La Besne, il cria aussi tout haut : « Soldats jettez vous sur Querchaisne, et le désarmez et le liez. C’est un mutin qui veut vous faire tous pendre. » Alors la plupart le saisirent et le désarmant dirent : « Nous l’allons livrer et mener. » Ce que La Besne ayant entendu, il courut soudain dans sa tranchée et dist à ses soldats : « Courage, compagnons, ils sont à nous, prenons nos armes. » Puis s’achemina avec sa compagnie par ordre, et fit halte à quarante pas du pont levis, où il s’en alla seul, y rencontrant La Courbe auquel les soldats ayant abattu la planchette de la porte du fort, luy avoient délivré entre les mains Querchesne, duquel La Besne se saisit et luy dist que c’estoit à luy à qui appartenoit le prisonnier, comme commandant à l’infanterie de la garde du Roy, et ayant assiégé la dicte place. A quoi La Courbe condescendit volontiers. Puis La Besne prit Querchesne par un bras et le mena à la teste de sa compagnie le donnant en garde à un sergent. Cela fait, La Besne s’en retourna à la planchette du pont où il rencontra encore La Courbe, auquel on avoit mis les clefs de Conquerneau en main ; ce que voyant il luy dit, comme il avait fait du prisonnier : que les clefs lui appartenoient : ce que lui ayant avoué encore le dit La Courbe, il le pria néantmoins de luy permettre de les porter de sa part à Monsieur de Vendosme, ce que La Besne avec courtoisie consentit, et fut entre eux accordé qu’il les lui présenteroit de la part de tous deux.
Cependant que La Courbe alloit porter les clefs à Monsieur de Vendosme, La Besne qui ne desiroit perdre temps, ayant crainte que les assiégez changeassent de volonté, tira quarante mousquetaires et picquiers de sa troupe, avec lesquels il s’approcha tellement qu’il se jetta avec eux dans le gros bastion du pont de la ville : ceux de dedans se voulans défendre il ne leur en donna pas le temps, les ayant surprins de telle façon quil leur fit mettre armes bas : ce faict, il passa du ravelin dans la ville, par une planchette qui ne paraissoit point, laquelle il trouva abatüe, et fit mettre armes basses à ceux de la ville, faisant tenir deux heures les siens en bataille, sans quitter leurs rangs ny rien piller, en attendant Monsieur de Vendosme et sçavoir sa volonté. La Besne ayant sceu qu’il arrivoit avec M. le mareschal de Brissac lui alla au devant jusques au bout du pont. A l’abbord Monsieur de Vendosme lui dit qu’il ne vouloit pas qu’il entrast aucun soldat dans la place, et qu’on alloit faire leur capitulation ; mais La Besne l’assura qu’il avoit mis les soldats de dedans en tel estat qu’il ne leur falloit qu’une corde au lieu d’une capitulation signée : ce que le mareschal de Brissac ayant entendu, dit à M. de Vendosme que La Besne avoit faict son devoir de s’emparer de la place de la façon : et à la mesme heure on fit le procès à Querchesne, lequel fut pendu à une potence devant la porte du pont. Quant aux soldats, ils furent tous désarmez et envoyez nuds sans manteau avec un baston blanc au poing : encore on leur fit ce bien de les conduire trois lieues loin de la ville, de peur que le peuple des environs ne se jetassent sur eux. On mit cent soldats pour garder ceste place tirez des régimens de Picardie, Navarre et Beaumont, en attendant que le Roy y eust pourvu d’un gouverneur.
Ainsi Lézonnet perdit son gouvernement de Conquerneau que le Roy a donné depuis au sieur de l’Isle Rouhé[4].
- ↑ De ce que le Roi dépêche Vendôme pour assiéger Lézonnet dans Concarneau, on peut coclure que Lézonnet n’était pas compromis dans les intrigues de Vendôme.
- ↑ La Besne… Le jour de l'exécution en place de Grève de François de Montmorency et de son cousin François de Rosmadec, comte des Chapelles, le capitaine La Besne gardait avec sa compagnie « l’avenue de la rue de la Vannerie. » - Mercure français. XIII. p. 452. - Voir le tragique récit de M. G. de Carné : Le page de Louis XIII.
- ↑ Chef-du-bois, manoir prioral de Locaman, aujourd’hui commune de la Forêt-Fouesnant, près de l’ancienne route de Concarneau à Quimper.
- ↑ Le sieur de l’Ile Rouhé… De son nom Pierre-Joseph de la Béraudière. Il a signé plusieurs actes aux registres paroissiaux de Concarneau. Il prend dans ces actes le titre de Baron de Roué. M. de Courcy donne aux La Béraudière les titres de baron de Rouhet et de marquis de l’Ile-Jourdain. De là peut-être l’indication donnée par le Mercure : l’Isle-Roué.
Le nom de ce gouverneur apparaît pour la première fois aux registres de Concarneau en 1630 ; mais il n’est pas douteux que sa nomination de gouverneur a suivi de près le siége. La preuve, c’est que le Mercure qui la mentionne a été imprimé en 1621.