Le sorcier de l’île d’Anticosti/Au pays de la Louisiane/Chapitre I

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AU PAYS DE LA LOUISIANE


ADAPTATION
annotations de p. bilaudeau

I

LA FAMILLE MORVILLE

Le Mississipi[1], ce grand fleuve de l’Amérique du Nord, l’un des plus grands du monde, coulait jadis en terre française. Les villes de la Nouvelle-Orléans et de Saint-Louis indiquent assez par leurs noms que ce sont des Français et des Canadiens qui les ont établies et baptisées[2].

Ce fut peu de temps après les explorations de Joliet et du P. Marquette que Cavelier de La Salle découvrit, en 1682, l’embouchure du Mississipi[3]. La Louisiane, qui possède le cours inférieur de l’immense fleuve, borde la rive nord du golfe du Mexique. Mais à l’époque du récit qu’on va lire, Louisiane voulait dire tout le bassin du Mississipi[4].

C’était une belle colonie, ce qui n’empêcha pas le misérable Louis XV de s’en débarrasser. En effet, par le traité secret de Fontainebleau, le 13 novembre 1762, le roi de France abandonnait la Louisiane au roi d’Espagne, son cousin[5].

La Louisiane est restée sous la domination espagnole jusqu’en 1800. Bonaparte était le vainqueur de Marengo et il était déjà difficile de lui rien refuser. Il obtint de Charles iv d’Espagne la rétrocession de la Louisiane à la France. Mais le 30 avril 1803, cette vaste contrée passait définitivement à la jeune république des États-Unis[6].

Au temps où se passe notre histoire, c’est-à-dire vers la seconde moitié du dix-huitième siècle, les descendants de beaucoup de familles qui avaient quitté la France et le Canada, cette Nouvelle-France, pour aller s’établir dans ce pays, vivaient à la Nouvelle-Orléans.

Un brillant officier de marine, le commandant de Morville, s’y était marié. Obligé souvent de s’absenter, il venait y retrouver sa femme chaque fois que les devoirs de sa profession le lui permettaient.

Cette union fut fructueuse. Dieu leur accorda trois enfants ; d’abord un fils, Robert, digne héritier de l’honneur et de la bravoure de son père ; puis deux fillettes, qui étaient jumelles.

En grandissant, ces jeunes filles offrirent cette particularité que, tout en se ressemblant, elles différaient sensiblement. L’une était blonde comme les blés, l’autre brune comme la nuit, et leur caractère se ressentait de cette différence : autant la brune, Paula, était décidée et énergique, autant la blonde, Lucy, était timide et craintive.

  1. Nom qui, en langue algonquine, signifie la « Grande Eau ».
  2. La Nouvelle-Orléans fut fondée par deux Canadiens : d’Iberville et son frère, de Bienville, qui étaient nés à Montréal.
  3. La Salle mourut au Texas, qui était alors une partie de la Louisiane, tué par les siens, en 1687.
  4. La Louisiane, fondée en 1718 par Ch. Lemoyne et ses fils, tous Canadiens, fut ainsi nommée en l’honneur de Louis XIV, mort trois années auparavant, et le nom s’étendit à toute la région.
  5. Il en résulta du mécontentement et l’agitation qui s’en suivit donna lieu à un soulèvement, en 1768, alors que les Louisianais réclamèrent l’indépendance. Nicholas Chauvin de la Frenière, né d’un père canadien, et le commandant O’Reilly, d’origine irlandaise, jouèrent chacun un rôle important en l’occurrence : le premier, en prêchant l’établissement d’une république, plusieurs années avant l’indépendance des États-Unis ; et le dernier, en faisant arrêter 33 insurrectionnistes, dont 6 furent fusillés, et plusieurs envoyés en captivité à Cuba.
  6. En retour les États-Unis donnèrent 15 millions de piastres (75 millions de francs) à la France. Cet argent dut procurer du nerf à Napoléon pour ses campagnes.