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Le spectre du ravin/26

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 43-45).

CHAPITRE XXVI

LA REINE DU ROCHER


Le lundi soir suivant, quand Marielle arriva à l’assemblée du Cercle Littéraire Musical de M. Jambeau, elle n’était pas seule : Louise Vallier l’accompagnait. En apercevant cette dernière, M. Jambeau, Jean et Maurice froncèrent les sourcils malgré eux ; mais, ils étaient tous de galants hommes et ils parvinrent à dissimuler, quoiqu’imparfaitement, le désappointement qu’ils éprouvaient. Louise Vallier, on le sait, n’était pas populaire, et on ne comprenait pas pourquoi Marielle s’en était fait accompagner.

L’explication ne tarda guère, cependant, car, profitant du moment où Louise Vallier était allée enlever son chapeau et son manteau, dans la pièce voisine, Marielle dit à M. Jambeau :

— Cher M. Jambeau, j’ai pris la liberté de me faire accompagner de Louise Vallier, parce que je n’avais pas le choix… ou plutôt j’en avais un : ou j’emmenais Louise Vallier au Cercle, ou je restais chez moi… Mme Dupas m’a imposé sa fille, prétendant que ce n’était pas convenable pour moi de venir seule ici, avec trois messieurs. Entre deux maux, j’ai choisi le moindre ; j’ai préféré tolérer Mlle Vallier et venir moi-même… Ai-je bien fait, M. Jambeau ?

— Certe, oui, Marielle, vous avez bien fait !… Cette demoiselle Vallier ne me revient pas du tout, il est vrai ; mais sa présence sera tolérée ici… à cause de vous, chère petite.

On pénétra dans la bibliothèque et aussitôt, Louise Vallier se dirigea vers le siège le plus confortable de la pièce : une jolie chaise berceuse, émaillée de blanc et matelassée de coussins de velours marron. Mais avant même qu’elle put s’emparer de cette chaise, M. Jambeau lui offrit un autre siège en disant :

— Prenez donc ce fauteuil, Mlle Vallier ; vous le trouverez très confortable… Cette chaise berceuse appartient à la Présidente de notre Cercle Littéraire et Musical, à la Reine du Rocher ; à Marielle enfin.

— Ah ! dit Louise Vallier, en riant d’un de ces rires si déplaisants. Marielle avant tout et tous, n’est-ce pas, M. Jambeau ?

— Vous l’avez dit, Mlle Vallier, répondit gravement M. Jambeau, Marielle avant tout… N’est-ce pas, Jean ?… Marielle, ajouta-t-il, en offrant la chaise berceuse à la jeune fille, cette chaise vous appartient en propre ; veuillez en prendre possession.

— Merci, M. Jambeau, répondit Marielle. Quelle jolie chaise, et qu’elle est confortable !

— C’est le trône de la Reine du Rocher, dit M. Jambeau en souriant.

Marielle ouvrit la séance en lisant quelques chapitres d’un roman très intéressant. On laissa l’héroïne du roman dans une situation très précaire ; M. Jambeau ne voulut pas que l’on lût plus longtemps.

— Voyez-vous, jeunes gens, dit-il en souriant, je veux stimuler votre intérêt et vous obliger à assister régulièrement à nos assemblées. Nous laisserons donc l’héroïne où elle est, pour le présent ; vous aurez hâte de la voir retirée de là, et vous viendrez, sans y manquer, jeudi soir. Tous rirent d’un bon cœur de cette tirade de M. Jambeau.

— Un peu de musique maintenant ; ensuite, nous lirons des poésies.

Marielle se mit au piano et elle joua deux ou trois mélodies, puis Maurice joua quelques morceaux de violon, Marielle l’accompagnant au piano.

C’est Jean qui eut la tâche de lire les poésies et on n’eut pu faire un meilleur choix, car il lisait très bien les vers ; ce qui est plus rare qu’on ne serait porté à le croire peut-être.

— Jean, dit M. Jambeau, vous chantez, j’en suis sûr, et nous aimerions à vous entendre.

— Je chanterai bien, si vous le désirez, répondît Jean. Voici une chanson de ma composition. Je vous en avertis, cependant, c’est une chanson « à répondre »… Promettez de reprendre, tous, en cœur !

— Oui ! Oui ! Nous promettons !

Jean, après avoir joué quelques accords comme introduction, chanta :


LA REINE DU ROCHER


II

Elle est si gentille et si belle !
Or, comment ne pas l’admirer ?
Elle se nomme Marielle
La Souveraine du Rocher.

Et le chœur de reprendre :

Elle se nomme Marielle
La Souveraine du Rocher.

III

Nous choisissons pour ritournelle
Ces mots qu’on aime à répéter :
Vive la douce Marielle !
Vive la Reine du Rocher !

Et le chœur de chanter à tue-tête :

Vive la douce Marielle !
Vive la Reine du Rocher !


La Reine du Rocher


Paroles et Musique de Mme A.-B. LACERTE



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      tous,____ sans hé -- si -- ter;___ Ve -- nez sa -- lu -- er Ma -- ri -- el -- le; Elle est la
      Rei -- ne du Ro -- cher!___ Ve -- nez sa -- lu -- er Ma --  ri -- el -- le,___ Elle
      est la Rei -- ne du Ro -- cher!  Elle est la Rei -- ne du Ro -- cher! Elle est la Rei -- ne du Ro -- cher. }}
      
            
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>>

Jean eut un grand succès et M. Jambeau proposa que cette chanson : « La Reine du Rocher » devint le chant ralliement du Cercle Littéraire et Musical, proposition qui fut adoptée à l’unanimité.

Maurice lut quelques pages de voyages et d’aventures, il y eut encore de la musique, puis on se sépara en chantant :

— Bonsoir, mes amis, bonsoir !
Quand on est si bien ensemble,
Devrait-on jamais se quitter ?

Combien agréable le temps avait passé ! Il est vrai que Louise Vallier avait baillé « à se décrocher les mâchoires » disait Maurice ; mais cela n’avait pas d’importance et n’intéressait personne.

Le jeudi suivant, vers la fin de la veillée, Jean se leva et dit :

— Je propose que notre charmante Présidente nous chante, à son tour, une de ses compositions, paroles et musique.

Des applaudissements accueillirent cette proposition de Jean, et Marielle sans trop se faire prier, se mit au piano.

— Je vais vous chanter une chanson que j’ai composée la semaine dernière, dit-elle, et que j’ai intitulée : « La Prière des Fleurs ».

— Vraiment, Marielle, s’écria Louise Vallier, je ne savais pas que vous composiez des chansons, paroles et musique !… Je vous avertis que, pour ma part, je suis très difficile et que, si votre chanson ne vaut rien…

— Ma chanson vaut ce qu’elle vaut, Mlle Vallier, répondit Marielle, en souriant. Si vous ne l’aimez pas, peut-être ces messieurs se montreront-ils moins difficiles que vous.

— Le titre de votre chanson est beau, Marielle ; je sais d’avance que ce sera délicat et joli, dit M. Jambeau. Nous avons bien hâte d’entendre : « La Prière des Fleurs ».

— Oui, nous avons bien hâte ! dirent Jean et Maurice.

Marielle, après avoir joué une ritournelle, chanta :


LA PRIÈRE DES FLEURS

Sur la verte terrasse,
Les fleurs, en quantité,
Se courbent, avec grâce,
À la brise d’été.
On voit s’incliner jusqu’à terre
Les lys adorateurs ;
Car, c’est l’heure de la prière,
La prière des fleurs.

II

Sur la plaine fleurie,
On croit ouïr un son :
Chaque fleur balbutie,
Pieuse, une oraison.
Les roses penchent jusqu’à terre
Leurs fronts adorateurs ;
Car, c’est l’heure de la prière.
La prière des fleurs.

III

C’est aussi l’églantine,
Le jasmin, le muguet
Qui, tour à tour, s’inclinent
Avec un grand respect.
Alors, tendrement, à la terre
Sourit le Créateur ;
Car, il accueille la prière,
La prière des fleurs.


Le succès qu’eut Marielle est impossible à décrire. M. Jambeau et Jean pleuraient, tandis que Maurice se mordait les lèvres, pour ne pas pleurer, lui aussi.

— Chère Marielle ! dit Jean. Cette chanson que vous venez de chanter et que vous avez composée, paroles et musique, est si touchante et si belle ! N’est-ce pas que vous nous la chanterez encore ?

— Mais, oui, Jean, répondit Marielle en souriant. Pas ce soir ; mais je vous la chanterai certainement, quand vous exprimerez le désir de l’entendre.

— Dans quel livre avez-vous pris cette chanson, Marielle ? demanda Louise Vallier, avec son rire sot. Vous ne me ferez pas croire que c’est vous qui avez composé cela : voilà !

— Comme vous voudrez, Mlle Vallier ! répondit Marielle. Puis, riant d’un bon cœur, elle ajouta : Vous venez de me faire un grand compliment, sans le vouloir.

— En effet ! s’écrièrent-ils tous, en souriant.

— Sans doute, l’intention de Mlle Vallier était véritablement de vous faire un compliment mérité, Marielle, dit Jean. Dans tous les cas, je vous félicite, ma chérie ; c’est si joli et si touchant « La Prière des Fleurs » !

M. Jambeau avait eu vraiment une belle idée en fondant ces Soirées Littéraires et Musicales, et le temps s’écoulait bien vite et bien agréablement sur le Rocher aux Oiseaux.