Le spectre du ravin/48

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Éditions Édouard Garand (p. 74-75).

CHAPITRE XVII

LE SALON DU MANOIR-ROUX


Jean passait bien des heures assis dans le salon du « Manoir-Roux », essayant d’approfondir le mystère de la disparition de Marielle. Ce salon était plus long que large. Au fond de la pièce était le piano, puis deux chaises. Sur un pan du mur, du même côté que la porte, était un canapé ; sur ce canapé le policier Rust avait vu Marielle endormie. Faisant face à la porte était un immense foyer. Près du foyer il y avait deux fauteuils. Près de la fenêtre était une petite table servant de piédestal à une statuette. Jean, lui aussi avait sondé les murs et le plafond du salon. Il avait aussi examiné le foyer ; mais ce foyer n’était là que par ornement, et la cheminée en était complètement bouchée de pierres et mortier.

Un après-midi, alors qu’il était dans le salon, Jean entendit gratter à la porte et, machinalement, il alla ouvrir. Léo entra en gambadant.

— Léo, dit Jean, en s’adressant à son chien, si je pouvais me fier à ton instinct pour retrouver Marielle !… Marielle ! Marielle ! disait-il, car Léo comprenait bien ce nom. Marielle, Léo, cherche, cherche !

Le chien fit le tour du salon, puis il revint, tout piteux, se coucher aux pieds de son maître.

— Tu ne peux pas, toi non plus, découvrir par où elle a disparu, hein, pauvre Léo ?… Cherche encore ! Bon chien ! Cherche, cherche encore ! Marielle ! Marielle ! Cherche, Léo, cherche !

Encore une fois, Léo fit le tour du salon ; mais, cette fois, il retourna près du foyer et il se mit à gratter la pierre, en faisant entendre de petits gémissements plaintifs. Quittant le foyer, ensuite, le chien s’en vint vers Jean, et saisissant le bas de ses pantalons, il essaya d’entraîner son maître.

Jean courut à la cuisine, où Maurice était occupé à coller le pont de son violon.

— Leroy, dit-il, voulez-vous venir au salon, pour quelques instants ?

— Certainement ! répondit Maurice.

En entrant dans le salon, Maurice remarqua les allures singulières de Léo.

Qu’a donc Léo ? demanda-t-il à Jean.

— Maurice, dit Jean, j’ai ordonné à Léo de chercher Marielle… Vous le savez, puisque vous en avez déjà fait la remarque en ma présence, le chien comprend le nom de Marielle… Tout d’abord, Léo sembla ne rien trouver ; mais soudain, il s’est mis à gratter la pierre du foyer avec ses griffes et à geindre…

À ce moment, le chien quitta le foyer, et revenant vers Jean, il saisit, encore une fois le bas de ses pantalons avec ses dents, cherchant à l’entraîner.

— C’est assez singulier ! murmura Maurice.

— Voulez-vous m’aider à soulever la pierre du foyer, Maurice ? demanda Jean, évidemment très excité.

— Avec plaisir, mon ami ! répondit Maurice. Mais, cette pierre parait être cimentée au plancher ; voyez plutôt !

— Essayons toujours ! dit Jean.

Chacun d’eux saisit l’une des extrémités de la pierre, et leur surprise à tous deux, fut grande de constater qu’elle pesait à peine. La raison en était que cette pierre n’avait qu’un pouce d’épaisseur.

Aussitôt que la pierre fut enlevée, Jean s’écria :

— Voyez donc ! Voyez donc, Leroy ! Cette pierre recouvrait un vide !

— Ciel ! s’écria, à son tour, Maurice. Mais… il y a là un abîme !

Jean s’empara d’une bougie, qu’il prit sur la corniche de la cheminée et, l’ayant allumée, il s’agenouilla sur les bords de « l’abîme » et regarda.

— C’est un vide et non un abîme, dit-il. Regardez vous-même, Maurice !

Maurice, s’emparant de la bougie, se mit à examiner le vide.

— Personne n’eut pu s’enfuir par là, Bahr, dit-il, il y a un mur qui tombe perpendiculairement jusqu’à… Dieu sait quelle profondeur.

— Nous allons bien voir ! répondit Jean.

Retirant de sa poche un paquet de ficelle et s’emparant ensuite d’un ornement qu’il trouva sur une petite crédence, il fit de cette ficelle et de cet ornement une sonde, qu’il jeta dans le vide.

— Dix pieds ! Dix pieds à peine ! annonça-t-il. Il serait facile à une personne de s’asseoir sur cette pierre et de se laisser glisser jusqu’en bas… La sonde est arrivée sur le roc… Il y a là un passage souterrain, et par ce passage Marielle s’est enfuie ; de cela je suis convaincu… Demain, je m’aventurerai dans ce passage… et j’irai à la recherche de Marielle !

— J’irai avec vous, Bahr ; c’est entendu ! répondit simplement Maurice.

— Merci, Maurice ! dit Jean ; je n’attendais pas moins de vous. Nous emmènerons Max ; l’enfant passera là où nous ne pourrions passer, nous, sans nous frayer un chemin. Je partirais bien ce soir, continua-t-il ; mais il nous faudrait expliquer à M. Jambeau ainsi qu’à Nounou, le but de notre excursion… et je n’aimerais pas à susciter leurs espérances… inutilement peut-être… Rendez-vous donc, demain matin, à sept heures ! Et que Dieu nous guide vers Marielle, l’Ange du Rocher !

Quand les deux jeunes gens annoncèrent à M. Jambeau qu’ils partaient, le lendemain matin en voyage d’exploration, celui-ci répondit :

— Puisque ça vous amuse d’explorer l’île ainsi, mes jeunes amis, vous faites bien. Cela vous distrait et, du moment qu’il n’y a aucun danger…

— Ô mon oncle Jean, voulez-vous m’emmener ? demanda Max, qui était à jouer à la « bataille » avec M. Jambeau.

— C’est mon intention de t’emmener, Max, répondit Jean, et l’enfant se mit à battre des mains, dans sa joie.

— De quel côté vous dirigez-vous, cette fois ? demanda M. Jambeau.

Jean qui ne s’était pas attendu à cette question, répondit, à tout hasard :

— Du côté du Sinistre Ravin.

La cloche sonnant pour le souper appela Jean, Maurice et Max en bas.

— Nounou, dit Jean, nous partons en exploration demain, M. Leroy, Max et moi.

— Encore ! s’écria la vieille servante. Vous êtes toujours en explorations ce me semble ; pourvu qu’il ne vous arrive aucun accident !

— Ne craignez pas pour nous, Nounou, dit Jean. Vous allez nous préparer un panier, n’est-ce pas ?

— Nounou, dit Max, moi aussi je pars avec mon oncle Jean et M. Leroy. Oh ! que je suis content !

— Voyez-vous cela ! s’écria Nounou. Ce bambin qui…

— Et, Nounou, reprit Max, si vous saviez où nous allons !… Pour rien au monde vous ne voudriez nous accompagner !

— Où allez-vous comme c’la, M. Max ? demanda Nounou.

— Au Sinistre Ravin ! annonça l’enfant, fier d’avance de l’effet qu’il allait produire.

— Au Sinistre Ravin ! s’exclama Nounou. Assurément, M. Bahr, vous n’avez pas l’intention de vous diriger de ce côté ?… Le Spectre du ravin… Et la superstitieuse Nounou se signa trois fois de suite.

Jean et Maurice rirent d’un grand cœur.

— Eh ! bien, oui, nous nous dirigeons par là, Nounou, répondit Jean.

— Seigneur Jésus ! dit Nounou.

— Si vous avez quelque commission pour le Spectre du ravin, Nounou…

Mais Jean, en affirmant qu’ils iraient, le lendemain, vers le Sinistre Ravin, était loin de se douter qu’il disait la vérité.