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Le théâtre et son double/VIII

La bibliothèque libre.
Gallimard (p. 95-107).

VIII

LE THÉATRE DE LA CRUAUTÉ

(Premier manifeste)

On ne peut continuer à prostituer l’idée de théâtre qui ne vaut que par une liaison magique, atroce, avec la réalité et avec le danger.


Posée de la sorte, la question du théâtre doit réveiller l’attention générale, étant sous-entendu que le théâtre par son côté physique, et parce qu’il exige l’expression dans l’espace, la seule réelle en fait, permet aux moyens magiques de l’art et de la parole de s’exercer organiquement et dans leur entier, comme des exorcismes renouvelés. De tout ceci il ressort qu’on ne rendra pas au théâtre ses pouvoirs spécifiques d’action avant de lui rendre son langage.

C’est-à-dire qu’au lieu d’en revenir à des textes considérés comme définitifs et comme sacrés, il importe avant tout de rompre l’assujettissement du théâtre au texte, et de retrouver la notion d’une sorte de langage unique à mi-chemin entre le geste et la pensée.

Ce langage, on ne peut le définir que par les possibilités de l’expression dynamique et dans l’espace opposées aux possibilités de l’expression par la parole dialoguée. Et ce que le théâtre peut encore arracher à la parole, ce sont ses possibilités d’expansion hors des mots, de développement dans l’espace, d’action dissociatrice et vibratoire sur la sensibilité. C’est ici qu’interviennent les intonations, la prononciation particulière d’un mot. C’est ici qu’intervient, en dehors du langage auditif des sons, le langage visuel des objets, des mouvements, des attitudes, des gestes, mais à condition qu’on prolonge leur sens, leurs physionomie, leurs assemblages jusqu’au signes, en faisant de ces signes une manière d’alphabet. Ayant pris conscience de ce langage dans l’espace, langage de sons, de cris, de lumières, d’onomatopées, le théâtre se doit de l’organiser en faisant avec les personnages et les objets de véritables hiéroglyphes, et en se servant de leur symbolisme et de leurs correspondances par rapport à tous les organes et sur tous les plans.

Il s’agit donc, pour le théâtre, de créer une métaphysique de la parole, du geste, de l’expression, en vue de l’arracher à son piétinement psychologique et humain. Mais tout ceci ne peut servir s’il n’y a derrière un tel effort, une sorte de tentation métaphysique réelle, un appel à certaines idées inhabituelles, dont le destin est justement de ne pouvoir être limitées ni même formellement dessinées. Ces idées qui touchent à la Création, au Devenir, au Chaos, et sont toutes d’ordre cosmique fournissent une première notion d’un domaine dont le théâtre s’est totalement déshabitué. Elles peuvent créer une sorte d’équation passionnante entre l’Homme, la Société, la Nature et les Objets.

La question d’ailleurs ne se pose pas de faire venir sur la scène et directement des idées métaphysiques, mais de créer des sortes de tentations, d’appels d’air autour de ces idées. Et l’humour avec son anarchie, la poésie avec son symbolisme et ses images, donnent comme une première notion des moyens de canaliser la tentation de ces idées.

Il faut parler maintenant du côté uniquement matériel de ce langage. C’est-à-dire de toutes les façons et de tous les moyens qu’il a pour agir sur la sensibilité.

Il serait vain de dire qu’il fait appel à la musique, à la danse, à la pantomime, ou à la mimique. Il est évident qu’il utilise des mouvements, des harmonies, des rythmes, mais seulement au point où ils peuvent concourir à une sorte d’expression centrale sans profit pour un art particulier. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’il ne se serve pas des faits ordinaires, des passions ordinaires, mais comme d’un tremplin, de même que l’humour-destruction par le rire peut servir à lui concilier les habitudes de la raison.

Mais avec un sens tout oriental de l’expression ce langage objectif et concret du théâtre sert à coincer, à enserrer des organes. Il court dans la sensibilité. Abandonnant les utilisations occidentales de la parole, il fait des mots des incantations. Il pousse la voix. Il utilise des vibrations et des qualités de voix. Il fait piétiner éperdument des rythmes. Il pilonne des sons. Il vise à exalter, à engourdir, à charmer, à arrêter la sensibilité. Il dégage le sens d’un lyrisme nouveau du geste, qui, par sa précipitation ou son amplitude dans l’air, finit par dépasser le lyrisme des mots. Il rompt enfin l’assujettissement intellectuel du langage, en donnant le sens d’une intellectualité nouvelle et plus profonde qui se cache sous les gestes et sous les signes élevés à la dignité d’exorcismes particuliers.

Car tout ce magnétisme, et toute cette poésie, et ces moyens de charme directs ne seraient rien, s’ils ne devaient mettre physiquement l’esprit sur la voie de quelque chose, si le vrai théâtre ne pouvait nous donner le sens d’une création dont nous ne possédons qu’une face, mais dont l’achèvement est sur d’autres plans.

Et il importe peu que ces autres plans soient réellement conquis par l’esprit, c’est-à-dire par l’intelligence, c’est les diminuer et cela n’a pas d’intérêt, ni de sens. Ce qui importe c’est que, par des moyens sûrs, la sensibilité soit mise en état de perception plus approfondie et plus fine, et c’est là l’objet de la magie et des rites dont le théâtre n’est qu’un reflet.

TECHNIQUE

Il s’agit donc de faire du théâtre, au propre sens du mot, une fonction ; quelque chose d’aussi localisé et d’aussi précis que la circulation du sang dans les artères, ou le développement, chaotique en apparence, des images du rêve dans le cerveau, et ceci par un enchaînement efficace, une vraie mise en servage de l’attention.

Le théâtre ne pourra redevenir lui-même, c’est-à-dire constituer un moyen d’illusion vraie, qu’en fournissant au spectateur des précipités véridiques de rêves, où son goût du crime, ses obsessions érotiques, sa sauvagerie, ses chimères, son sens utopique de la vie et des choses, son cannibalisme même, se débondent, sur un plan non pas supposé et illusoire, mais intérieur.

En d’autres termes, le théâtre doit poursuivre par tous les moyens, une remise en cause non seulement de tous les aspects du monde objectif et descriptif externe, mais du monde interne, c’est-à-dire de l’homme considéré métaphysiquement. Ce n’est qu’ainsi, croyons-nous, qu’on pourra encore reparler au théâtre des droits de l’imagination. Ni l’humour, ni la poésie, ni l’imagination, ne veulent rien dire, si par une destruction anarchique productrice d’une prodigieuse volée de formes qui seront tout le spectacle, ils ne parviennent à remettre en cause organiquement l’homme, ses idées sur la réalité et sa place poétique dans la réalité.

Mais considérer le théâtre comme une fonction psychologique ou morale de seconde main, et croire que les rêves eux-mêmes ne sont qu’une fonction de remplacement, c’est diminuer la portée poétique profonde aussi bien des rêves que du théâtre. Si le théâtre comme les rêves est sanguinaire et inhumain, c’est, beaucoup plus loin que cela, pour manifester et ancrer inoubliablement en nous l’idée d’un conflit perpétuel et d’un spasme où la vie est tranchée à chaque minute, où tout dans la création s’élève et s’exerce contre notre état d’êtres constitués, c’est pour perpétuer d’une manière concrète et actuelle les idées métaphysiques de quelques Fables dont l’atrocité même et l’énergie suffisent à démontrer l’origine et la teneur en principes essentiels.

Ceci étant, on voit que, par sa proximité avec les principes qui lui transfusent poétiquement leur énergie, ce langage nu du théâtre, langage non virtuel mais réel, doit permettre, par l’utilisation du magnétisme nerveux de l’homme, de transgresser les limites ordinaires de l’art et de la parole, pour réaliser activement, c’est-à-dire magiquement, en termes vrais, une sorte de création totale où il ne reste plus à l’homme que de reprendre sa place entre le rêve et les événements.

LES THÈMES

Il ne s’agit pas d’assassiner le public avec des préoccupations cosmiques transcendantes. Qu’il y ait des clefs profondes de la pensée et de l’action selon lesquelles lire tout le spectacle, cela ne regarde pas en général le spectateur, qui ne s’y intéresse pas. Mais encore faut-il qu’elles y soient ; et cela nous regarde.

Le Spectacle : Tout spectacle contiendra un élément physique et objectif, sensible à tous. Cris, plaintes, apparitions, surprises, coups de théâtre de toutes sortes, beauté magique des costumes pris à certains modèles rituels. Resplendissement de la lumière, beauté incantatoire des voix, charme de l’harmonie, notes rares de la musique, couleurs des objets, rythme physique des mouvements dont le crescendo et le decrescendo épousera la pulsation de mouvements familiers à tous, apparitions concrètes d’objets neufs et surprenants, masques, mannequins de plusieurs mètres, changements brusques de la lumière, action physique de la lumière qui éveille le chaud et le froid, etc.

La Mise en scène : C’est autour de la mise en scène, considérée non comme le simple degré de réfraction d’un texte sur la scène, mais comme le point de départ de toute création théâtrale, que se constituera le langage type du théâtre. Et c’est dans l’utilisation et le maniement de ce langage que se fondra la vieille dualité entre l’auteur et le metteur en scène, remplacés par une sorte de Créateur unique à qui incombera la responsabilité double du spectacle et de l’action.

Le Langage de la Scène : Il ne s’agit pas de supprimer la parole articulée, mais de donner aux mots à peu près l’importance qu’ils ont dans les rêves.

Pour le reste, il faut trouver des moyens nouveaux de noter ce langage, soit que ces moyens s’apparentent à ceux de la transcription musicale, soit qu’on fasse usage d’une manière de langage chiffré.

En ce qui concerne les objets ordinaires, où même le corps humain, élevés à la dignité de signes, il est évident que l’on peut s’inspirer des caractères hiéroglyphiques, non seulement pour noter ces signes d’une manière lisible et qui permette de les reproduire à volonté, mais pour composer sur la scène des symboles précis et lisibles directement.

D’autre part, ce langage chiffré et cette transcription musicale seront précieux comme moyen de transcrire les voix.

Puisqu’il est à la base de ce langage de procéder à une utilisation particulière des intonations, ces intonations doivent constituer une sorte d’équilibre harmonique, de déformation seconde de la parole qu’il faudra pouvoir reproduire à volonté.

De même les dix mille et une expressions du visage prises à l’état de masques, pourront être étiquetées et cataloguées, en vue de participer directement et symboliquement à ce langage concret de la scène et ceci en dehors de leur utilisation psychologique particulière.

De plus ces gestes symboliques, ces masques, ces attitudes, ces mouvements particuliers ou d’ensemble, dont les significations innombrables constituent une part importante du langage concret du théâtre, gestes évocateurs, attitudes émotives ou arbitraires, pilonnages éperdus de rythmes et de sons, se doubleront, seront multipliés par des sortes de gestes et d’attitudes reflets, constitués par l’amas de tous les gestes impulsifs, de toutes les attitudes manquées, de tous les lapsus de l’esprit et de la langue, par lesquels se manifestent ce que l’on pourrait appeler les impuissances de la parole, et il y a là une richesse d’expressions prodigieuse, à laquelle nous ne manquerons pas occasionnellement de recourir.

Il y a en outre une idée concrète de la musique où les sons interviennent comme des personnages, où des harmonies sont couplées en deux et se perdent dans les interventions précises des mots.

De l’un à l’autre moyens d’expression, des correspondances et des étages se créent ; et il n’est pas jusqu’à la lumière qui ne puisse avoir un sens intellectuel déterminé.

Les Instruments de musique : employés à l’état d’objets et comme faisant partie du décor.

De plus la nécessité d’agir directement et profondément sur la sensibilité par les organes invite du point de vue sonore à rechercher des qualités et des vibrations de sons absolument inaccoutumés, qualités que les instruments de musique actuels ne possèdent pas et qui poussent à remettre en usage des instruments anciens et oubliés ou à créer des instruments nouveaux. Elles poussent aussi à rechercher, en dehors de la musique, des instruments et des appareils qui, basés sur des fusions spéciales ou des alliages renouvelés de métaux, puissent atteindre un diapason nouveau de l’octave, produire des sons ou des bruits insupportables, lancinants.

La Lumière, les Éclairages : Les appareils lumineux actuellement en usage dans les théâtres ne peuvent plus suffire. L’action particulière de la lumière sur l’esprit entrant en jeu, des effets de vibrations lumineuses doivent être recherchés, des façons nouvelles de répandre les éclairages en ondes, ou par nappes, ou comme une fusillade de flèches de feux. La gamme colorée des appareils actuellement en usage est à revoir de bout en bout. Pour produire des qualités de tons particulières, on doit réintroduire dans la lumière un élément de ténuité, de densité, d’opacité, en vue de produire le chaud, le froid, la colère, la peur, etc.

Le Costume : En ce qui concerne le costume et sans penser qu’il puisse y avoir de costume de théâtre uniforme, le même pour toutes les pièces, on évitera le plus possible le costume moderne, non dans un goût fétichiste et superstitieux de l’ancien, mais parce qu’il apparaît comme absolument évident que certains costumes millénaires, à destination rituelle, bien qu’ils aient été à un moment donné d’époque, conservent une beauté et une apparence révélatrice, du fait de leur rapprochement avec les traditions qui leur donnèrent naissance.

La Scène — La Salle : Nous supprimons la scène et la salle qui sont remplacées par une sorte de lieu unique, sans cloisonnement, ni barrière d’aucune sorte, et qui deviendra le théâtre même de l’action. Une communication directe sera rétablie entre le spectateur et le spectacle, entre l’acteur et le spectateur, du fait que le spectateur placé au milieu de l’action est enveloppé et sillonné par elle. Cet enveloppement provient de la configuration même de la salle.

C’est ainsi qu’abandonnant les salles de théâtre existant actuellement, nous prendrons un hangar ou une grange quelconque, que nous ferons reconstruire selon les procédés qui ont abouti à l’architecture de certaines églises ou de certains lieux sacrés, et de certains temples du Haut-Thibet.

À l’intérieur de cette construction règneront des proportions particulières en hauteur et en profondeur. La salle sera close de quatre murs, sans aucune espèce d’ornement et le public assis au milieu de la salle, en bas, sur des chaises mobiles qui lui permettront de suivre le spectacle qui passera tout autour de lui. En effet, l’absence de scène dans le sens ordinaire du mot invitera l’action à se déployer aux quatre coins de la salle. Des emplacements particuliers seront réservés, pour les acteurs et pour l’action, aux quatre points cardinaux de la salle. Les scènes se joueront devant des fonds de murs peints à la chaux et destinés à absorber la lumière. De plus, en hauteur, des galeries courront sur tout le pourtour de la salle comme dans certains tableaux de Primitifs. Ces galeries permettront aux acteurs, chaque fois que l’action le nécessitera, de se poursuivre d’un point à l’autre de la salle, et à l’action de se déployer à tous les étages et dans tous les sens de la perspective en hauteur et en profondeur. Un cri poussé à un bout pourra se transmettre de bouche en bouche avec des amplifications et des modulations successives jusqu’à l’autre bout. L’action dénouera sa ronde, étendra sa trajectoire d’étage en étage, d’un point à un point, des paroxysmes naîtront tout à coup, s’allumeront comme des incendies en des endroits différents. Et le caractère d’illusion vraie du spectacle, pas plus que l’emprise directe et immédiate de l’action sur le spectateur, ne seront un vain mot. Car cette diffusion de l’action sur un espace immense, obligera l’éclairage d’une scène et les éclairages divers d’une représentation, à empoigner aussi bien le public que les personnages ; — et à plusieurs actions simultanées, à plusieurs phases d’une action identique où les personnages accrochés l’un à l’autre comme des essaims supporteront tous les assauts des situations, et les assauts extérieurs des éléments et de la tempête, correspondront des moyens physiques d’éclairage, de tonnerre ou de vent, dont le spectateur subira le contre-coup.

Toutefois, un emplacement central sera réservé qui, sans servir à proprement parler de scène, devra permettre au gros de l’action de se rassembler et de se nouer chaque fois que ce sera nécessaire.

Les Objets — Les Masques — Les Accessoires : Des mannequins, des masques énormes, des objets aux proportions singulières apparaîtront au même titre que des images verbales, insisteront sur le côté concret de toute image et de toute expression, — avec pour contre-partie que des choses qui exigent d’habitude leur figuration objective seront escamotées ou dissimulées.

Le Décor : Il n’y aura pas de décor. Ce sera assez pour cet office des personnages hiéroglyphes, des costumes rituels, des mannequins de dix mètres de haut représentant la barbe du Roi Lear dans la tempête, des instruments de musique grands comme des hommes, des objets à forme et à destination inconnues.

L’Actualité : Mais, dira-t-on, un théâtre si loin de la vie, des faits, des préoccupations actuelles… De l’actualité et des événements, oui ! Des préoccupations dans ce qu’elles ont de profond et qui est l’apanage de quelques-uns, non ! Et, dans le Zohar l’histoire de Rabbi-Siméon qui brûle comme le feu, est actuelle comme le feu.

Les Œuvres : Nous ne jouerons pas de pièce écrite, mais autour de thèmes, de faits ou d’œuvres connus, nous tenterons des essais de mise en scène directe. La nature et la disposition même de la salle exigent le spectacle et il n’est pas de thème, si vaste soit-il, qui puisse nous être interdit.

Spectacle : Il y a une idée du spectacle intégral à faire renaître. Le problème est de faire parler, de nourrir et de meubler l’espace : comme des mines introduites dans une muraille de roches planes et qui feraient naître tout à coup des geysers et des bouquets.

L’Acteur : L’acteur est à la fois un élément de première importance, puisque c’est de l’efficacité de son jeu que dépend la réussite du spectacle et une sorte d’élément passif et neutre puisque toute initiative personnelle lui est rigoureusement refusée. C’est d’ailleurs un domaine où il n’est pas de règle précise : et entre l’acteur à qui on demande une simple qualité de sanglot et celui qui doit prononcer un discours avec ses qualités de persuasion personnelles, il y a toute la marge qui sépare un homme d’un instrument.

L’Interprétation : Le spectacle sera chiffré d’un bout à l’autre comme un langage. C’est ainsi qu’il n’y aura pas de mouvement perdu, que tous les mouvements obéiront à un rythme ; et que chaque personnage étant typé à l’extrême, sa gesticulation, sa physionomie, son costume apparaîtront comme autant de traits de lumière.

Le Cinéma : À la visualisation grossière de ce qui est, le théâtre par la poésie oppose les images de ce qui n’est pas. D’ailleurs au point de vue de l’action on ne peut comparer une image de cinéma qui, si poétique soit-elle, est limitée par la pellicule, à une image de théâtre qui obéit à toutes les exigences de la vie.

La Cruauté : Sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n’est pas possible. Dans l’état de dégénérescence où nous sommes, c’est par la peau qu’on fera rentrer la métaphysique dans les esprits.

Le Public : Il faut d’abord que ce théâtre soit.

Le Programme : Nous mettrons en scène, sans tenir compte du texte :

1o Une adaptation d’une œuvre de l’époque de Shakespeare, entièrement conforme à l’état de trouble actuel des esprits, soit qu’il s’agisse d’une pièce apocryphe de Shakespeare, comme Arden of Feversham, soit de toute autre pièce de la même époque.

2o Une pièce d’une liberté poétique extrême de Léon-Paul Fargue.

3o Un extrait du Zohar : L’Histoire de Rabbi-Siméon qui a la violence et la force toujours présentes d’un incendie.

4o L’histoire de Barbe-Bleue reconstituée selon les archives et avec une idée nouvelle de l’érotisme et de la cruauté.

5o La Prise de Jérusalem, d’après la Bible et l’histoire ; avec la couleur rouge-sang qui en découle et ce sentiment d’abandon et de panique des esprits visible jusque dans la lumière ; et d’autre part les disputes métaphysiques des prophètes, avec l’effroyable agitation intellectuelle qu’elles créent et dont le contre-coup rejaillit physiquement sur le Roi, le Temple, la Populace et les Événements.

6o Un Conte du Marquis de Sade, où l’érotisme sera transposé, figuré allégoriquement et habillé, dans le sens d’une extériorisation violente de la cruauté, et d’une dissimulation du reste.

7o Un ou plusieurs mélodrames romantiques où l’invraisemblance deviendra un élément actif et concret de poésie.

8o Le Woyzeck de Büchner, par esprit de réaction contre nos principes, et à titre d’exemple de ce que l’on peut tirer scéniquement d’un texte précis.

9o Des œuvres du théâtre élisabéthain dépouillées de leur texte et dont on ne gardera que l’accoutrement d’époque, les situations, les personnages et l’action.