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Le tombeau de Rachel en Palestine

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LE TOMBEAU DE RACHEL, EN PALESTINE.

. . . . . La vallée, ou plutôt la plaine aride de Rephidim, se déploie pendant plusieurs milles sans offrir aux regards du voyageur brûlé par le soleil d’autre lieu de repos qu’un simple et modeste cabaret turc, où les Arabes du désert se donnent quelquefois rendez-vous, mais que le pélerin évite avec soin. Un peu plus loin sont les ruines du village de Rama, dont quelques pans de murailles et des monceaux de pierres seulement indiquent la place. Dans la même plaine, et tout près du village détruit, on voit le tombeau de Rachel. C’est un des lieux de la terre où la vérité des traditions semble sortir des objets inanimés pour se révéler avec le plus de force. Tout est solitaire aux environs. On n’y voit ni palmiers ni cyprès ; aucun arbre ne couvre de son ombre le simple mausolée où reposent les cendres de la mère d’Israël, et cependant ce lieu éveille plus de souvenirs, excite plus d’intérêt que des monumens décorés de tout le luxe des arts. Le voyageur passe avec indifférence devant les tombeaux de Zacharie et d’Absalon, dans la vallée de Josaphat ; il jette à peine un regard sur ceux des rois, dans la plaine de Jérémie ; mais, en voyant celui de Rachel, son imagination le reporte au berceau des peuples de l’Orient, lui rappelle le pouvoir de la beauté qui sut adoucir un long exil, et il bénit la mémoire de cette compagne tendre et fidèle dont les soins charmèrent tant de peines et d’ennuis.

Les Turcs ont en général entouré de beaucoup de pompe la sépulture de la plupart des personnages dont les noms figurent dans l’ancien Testament. Une mosquée est construite sur les tombeaux de David et de Salomon. Un autre temple du même genre, vaste et ancien, couvre aussi la grotte de Machpelah à Hébron, et le terrain des environs est inviolable et sacré. La grotte, dont, on n’aperçoit que l’entrée sombre et profonde, est placée au milieu de l’intérieur de l’édifice, où ne sont admis que les fidèles musulmans. Depuis plus d’un siècle, on connaît à peine deux Européens qui aient pu y pénétrer en gagnant quelques gardiens, et non sans courir les plus grands dangers. Le dernier fut un comte italien : il y a trois ans, il obtint, à force d’argent, d’entrer dans la mosquée et de visiter la mystérieuse grotte. La vallée où l’antique Hébron est située est souvent parcourue par les pélerins et les voyageurs ; mais la peine de mort, portée contre tout chrétien qui oserait s’introduire dans la mosquée, suffit pour réprimer la curiosité qu’inspire ce lieu célèbre. La grotte, à ce que nous disent les Turcs, est spacieuse et taillée dans le roc ; les sépultures des anciens patriarches s’y retrouvent encore…

Cependant le tribut de vénération accordé par les sectateurs de Mahomet à la tombe de Rachel produit une impression bien plus profonde que la vue de colonnes de marbre et de riches lambris. Le désir qu’ils éprouvent d’être ensevelis auprès de ses restes est surtout très-remarquable. Les environs de ce modeste mausolée sont couverts de tombeaux de Musulmans. Ce n’est pas seulement la grandeur, la sagesse, la sainteté, que les Turcs honorent en Rachel ; ce sont surtout ses vertus domestiques. Elle fut épouse dévouée, tendre mère ; une nation belliqueuse lui doit le jour ; tels sont ses titres au respect des Musulmans.

Lorsqu’un convoi funèbre traverse lentement la plaine de Rephidim et se dirige vers le sépulcre, cherchant à placer auprès de son enceinte les restes d’un être chéri, si un Juif apparaissait, il serait maudit et maltraité par ce peuple qui s’agenouille sur les cendres d’un de ses ancêtres, tant est déchue cette malheureuse nation, qui ne peut même approcher des lieux pleins de son ancienne grandeur. En effet, pour empêcher que les Israélites ne pénètrent dans le monument, les colonnes qui en soutiennent le dôme sont réunies par un mur en maçonnerie. Aux environs, on ne voit pas ces élégans piliers en bois ou en marbre, ces inscriptions en lettres d’or, ces riches et somptueux mausolées dont les Turcs aiment ailleurs à couvrir leurs cimetières. Ici le lieu seul semble répondre à tous les désirs, satisfaire à toutes les ambitions ; une simple pierre, où l’on vient quelquefois verser des larmes, marque seule la place de repos d’un parent ou d’un ami. On ne peut, sans éprouver un sentiment profond de mélancolie, au milieu de cette solitude dont jamais n’approcheront les pompes de la vanité humaine, voir tous les signes de la douleur donnés par ces Musulmans revêtus du même costume que portaient jadis les patriarches habitans des mêmes lieux…

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