Le tour du Saguenay, historique, légendaire et descriptif/20

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III

LE QUÉBEC-CHARLEVOIX




Il y a trente ans, quelqu’un qui eut dit aux gens de Charlevoix, les vieux d’aujourd’hui, que les gens de Québec partiraient, un matin, s’en iraient prendre le dîner à Murray Bay et reviendraient, le soir, à Québec après avoir, à deux reprises, longé la route des Caps dans toute sa longueur, eût passé pour un fumiste.

Et pourtant, c’est ce qui a commencé de se faire dans l’été de 1918 et s’effectue, aujourd’hui, chaque jour, grâce au chemin de fer Québec-Montmorency-Charlevoix.

Le voyage de Sainte-Anne de Beaupré à la Malbaie, par ce chemin de fer, est l’un des plus pittoresques du monde.

On a déjà suggéré aux autorités du Québec-Montmorency-Charlevoix, qui fait maintenant partie, depuis 1920, du réseau des chemins de fer nationaux du gouvernement, de poster, un jour, à l’arrière d’un train, un appareil cinématographique et de prendre la photographie animée de ce chemin des caps, du Cap Tourmente à la Pointe-au-Pic. Ce serait, croyons-nous, le seul moyen de donner une idée de cette route ; autrement toute description que l’on tenterait d’en faire serait oiseuse et ne donnerait aucune idée de la réalité.

Jamais on ne peut rêver une nature aussi prodigieusement tourmentée, aussi pompeusement pittoresque, d’aspects aussi sauvages et quelquefois même aussi effrayants. Et l’on a peine à croire que des hommes aient pu penser, un jour, à tracer un chemin de fer à travers cette chaîne abrupte de caps effrayants, de rochers géants, de haies profondes et de collines dont les plus petites sont des montagnes. C’est une véritable orgie de pics et de rochers, de caps immenses dont les sommets pour la plupart se perdent dans les nues ; tout cela longe le fleuve, le surplombe plutôt.

Et c’est, pourtant, entre cette muraille de granit aussi élevée qu’accidentée, et le fleuve dont les vagues viennent lécher les pieds de ces géants de pierre, que l’on a accompli ce prodige de dérouler les lisses d’acier d’un chemin de fer. C’était de la témérité et cela a été accompli.

Les Montréalais et les Québécois qui vont quelquefois bien loin pour admirer quelques coins sauvages et pittoresques de la nature américaine, qui, pour cela, ne croient pas devoir faire autrement que de s’en aller dans les Rocheuses, songent-ils qu’à leurs portes, ils peuvent s’offrir, tous les jours, un spectacle qu’ils ne goûteraient pas même au plus profond des Alleghanys ou des Rocheuses ou en n’importe quel lieu de l’Amérique du Sud ?

Nous proclamons que le spectacle qui s’offre à nos yeux, durant les quelques quatre heures que prend le trajet de Québec à Murray Bay, est unique au monde.

Le spectacle commence dès que nous avons laissé les champs dorés et les villages verdoyants des côtes de Beaupré et au moment où, pour ainsi dire, notre train s’engouffre le long de l’effrayant Cap Tourmente dont, d’en bas, nous ne pouvons mesurer du regard les sommets. Pendant des lieues et des lieues, maintenant, le train filera sur une étroite bande de rocher avec, d’un côté, la mer qui déferle presque sous les wagons, et de l’autre, la gigantesque muraille des caps, tantôt abrupte et rocailleuse, tantôt unie et polie comme un miroir, tantôt tapissée de mousse, d’épilobes, de bouleaux nains dont les branches fouettent quelquefois les portières du train tellement ce dernier se trouve resserré entre ce mur et l’eau. À deux reprises, les hommes n’ont pu faire, à travers deux caps, de tranchées assez profondes pour y permettre le passage des lisses et alors le train s’engouffre dans des tunnels qui font la nuit profonde dans les wagons.

Tout le long de cette corniche, à tout instant, dégringolent du sommet des pics et des rochers, de petites cascades, véritables jets d’eau qui, au passage, éclaboussent le train de leurs milliers de gouttelettes.

Nous pourrions ajouter que nous en verrons bien d’autres quand ce chemin de fer continuera sa route de la Malbaie à la Baie-Sainte-Catherine, à l’embouchure du Saguenay.

D. P.



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Scène champêtre photographiée près de St-Joachim.
Collection Marius Barbeau, Ottawa.