Le véritable conducteur aux Cimetières/Supplément

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SUPPLÉMENT
AU CIMETIÈRE DU PÈRE LACHAISE


Nous allons citer dans ce Supplément : 1o Quelques tombes oubliées dans les 27, 28, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 48, 50, 54 et 55me divisions ;

2° Les 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64 et 65me divisions, qui n’existaient pas dans ce cimetière à l’époque où M. Brongniard le divisa en 57 parties, ces dernières divisions, d’origine récente, ne portent pas de poteaux qui en indiquent le numéro, et ce n’est qu’en consultant notre plan, que l’on peut en reconnaître la place.

XXVIIe DIVISION.

A côté du docteur Pinel, et non loin de Béclard, une modeste petite colonne en pierre surmontée d’une urne recouvre la dépouille mortelle d’un excellent homme, M. le professeur Moreau de la Sarthe. Bibliothécaire de la faculté de médecine, il fut mis à l’index lors de la fameuse dissolution de cette école, et ne fut pas renommé ; arraché du centre de ses occupations chéries, l’ennui, le désœuvrement le conduisirent rapidement vers la tombe, où il descendit le 13 juin 1826. On a écrit au crayon sur la pierre cet article de son testament : Je lègue ma bibliothèque à l’élève en médecine qui aura montré le plus de connaissances en philosophie et en bibliographie médicales.

Non loin de là s’élève une sépulture de famille en forme gothique, formant une espèce de cône soutenu par quatre colonnes… C’est la sépulture de la famille Durand. Virginie Durand y est descendue le 16 mars 1820 ; et son père, Julien Durand, le 23 janvier 1828. On ne lit pas sans attendrissement les huit vers suivans, que l’on a gravés sur la pierre tumulaire qui recouvre la dépouille mortelle du père et de la fille.


La mort cruelle, ô tendre Virginie !
D’un coup soudain moissonna tes quinze ans ;
Et le tombeau d’une fille chérie
D’un père en deuil reçut les pleurs brûlans.
Lorsque sans cesse il déplorait ta perte,
Frappé lui même, il cessa de gémir ;
Sous ses genoux ta tombe s’est ouverte,
À tes côtés il est venu mourir.


À deux pas de ce monument de forme gothique, est un autre temple soutenu par huit colonnes de pierre ; dans l’intérieur est un sarcophage en pierre et en marbre, dont l’épitaphe nous apprend que M. Thierry, qui, à l’âge de 69 ans, est descendu là le 3 juin 1816, fut non seulement un marchand de bois, mais, qui plus est, un marchand de bois carré.

XXVIIIe DIVISION.

Sur le bord du chemin qui sépare la 28e division de la 29e, nous apercevons le cippe en pierre qui recouvre la cendre d’un commerçant estimable, chéri de sa famille et de ses nombreux ouvriers. M. Cercou, dont le buste en bronze fort bien sculpté surmonte l’épitaphe, fut enlevé à ceux qui l’aimaient, le 25 avril 1822, à l’âge de 64 ans. Honneur et respect à la cendre de l’homme de bien !

Non loin de cette tombe est un autre cippe en pierre également décoré d’un buste moulé en plâtre ; là dort une jeune fille de 24 ans, Julie Bricard, enlevée à sa famille désolée le 17 janvier 1824. Les vers suivans, gravés sur sa pierre funèbre, attestent à la fois la douleur de ses parens et le talent de l’auteur.

O toi, de tes parens et la joie et l’amour,
Tu n’es plus, cher objet de leur douleur profonde !
Ta vie infortuntée a coulé comme une onde,
Comme le lys qui meurt avant la fin du jour ;
Mais, ange de bonté, dans l’éternel séjour,
Tu jouis du bonheur qui leur manque en ce monde.

À peu de distance de cette dernière tombe, est la pierre tumulaire qui s’élève sur la dépouille mortelle de Gabrielle Chartier, décédée le 23 février 1823, à l’âge de 33 ans ; sur sa tombe on lit ces quatre vers, qui sont assez médiocres :

Tendre amitié, divinité du sage,
Ranime au feu de ton brillant flambeau
De tes vertus le plus bel assemblage,
L’objet chéri qui git dans ce tombeau,

XXXe DIVISION.

À côté de Mlle Raucourt, sous un petit sarcophage en marbre blanc surmonté d’une urne, reposent les restes de Mme veuve Audinot, décédée le 30 novembre 1818, et de son fils, qui est venu la rejoindre quelques années après ; on a consacré à leur mémoire les vers suivans, gravés sur le marbre funéraire.

Héritier des vertus qu’on admirait en elle,
Et tout baigné des pleurs de ses nombreux amis,
L’appui des malheureux, le plus tendre des fils,
Repose maintenant auprès de son modèle ;
Aux larmes de sa mère unissons nos regrets,
Et, comme elle, imitons sa vie et ses bienfaits.

En nous rappelant que M. Audinot avait été directeur de l’Ambigu-Comique, nous sommes restés fort surpris qu’il ne se soit pas trouvé parmi les auteurs de son théâtre, un poète, ou du moins un versificateur, qui fut capable de lui composer une épitaphe moins médiocre.

En face, dans un creux formé par les inégalités du terrain, est un piédestal en marbre noir, surmonté d’une urne en marbre blanc ; il faut chercher ce simple monument avec quelque attention pour le découvrir, attendu qu’il est presque totalement caché par des accacias et des sureaux ; il ne porte aucun nom, et n’a pour toute épitaphe que ces mots si touchans et si expressifs : Le premier au rendez-vous… !

Absolument à côté, sous un large sarcophage en pierre, dort en paix la muse d’un auteur lyrique qui charma nos pères, et qui nous délasse encore quelquefois de la boursoufflure et du romantisme de nos auteurs modernes. C’est le tombeau du baron de St.-Just, né en 1769, et décédé le 28 mars 1826. Aux deux côtés de son nom, on a gravé ses deux plus beaux titres littéraires : Zoraïme et Zulnar et le Calife de Bagdad.

Non loin de là, sont trois pierres tumulaires, consacrées à la famille Foacier. Sur celle du jeune Louis-Auguste Foacier, décédé le 26 mai 1821, à l’âge de 5 ans, nous avons lu avec émotion les vers suivans :

Du matin de ma vie à la nuit des tombeaux,
À peine la douleur a marqué mon passage,
Ma rapide existence a coulé sans orage,
L’amour de mes parens veillait à mon repos.
Ainsi qu’en un berceau je dors sous cette pierre ;
Ne me plaignez donc plus, mais consolez ma mère.

XXXIe DIVISION

Dans cette division, pauvre en tombeaux remarquables, nous citerons cependant encore, près du tombeau de l’acteur Philippe, la pierre tumulaire sous laquelle dort près de son époux, et depuis le 15 mars 1821, Mme veuve Vanel, agée de 57 ans ; on lit ces quatre vers sur sa tombe :

Quelque temps on m’a vue, aux larmes condamnée,
Pleurer sur un époux, digne objet de regrets ;
Mais une heureuse destinée
Nous a dans ce tombeau réunis à jamais.

XXXIIe DIVISION.

Que M. Hugo se désole, que M. d’Arlincourt s’arrache les cheveux, voici un rival redoutable, qui s’élève pour eux du sein même du Père Lachaise. C’est un époux désolé qui a fait élever, à la mémoire de sa belle-mère, décédée le 3 octobre 1815, et de son épouse, ravie au monde le 10 mai 1816, un cippe en pierre surmonté de deux urnes. Sur la façade en marbre de ce monument, on lit l’épitaphe suivante :


« Les torrens sont descendus de la montagne ; ils ont emporté la chaumière et le couple paisible qui l’habitait. Une tendre mère a péri sous ces débris ; l’époux croyait avoir sauvé sa jeune compagne et le trésor que renfermait son sein ; elle n’a survécu que pour mettre au monde un premier et dernier gage d’un mutuel amour ; ensuite elle est allée rejoindre sa mère, et toutes deux reposent en paix. »

À peu de distance de cette tombe romantique est une pierre élevée par l’amour fraternel ; là dort, depuis le 19 décembre 1821, Françoise de Mauger, et son frère désolé a fait graver ces mots sur la pierre :

Au milieu des malheurs qui déchiraient ta vie,
O femme vertueuse, ô digne et tendre amie !
Un frère te restait pour plaindre ta douleur ;
Moi, je vis pour souffrir et je n’ai plus de sœur ;
Mais Dieu ranimera tes dépouilles mortelles,
Et nous nous rejoindrons aux voûtes éternelles.

XXXIIIe DIVISION.

Sur le bord du chemin méridional qui enclot cette 33e division, est une pierre tumulaire sans nom, sur le revers de laquelle on a gravé les deux vers suivans :

Sage amitié, mon cœur se repose avec toi :
Le monde ou tu n’es pas est un désert pour moi.

Non loin de là et sur la même ligne, repose, sous une simple pierre tumulaire et à côté de son père, Louis Buligot, jeune homme de 28 ans, mort le 1er jour de l’an 1828. On a gravé sur sa tombe le quatrain, suivant, qui n’est pas sans quelque mérite :

Tu n’eus que des amis pendant ton court passage,
Quand on te connaissait il fallait te chérir ;
Qui de nous eût pensé qu’au printemps de ton âge
Il faudrait te pleurer ! An ! c’est trop tôt mourir.

Un peu plus loin, en tournant la division, et en face du bosquet du Dragon, est la tombe de l’épouse de M. Hinaut, layetier emballeur, décédée à l’âge de 57 ans, en sa maison, rue et quartier du faubourg St.-Antoine, n. 59. On a consacré à sa mémoire les vers suivans, qui sont plus d’un époux que d’un poète :

Elle fut constamment une épouse fidèle ;
De toutes les vertus elle offrit le modèle :
Son époux accablé d’une juste douleur,
Et sentant vivement le poids de son malheur,
A voulu consacrer à jamais sa mémoire.
Que Dieu daigne l’admettre au séjour de la gloire !

En face du général Foy, sur le bord du chemin septentrional, est la colonne de marbre blanc, surmontée d’une croix, qui recouvre les restes sacrés de Mme Gontié, enlevée à sa famille à l’âge de 47 ans, le 10 mars 1828. Sur cette tombe on lit les vers suivans :

Dans nos cœurs tu vivras toujours,
Tendre épouse, mère chérie ;
l’instant où tu perdis la vie
Fut le dernier de nos beaux jours.

Pres de là, sur la même ligne, est un cippe de marbre, surmonté d’une croix, que M. Lemoine a consacré à la mémoire de son épouse et de ses enfans que la faux de la mort lui a successivement enlevés en 1827 et 1828. Il a fait graver sur sa tombe ces deux phrases aussi touchantes qu’énergiques :

La mort m’a tout ravi, la mort doit tout me rendre ;
J’attends le réveil des tombeaux.

Dans un creux pratiqué à l’intérieur d’un cippe en pierre, est le portrait en bronze de Pierre Mussot, que la mort ravit, dans son 14e lustre, à sa nombreuse famille, le 22 décembre 1823. Sur sa tombe et sous son portrait, on lit les six petits petits vers suivans :

Il fut ami fidèle,
Sage autant que pieux,
Des époux le modèle,
L’appui des malheureux.
Puisse une âme aussi belle
Avoir pris place aux cieux !

Près de lui est la sépulture de sa famille, composée de 9 pierres tumulaires jumelles, qui se tiennent, et dont cinq ont déjà reçu leur funèbre destination.

Plus loin, sur un marbre tumulaire qui ne cite aucun nom, nous lisons, avec une légère émotion, cette phrase expressive :

« Passant, donne une larme à ma mère, en pensant à la tienne. »

Cette inscription est la depuis le 10 février 1827.

Toujours en suivant le bord du chemin, nous rencontrons le cippe en pierre surmonte d’une urne qui renferme la dépouille mortelle d’un enfant de 13 ans, Marc Germain Casaubon, enlevé à sa famille, le 18 mars 1822. On a exprime par le quatrain suivant la douleur que causait une fin si prématurée.

Tu n’es plus, cher enfant, mon unique espérance ;
Tu fis tout le bonheur que j’osais désirer :
Ta mort frappe de mort ma pénible existences ;
Et si je vis encor, c’est pour toujours pleurer.

À quelque distance est une tombe en forme de bierre, qui renferme la cendre de madame Throude ; sur le côté droit de cette tombe en pierre, on a gravé ces quatre vers :

D’une épouse chérie, on voit ici la tombe,
Ses enfans chaque jour viendront verser des pleurs :
Sa famille éplorée atteste, en ses malheurs,
Que celui plus heureux est celui qui succombe.

Dans l’enceinte de cette division, nous avons aperçu deux pierres tumulaires jumelles, qui renferment le père et la fille ; sur celle d’Adèle Fornerod, décédée le 18 mars 1819, on lit les vers suivans :

O vous dont la vive tendresse
Soulagea ma sombre tristesse,
Soyez heureux.
Vous que j’aimais, séchez vos larmes,
Loin des méchans et des alarmes :
Je repose enfin dans les cieux.

Et sur la pierre tumulaire qui s’élève sur la dépouille mortelle de son père, décédé le 27 avril 1820, on lit ces quatre vers :

Pres d’une fille qu’il chérit,
Dort ici le plus tendre père :
Ses enfans ont posé la pierre
Ou le trépas les réunit.

XXXIVe DIVISION.

Ce n’est pas sans le plus vif plaisir que nous avons atteint la 34e division ; la chaleur qui nous accablait nous faisait vivement ressentir le besoin de quelqu’ombrage un peu frais, et cette 34e division, que l’on appelle le bosquet du Dragon, offre une retraite presqu’impénétrable aux rayons du soleil.

Ce nom de bosquet du Dragon lui vient du cénotaphe consacré à la mémoire du dragon Lagrange dont nous avons parlé ci-après.

Sur un large sarcophage, consacré à la sépulture de la famille Moreau, nous lisons d’abord les vers suivans, gravés en l’honneur de Mme Moreau, décédée le 21 décembre 1809, à l’âge de 41 ans.

Trop tôt pour nous, hélas ! cessant d’être mortelle
Son âme s’échappa sans remords ni regrets,
Et nos yeux, obscurcis par la douleur cruelle,
Ont versé moins de pleurs, que sa main de bienfaits.
Tout lui paie un tribut, jusques à la nature ;
Elle y joint un cyprès qu’elle entoure de fleurs,
Et l’écho des soupirs, le vent de son murmure,
Ses enfans des sanglots, et les pauvres des pleurs.

Au nord du bosquet du Dragon, et sur le bord de la route, vis-a-vis du tombeau du général Foy, nous remarquons deux modestes pierres jumelles ; la 1re, celle de droite, porte pour toute inscription : Félix G., et les vers suivans, dont la fin est empruntée à Malesherbes.

Gage de l’amour le plus tendre,
Des ses premiers jours moissonné,
Un jeune enfant, au bonheur destiné,
Du berceau dans la tombe ici vient de descendre.
L’impitoyable temps de sa cruelle main
A flétri cette fleur, hélas ! à peine éclose ;
Pauvre enfant ! tu vécus ce que vit une rose,
L’espace d’un matin.

Ces vers sont bien ; ceux de la tombe parallèle nous ont paru mieux encore ; ils sont consacrés à la mémoire d’Alfred G. :

Tel meurt avant le temps sur la terre couché
Un lys que la charrue en passant a touché !

A côté, et plus encore sur le bord du chemin, est une simple croix de bois, à laquelle on a cloué une plaque ronde en tôle peinte en bleu. On y lit, en lettres jaunes, ce qui suit : Sous ce monument provisoire, érigé par F. V. P., est la dépouille mortelle de Clémence-Adèle Gruel, sage-femme, décédée le 24 mars 1828, à l’âge de 15 ans ; sous cette inscription on a gravé les vers suivans, qui sont fort bien :

Je vis toujours… l’enveloppe mortelle
Que je quittai dans l’âge des amours
Ne devrait point être éternelle ;
Mais puisqu’au moins notre âme est immortelle,
Je vis toujours.

Nous n’avons pu voir cette croix sans un sentiment pénible ; ce n’était, disait-on, qu’un monument provisoire Pauvre Adèle ! tu n’en auras jamais d’autre ! Les couronnes vieilles et desséchées, qui salissent ta croix modeste ne prouvent que trop que déjà tu es oubliée… Mais alors pourquoi ces promesses pompeuses ?… Hélas ! on trompe les humains jusque sur leur lit de mort.

Repoussons ces idées affligeantes, et allons nous consoler près de la tombe de Mme Lengellé, enlevée à sa famille le 17 juin 1820, à l’âge de 76 ans. Sur sa modeste pierre tumulaire, surmontée d’une croix, on a gravé 4 vers qui n’inspirent aucune pensée pénible ; mais un sentiment de douce rêverie. Tâchons de le faire passer dans l’âme de nos lecteurs.

Celle dont le tombeau n’offre aucun appareil,
Qui du juste, en ce lieu, goûte le doux sommeil,
De ses enfans pleurée et des pauvres suivie,
Sema de ses bienfaits le chemin de la vie.

XXXVe DIVISION.

Arrêtons-nous un moment : voici la tombe d’un grand homme… ! C’est le beau monument que la France elle-même a fait élever au général Foy… Il est digne d’elle et de lui… Nous avons déjà esquissé le récit de ses immortelles funérailles ; retraçons maintenant quelques pages de son histoire :

Maximilien-Sebastien Foy, naquit à Hans, département de la Somme, en 1775 ; il entra à l’école de Lafère en 90, en sortit sous-lieutenant le 1er mars 1792, il était lieutenant le 1er septembre suivant, et fit, en cette qualité, la campagne du nord, sous Dumourier. Un an après, jour pour jour, il fut fait capitaine : ce fut à cette époque qu’il fut cité au tribunal de Joseph Lebon : le 9 thermidor lui rendit la liberté. Depuis cette époque il passa de grade en grade avec une extrême rapidité ; il combattit au Rhin, en Suisse, en Tyrol, en Autriche, aux Dardanelles, en Portugal, et, enfin, à Waterloo. Là finit sa carrière militaire ;

Mais bientôt

Au rang de nos tribuns on a placé son nom,
Au souvenir de l’immortel renom
Qu’il a conquis aux champs de la victoire ;
Nos tribuns se sont tous fait gloire
De ranger ce héros sous leur noble étendard…
Il vient, et dans leurs bras tous ses amis l’enlacent ;
Au sein de leurs lauriers auprès d’eux ils le placent ;
Il parle… ; ils attendaient Bayard :
C’est Démosthène qu’ils embrassent.

Dix ans sa voix retentit avec énergie dans le forum : tant de travaux l’absorbèrent enfin, et la maladie, qui depuis quelque temps le tourmentait, fit des progrès alarmans ; mais il vit arriver la mort sans la redouter, et quelques heures avant de succomber, il disait encore : Je sens un pouvoir désorganisateur qui travaille à me détruire ; je combats le géant et ne peux le vaincre. Lorsqu’arriva sa dernière heure, il voulut respirer un air pur et voir pour la dernière fois la lumière céleste ; mais se sentant défaillir sur son fauteuil, il dit à ses neveux : Mes amis, mes bons amis, mettez-moi sur mon lit : Dieu fera le reste… !

Ainsi finit un héros que la mort n’avait osé frapper à la tête des armées. Nous avons versé quelques larmes sur sa tombe, et nous nous sommes éloignés en disant :

Adieu !
Je reviendrai visiter cet asile
Ou tant d’exploits sont endormis ;
J’en arracherai les soucis
Que laisserait pousser une main inhabile ;
Et si le ciel, enfin, daigne exaucer mon vœu :
Qu’auprès de ce tombeau les passions se taisent,
Que la haine s’endorme et que les vents s’apaisent !
Adieu !


Nous citerons encore au nombre des tombeaux remarquables dont cette 35e division fourmille :

1o. Le piédestal en marbre noir, surmonté d’un obélisque et d’une urne en marbre blanc, sous lequel repose le baron Simon, enlevé à sa famille le 13 avril 1827, à l’âge de 56. On a gravé sur ce piédestal les vers suivans dont la chute est un peu plate :

Passans, dans ce séjour de silence et de larmes
Que ce simple tombeau soit toujours respecté !
Plus d’un grand souvenir est caché sous ces armes :
Simon les illustra par son humanité.

2o. La colonne et Fume qui surmontent la dépouille mortelle de M. le marquis Dessoles, pair de France, décédé le 2 novembre 1818. Nous nous rappelons que, nommé en 1827 président du conseil des ministres, avec le portefeuille des affaires étrangères, il donna sa démission pour ne pas être complice de la violation de la Charte ; nous nous rappelons de plus, avec plaisir, qu’il fut général en chef de la garde nationale parisienne, et nous saluons avec un sentiment de respect et de reconnaissance la tombe d’un honnête homme et d’un bon citoyen.

3o. Nous n’en ferons point de même au marbre tumulaire de M. le marquis de Béthisy, décédé pair de France, le 5 octobre 1827, non parce qu’il fut lieutenant-général et gouverneur du château des Tuileries, fonctions dont il s’acquitta parfaitement ; mais parce qu’il combattit toujours la France républicaine ou constitutionnelle, et surtout parce qu’il fut trop bien avec M. de Villèle.

4o. Près de lui, sous un marbre parfaitement semblable, repose son parent, le comte de Béthisy, qui l’avait précédé dans la tombe en y descendant le 14 mars 1823.

5o. Sur une masse de rochers en grès, auxquels l’art a donné toutes les formes de la nature, s’élève une colonne en pierre, surmontée de trois urnes en marbre blanc ; dans cette sépulture, probablement destinée à trois personnes, une repose déjà, ainsi que nous l’apprend une inscription, gravée sur une des pierres du rocher, au-dessus de la porte d’entrée du caveau, placé sous le rocher même. Là dort la dépouille mortelle de Mme Michiels, jeune femme de 21 ans, moissonnée le 39 septembre 1816.

6o. À peu de distance de ce rocher, sous une tombe en marbre, de forme élégante, et surmontée d’une urne, dort, à côté du général Foy, M. Gillet, marchand de vins en gros.

XXXVIe DIVISION.

Un des plus beaux monumens dont puisse s’honorer le cimetière du Père Lachaise, c’est sans contredit celui qui renferme la dépouille mortelle du maréchal Suchet. Le marbre le plus beau, les sculptures les mieux exécutées, rien n’a été omis pour honorer dignement la mémoire de ce vieux débris de nos vieilles gloires ; il est là près de ses anciens compagnons d’armes, les Decrès, les Lefèvre, les Masséna, les Serrurier, etc., etc..

Où le Pô donne essor à ses eaux vagabondes,
Aux rives où l’Escaut roule ses froides ondes,
Son glaive jamais ne trembla :
Il brava des autans les atteintes cruelles ;
Rien n’avait pu flétrir ses palmes immortelles,
Et pourtant il est là… !

Il faudrait un espace beaucoup moins circonscrit que celui qui nous est imposé pour suivre le maréchal Suchet dans le cours de sa longue carrière militaire ; tous les champs de bataille de l’Europe ont été le théâtre de sa gloire ; mais la campagne d’Espagne, quels qu’aient été ses résultats désastreux pour la France, fut le plus beau fleuron de la couronne du maréchal : ce fut là que le titre de due d’Albuféra lui fut acquis, et nous pensons d’une noblesse ainsi conquise, vaut bien celle que l’on a reçue par héritage. Créé pair de France par Louis XVIII, il fut maintenu dans ses fonctions par Napoléon, au retour de l’Ile-d’Elbe. Louis revint et l’en dépouilla par ordonnance ; une seconde ordonnance les lui rendit, et il est mort dans cette dignité, laissant une fille charmante et un fils, qui, nous l’espérons, n’oubliera pas que son père est sorti des rangs du peuple, et qu’il se doit tout entier à la défense de ses droits.

XLVIIIe DIVISION.

Nous avons passé cette division sous silence, parce qu’elle n’offre rien de remarquable. Les noms qu’elle contient peuvent être fort estimés des familles auxquelles ils appartiennent ; mais pour le public, ils sont d’une nullité absolue.

En effet, c’est un M. Vergnaud, chef de division à la secrétairerie d’état, décédé en 1814, à l’âge de 43 ans ;

Un M. Félix, propriétaire, mort en 1817, âgé de 70 ans ;

Un M. Bacôt, marchand de vins, descendu au tombeau dans la même annexe ;

Un M. Marny, âgé de 56 ans, qui, nous dit-on, en 1814, fut le plus juste des hommes et l’ami de la vérité ;

Un M. Catellan, chevalier de l’ordre de Sainf-Jean-de-Jérusalem, décédé en 1814, à l’âge de 57 ans, etc., etc..

Nous croyons inutile d’en citer davantage.

Le DIVISION.

Sur le point le plus élevé de cette cinquantième division, sont trois sépultures de familles originales. La deuxième entr’autres est des plus élégantes ; c’est un obélisque en pierre, environné de huit bornes, jointes par une énorme chaine en fer qui vient apporter ses deux extrêmités derrière l’obélisque, dans un anneau qui sort d’une gueule de lion : c’est la sépulture de la famille Delattre.

La troisième sépulture de famille, qui commence à peine à s’exhausser au-dessus du sol, est une crypte qui annonce devoir être de forme gothique ; nous ignorons à qui elle doit être consacrée.

LIVe DIVISION.

Que de simplicité et que de philosophie dans cette simple inscription gravée sur la tombe d’une femme de 81 ans, décédée en 1823 : Un jour on dira de moi ce qu’on a dit des autres : Marie-Anne Pallet est morte, et l’on n’en parlera plus… Voilà donc où aboutissent toute la poussière, tout le fracas que nous faisons dans ce bas monde : était-ce bien la peine de naitre ?

LVIIe DIVISION.

Nous devons encore citer comme faisant partie de cette division, Édouard Daverne, mort à l’âge de 27 ans.

On a gravé sur la colonne qui recouvre sa cendre, les vers suivans :

C’en est donc fait ! à peine entré dans la carrière,
Tu quittes, cher Édouard, et ton père et ta sœur !
Tu succombes, brisé par les peines du cœur !
Ah ! que tu dus souffrir à ton heure dernière !
Repose désormais en paix sous cette pierre ;
Dans la tombe, du moins, il n’est plus de douleur.

Plus loin, sur un joli vase en porcelaine dorée, placé sur une colonne en pierre, on lit en lettres d’or, que la repose Jean Boulan, maître maçon, décédé le 19 Janvier 1828.

LVIIIe DIVISION.

Dès la deuxième rangée de tombeaux, sous une modeste pierre tumulaire ceintrée, repose madame veuve Mars, décédé le 25 mars 1823, à l’âge de 62 ans : les vers suivans décorent sa tombe.

Elle n’a traversé le fleuve de la vie,
Que pour y rencontrer et souffrance et douleur ;

Et dans la nuit du temps, elle s’est endormie,
Pour goûter du repos la paix et la douceur.

Derrière, M. Boyer a fait graver sur la plaque de marbre qui orne le cippe qui recouvre la cendre de son épouse, les vers suivans, qui attestent une douleur qui ne s’est pas démentie depuis le 14 février 1829, si j’en juge à la fraîcheur du petit jardin qui recouvre cette cendre si chère.

Par elle, du bonheur, j’ai pu goûter les charmes,
Sa bonté, sa douceur ont embelli mes jours ;
Elle n’est plus, moi je sens à mes larmes,
Que dans mon cœur elle vivra toujours.

A trois pas de là, on lit cette touchante inscription :

Telle que la rose un matin,
Fraiche, suave et fleurie,
Vers le soir changeant son destin,
Se fane, tombe et perd la vie.

Laure Caperan, née le 4 octobre 1812, est décédée le 29 mars 1828.

Plus loin nous lisons, sur une tombe sans nom, les vers suivans :

Dors, chère Pétronille,
Puisque du sort c’est l’immuable loi ;
A ton réveil, ma fille,
Je serai près de toi.

Une tombe sur laquelle sont sculptées des médailles, frappe nos regards ; dans l’une est gravée sur le marbre : médaille d’or donnée parle ministre de l’intérieur ; dans l’autre, médaille d’argent, délivrée par le préfet de police. Là dort, depuis le 20 juin 1828, Pierre Bunel, garçon boucher, qui obtint ces honorables récompenses, pour avoir, dans la nuit du 24 au 25 juillet 1827, retiré du canal St-Martin la dame Chaudron et deux de ses enfans. Respeet à sa mémoire !

Un simple papier, attaché à une croix de bois, près de là, nous cause encore de vives émotions ; c’est l’écriture d’un enfant qui vient souhaiter la fête à la cendre de son frère ; le bouquet tout frais encore repose au pied de la croix.

Un peu plus loin est la pierre modeste qui recouvre les restes mortels de madame Magnier, décédée en 1828, à l’âge de 26 ans ; son époux désolé a fait graver les vers suivans sur sa tombe :

Sous ce froid monument repose mon amie ;
Ses trois petits enfans, en me tendant les bras
Me demandent en vain cette mère chérie,
Qui sommeille à jamais dans la nuit du trépas.

J’étais heureux près d’elle, une chute effroyable,
De mon, bonheur vint suspendre le cours.
L’art fit de vains efforts : la mort impitoyable
L’a ravie à nos vœux dans l’âge des amours.

Loin des restes glacés que j’arrose de pleurs,
Son âme est envolée au séjour de la gloire,
Le temps effacera les vers Si sa mémoire,
Mais non le souvenir conservé dans nos cœurs.

Plus loin, en remontant vers le plateau, nous lisons les deux vers suivans sur la pierre tumulaire d’Adéle Moutier, jeune rose de 16 ans, moissonnée le 12 septembre 1828.

Sa bonté, ses vertus ont gravés dans nos cœurs ;
Et pour nous consoler, nous n’avons que nos pleurs.

Près de là, sous un pélican gravé sur le marbre, une inscription nous apprend que là, depuis le 19 décembre 1828, repose, a l’âge de 64 ans, M. Houssement, doyen de a R. L. des Incorruptibles ; qu’il a présidée pendant 44 ans.

Derrière lui, on ne lit pas sans émotion ces quatre vers gravés en lettres d’or sur le marbre tumulaire qui recouvre la dépouille mortelle de François Richard, décédé le 4 février 1829, à l’âge de 27 ans.

Ton enfant malheureux, en voyant la lumière,
Ne sentira jamais les doux baisers d’un père ;
Sa mère infortunée, en lui donnant le jour,
Gémira sur son sort et le sien tour à tour.

Sur la même ligne, dort une jeune femme de 24 ans, madame Roger, ravie à sa famille le 6 janvier 1829. Son époux désolé a fait graver ce quatrain sur sa tombe.


Adieu donc pour toujours, ô malheureuse amie !
Adieu, repose en paix dans ce triste séjour !
Tes vertus, ta douceur embellissaient ma vie,
Et ta mort de regrets m’accable sans retour.

LIXe DIVISION.

Sur la pierre tumulaire qui recouvre, depuis le 9 octobre 1824, Adèle-Sophie Bondu, nous ne lisons pas sans émotion les vers suivans :

Comme une fleur par l’aquilon frappée,
Elle a passé dans son printemps.
En comptant ses vertus, l’avide mort trompée
Crut moissonner des cheveux blancs.

À peu de distance, sur la pierre tumulaire qui recouvre la cendre d’Eugénie Loisel, jeune fille de 7 ans, décédée le 27 juin 1828, on a gravé une tige de rose supportant un bouton renversé, et dessous on lit ces vers pleins d’expression :

O fleur jolie ! ô fleur à peine éclose !
Tu disparais avant le temps ;
En tout, hélas, trop semblable à la rose,
Tu n’as vécu que peu d’instans,
Nous avons cru que ta tige légère,
Dont la fraicheur charmait nos yeux,
Embellirait plus long-temps cette terre :
Le destin a trompé nos vœux,
Tu n’eus ici qu’une courte existence ;
Le ciel, de ta beauté jaloux,
N’a pas permis que ta douce présence
Fut un plus long bonheur pour nous.

Plus loin, à la quatrième rangée de tombeaux, nous lisons sur la pierre tumulaire de Mme veuve Jobert, décédée le 24 septembre 1824 à l’âge de 58 ans, les jolis vers suivans :

Celle qui dort ici, dès ma première aurore,
Me combla de ses soins, de ses tendres secours ;

Quand je serai comme elle au terme de mes jours,
Mes yeux, en se fermant, la pleureront encore.

Ces vers peignent bien le cœur d’une fille.

Jean-Baptiste Hugé, courtier en vins, décédé le 19 mars 1827, à l’âge de 58 ans :

L’homme de bien, qui repose en ces lieux,
Sut faire un noble emploi des instans de sa vie,
La passa librement sans haine et sans envie,
Et marqua chaque jour par un trait généreux.

Plus loin, est la pierre tumulaire élégante, élevée, en 1825, à la mémoire de M. Degoti, peintre en chef du grand Opéra ; il dût cet hommage 31 ses élèves qui y ont fait sculpter une couronne de laurier.

A quelque distance, sur la pierre funèbre consacrée a la mémoire d’Eugénie Savard, décédée a l’âge de deux ans, le 27 décembre 1825, nous lisons ces vers qui sont assez expressifs :

Repose, aimable enfant qui causes mes regrets,
Repose en paix, repose, ô ma fille adorée !
Tu ne seras pas seule au tombeau renfermée :
Nos cœurs auprès de toi resteront à jamais.

On remarque surtout dans cette division un vaste tombeau en pierre, entouré d’une grille de fer ; il renferme la dépouille mortelle de Mme Legros, et de M. Duthu, ancien fabricant de chocolat, décédés, l’une en 1806, et l’autre en 1827. Ce monument a été érigé en leur mémoire par Mlle Henriette Legros, légataire universelle de M. Duthu…

Sur la pierre tumulaire, consacrée à la mémoire de Mme Bataille, décédée le 4 octobre 1824, à l’âge de 57 ans, on lit les quatre vers suivans :

Étends ; encor sur nous ton regard tutélaire,
Toi, dont la tombe est notre cœur,
Toi qui, malgré vingt ans d’éternelle douleur,
Fus bonne épouse et tendre mère.

Enfin, sur le bord du chemin qui sépare la 59e de la 57e division, repose, à l’ombre de quatre sapinettes, Mme Hautefeuille, décédée le 4 février 1822, à l’âge de 20 ans : on a gravé sur sa pierre tumulaire, le quatrain suivant, qui est riche d’expression et de poésie :

Humble et simple pendant sa vie,
Sa vertu se montra sans éclat, sans effort.
Dieu, pour prix de sa modestie,
La rendit sublime à sa mort.

LX et LXIe DIVISIONS.

Dans ces deux divisions, consacrées aux fosses communes, et encore peu peuplées, surtout la seconde, il nous a été impossible de découvrir la moindre des choses qui fût digne de remarque.

LXIIe DIVISION.

Sur la tombe de Mlle Carouge, nommée institutrice par le comité, Philantro-élémentaire, et décédée le ler mars 1820, à l’âge de 20 ans, on a gravé les quatre lignes suivantes, que l’auteur a sans doute prises pour des vers ; que nos lecteurs en jugent :

Fille chérie, en naissant, tu fis mon espoir,
Que confirmait ta trop courte existence ;
Ton trépas me cause un tel désespoir ;
Que la mort pourra seule finir ma souffrance.

À peu de distance de là est une petite tombe fort curieuse ; elle est toute en bois peint en noir recouverte en lames de verre. Cette tombe a été consacrée à la mémoire de Mme Huet, décédée le 5 mai 1827, à l’âge de 32 ans, par M. Huet, son époux, qui a eu soin de mettre au dos de l’inscription de son épouse, son nom et son adresse, rue Molay, no  2, au Marais, pour la commodité des personnes qui voudraient mettre sous verre la dépouille mortelle de leurs proches ; mais le peu de solidité de son travail nous fait penser qu’il ne trouvera pas grands amateurs.

Rien de plus à citer dans cette division, composée de fosses communes, comme les deux précédentes

LXIIIe DIVISION.

Ce sont également des fosses communes, et par conséquent peu célèbres en noms remarquables ; les vertus privées sont douces, modestes, généreuses, mais peu brillantes.

Pourtant nous n’avons pas lu sans une douce émotion l’inscription suivante sur une petite pierre tumulaire, perdue au milieu d’un grand nombre de croix de bois :

« Ci-gît Nicolas Laffilé, décédé le 30 novembre 1827, à l’âge de 67 ans. »

Ses camarades : J.-P. Laffilé, son frère ; P.F. Lepiquet, P.-P. Lefrère, J.-B. Anquetil, commissionnaires près le théâtre du Cirque-Olympique, lui ont fait ériger ce monument… La vertu est de tous les états ; qu’eût-on fait de plus pour un maréchal de France ?…

Plus loin, sur une longue croix, est peinte une tête de mort ayant pour exergue : De toutes les pensées voilà ce qui me reste ! Là dort, depuis le 27 novembre 1827, la veuve Leprince, âgée de 75 ans ; sous l’inscription consacrée à retracer son nom et la date de sa mort, on a peint assez grossièrement un hibou, et dessous, ces quatre espèces de vers qui sont plus riches de pensée que d’exécution :

Je suis le plus sinistre
De tous les oiseaux ;
Des rois et des ministres
J’en éteins les flambeaux.

Sur la modeste pierre tumulaire qui recouvre la dépouille mortelle de Mme Schmitz, institutrice, décédée le 16 janvier 1827, à l’âge de 32 ans, on a placé ces quatre vers assez touchans :

Hélas ! tu n’es donc plus, objet de notre amour,
Digne, par tes vertus, du céleste séjour.
Nos cœurs, pour honorer et chérir ta mémoire,
À suivre tes leçons mettront toute leur gloire.

Sur le bord du chemin qui sépare cette division de la 64e, une pierre tumulaire nous révèle que là dort le chapelier de Madame la duchesse de Berry, M. Grange, décédé le 6 mars 1828, à l’âge de 64 ans… Où diable l’orgueil va-t-il se nicher… !

LXIVe DIVISION.

Ce terrain n’est pas encore mis en usage.

LXVe DIVISION.

Le vaste terrain qui compose cette 65e division est une acquisition récente ajoutée cette année seulement au nombreuses portions de terrain dont se compose le Père Lachaise ; la position en est la même, c’est-à-dire qu’il présente des parties basses et des parties élevées.

Sur la partie élevée, sont deux vastes sépultures de familles, dont l’une est destinée à un maréchal de France, qui ne veut pas mêler sa cendre avec celle des autres.

Dans la partie basse sont quatre rangées de tombeaux qui n’offrent rien de bien remarquable, soit par la structure, soit par les personnages qu’ils renferment. Cependant nous n’omettrons pas la pierre qui recouvre la cendre d’un célèbre expert en écritures, M. Saint-Omer, décédé à l’âge de 65 ans. Sous son portrait en bronze couronné de fleurs, on a gravé les deux vers suivans :

Tes talens, tes vertus t’environnent de gloire ; Tu n’es plus : ton nom seul suffit à ta mémoire.

Nous ne disputerons pas le mérite de M. Saint-Omer, mais nous aimons à penser qu’il fut plus modeste que les vers qui lui ont été consacrés.

Le siècle marche, et les niaiseries se prolongent : Jeanne-Louise Perthus, meurt à l’âge de 14 ans, et le 1er mai 1829, époque toutes récente, on grave sur sa tombe :

Priez Dieu pour elle
à perpétuité !

Quel rapport entre une opération mercantile, et la sublimité de la religion…!

Et M. Lamy, dont l’obélisque, après nous avoir appris qu’il fut marchand de fromages, rue Saint-Antoine, no  58, s’exhale en regrets et en lamentations sur le décès du défunt, arrivé le 23 mai 1829, à l’âge de 34 ans. Que sa mort ait fait couler des pleurs, nous le concevons facilement ; mais qu’avions-nous besoin de savoir qu’il vendait, et où il vendait des fromages ?

Sur un tombeau près du mur, une minutie, un rien nous a mille fois plus touchés que le sentiment emphatique de la tombe ci-dessus : ici dort Jean-Hippolyte, enfant de 6 ans et demi, ravi à l’amour de ses parens le 27 février 1829. On a gravé sur sa pierre : Adieu, petit pepère ; adieu, petite maman ; il y a là dedans une naïveté qui porte à l’âme quand on a su ce que c’était que d’être père.

Il y a quelque chose de déchirant sur une tombe peu éloignée ; là, sous une vaste boîte renfermant tous les joujoux du jeune âge, dort Alexandrius Juillet, décédée le 13 mars 1929, à l’âge de 4 ans ; la douleur de sa mère a été fortement exprimée par les vers suivans, qui sont pleins de force et de poésie.

Quatre printemps à peine avaient vu mon enfant ;
Ma vie et mon bonheur, tout eût été pour elle :
Je crois la voir encor, je l’entends qui m’appelle ;
Que n’ai-je pu mourir, hélas ! au même instant !

Que c’est bien là la douleur d’une mère… mais, ce qui fait le plus de mal, c’est de lire ensuite :

Près de mourir, elle nous disait : ne pleure pas, papa ; ne pleure pas, maman, je me sens mieux… et elle mourut…!

Il y a dans ce : et elle mourut, quelque chose qui déchire l’âme.

Près d’expressions semblables, que les vers suivans paraissent froids !

Nous t’avons perdue, ô Sophie !
Il était si doux d’espérer ;

Mais ne crains pas que l’on t’oublie ;
Nous voulons toujours te pleurer.

Ces vers sont peints sur un cippe en bois, qui recouvre la cendre de Sophie-Virginie Boissière, ravie à l’âge de 24 ans, le 28 mars 1829, aux baisers de sa famille.

Encore une jeune fille enlevée à l’amour de ses parens : Loisil Dessel, âgée de 3 ans et demi, décédée le 27 février 1829, et l’on a gravé sur sa pierre, adossée près du mur :

Ci-gît une fille chérie,
De ses parens l’espérance et l’amour ;
Dès son enfance, elle leur fut ravie,
Leur bonheur ne dura qu’un jour.

Sur la simple croix de bois qui s’élève sur la cendre de madame Rougeau, décédée le 22 février 1829, on a peint en lettres blanches, le distique suivant :

Son époux, ses parens pleurent sur ses douleurs,
Et long-temps sur sa mort ils verseront des pleurs.

Enfin nous avons encore remarqué, parmi ces tombes de récente origine, une pierre tumulaire sur laquelle on a gravé une flèche et un arc, avec cette inscription ;

« Ci-git Clément Pachot, décédé le 4 avril 1829, à l’âge de 34 ans. »

Il est regretté des chevaliers de l’Arc, de la compagnie Montmartre, dont il était membre.