Le vendeur de paniers/06

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Éditions Albert Lévesque (p. 42-50).

VI

CHARMEILLES


DEUX mois se sont passés depuis la mort de la mère Séguin et le rapt de Mariette. Henri-Paul a été bien malade, il est encore à l’hôpital.

Mariette n’a pas été retrouvée, et la police de Montréal cherche en vain ses traces.

C’est une attaque de fièvre typhoïde qui a terrassé le petit boiteux, après l’émotion, le chagrin et la fatigue de ces jours tragiques de la fin de mai.

La femme du brave voisin l’avait amené chez elle le jour de l’enterrement de la grand’ mère et lorsque Pierre vint le voir, ce soir là, il le trouva fiévreux et souffrant. Il le fit coucher et resta auprès de lui… bientôt la fièvre augmenta, Ripaul se mit à parler, à crier… il était dans le délire !

Pierre, déjà avancé dans ses études de médecine, avait tout de suite diagnostiqué la typhoïde… il le fit alors transporter à l’hôpital Civique, d’où le pauvre gamin n’était pas encore sorti.

Il n’avait pas été abandonné de ses amis, cependant ; le curé de sa paroisse était venu le voir ; Pierre, en vacances à Charmeilles, venait parfois à Montréal et apportait toujours quelque douceur à son protégé malade. Un jour, il eut la visite d’un brave vendeur du marché, qui s’intéressait au sort de ce vaillant petit garçon que le malheur semblait poursuivre.

— Eh bien, Ripaul, lui dit-il, s’asseyant auprès du lit de l’enfant, ça va mieux hein, mon gars ? On va te revoir bientôt au marché !

— Je n’en sais rien, François, dit l’infirme, grand’mère n’est plus là pour faire des paniers… mais donne-moi les nouvelles, qui a pris ma place ?

— Une vendeuse de paniers aussi ; mais les siens sont différents de ceux que tu vendais.

— Et l’Gommeux ? Lui fait-il la guerre, à elle ?

— L’Gommeux ? Il y a proche deux mois qu’on ne le voit plus au marché… On dit qu’il a fait un coup d’argent et qu’il est parti pour les États !

— Tant mieux ! C’est un bon débarras ! François, tu as su pour ma petite sœur ?

— Oui, ç’a été dans La Presse, mais la police la retrouvera bien, tu verras !

— Mon Dieu, je l’espère de tout mon cœur ! C’est dur d’avoir été pris par la maladie quand j’aurais voulu courir partout pour la trouver !

— Oui, c’est dur, pauv’ petit, mais patiente encore un peu ; tu seras bientôt guéri et plus fort qu’avant ! dit le brave homme, se levant pour partir.

Il disait ces paroles réconfortantes pour encourager le convalescent, mais il lui trouvait l’air si frêle, si débile, qu’il ne croyait pas le voir revenir à la santé.

Madame Lecomte, la mère de Pierre, s’informait toujours avec intérêt du petit boiteux. Un jour, Pierre revenant d’un rapide voyage à Montréal, lui annonça que Ripaul devait quitter l’hôpital la semaine suivante.

— Que va-t-il faire, seul comme ça ? dit-elle.

— Je ne sais trop ; il est resté très faible, le pauvre gosse, il a beaucoup grandi et il a une petite toux sèche que je n’aime pas !

— Dis donc, Pierre, fit sa mère, penses-tu qu’un séjour à la campagne lui ferait du bien ?

— Sans doute, mais…

— Notre terre est louée à ferme ; si Jean Nicol consentait à le garder un peu… moyennant finance…

— Ça serait merveilleux pour la santé du gosse… mais Jean-Nicol a neuf enfants et sa maison est d’une grandeur convenable pour deux ou trois ! Où veux-tu qu’il en loge un dixième ?

— Il pourrait passer toutes ses journées là-bas et revenir ici pour coucher, si le fermier trouve qu’il n’a pas de place !

— Maman, tu es un ange de bonté ! Je vais en parler à mon petit boiteux ; tu sais, il est très indépendant, habitué à se conduire tout seul… Plus jeune que l’aîné chez Jean-Nicol, ce gamin a cependant été, pendant près d’un an, le soutien d’une famille ! Cette vie anormale lui a donné un caractère étrange, différent des autres enfants.

— Pauvre petit ! Sais-tu, Pierre, il me semble que tu as assumé envers lui une responsabilité morale !

— Peut-être… et j’ai pour lui une certaine affection… il n’est pas du tout banal, ce gosse, il est amusant, courageux, débrouillard, mais je ne voudrais pas que sa présence te cause des ennuis. Tu sais, Ripaul est un gamin du Bonsecours, un peu colère, un peu fruste mais je le sais droit et honnête et je le crois doué d’un excellent cœur !

— Essayons, en tous cas, dit Madame Lecomte ; si ça ne fait pas, nous verrons à lui aider autrement.

Quelques jours plus tard, Ripaul, encore faible et pâle, quittait l’hôpital avec Pierre, en route pour Charmeilles.

Ce n’était pas sans arguments qu’il avait consenti à quitter Montréal ; le sort de Mariette lui tenait tant à cœur… mais Pierre lui fit comprendre que les recherches de la police se poursuivraient tout le temps, la cause étant entre les mains de la Couronne.

On savait maintenant que la fillette avait été enlevée. Une femme de la rue Sanguinet, l’avait, de sa fenêtre, vue passer avec un inconnu qui la tenait par la main ; elle avait vu un homme soulever la petite dans ses bras et la mettre dans une automobile mais ces renseignements furent les seuls qu’on put se procurer. La description de l’enfant avait paru dans les journaux : « Six ans, blonde, petite, les yeux bleus, très jolie ; marque distinctive : petite tache de naissance sur le bras droit au-dessus du coude, rouge, forme de fraise. Répond au nom de Mariette Séguin. Parle français et comprend un peu l’anglais. Ne prononce pas ses R ».

— Comment pourrais-tu, dit Pierre au convalescent, faible comme tu es, aider aux recherches ? De plus, si le ravisseur a des complices ici, comme c’est probable, ne te voyant plus dans ton quartier, ils seront moins sur leurs gardes, et ça peut aider à la police !

Ripaul se rendit à l’évidence et consentit à partir.

Il ne songea pas aux frais du petit voyage, ni à ses dépenses là-bas, il s’en alla pâle, un peu chancelant sur sa béquille devenue trop courte, prit place dans l’autobus, près de Pierre et ferma bientôt les yeux, épuisé…

Au bout d’une demi-heure, il s’éveilla ; l’autobus filait… déjà les grandes artères de Montréal avaient fait place à une route bordée d’arbres ; de chaque côté du chemin on voyait des champs de blé ou d’avoine, moisson verte et belle que le soleil d’été allait bientôt blondir ; ailleurs, c’était des prairies où les foins venaient d’être coupés, d’autres, où l’on achevait la fenaison.

Il faisait très chaud cet après-midi de juillet, et par les fenêtres ouvertes de l’autobus on respirait un air tiède, chargé d’aromes exquis et inconnus pour le petit gamin du marché.

Ripaul n’avait jamais été à la campagne ; son idée de villégiature ne dépassait pas les allées du parc Lafontaine, et, de se voir ainsi transporté dans un pays si différent du milieu où il avait toujours vécu, lui semblait merveilleux et irréel, comme un rêve.

— M’sieur Pierre, dit-il, pris d’une émotion subite, je ne vous ai jamais dit, merci !

— Ce n’est pas la peine, mon gars ; ce n’est pas moi d’ailleurs qui ai songé à te faire venir à Charmeilles, c’est maman. Tu vas demeurer chez le fermier, et comme il a une bande d’enfants, tu viendras coucher chez nous. Mais, nous arrivons ! Prends ton paquet, viens, nous sommes rendus !

Ripaul suivit son protecteur et sortit de l’autobus. Il se trouvait sur le trottoir, dans une rue de village ; cinq minutes de marche et Pierre ouvrait une barrière… au fond d’une allée ombreuse, Ripaul aperçut une maison blanche entourée d’une large véranda. Une dame à cheveux grisonnants descendait les marches… elle aperçut son fils et l’accueillit avec un cri de joie. Celui-ci la rejoignit et l’embrassa avec affection, puis, faisant signe à l’infirme de se rapprocher, il lui dit :

— Ripaul, voici madame Lecomte, maman, qui t’a fait venir à la campagne !

Ripaul tenait déjà à la main sa modeste casquette, il s’avança un peu gauchement et murmura :

— Mon Dieu, que c’est donc beau ici !

Sans s’en douter, il avait trouvé les mots qui pouvaient faire le plus plaisir à la maman de Pierre, pour qui nul endroit au monde n’était plus ravissant que ce cher home de Charmeilles qu’elle adorait !