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Le vieux cévenol/15

La bibliothèque libre.
Texte établi par Société des livres religieux (1p. 130-131).

CHAPITRE XV.

nouvelles aventures d’ambroise.

Qu’est-ce que cet attachement que nous avons pour la contrée où nous sommes nés, auquel on donne le nom imposant d’amour de la patrie ? Si nous regrettons les lieux où nous avons pris jadis des amusements dont le souvenir nous est agréable, n’est-ce point que l’homme, mécontent du présent, aime à regretter le passé, par la même raison qui lui fait aimer à former des projets et des espérances pour l’avenir ? Se plairait-on à se rappeler les plaisirs, d’ailleurs assez insipides, de son village ou de sa petite ville, les maisons, les champs, les bois que l’on a parcourus dans sa jeunesse, si l’on était véritablement satisfait de sa situation actuelle ?

Ce mécontentement du présent a, dit-on, une influence plus sensible dans l’atmosphère de Londres. Ambroise l’éprouva : il avait le spleen ; et dans ses accès de mélancolie, il regrettait sa petite ville, les coteaux qui l’entourent, le torrent pierreux qui baigne ses murs, et les prairies qu’il avait foulées dans sa jeunesse. Il ne put résister à l’envie de voir son pays, malgré tout ce que firent pour l’en détourner ses amis et cette troupe de réfugiés dont la ville était remplie. Il leur répondait que, depuis son absence, le sort de ses frères était fort adouci ; que le flambeau de la raison, à laquelle nous donnons le nom plus imposant de philosophie, répandait sur toute la France une lumière éclatante ; que les Français étaient tous des sages ; que l’on parlait d’humanité et de tolérance, dans tous les livres et dans tous les journaux ; et que tout annonçait que son pays était devenu fort tolérant et fort humain.

En conséquence de ce raisonnement, Ambroise s’embarqua à Douvres, plein d’impatience de revoir sa chère patrie. Il est aisé de comprendre qu’on ne le reconnut plus dans sa petite ville ; son habillement servait encore à le déguiser. C’était alors la mode en France de porter les tailles longues et les grands chapeaux ; et les Anglais, pour nous morguer, avaient pris les tailles courtes et de petits chapeaux, que nous adoptâmes l’année d’après : ce qui les engagea à les quitter eux-mêmes. L’équipage d’Ambroise annonçait l’opulence sans faste et sans éclat, et cette magnificence d’un homme qui jouit pour soi, sans s’embarrasser de ce qu’en pensent les autres.