Le vieux mendiant/04
Scène IV
Pauline !
Pouvez-vous nous payer ?… Non ?… Eh bien ! dès demain,
Vos biens seront saisis !… Puis, sur le grand chemin,
Ce sera votre tour d’aller frapper aux portes
Pour demander du pain !
Pauline ! Tu t’emportes !
Écoute-moi plutôt !
Je n’écoute plus rien !
Il nous faut, dès ce soir, tout notre argent !… Ou bien…
Ou bien ?
Ou bien ?? Demain, vous aurez la visite
De l’huissier !
Mais nous ne pouvons trouver si vite
De quoi nous acquitter !
Alors, nous saisirons !
Mais vous ne pouvez pas !
C’est ce que nous verrons !
Voyons ! Tu ne peux pas nous jeter dans la rue !
Tu ne peux pas, sans que ton âme en soit émue,
Songer à nos enfants, qui demain, grâce à toi,
N’auront plus de foyer !… Pauline, réponds-moi !…
Tu ne peux oublier, Pauline, je l’espère,
Que c’est le même sang, le sang de notre père,
Qui coule en nos enfants !
Notre père !… Vraiment,
Tu ne pouvais trouver plus mauvais argument !…
Il est depuis longtemps sorti de ma mémoire,
Ce rêveur demi-fou, qui s’obstinait à croire
Qu’il trouverait au loin, dans la terre, un trésor,
Et nous abandonna pour le pays de l’or !
Un père !… qui partit, ne laissant à ses filles
Qu’un peu de terre, et qui, par-delà les Antilles,
Dans un pays lointain, coupable et négligent,
Sans plus songer à nous, gaspilla son argent
À poursuivre là-bas des tentatives folles !
Pauline ! s’il te plaît, ménage tes paroles !
Notre vieux père, ici, fut toujours respecté !
Sous notre toit, qu’il ne soit jamais insulté !
Votre toit ?… Cette fois, Rose, laisse-moi rire !
Votre toit !… Tu peux bien te presser de le dire,
Car… votre toit… demain, ne sera plus à vous !
En tous les cas, ce soir, il est encore à nous !
Si tu n’as pas le cœur de respecter ton père
Qui partit vaillamment affronter la misère
En de lointains pays ! Qui s’en alla braver
La mer et le désert, pour tenter de trouver
De l’or pour ses enfants !… Qu’importe ta menace !
Je suis ici chez moi, Pauline !… Et je te chasse !!!
Soit ! vous pouvez gronder et faire le vilain,
Mais ce sera mon tour de vous chasser demain !
Arrêtez !… À combien se monte la facture ?…
Vous n’avez pas besoin d’avoir cette figure !…
Dites-moi simplement combien il vous est dû,
Et, sans plus hésiter, préparez le reçu.
Il faudra vous soigner sans tarder, mon pauvre homme ;
Est-ce que par hasard, vous possédez la somme ?
Combien ?
C’est assez plaisanter !
Dites ! Combien !
Trente-deux mille francs !
C’est tout ?… Mais ce n’est rien ?
Auriez vous cet argent ?
Oh ! non !… Pas dans ma poche,
Mais avec ce carnet que j’ai dans ma sacoche,
Je signe un chèque… et peux remercier ainsi
Ceux qui m’ont fait la charité !… Tenez ! Voici !…
Il est bon !… En douter serait me faire injure…
Un autre sou de moi !… Prenez !
Prosper Rompard !
Mon père !
Pardonnez, mon père !
Il est trop tard !…
Quand je suis revenu de là-bas, sans écrire,
J’ai longtemps réfléchi, tandis que le navire
Fendait les flots mouvants !… J’apportais un trésor,
Mais j’avais bien vieilli à la chasse de l’or ;
Les rides ont creusé sans pitié mon visage ;
Et je pensais ceci : De mon lointain voyage,
Si j’étais revenu pauvre comme en partant,
Serais-je bien reçu ? Aurait-on l’air content
De mon retour ? Voilà pourquoi, sous ce costume,
À votre porte, j’ai frappé !… Quelle amertume
De voir comme on reçoit chez vous les miséreux !
Par contre, ici, combien je fus vraiment heureux
De l’accueil qu’on me fit, sans même me connaître !
Quel bonheur j’ai senti pénétrer tout mon être
En voyant que j’aurais quelqu’un pour bien m’aimer !….
Mais toi, que j’entendais à l’instant blasphémer,
Je ne te connais plus !… Va !… Tu n’es plus ma fille !…
C’est dans cette maison qu’est toute ma famille !…
Père, pardonnez-lui !
Vous serez adoré !
Je ne reviens jamais sur ce que j’ai juré !