Le vieux muet ou un Héros de Châteauguay/01

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Imprimerie du « Soleil » (p. v-viii).

PRÉFACE



Un roman n’a guère besoin de préface ; et, quand il en a une, ce n’est pas d’ordinaire un prêtre qui la signe. On sait pourquoi. Depuis soixante ans le roman est un des plus exécrables dissolvants de la morale publique. Son nom même est devenu presque synonime de mauvais livre. Quiconque s’intéresse aux bonnes mœurs est obligé de dénoncer ce séduisant corrupteur. On lui ferme l’entrée des maisons honnêtes, et les jeunes filles qui se commettent en sa compagnie risquent d’y perdre et la pudeur et le sens chrétien.

Il faut donc au roman, pour se faire agréer de tous et n’éveiller aucun soupçon, un passe-port sérieux, qui établisse ses titres à la confiance publique, et lui ouvre les portes, généralement closes à tout visiteur suspect. Voilà pourquoi l’auteur du « Vieux Muet » s’est adressé à un prêtre, et l’a prié de présenter son livre au public.

Pareille précaution était-elle nécessaire, dans le cas présent ? Je ne le crois pas. Mr J. B. Caouette est suffisamment connu du public pour que ses livres, fussent-ils des romans, aient leur libre entrée partout. Mais l’auteur a sans doute pensé que l’excès de prudence ne saurait nuire en la matière ; et je n’ai pas cru devoir refuser le service que sa modestie réclamait.

Ma tâche, au reste, est bien simple. Je n’ai pas à faire l’éloge du livre, ni à dicter au lecteur le jugement qu’il devra porter. Une préface n’est pas une critique. Je veux seulement me porter garant de la moralité impeccable du « Vieux Muet. » On peut le mettre en toutes les mains sans aucun danger.

La lecture de ce roman ne produira que de bonnes impressions sur l’esprit et le cœur. Il se dégage de l’ensemble du récit une morale douce, pure et fortifiante. La vertu y tient le premier et le beau rôle. On y a fait une place à l’amour, mais à un amour purifié par le devoir, la religion et le sacrifice. Les personnages que l’auteur met en scène ne sont pas simplement des sujets à dissection métaphysique ou anatomique, mais des êtres bien vivants, et surtout des chrétiens de bonne race, des catholiques qui agissent et parlent en catholiques. La religion entre dans ce livre, comme elle doit entrer dans notre vie ; elle y est la source des nobles actions, et la règle de bonne conduite.

Les héros de Mr Caouette ne sont pas seulement de bons chrétiens, ce sont aussi de vrais canadiens-français. Il me fait plaisir de signaler ici le beau souffle patriotique qui circule à travers toutes les pages de cet ouvrage, et qui en constitue, à mes yeux, le premier mérite et le plus grand attrait. On ne pourra se défendre d’un légitime orgueil en lisant tels passages où éclatent, à la lumière des faits, la loyauté et la bravoure de nos ancêtres. Certains points de nos glorieuses annales y sont mis dans leur vrai jour. Plus d’un lecteur apprendra peut-être, en parcourant ce roman, à juger plus sainement les hommes et les choses du passé. L’auteur a trouvé moyen de donner, sous une forme agréable, une bonne et solide leçon d’histoire.

Mr Caouette en est à son coup d’essai. « Le Vieux Muet » est, croyons-nous, le premier livre en prose qu’il présente au public. Nous lui souhaitons tout le succès que méritent ses généreux efforts. Il lui a fallu bien du courage et un travail héroïque pour se mettre en mesure d’écrire cet ouvrage. L’exemple est bon à suivre, et nous le signalons à tous les jeunes compatriotes qui ont de la culture et des loisirs.

La génération nouvelle n’est peut-être pas assez inclinée aux travaux intellectuels. Les nations pas plus que les individus ne vivent seulement de pain. Il faut que les esprits se tiennent haut pour que les cœurs ne défaillent point ; et l’on aurait bien tort de penser que la prospérité matérielle est le dernier mot du progrès et de la civilisation.

Puisse le livre, que nous présentons au public, réussir à allumer chez quelques-uns la flamme d’une noble émulation, et les porter vers les travaux de l’esprit ! L’auteur pourra alors se féliciter d’avoir atteint son but, qui est d’être utile à ses jeunes compatriotes. En écrivant « le Vieux Muet, » il n’aura pas fait seulement un bon livre, il aura en même temps accompli une bonne action.

P. E. ROY, Ptre.