Le vieux muet ou un Héros de Châteauguay/34

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Imprimerie du « Soleil » (p. 407-409).

MORT AU CHAMP D’HONNEUR

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Six mois s’étaient écoulés depuis le sombre événement que nous venons de relater.

L’abbé Lormier avait tout à fait recouvré la santé. Du moins il semblait le croire. Car il avait repris les devoirs de son ministère avec une ardeur qui ne se ralentissait pas.

Ayant vaincu l’hydre de l’intempérance et fait renaître l’accord, le bonheur et la prospérité dans les familles, il voulut maintenir celles-ci dans le droit chemin et éloigner d’elles les dangers.

Pour arriver à son but, il transforma le rez-de-chaussée de l’église en une vaste salle pourvue d’une bibliothèque, de journaux et de jeux, qu’il mit à la disposition des hommes mariés et des jeunes gens de la paroisse.

Tous les soirs, des hommes de tout âge et de toute condition se réunissaient dans cette salle, où ils passaient des heures charmantes.

L’abbé Lormier assistait aussi régulièrement que possible à ces réunions, que sa science et sa franche gaieté rendaient instructives et agréables.

Il apprenait à ces hommes à se mieux connaître, à s’aimer et à s’aider les uns les autres dans le commerce de la vie.

L’abbé Lormier, nous l’avons déjà dit, soit qu’il fût à l’autel, au confessionnal ou en chaire, édifiait toujours. Mais c’est surtout par la prédication qu’il touchait et convertissait les âmes.

Dans l’automne de 18… il prêchait, depuis huit jours, une neuvaine à Saint-Patrice. On était venu de partout pour l’entendre.

Dans la péroraison de ses trois derniers sermons, le prédicateur avait éprouvé de violentes palpitations du cœur. Mais ces accents plaintifs de l’organe souffrant n’était pas de nature à modérer le zèle brûlant qui animait ce saint prêtre. Et pour s’exciter à combattre avec plus d’ardeur encore le vice, l’impiété et les ennemis de la religion, il se répétait souvent ce vers de Racine :

« Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats. »

Le neuvième jour, il prêcha sur la destinée de l’homme dans l’ordre surnaturel. Durant une heure il tint l’auditoire captif sous le charme de sa parole.

Puis, s’inspirant d’un grand prédicateur italien, le Père Ventura, il conclut ainsi son admirable sermon :

« La terre, songeons-y bien, est le lieu du combat ; c’est au ciel qu’est le lieu du triomphe.

La terre est le lieu du travail ; c’est au ciel le lieu du repos.

La terre est le lieu du mérite ; c’est au ciel le lieu de la récompense.

La terre est le lieu de l’exil ; c’est le ciel qui est notre véritable et éternelle patrie.

Habitons donc dans le ciel par la foi, l’espérance, le désir, afin que nous ayons le bonheur d’y habiter un jour par nos personnes. »

Ainsi soit-il ! répondit une voix mélodieuse qui parut sortir du tabernacle…

L’abbé Lormier, étonné et ravi, se tourna vers l’autel ; mais soudain il chancela et s’affaissa dans la chaire !

Il venait d’être foudroyé par une syncope du cœur.........................

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Le héros de Châteauguay, devenu un soldat du Christ, était mort au champ d’honneur !


FIN