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Leibniz-en.francais-Gerhardt.Math.1a7.djvu/Chainette

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(et ses correspondants)
La Chaînette et la nouvelle Analyse des infinis[1]
Texte établi par C.I. Gerhardt (GM5p. 258-263).


VI.
De la Chaînette, ou solution d'un problème fameux, proposé par M. Galilei, pour servir d'essai d'une nouvelle Analyse des infinis, avec son usage pour les logarithmes, et une application à l'avancement de la navigation[1].

L’Analyse ordinaire de Viete et de Descartes consistant dans la réduction des problèmes à des équations et à des lignes d’un certain degré, c’est-à-dire, au plan solide, sursolide etc. Mr. Descartes, pour maintenir l’universalité et la suffisance de sa méthode, trouva à propos d’exclure de la Géométrie tous les problèmes et toutes les lignes qu’on ne pouvoit assujettir à cette méthode, sous prétexte que tout cela n’étoit que mécanique. Mais comme ces problèmes et ces lignes peuvent être construites, ou imaginées par le moyen de certains mouvemens exacts, qu’elles ont des propriétés importantes et que la nature s’en sert souvent, on peut dire qu’il fit en cela une faute semblable à celle qu’il avoit reprochée à quelques anciens, qui s’étoient bornés aux constructions, où l’on n’a besoin que de la régie et du compas, comme si tout le reste était mécanique. Mr. de Leibniz ayant remarqué qu’il y a des problèmes et des ligues qui ne sont d’aucun degré déterminé, c’est A dire, qu’il y a des problèmes dont le degré même est inconnu ou demandé, et des lignes dont une seule passe continuellement de degré en degré, cette ouverture le fit penser à on calcul nouveau, qui paroit extraordinaire, mais que la nature a réservé pour ces sortes de problèmes transcendans, qui surpassent l’Algébre ordinaire. C’est ce qu’il appelle l’Analyse des infinis, qui est entièrement différente de la Géométrie des indivisibles de Cavaleri, et de l’Arithmélique des infinis de Mr. Wallis. Car cette Géométrie de Cavaleri, qui est très bornée d’ailleurs, est attachée aux figures, où elle cherche les sommes des ordonnées ; et Mr. Wallis, pour faciliter cette recherche, nous donne par induction les sommes de certains rangs de nombres : au lieu que l’analyse nouvelle des infinis ne regarde ni les figures, ni les nombres, mais les grandeurs en général, comme fait la spécieuse ordinaire. Elle montre un algorithme nouveau, c’est à dire, une nouvelle façon d’ajouter, de soustraire, de multiplier, de diviser, d’extraire, propre aux quantités incomparables, c’est-à-dire à celles qui sont infiniment grandes, ou infiniment petites en comparaison des autres. Elle employe les équations tant finies qu’infinies, et dans les finies elle fait entrer les inconnues dans l’exposant des puissances, ou bien au lieu des puissances ou des racines, elle se sert d’une nouvelle affection des grandeurs variables, qui est la variation même, marquée par certains caractères, et qui consiste dans les différences, ou dans les différences des différences de plusieurs degrés, auxquelles les sommes sont réciproques, comme les racines le sont aux puissances.

Une partie des élémens de ce calcul, avec plusieurs échantillons, a été publiée dans la Journal de Leipsic, où l’auteur l’a appliquée particulièrement à quelques problèmes géométrico-physiques, comme par exemple à la ligne isochrone, dans laquelle un corps pesant approche uniformément de l’horizon en descendant ; à la ligne ; loxodromique, ou des rhumbs de vent, pour résoudre les plus utiles problèmes géométriques de la navigation, où l’on n’étoit arrivé jusqu’ici qu’imparfaitement par certaines tables subsidiaires ; à la résistance des solides ou des liquides, pour avancer la Mécanique, et particuliérement la Balistique ; aux loix harmoniques des mouvemens planétaires, pour approcher de la perfection de l’Astronomie ; et à d’autres usages de conséquence. Cette méthode fut applaudie et suivie d’abord par quelques personnes habiles. Mr. Craige s’en servit en Angleterre ; et ensuite Mr. Bernoulli Professeur de Bâle, connu par plusieurs belles productions de Mathématique, l’ayant étudiée et en ayant remarqué l’importance, pria l’auteur publiquement de l’appliquer à la recherche de la ligne d’une chainette suspendue par les deux bouts, que Galilée avoit proposée, mais qu’on n’avoit pas encore déterminée jusqu’ici.

L’Auteur de la méthode y réussit d’abord, et pour donner aux autres l’occasion d’exercer encore leur méthode, proposa publiquement ce même problème, leur donnant le terme d’un an. Le frère de Mr. Bernoulli ayant appris que cette méthode y alloit, la médita de telle sorte, qu’il vint à bout du problème, et donna à connoitre par là ce qu’on doit attendre de lui. Mrs. Bernoulli poussèrent même la recherche plus loin, et l’appliquèrent à d’autres problèmes, qui ont de l’affinité avec celui-ci.

De ceux qui ont employé d’autres méthodes, on ne connoit que Mr. Huygens, qui ait réussi. Il est vrai, qu’il suppose la quadrature d’une certaine figure. Du reste en ce qui étoit commun aux solutions ou remarques sur cette ligne, il s’est trouvé un parfait accord, quoiqu’il n’y ait eu aucune communication entre les auteurs des solutions ; ce qui est une marque de la vérité, propre à persuader ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas examiner les choses à fond.

Par la méthode nouvelle le problème a reçu une parfaite solution. Mr. de Leibniz qui a été le premier à résoudre ce problème, l’ayant réduit à la quadrature de l’hyperbole, ce que Mr. Bernoulli a fait aussi ensuite ; mais la construction de Mr. de Leibniz donne enfin le moyen de marquer autant de points qu’on voudra de la ligne demandée, en supposant une seule proportion une fois pour toutes, et n’employant du reste aucune quadrature ni extension de courbe, mais les seules moyennes, ou troisièmes proportionelles. Et comme c’est tout ce qu’on peut souhaiter pour les problèmes transcendans, il sera bon de donner ici cette construction.

Soient (fig. 121) menées les droites infinies NO(N) horizontale, et OAB verticale. Soient parallèles et continuellement proportionnelles autant qu’on voudra de droites, comme 2N2ζ, 1N1ζ, OA, 1(N)1(ζ), 2(N)2(ζ) etc. dont les distances 1N1N, 1NO, O(N), 1(N)3(N) etc. soient toujours égales, en sorte pourtant que prenant 2NO ou O3(N) égal à OA, soient 3N3ζ à OA. ou OA à a(N)a(ζ) en raison de D à K. qu’on suppose connue une fois pour toutes, et. tousjours la même. Ainsi appliquant autant de moyennes ou troisièmes proportionnelles qu’on voudra, pourvu que tousjours les intervalles des proportionnelles soient égaux, on aura la ligne logarithmique ζA(ζ) passant par tous les ζ, où OA étant prise pour l’unité, et les Nζ étant comme les nombres, les intervalles ON seront comme les logarithmes. Maintenant prenons dans la verticale OAB une moyenne arithmétique OB entre deux nombres Nζ et (N)(ζ), qui ont le même logarithme ON ou O(N), c’est-à-dire, dont la moyenne géométrique est l’unité OA : accomplissons les rectangles BONC, BO(N)(C), et C, (C) seront des points de la chainette demandée FCA(C)L, suspendue aux deux extrémités F et L, dont le sommet renversé sera A, l’axe OAB, et le paramétre sera OA, ou l’unité prise arbitrairement ; et OB ou NC sera la hauteur du point de la chainette C au dessus de l’horizontale NC(N) ; et BC ou ON logarithme commun des deux nombres Nζ, (N)(ζ) sera la largeur de la chainette à cette hauteur, ou la distance du point C de l’axe.

Quant aux principaux problèmes qu’on a coutume de chercher sur les lignes, sçavoir les tangentes, dimension de la courbe, quadrature de son aire, centres de gravité tant de la ligne que de l’aire, ou dimensions des surfaces et des contenus des solides formés par la rotation de la ligne autour de quelque droite qu’on voudra prendre pour l’axe ; on trouvera tout cela renfermé dans ce peu de paroles qu’on a mises à la figure.[2]

Mettons seulement ici l’usage principal de cette ligne, et faisons voir comment elle pourroit servir pour les logarithmes, et toutes sortes de proportionnelles, moyennes ou extrêmes, multiplication, division, règles de trois, ou extractions, pourvô qu’on suppose que cette ligne puisse être décrite physiquement par le moyen d’une chaîne déliée, que je préfére à une corde, laquelle se peut étendre et n’est pas si flexible.

Etant donné le nombre Oω, soit ce nombre, et à l’unité OA, là troisième proportionnelle Oψ ; et entre Oω, Oψ moyenne arithmétique OB, de B menons à la chainette l’ordonnée BC, et nous aurons le logarithme demandé BC ou ON.

En échange étant donné le logarithme ON, menons de N à angle droit sur ON, la droite de NC, rencontrant la chainette en C ; et du centre O du rayon OB, égal à NC, décrivons l’arc de cercle qui coupe AR, horizontale par le sommet A, au point R. Après quoi la différence et la somme des droites OR, AR seront les deux nombres demandés Nζ et (N)(ζ), l’une au dessus, l’autre au dessous de l’unité OA, dont le logarithme commun étoit donné ON. Il resuite encore de ceci et des découvertes de l’auteur de cette méthode sur la loxodromie, qu’il a réduite aux logarithmes, qu’on pourroit résoudre sans tables par la chainette suspendue, comme par les logarithmes, le plus important problème de la Géométrie de la navigation, qui est : L'angle de la Loxodromie, ou le rhumb du vent avec lequel on va d’un lieu à un autre, étant donné aussi bien que la différence des latitudes, trouver la différence des longitudes.

Cela peut servir, parce que dans les grands voyages on peut perdre la table des logarii hmes, ou la table logarithmiquement graduée, que Mr. de Leibniz a proposée. Mais la chainette y pourrait suppléer en cas de besoin. Pour ne rien dire ici des autres règles qu’il a publiées pour se passer au besoin des tables tant des sinus ou tangentes, que de leurs logarithmes, sans rien perdre de la précision, voici en peu de mots la règle, qu’il a donnée pour les rhumbs ou loxodromies, qui pourra tirer les Hydrographes de l’embarras, où ils témoignent se trouver sur ce sujet.

La différence des longitudes est au logarithme de la raison qu’il y a du nombre (1+e)/(1-e) au nombre (1+(e))/(1-(e)) comme la tangente de l'angle que le rhumb ou la loxodromie fait au méridien, est à un certain nombre constant et perpétuel, qu’on peut marquer une fois pour toutes, supposé que le sinus total soit l’unité, et que e soit le sinus de la latitude plus grande et (e) le sinus de la latitude plus petite. Et s’il y avoit une carte, où les degrés de longitude fussent égaux, les méridiens parallèles et par conséquent les loxodromies représentées par des droites, il faudrait représenter les degrés de latitude dans les divisions du méridien en telle sorte qu’une droite qui couperait obliquement les méridiens éloignés l’un de l’autre plus prochain d’un même intervalle, par exemple, des méridiens disposés de degrés en degrés, y rencontrerait des latitudes, dont les sinus étant e et le sinus total 1, les nombres (1 + e)/(1 - e) seraient en progression géométrique. Ce qui suffit pour la construction d’une carte graduée comme il faut pour la Marine. On en peut encore construire d’autres sur le même fondement.

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  1. Journal des Sçavans an. 1692.
  2. OR = OB, OR — AR = Nζ, OR + AR = (N)(ζ), AR = AC, ψω = CA(C) = bis AC, rectangl. RAO = spat. AONCA, triangl. OAR et CBT sunt similia. Sint G, P, Q centra gravitatis ipsarum CA(C), AC, AONCA, fiet Oσ + OB = bis OG = quater Oß, et AE = GP = ßQ.