Leibniz-en.francais-Gerhardt.Math.1a7.djvu/J.Bernoulli.à.Cluver

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(et ses correspondants)
Texte établi par C.I. Gerhardt (GM3ap. 52-56).


Beilage.
Jac. Bernoulli an Detlev Clüver

Il y a bien du temps, que je vous dois une réponse à vôtre derniere lettre. Ce n’est pas que les soins de mon menage m’ayant fait oublier mon devoir envers vous, comme vous croyés, qu’ils ont dû effacer de mon ame l’idée de votre chere personne ; car la connoissance des hommes de votre merite fait trop d’impression par mon esprit, pour me permettre, d’en perdre jamais la mémoire. Je vous avoue que ceux qui sont mariés, n’ont pas, à leur grand regret, tout le temps qu’il faut pour les méditations et pour l’entretien de leur commerce avec les savans ; et c’est aussi pour cela, que j’envie bien des fois l’heureux sort de vous autres, qui ne l’etés pas. Toutes fois ce n’est pas maintenant ce qui m’a empêché le plus de vous écrire : la principale cause de mon silence c’est que j’ay voulu attendre, que je puisse vous dire mon sentiment sur vos inventions, dont vous avés promis de nous regaler au mois de Juin. Cependant j’ay attendu inutilement, et il n’a rien paru de tel jusqu’icy dans les Actes. D’ou vient, Monsieur, que vous ne dégagés pas votre parole ? vous êtes-vous peutetre marié, pour me servir du bon mot de votre Anglois, que vous ne vous souvenes plus de ce que vous aves promis pendant vôtre célibat, en nous donnant cette science de L’infini, que vous nous avés fait esperer depuis plus de 10 ans, et dont vous m’avés réitéré la promesse, il n’y en a qu’un. Je yous confesse, qu’apres tout ce que vous m’en avés écrit, ce ne sont encore que mystères pour moy. Je ne comprends que fort peu de chose dans vos nombres triquarrés, quoy que je vous aye dit, que j’en trouve aisément une infinité : et pour vos quadratures planétaires, ’pour les combinaisons de tout l’univers renfermées dans un seul segment de cercles, je n’y vois rien du tout Ainsi je n’en diray rien ; car je n’ay pas le temps de déchiffrer des enigmes et peutetre M. Leibniz l’a encore moins. C’est à vous, à nous en donner la clef, si vous voules etre entendu. Il semble même, qu’il y va de votre honneur, de le faire au plutôt ; étant à craindre, (pie plusieurs ne traitent de vision des choses si extraordinaires et si bizarres. Qu’en penses-vous, s’il vous arrivoit de mourir, avant que d’avoir desabusé ces téméraires, qui auront pû concevoir de telles pensées ; asseurcment ils vous feraient passer pour un homme, qui a ù l’imagination un peu blessée. Ne tardez-dont plus, je vous prie, à vous en acquiter sans cesse, et n’apprehendes pas, que d’autres vous ravissent la gloire de vos inventions : étant impossible, que personne aille à ce point d’effronterie, que de s’attribuer une chose, qui aura déjà été rendue publique, et même promise dix ans auparavant par un autre. Pour moy, bien loin d’y prétendre aucune part, je seray des premiers à celebrer vos louanges. J’exepte un seul point, sur le quel je crois toujours etre votre adversaire. C’est lorsque vous accuses d’erreur tout ce qu’il y a ù de Geometres depuis Archimede, en condamnant toutes leurs quadratures, même jusqu’à celle de la Parabole, puisque« cela vous attaques une vérité, qui me semble claire comme le jour. Je vous avois répondu dans ma première lettre, que votre quadrature ne defieroit aucunement de celle de tous les Geometres. Vous me faites faire là-dessus un raisonnement qui à la vérité est assez ridicule, mais qui est très-different du mien ; ce qui m’oblige à m’expliquer plus amplement, en vous faisant voir deux choses ; la première : que votre quadrature se peut trouver par le calcul ordinaire sans vos nouveaux principes : et l’autre, quelle ne sauroit être differente de l’ordinaire sans une contradiction manifeste. Soit la Parabole AFD (fig. 12), le Paramétré AB = a, l’Axe AC = x, l’appiquée CD = y, et leurs parties infiniment petites CE = dx, DS = dy, à la façon de Mr. Leibniz. Par la nature delà courbe lia BAC = DCD, et ra BAE — DEF ; par conséquent oBAC—C3BAE = □ CD— DEF, c’est à dire BA, EC = 2CDG — GD2 ou par symboles adx = 2ydy— dy2 (puisque vous voulés, qu’on ne doive pas négliger dy2). C’est pourquoy dl = et CH = ydx = êt HFD = }HG = el ainsi le Traprae FF CD = CH — HFD = 2yydy —2ydy3 dy3 u gujt a 2a , ■, 2 y3 ydy2 que 1 espacé ACD = ~ pareeque mettant dans cette quantité EF ou y~dy à la place de CD ou y, l’on trouve pour AE F 2y3 — 6y ydy 4- 6ydy2 — 2d y3 ydy2 —dy3 3 a 6a’ 2 v3 v d v2 étant otée de —J—■- , il reste pour le’ ; Trapeze 3a 6a r 2 v V d v 2 y d v2 d y3 — —— 4- la ineme quantité que dessus, a 2 a , 2 v3 ydy2 Or 1 espace intérieur ACD étant „ , l’extérieur A JD r 3a 6a sera CJ —ACD = xy —ACD = ï-’_ACD — ’4+^-, et J a 3a 6a 1 èspâéfe làquelle FËCD AJD _ 2yy + dy2 ACD 4yy — dy2’ par conséquent Déterminons maintenant l'element dy, à une certaine longueur, comme DG (j’entends, non au regard de DC ou y, à laquelle il est incomparable, mais au regard d’autres infiniment, petits) et appelions le nombre infini de ces parties comprises dans la ligne CD, n, en sorte que y soit 2yy4-dy2 2nndy2 + dy2 = ndy, et nous trouverons -j— 3—„ 5-= J 4yy—d y2 4nndy®— dy® 2un 4-1 . . . . P la meme raison, que vous trouves par vos principes, et que vous soulenes etre differente de | ; mais en voicy la contradiction : Déterminons la dy à une autre longueur Dy, qui ne soit que la moitié de D G (ce qui se peut, par ce que quand je m’en suis servi, je n’ay pensé d’abord à aucune longueur déterminée, et je l’ay seulement considérée comme incomparable à DC). Or n’est-il pas vray, je vous prie, que le nombre des dy, c’est à dire de Dy, contenus dans DC, étant en ce cas = 2n, et y = 2ndy, .... 2yy 4-dy* . , 8nndy®+dy® 8nn + l cette quantité /•= vaudra alors ~ rS“ ~ïl 4yy—dy2 lonndy2—dy2 16nn—1 , . , . . A JD , . . 2nn 4- 1 et par conséquent la raison de est en meme temps y et p c’est à dire et plus grande et plus petite, puisque , , . 2 ni) + 1 2nn t . selon vous ces deux-ci . r et 1 sont aussi differentes. 4nn-^l 4nn

Je conjecture donc que vôtre illusion procede de ce que vous envisagés le dy, comme quelque chose de déterminé par la nature, au lieu que ce n’est qu’une fiction d’esprit, et ne consiste que dans une fluxion perpétuelle vers le neant, qui est cause que cette raison (2yy + dy2 / (4yy - dy2 est toujours variable, et ne devient fixe, que lorsque dy est parfaitement rien, et la raison ne diffère plus aucunement de la soûdouble. Mais si apres tout cela vous vous opiniâtres à soutenir encore, que nos quadratures sont défectueuses, je voudrois bien savoir, ce que vous trouvés à redire à la manière de démontrer des Anciens, qui se fait per explosum excessum et defectum, par laquelle ces quadratures se justifient ; et Mr. Leibniz vous a fort bien demandé, si vous croyés, qu’on en puisse donner une construction meilleure que la leur. Encore une chose : vous avés vû, comment j’arrive parfaitement à votre quadrature en prenant FECD pour un Trapeze : vous croyés donc, que l’on peut négliger l’espace entre la courbure ED et sa chorde, d’autant qu’il est infiniment plus petit que G H. D’où vient donc, que vous ne vouliés pas, que nous soyons en droit, de négliger dans le calcul par la même raison l’espace GH qui est infiniment plus petit que CF. D semble que vous soyés en cela du sentiment de Mr. Nieuwentyt, qui reconnoit les différences premières, sans admettre les secondes. Et cependant le dit espace est encore assés grand pour changer vôtre quadrature, parce qu’étant = dy3 / 4m , il fait trouver AJD/ACD = (4nn - 1) / (8nn +1). D’où il suit que, s’il falloit parler à la derniere rigueur, vôtre quadrature bien loin d’être exacte, s’ecarteroit encore plus de la véritable, que celle d’Archimede, puisqu’elle fait l’espace AJD plus que soudouble de ACD, au lieu que je le démontre être plus petit.

Pour ce que vous adjoutés à la fin de vôtre lettre, "touchant la dimension de toutes ces ligues, que j’ay données dans les Actes, je ne puis pas croire quelles soient défectueuses, non plus que celle de la Parabole. Si vous trouvés, qu’on les pourrait reformer, vous aurés la bonté de nous expliquer plus clairement le fondement, sur lequel cette reforme se doit faire ; car je n’en sache point d’autre, que celuy, dont se sert Mr. Leibniz, et que je crois être très-véritable. Je suis avec beaucoup d’attachement etc.

A Bâle 27 Janvier 1697.