Leibniz-en.francais-Gerhardt.Math.1a7.djvu/Mouvements

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(et ses correspondants)
L'Analyse ordinaire et le nouveau Calcul[1]
Texte établi par C.I. Gerhardt (GM6p. 231-234).



XIII.
REGLE GENERALE DE LA COMPOSITION DES MOUVEMENS.

Si les droites AB, AC, AD, AE etc. (fig. 23) représentent les diverses tendances ou les mouvemens particuliers d’un mobile A, qui doivent composer un mouvement total ; et si G est le centre de gravité de tous les points de tendance B, C, D, E etc. ; enfin si AG est prolongée au delà de G jusqu’à M, en sorte qu’AM soit à AG, comme le nombre des mouvemens particuliers ou composans est à l’unité : le mouvement composé sera AM.

C’est à dire, pour parler plus familièrement : Si le mobile A étoit parvenu dans une seconde de temps d’A jusqu’à B, en cas qu’il eût été poussé par le seul mouvement AB (que je suppose toujours uniforme ici), et encore de même, s’il étoit parvenu dans une seconde jusqu’à C ou D ou E etc. en cas qu’il eut été poussé par un de ces mouvemens tout seul : maintenant que ce mobile est poussé en même temps par tous ces mouvemens ensemble, ne pouvant pas aller en même temps de plusieurs côtés, il ira vers G, le centre de gravité de tous les points de tendance B, C, D, E etc. mais d’autant plus loin qu’il y a plus de tendances, de sorte qu’il parviendra dans une seconde jusqu’à M, si AM est à AG, comme le nombre des tendances est à l’unité. Ainsi il arrivera au mobile la même chose qui arriveroit à son centre de gravité, si ce mobile se partageoit également entre ces mouvemens, pour satisfaire parfaitement à tous ensemble. Car le mobile étant partagé également entre quatre tendances, il ne peut écheoir à chacune qu’une quatrième partie du mobile, qui devra aller quatre fois plus loin, pour avoir autant de progrès, que si le mobile tout entier avoit satisfait à chaque tendance ; mais ainsi le centre de gravité de toutes ces parties iroit aussi quatre fois plus loin. Maintenant le partage n’ayant point de lieu, le tout ira comme le centre des partages, pour satisfaire à chaque tendance en particulier, autant qu’il est possible sans le partage. Et il en provient autant que si on avoit fait les partages et réuni les parties au centre, après avoir satisfait aux mouvemens particuliers.

Cette explication peut tenir lieu de démonstration. Mais ceux qui en demandent une à la façon ordinaire, la trouveront aisément en poursuivant cequi suit. Si on mène par A deux droites qui soient dans un même plan avec tous les mouvemens et qui fasse un angle droit en A, on pourra résoudre chacun de tous ces mouvemens particuliers en deux, pris sur les côtés de cet angle droit. Ainsi la composition de tous les mouvemens sur un des côtés sera le mouvement moyen arithmétique, multiplié par le nombre des mouvemens, c’est à dire, pour avoir la distance entre A et le point de tendance de ce mouvement composé, pris sur ce côté, il faudra multiplier la distance du centre de gravité de tous les points de tendance sur le même côté par le nombre de tendance. Car l’on sçait, que la distance entre A et le centre de gravité des points pris sur une même droite avec A, est la moyenne arithmétique des distances entre A et ces points, de quelque nombre qu’ils puissent être. J’appelle grandeur moyenne arithmétique entre plusieurs grandeurs, celle qui ce fait par leur somme divisée par leur nombre, observant que ce qui est en sens contraire est une quantité négative, dont l’addition est une soustraction en effet. Or puisqu’il faut multiplier par le nombre des tendances la distance du centre de gravité des points de tendance, pris tant sur l’un que sur l’autre côté de l’angle droit, pour déterminer le mouvement composé sur chacun des côtés, il s’ensuit que le mouvement total composé des mouvemens de ces deux côtés se déterminera de même. Ainsi la composition de plusieurs mouvemens faisant angle ensemble dans un même plan, se réduit à la composition de plusieurs mouvemens dans une même droite, et de deux mouvemens faisant angle droit. Que si les mouvemens donnés ne sont pas dans le même plan, il faut se servir de trois droites faisant angle entr’elles.

Il est bon de remarquer, que dans cette composition des mouvemens, il se conserve toujours la même quantité de la progression, et non pas toujours la même quantité du mouvement. Par exemple, si deux tendances sont dans une même droite, mais en sens contraire, le mobile va du côté du plus fort, avec la différence des vitesses, et non pas avec leur somme, comme il arriveroit si les tendances le portoient d’une même côté. Et si les deux tendances contraires étoient égales, il n’y auroit point de mouvement. Cependant tout cela suffit, pour ainsi dire, in abstracto, lorsqu’on suppose déjà ces tendances dans le mobile : mais in concreto, en considérant les causes qui les y doivent produire, on trouvera qu’il ne se conserve pas seulement en tout la même quantité du progrès, mais aussi la même quantité de la force absolue et entière, qui est encore différente de la quantité du mouvement. On donnera une autre fois deux Consectaires fort généraux et fort importans, qui se tirent de celte règle.

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XIV.
DEUX PROBLEMES CONSTRUITS PAR G. G. LEIBNIZ EN EMPLOYANT
SA REGLE GENERALE DE LA COMPOSITION DES MOUVEMENS.
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Probleme I. Mener la tangente d’une ligne courbe qui se décrit par des filets tendus. Du point A de la courbe soit décrit un cercle quelconque, coupant les filets aux points B, C, D etc. ; soit trouvé le centre de gravité de ces points, sçavoir G ; et la droite AG sera perpendiculaire à la courbe, ou bien une droite menée par A, normale à AG, sera la tangente qu’on cherche. Lorsque le filet est double ou triple, il y faut considérer deux ou trois points dans un seul endroit, à peu près comme si un de ces points tenant lieu de plusieurs, étoit d’autant plus pesant. On peut appliquer cette construction non seulement aux coniques ordinaires, aux ovales dc M. Descartes, aux coévolutions de M. de Tschirnhaus, mais encore à une infinité d’autres lignes. En voici la raison qui a servi de principe d’invention. C’est qu’on doit considérer que le stile qui tend les filets, pourra être conçu comme ayant autant de directions égales en vitesse entr’elles, qu’il y a de filets : car il les tire également, et comme il les tire, il en est tiré. Ainsi sa direction composée (qui doit être dans la perpendiculaire à la courbe) passe par le centre de gravité d’autant de points qu’il y a de filets (par la nouvelle règle des compositions du mouvement, que l’on trouve dans le No. précédent). Et ces points, à cause de l’égalité des tendances dans notre cas, sont également distans du stile, et tombent ainsi dans les intersections du cercle avec les filets. M. de Tschirnhaus dans son livre intitulé Medicina mentis, ayant cherché le premier ce problème, m’a donné occasion d’y arriver ; ce que je fais en prenant une voye, qui a cet avantage que l’esprit y fait tout sans calcul et sans diagrammes.

M. Fatio y est aussi arrivé de son chef par une très belle voye, et l’a publié le premier. Enfin M. le Marquis de l’Hôpital a donné sur ce sujet l’énonciation la plus générale qu’on puisse souhaiter, fondée sur la nouvelle méthode du calcul des différences.

Probleme II. Un même mobile étant poussé en même tems par un nombre infini de sollicitations, trouver son mouvement. J’appelle sollicitations les efforts infiniment petits ou conatus, par lesquels le mobile est sollicité ou invité, pour ainsi dire, au mouvement, comme est par exemple l’action de la pesanteur, ou de la tendance centrifuge, dont il en faut une infinité pour composer un mouvement ordinaire. Cherchez le centre de gravité du lieu de tous les points de tendance de ces sollicitations, et la direction composée passera par ce centre : mais les vitesses produites seront proportionales aux grandeurs des lieux. Les lieux peuvent être des lignes, des surfaces, ou même des solides.

Le problème qu’on vient de résoudre est d’importance en Physique, car la nature ne produit jamais aucune action que par une multitude véritablement infinie des causes concourantes.

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