Leibniz 2e.Essai.de.Dynamique

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Leibniz
Deuxième Essay de Dynamique
Texte établi par C.I. Gerhardt, Mathematische Schriften, vol. 6 (extrait) (p. 215-222).

XII.
ESSAY DE DYNAMIQUE SUR LES LOIX DU MOUVEMENT, OU IL EST MONSTRÉ, QU’IL NE SE CONSERVE PAS LA MÊME QUANTITÉ DE MOUVEMENT, MAIS LA MÊME FORCE ABSOLUE, OU BIEN LA MÊME QUANTITÉ DE L’ACTION MOTRICE.


L’opinion que la même Quantité de Mouvement se conserve et demeure dans les concours des corps, a regné long temps, et passoit pour un Axiome incontestable chez les Philosophes modernes. On entend par la Quantité de Mouvement le produit de la Masse par la vistesse, de sorte que la masse du corps estant comme 2 et la vistesse comme 3, la quantité de mouvement du corps seroit comme 6. Ainsi s’il y avoit deux corps concourrans, multipliant la masse de chacun par sa vistesse et prenant la somme des produits, on pretendoit que cette somme devoit estre la même avant et apres le concours.

Maintenant on commence à en estre desabusé, sur tout depuis que cette opinion a esté abandonnée par quelques uns de ses plus anciens, plus habiles et plus considérables défenseurs, et sur tout par l’Auteur même de la Recherche de la Vérité. Mais il en est arrivé un inconvénient, c’est qu’on s’est trop jetté dans l’autre extrémité, et qu’on ne reconnoist point la conservation de quelque chose d’absolu, qui pourroit tenir la place de la Quantité de Mouvement. Cependant c’est à quoy nostre esprit s’attend, et c’est pour cela que je remarque que les philosophes, qui n’entrent point dans les discussions profondes des Mathematiciens, ont de la peine à abandonner un Axiome tel que celuy de la Quantité de mouvement conservée sans qu’on leur en donne un autre où ils se puissent tenir.

Il est vray que les Mathematiciens qui depuis long temps ont établi des regles du mouvement fondées sur des experiences, ont remarqué qu’il se conserve la même vistesse respective entre les corps concourrans. Par exemple, soit que l’un des deux repose, ou qu’ils soyent en mouvement tous deux, et qu’ils aillent l’un contre l’autre, ou du même costé, il y a une vistesse respective, avec la quelle ils approchent ou s’eloignent l’un de l’autre ; et on trouve que cette vistesse respective demeure la même, en sorte que les corps s’eloignent apres le choc avec la vistesse dont ils s’estoient approchés avant le choc. Mais cette vistesse respective peut demeurer la même, quoyque les veritables vistesses et forces absolues des corps changent d’une infinité de façons, de sorte que cette conservation ne regarde point ce qu’il y a d’absolu dans les corps.

Je remarque encor une autre conservation, c’est celle de la Quantité du progrès, mais ce n’est pas non plus la conservation de ce qu’il y a d’absolu. J’appelle progrès la Quantité du mouvement avec la quelle on procede vers un certain costé, de sorte que si le corps alloit d’un sens contraire, ce progrès seroit une quantité negative. Or lorsque deux ou plus de corps concourent, on prend le progrès du costé où va leur centre de gravité commun, et si tous ces corps vont de ce même costé, alors il faut prendre la somme des progrès de chacun pour le progrès total ; et il est visible que dans ce cas le progrès total et la quantité de mouvement totale des corps sont la même chose. Mais si l’un des corps alloit d’un sens contraire, son progrès du costé dont il s’agit seroit negatif et par consequent doit estre soustrait des autres pour avoir le progrès total. Ainsi s’il n’y a que deux corps dont l’un va du costé du centre commun, et l’autre en sens contraire, il faut que de la quantité de mouvement du premier soit soustraite celle du second, et le reste sera le progrès total. Or il se trouve que le progrès total se conserve, ou qu’il y a autant de progrès du même costé avant ou apres le choc. Mais il est visible encor que cette conservation ne répond pas à celle qu’on demande de quelque chose d’absolu. Car il se peut que la vistesse, quantité de mouvement et force des corps estant très considérables, leur progrès soit nul. Cela arrive lors que les deux corps opposés ont leur quantités de mouvemens égales. En quel cas, selon le sens qu’on vient de donner, il n’y a point de progrès total du tout.

Il y a déjà long temps que j’ay corrigé et redressé cette doctrine de la conservation de la Quantité de Mouvement, et que j’ay mis à sa place la conservation de quelque autre chose d’absolu ; mais justement de cette chose qu’il falloit, c’est à dire la conservation de la Force absolue, il est vray que communement on ne paroist pas estre assés entré dans mes raisons ny avoir compris la beauté de ce que j’ay observé, comme je remarque dans tout ce qu’on a publié en France ou ailleurs sur les lois du mouvement et la mécanique, même apres ce que j’ay écrit sur les Dynamiques. Mais comme quelques uns des plus profonds Mathematiciens apres bien des contestations se sont rendus à mon sentiment, je me promets avec le temps l’approbation generale. Pour revenir donc à ce que je dis de la conservation de la Force absolue, il faut savoir que l’origine de l’erreur sur la Quantité de Mouvement vient de ce qu’on l’a pris pour la Force. On estoit porté, je crois, naturellement à croire que la même Quantité de la Force totale demeure avant ou apres le choc des corps, et j’ay trouvé cela très véritable. Or la Quantité de mouvement et la Force estant prises pour une meme chose, on a conclu que la quantité de mouvement se conservoit. Ce qui a contribué le plus à confondre la Force avec la Quantité de Mouvement, est l’abus de la Doctrine Statique. Car on trouve dans la Statique, que deux corps sont en équilibre, lorsqu’en vertu de leur situation leur vistesses sont réciproques à leur masses ou poids, ou quand ils ont la même quantité de mouvement.

Mais il faut savoir que cette egalité de la Force en ce cas vient d’un autre principe, car generalement la Force absolue doit estre estimée par l’effect violent qu’elle peut produire. J’appelle l’Effect violent qui consume la Force de l’agent, comme par exemple donner une telle vitesse à un corps donné, elever un tel corps à une telle hauteur etc. Et on peut estimer commodement la force d’un corps pesant par le produit de la masse ou de la pesanteur multipliée par la hauteur à la quelle le corps pourroit monter en vertu de son mouvement. Or deux corps estant en equilibre, leur hauteurs aux quelles ils pourvoient monter ou dont ils pourvoient descendre sont réciproques à leur poids, ou bien les produits des hauteurs par les poids sont égaux. Et il arrive seulement dans le cas de l’Equilibre ou de la Force morte, que les hauteurs sont comme les vistesses, et qu’ainsi les produits des poids par les vîstesses sont comme les produits des poids par les hauteurs.[1] Cela dis-je arrive seulement dans le cas de la Force morte, ou du Mouvement infiniment petit, que j’ay coustumé d’appeller Solicitation, qui a lieu lorsqu’un corps pesant tache à commencer le mouvement, et n’a pas encor conçu aucune impétuosité ; et cela arrive justement quand les corps sont dans l’Equilibre, et tachant de descendre s’empêchent mutuellement. Mais quand un corps pesant a fait du progrès en descendant librement, et a conçu de l’impétuosité ou de la Force vive, alors les hauteurs aux quelles ce corps pourroit arriver, ne sont point proportionelles aux vistesses, mais comme les quarrés des vistesses. Et c’est pour cela qu’en cas de force vive les forces ne sont point comme les quantités de mouvement ou comme les produits des masses par les vistesses.

Cependant il est remarquable et à contribuer à l’erreur que deux corps inegaux en force vive absolue, car c’est de quoy je parle, mais dont la quantité de mouvement est égale, peuvent s’arrester, ce qui les a fait croire absolument d’égale force, comme par exemple deux corps A de masse 3 vistesse 2, et B de masse 2 vistesse 3. Car quoyque A soit plus foible que B absolument, A ne pouvant elever une livre qu’à 12 pieds, si B peut elever une livre à 18 pieds ; neantmoins dans le concours ils se peuvent arrester, dont la raison est que les corps ne s’empêchent que selon les loix de la force morte ou de statique. Car estant elasliques comme on le suppose, ils n’agissent entre eux qu’en forces mortes ou selon l’equilibre dans le concours, c’est à dire par des changemens inassignables, parce qu’en se pressant, se résistant et s’affoiblissant continuellement de plus en plus jusqu’au repos, ils ne s’entredetruisent l’un l’autre à chaque moment que du mouvement infiniment petit, ou de la force morte, égale de part et d’autre ; or la quantité de la force morte s’estime selon les loix de l’equilibre par la quantité de mouvement, infiniment petite à la verité, mais dont la répétition continuelle épuise enfin toute la quantité du mouvement des deux corps, laquelle estant supposée égale dans l’un et dans l’autre corps, l’une et l’autre quantité de mouvement est épuisée en même temps, et par conséquent les corps sont réduits au repos tous deux en même temps par les pressions de leur ressorts qui se restituant par apres rendent le mouvement. C’est cette diminution continuelle de la quantité de mouvement selon l’equilibre dans le concours des deux ressorts, que consiste la cause de ce paradoxe, que deux forces absolues inégales, mais qui ont les quantités de mouvement égales, doivent s’arrester, par ce que cela arrive dans une action respective, où le combat ne se fait que selon les quantités de mouvement infiniment petites continuellement répétées.

Or il se trouve par la raison et par l’experience, que c’est la Force vive absolue, ou qui s’estime par l’effect violent qu’elle peut produire, qui se conserve, et nullement la quantité de mouvement. Car si cette force vive pouvoit jamais s’augmenter, il y auroit l’effect plus puisant que la cause, ou bien le mouvement perpetuel mécanique, c’est à dire qui pourrait reproduire sa cause et quelque chose de plus, ce qui est absurde. Mais si la force se pouvoit diminuer, elle periroit enfin tout à fait, car ne pouvant jamais augmenter, et pouvant pourtant diminuer, elle iroit tousjours de plus en plus en decadence, ce qui est sans doute contraire à l’ordre des choses. L’experience le confirme aussi, et on trouvera tousjours que si les corps convertissoient leur mouvemens horizontaux en mouvemens d’ascension, ils pourraient tousjours elever en somme le même poids à la même hauteur avant ou apres le choc, supposé que rien de la force n’ait esté absorbé dans le choc par les parties des corps, lorsque ces corps ne sont pas parfaitement Elastiques, sans parler de ce qu’absorbe le milieu, la base et autres circonstances. Mais comme c’est une chose que j’ay éclaircie assez autrefois, je ne la repeteray pas.

Maintenant je suis bien aise de donner encor un autre tour à la chose et de faire voir encor la conservation de quelque chose de plus approchant à la quantité du mouvement, c’est à dire la conservation de l’action motrice. Voicy donc la regle generale que j’établis. Quelques changemens qui puissent arriver entre des corps concourans, de quelque nombre qu’ils soyent, il faut qu’il y ait tousjours dans les corps concourans entre eux seuls, la même quantité de l’Action motrice dans un même intervalle de temps. Par exemple il y doit avoir durant cette heure autant d’action motrice dans l’univers ou dans des corps donnés, agissans entre eux seuls, qu’il y en aura durant quelque autre heure que ce soit.

Pour entendre cette regle, il faut expliquer l’Estime de l’Action Motrice, toute differente de la Quantité de Mouvement, de la manière que la quantité de mouvement a coustume d’estre entendue suivant ce qu’on a expliqué cy dessus. Or à fin que l’Action Motrice puisse estre estimée, il faut premièrement estimer l’Effect Formel du mouvement. Cet effect formel ou essentiel au mouvement consiste dans ce qui est changé par le mouvement, c’est à dire dans la quantité de la masse qui est transférée, et dans l’espace ou dans la longueur, par laquelle cette masse est transférée. C’est là l’effect essentiel du mouvement, ou ce qui s’y trouve changé : car ce corps estoit là, maintenant il est icy : le corps est tant et la distance est telle. Je conçois pour plus de facilité que le corps est mû en sorte que chaque point décrit une ligne droite égale et parallele à celle de tout autre point du même corps. J’entends aussi un mouvement uniforme et continuel. Cela posé, l’Effect formel du mouvement est le produit de la masse qui se transfere multipliée par la longueur de la translation, ou bien les Effects formels sont en raison composée des masses et des longueurs de la translation, de sorte qu’un corps comme 2 estant transporté de la longueur de 3 pieds, et un autre corps comme 3 estant transporté de la longueur de 2 pieds, les effects formels sont égaux. Il faut bien distinguer ce que j’appelle icy l’Effect formel ou essentiel au mouvement, de ce que j’ay appelle cy dessus l’effect violent. Car l’effect violent consume la force et s’exerce sur quelque chose de dehors ; mais l’Effect formel consiste dans le corps en mouvement, pris en luy même, et ne consume point la force, et même il la conserve plustost, puisque la même translation de la même masse se doit toujours continuer, si rien de dehors ne l’empeche ; c’est pour cette raison que les Forces absolues sont comme les Effects violens qui les consument, mais nullement comme les effects formels.

Maintenant il sera plus aisé d’entendre ce que c’est que l’Action motrice : il faut donc l’estimer non seulement par son Effect formel qu’elle produit, mais encor par la vigueur ou vélocité avec laquelle elle le produit. On veut faire transporter 100 livres à une lieue d’icy ; c’est là l’effect formel qu’on demande. L’un le veut faire dans une heure, l’autre dans deux heures ; je dis que l’action du premier est double de celle du second, estant doublement promte sur un effect égal. Je suppose toujours le mouvement continuel et uniforme. On peut dire aussi qu’un corps comme 3 estant transporté de la longueur de 5 dans 15 minutes de temps, c’est la même action que si un corps comme 1 estoit transporté de la longueur d’un pied, dans une minute de temps.

Cette définition de l’Action Motrice se justifie assez à priori par ce qu’il est manifeste que dans une action purement formelle prise en elle même, comme icy est celle d’un corps mouvant considéré à part, il y a deux points à examiner, l’effect formel ou ce qui est changé, et la promptitude du changement, car il est bien manifeste que celuy qui produit le même effect formel en moins de temps, agît d’avantage. Mais, si quelcun s’obstinoit à me disputer cette définition de l’Action motrice, il me suffirait de dire, qu’il m’est arbitraire d’appeller Action motrice ce que je viens d’expliquer, pourveu que la nature justifie par apres la réalité de cette definition nominale, c’est ce qu’elle sera lorsque je feray voir que c’est justement cela dont la nature conserve la quantité.

Or puisque l’action motrice est ce qui vient en multipliant l’Effect formel par la vélocité, je veux donner plus distinctement l’estime de la vélocité. L’on sait que deux mobiles parcourant uniformément le même espace dans des temps inégaux, la vistesse de celuy qui le parcourra en moins de temps sera la plus grande, à proportion que le temps sera plus court. Ainsi les espaces parcourus estant égaux, les vistesses sont reciproquement proportionelles aux temps. Mais si les temps estaient égaux, les vistesses seraient comme les espaces parcourus. Car un corps en mouvement ayant parcouru un pied dans une minute, et l’autre deux pieds, il est manifeste que la vistesse du second est double. Ainsi les vistesses sont en raison composée de la directe des espaces parcourus et de la réciproque des temps employés. Ou ce qui est la même chose, pour avoir l’estime de la vistesse, il faut prendre l’espace et le diviser par le temps. Par exemple A acheve 4 pieds en 3 secondes et B acheve 2 pieds dans une seconde, la vistesse d’A sera comme 4 divisé par 3, c’est à dire comme 4/3, et la vistesse de B sera comme 2 divisé par 1, c’est à dire comme 2, de sorte que la vistesse d’A sera à celle de B comme 4/3 à 2, c’est à dire comme 2 à 3.

Maintenant il s’agit de vérifier la conservation de l’action motrice. J’en puis donner la démonstration generale en peu de mots, parce que j’ay prouvé déjà ailleurs que la même force se conserve, et parce que dans le fonds l’exercice de la force ou la force menée dans le temps est l’action, la nature abstraite de la force ne consistant qu’en cela. Ainsi puisque la même force se conserve et puisque l’action est le produit de la force par le temps, la même action se conservera dans des temps égaux. Mais je le veux vérifier par le detail des loix du mouvement établies par l’experience et receues communément. Je me contenteray d’un exemple ; mais on en trouvera autant dans tout autre exemple qu’on voudra choisir. Et même on en pourra voir d’abord la raison generale, en faisant le calcul in abstracto, ou en general et par lettres, sans employer aucuns nombres particuliers.

Figure 22
Figure 22

Mais pour l’intelligence de tout le monde j’aime mieux de donner un exemple en nombres.

Soit un angle droit LMN (fig. 22) dont les costés LM, LN soyent prolongés à discrétion. Soit menée une droite AM, en sorte que prolongée au delà du point M elle couperoit l’angle LMN en deux parties égales. On pourra considerer 1AM comme l’hypotenuse d’un quarré dont le costé soit appellé 1. Cela estant, je suppose que le corps A [2] estant dans le lieu 1A au moment I, A aille du point 1A au point M, pendant le temps 1,2, et y rencontre au moment 2 les deux corps B et C, qui avoient esté en repos pendant le temps 1,2, ce qui se connoist dans la figure, en ce que leur place se désigne par 1B et par 2B, comme aussi par 1C et par 2C. Or le corps A rencontrant les deux corps en M dans le moment 2, estant en M ou 2A, les chassera et se mettra au repos en M, point qui sera encor 3A et 4A, parce qu’A y demeurera pendant les temps 2,3 et 3,4 que je suppose tous deux égaux entre eux et au temps 1,2. Mais B ira vers L du moment 2 pendant le temps 2,3 avec une vistesse comme 1, et rencontrera au moment 3 le corps D, qui estoit allé auparavant devant luy pendant le temps 1,2 du lieu 1D au lieu 2D, et pendant le temps 2,3 du lieu 2D au lieu 3D avec une vistesse comme 1/2. Or B rencontrant D au moment 3 luy donnera la vistesse 3D 4D, c’est à dire dans le temps 3,4 1D parviendra à 4D, et pendant ce temps là, B ira de 2B à 4B avec la vistesse 3B3B. Il en sera de même de l’autre costé, où C poussé par A dans le moment 2, ira vers N avec la vistesse 1, et rencontrera au moment 3 le corps E, qui va contre luy estant allé auparavant pendant le temps 1,2 du lieu 1E au lieu 2E, et pendant le temps 2,3 du lieu 2E au 3E avec une vistesse comme 2/3. Or C rencontrant E au moment 3 luy donnera la vistesse 3E4E, c’est à dire que dans le temps 3,4 il vienne de 3E à 4E. Et pendant ce temps là, C ira de 3C à 4C avec la vistesse 2C4C

Suit le registre des masses et des vistesses.

Les masses des corps A, B, C, D, E sont 1, 1, 1, 2, 1/2.

Pendant le temps 1,2 les vistesses des corps A, B, C, D, E sont √2, 0, 0, 1/2, 2/3. Pendant le temps 2,3 les vistesses des corps A, B, C, D, E sont 0, 1, 1, 1/2, 2/3.

Pendant le temps 3,4 les vistesses des corps A, B, C, D, E sont 0, 1/3, 1/9, 5/6, 14/9, où il est à remarquer que le corps C au lieu d’avancer réfléchit en arrière avec la vistesse 1/9.

La justification de ces nombres se trouvera dans les règles ou Equations que nous assignerons plus bas.

Faisons maintenant le compte des Actions Motrices pendant les temps égaux entre eux 1,2 ; 2,3 ; 3,4.

Pendant le temps 1,2.

A est de masse 1, la longueur de la translation 1A2A est √2. Donc multipliant un par l’autre, l’effect formel est √2. La vistesse provient en divisant la longueur √2 par le temps 1, ce qui fait √2. Et multipliant l’effect par la vistesse, l’action motrice d’A est 2.

B et C sont en repos pendant ce temps en 1B, 2B, ou 1C, 2C, donc leur Action motrice est 0.

D est de masse 2, la longueur de la translation 1/2, l’Effect formel 2 par 1/2 ou 1. La longueur 1/2 estant divisée par le temps 1 vient la vistesse 1/2, et l’effect multiplié par la vistesse est 1 par 1/2 ou 1/2 ce qui est l’action de D.

E est de masse 1/2, la longueur de la translation 2/3, par conséquent l’Effect 1/3. Or la longueur 2/3 divisée par 1 donne la vistesse 2/3, laquelle multipliée par l’effect fournit 2/9 Action d’E.

Et la somme de toutes les Actions Motrices des corps A, B, C, D, E pendant le temps l, 2 est 2 + 0 + 0 + 1/2 + 2/9 = 49/18.

Pendant le temps 2,3.

A est en repos et son action est 0.

B est de masse 1, la longueur de la translation 1 (sçavoir 2B3B), l’Effect formel 1, la longueur 1 divisée par le temps 1 donne la vistesse 1, laquelle estant multipliée par l’Effect 1 vient 1, qui est l’Action de B.

C ; le calcul est le même à l’egard de C et il vient la même Action 1.

D a la même Action qu’au temps precedent savoir 1/2.

E de même a la même Action qu’au temps precedent sçavoir 2/9.

Et la somme de toutes les actions motrices des corps A, B, C, D, E pendant le temps 2,3 est 0 + 1 + 1 + 1/2 + 2/9 = 49/18, comme auparavant.

Enfin pendant le temps 3,4.

A est en repos et son action est 0.

B est de masse 1, la longueur de la translation savoir 3B4B est 1/3, donc l’Effect est 1/3. La même longueur 1/3 divisée par le temps 1 donne 1/3 pour la vistesse, laquelle multipliée par l’Effect, il vient 1/9, Action de B.

C est de masse 1, la longueur de la translation 3C4C est 1/9, donc l’Effect formel est 1/9. Car il n’importe point icy, lors qu’on cherche des choses absolues, si C avance par 3C4C, ou reflechit en arriere comme il fait en effect. La même longueur 1/9 divisée par le temps 1 donne la vistesse 1/9 laquelle multipliée par l’Effect, il vient 1/81 pour l’Action de C.

D est de masse 2, la longueur de la translation 3D4D est 5/6, donc l’effect est 5/3. La même longueur divisée par le temps 1 est 5/6 ou la vistesse, laquelle multipliée par l’Effect, il vient 25/18 qui est l’Action de D.

E est de masse 1/2, la longueur de la translation est 14/9, l’effect 7/9. La même longueur divisée par le temps 1 est 14/9, c’est à dire la vistesse, laquelle multipliée par l’Effect vient 98/81 pour l’Action d’E.

Et la somme de toutes les Actions motrices des corps A, B, C, D, E pendant le temps 3,4 est 0 + 1/9 + 1/81 + 25/18 + 98/81 = 18 + 2 + 225 + 196/162 = 441/162 = 49/18, comme dans chacun des temps precedens.

J’ay suivi dans ce calcul la methode generale, car comme non seulement les Actions Motrices sont égalés dans les temps égaux, mais proportionelles aux temps dans les temps inégaux, j’ay divisé l’Espace par le temps pour avoir la vistesse, mais quand le temps est toujours le même, comme icy, et ainsi on le peut prendre pour l’unité, la division par le temps change rien, et par conséquent pour la vistesse on peut prendre le nombre de la longueur de la translation, les vistesses estant comme les espaces : d’où il est manifeste que l’Effect estant le produit de la masse et de l’espace, et la vistesse estant comme l’espace, l’Action est comme le produit de la masse par le quarré de l’espace de la translation (on entend une translation horizontale dans les corps pesans) ou comme le produit de la masse par le quarré de la vistesse. Or je prouveray plus bas dans la 3me Equation, que la somme de ces produits des masses par les quarrés des vistesses se conserve dans le concours des corps. Donc il est prouvé que l’Action motrice se conserve, sans parler d’autres preuves, par lesquelles j’ay fait voir ailleurs que les forces se conservent et que les forces sont comme les produits des masses par les quarrés des vistesses, pendant que les Actions sont comme les produits des forces par les temps, de sorte que si on ne savoit pas d’ailleurs cette estime et conservation de la Force, on l’apprendroit icy, en trouvant par le calcul en detail ou même en general par la 3me équation plus bas que l’Action motrice se conserve ; or il est clair que les Actions Motrices sont en raison composée des forces et des temps, et les temps estant les memes, les actions motrices sont comme les puissances ou forces.

Mais on s’étonnera d’où vient ce succès ? qui ne manquera jamais quelque embarassé que soit l’exemple qu’on pourra prendre. Cela se peut prouver à priori indépendamment des règles du mouvement receues, et c’est ce que j’ay monstré plusieurs fois par des differentes voyes. Mais icy je feray voir que cela se prouve par ces règles mêmes de la percussion que l’experience a justifiées, et dont on peut donner raison par la methode d’un bateau, comme a fait M. Hugens, et par beaucoup d’autres manières, quoyqu’on soit tousjours obligé de supposer quelque chose de non-mathematique qui a sa source de plus haut. Cependant je reduiray le tout à trois équations fort simples et belles, et qui contiennent tout ce qui regarde le concours central de deux corps sur une même droite.

Vistesses conspirantes
du corps a avant le choc v apres x
                b                       y           z

J’appelle ces vistesses conspirantes, parce que je suppose qu’elles tendent toutes du costé où va le centre de gravité commun des deux corps. Mais si peutestre quelque vistesse va véritablement au sens contraire, alors la lettre qui exprime la vistesse conspirante, signifie une quantité negative. Mais on prendra tousjours le corps a pour un corps dont la vitesse est véritablement conspirante ou va du costé du centre de gravité avant le choc, et même en sorte que le corps a suive et ne precede pas le centre de gravité commun. Ainsi les signes ne varient point en v, mais il peuvent varier en y, z, x. Voicy nos trois équations :

I. Equation Lineale, qui exprime la conservation de la cause du choc ou de la vistesse respective

v — y = z — x

et v — y signifie la vistesse respective entre les corps avant le choc avec laquelle ils s’approchent, et z — x signifie la vistesse respective avec laquelle ils s’éloignent apres le choc. Et cette vistesse respective est tousjours de la même quantité avant ou apres le choc, supposé que les corps soyent bien Elastiques, c’est ce que dit cette Equation. Il faut seulement remarquer que les signes variant dans l’explication du detail, cette règle generale renfermera tous les cas particuliers. Ce qui arrive aussi dans l’Equation suivante :

II. Equation plane, qui exprime la conservation du progrès commun ou total des deux corps

av + by = ax + bz.

J’appelle progrès icy la quantité de mouvement qui va du costé du centre de gravité, de sorte que si le corps b par exemple alloit du sens contraire avant le choc, et qu’ainsi sa vistesse conspirante y fut negative ou fut exprimée par — (y), entendant par (y) molem ou ce qu’il y a de positif dans y, alors le progrès d’a sera av, le progrès de b sera — b(y). Et le progrès total sera av — b(y), qui est la différence des quantités de mouvement des deux corps. Si les corps a et b vont d’un même costé avant et apres le choc, ces lettres v, y, x, z ne signifient que des vélocités conspirantes véritables ou affirmatives, et par conséquent dans ce cas il paroist par cette Equation que la même quantité de mouvement se conservera apres et avant le choc. Mais si les corps a et b alloient en sens contraire avant le choc et en même sens apres le choc, la différence de la quantité de mouvement avant le choc seroit egale à la somme de la quantité de mouvement apres le choc. Et il y aura d’autres variations semblables selon la variation des signes des lettres y, x, z.

III. Equation Solide, qui exprime la conservation de la force totale absolue ou de l’Action Motrice

avv + byy = axx + bzz

Cette Equation a cela d’excellent, que toutes les variations des signes qui ne peuvent venir que de la diverse direction des vistesses y, x, z, y, cessent, par ce que toutes les lettres qui expriment ces vistesses montent icy au quarré. Or —y et +y ont le même quarré +yy, de sorte que toutes ces differentes directions d’y font plus rien. Et c’est aussi pour cela que cette Equation donne quelque chose d’absolu, indépendant des vistesses respectives, ou des progrès d’un certain costé. Il ne s’agit icy que d’estimer les masses et les vistesses, sans se mettre en peine de quel costé vont ces vistesses. Et c’est ce qui satisfait en même temps à la rigueur des mathematiciens et au souhait des philosophes, aux expériences et aux raisons tirées de differens principes.

Quoyque je mette ensemble ces trois Equations pour la beauté et pour l’harmonie, neantmoins deux en pourvoient suffire pour la nécessité. Car prenant deux quelconques de ces équations, on en peut inférer celle qui reste. Ainsi la première et la seconde donnent la troisième de la maniere que voicy. Par la première il y aura v + x = y + z, par la seconde il y aura a, v — x = b, z — y, et multipliant une équation par l’autre selon les costés repondans il y aura a, v — x, v + x = b, z — y, z + y, ce qui fait avv — axx = bzz — byy, ou l’Equation troisième. De même la première et la troisième donnent la seconde, car a, vv — xx = b, zz — yy qui est la 3me, divisée par la première v + x = z + y, costé par costé, il y aura a, vv — xx, : , v + x = b, zz — yy, :, z + y, ce qui fait a, v — x = b, z — y, c’est à dire l’equation seconde. Enfin la 2de et la 3me équation donnent la première. Car la troisième a, vv — xx = b,zz — yy divisée par la seconde, sçavoir par a, v — x = b, z — y donne a, v v — xx/a, v — x = b, zz — yy/b, z — y, ce qui fait v + x = z + y, selon l’Equation première.

Je n’adjouteray qu’une Remarque, qui est que plusieurs distinguent entre les corps durs et mols, et les durs mêmes en Elastiques ou non, et bastissent là dessus des differentes regles. Mais on peut prendre les corps naturellement pour Durs-Elastiques, sans nier pourtant que l’Elasticité doit tousjours venir d’un fluide plus subtil et penetrant, dont le mouvement est troublé par la tension ou par le changement de l’Elastique. Et comme ce fluide doit estre composé luy même à son tour des petits corps solides, élastiques entre eux, on voit bien que cette Réplication des Solides et des Fluides va à l’infini. Or cette Elasticité des corps est necessaire à la Nature, pour obtenir l’Execution des grandes et belles loix que son Auteur infiniment sage s’est proposé, parmy lesquelles ne sont pas les moindres, ces deux Loix de la Nature que j’ay fait connoistre le premier, dont la première est la loy de la conservation de la force absolue ou de l’action motrice dans l’univers avec quelques autres conservations absolues nouvelles qui en dependent et que j’expliqueray un jour, et la seconde est la loy de la continuité, en vertu de laquelle entre autres effects, tout changement doit arriver par des passages inassignables et jamais par saut. Ce qui fait aussi que la nature ne souffre point de corps durs non-elastiques. Pour monstrer cela, feignons qu’un globe dur non-elastique aille choquer un globe pareil en repos : apres le choc il faut ou que les deux globes se reposent, en quel cas la loy de la conservation de la force seroit violée, ou qu’il y ait du mouvement et que le globe qui estoit en repos en reçoive, ne pouvant pas estre pris pour inebranslable, quoyque quand même on le feindroit tel, il faudroit que le choquant (pour conserver la force) reflechist tout d’un coup en arrière. Ce qui est un changement défendu, puisqu’il se feroit par saut, un corps qui va d’un certain costé devant affoiblir son mouvement jusqu’au repos avant que de commencer d’aller peu à peu de plus en plus en arrière. Mais le globe choqué devant recevoir du mouvement, il y aura encor un changement par saut, le globe choqué qui estoit en repos devant recevoir un certain degré de vitesse tout d’un coup, n’estant point pliable pour la recevoir peu à peu et par degrés. Estant manifeste aussi qu’il faut ou que le globe choquant passe tout d’un coup au repos, ce qui seroit déjà un changement par saut, ou que si ce globe choquant retient une certaine vistesse, le globe choqué qui estoit en repos en reçoive une tout d’un coup qui ne soit pas moindre que celle du choquant, puisque le choqué doit ou arrester le choquant, ou aller devant luy. Ainsi le choquant passe tout d’un coup de la vistesse au repos, ou du moins le choqué passe tout d’un coup du repos à un certain degré de vistesse, sans passer par les degrés moyens ; ce qui est contraire à la loy de la continuité, qui n’admet aucun changement par saut dons la nature. J’ai encor bien d’autres raisons qui concourent toutes à bannir les corps durs non-elastiques, mais ce n’est pas icy le lieu de s’étendre la dessus.

Cependant il faut avouer, quoyque les corps doivent estre ainsi naturellement élastiques dans le sens que je viens d’expliquer, que neantmoins l’Elaslicité souvent paroist pas assez dans les masses ou corps que nous employons, quand même ces masses seroient composées de parties élastiques et ressembleroient à un sac plein de petites boules dures qui cederoient à un choc mediocre, sans remettre le sac, comme l’on voit des corps mols ou qui obéissent sans se remettre assez. C’est que les parties n’y sont point assez liées, pour transférer leur changement sur le tout. D’où vient que dans le choc de tels corps une partie de la force est absorbée par les petites parties qui composent la masse, sans que cette force soit rendue au total : et cela doit tousjours arriver lorsque la masse pressée ne se remet point parfaitement. Quoyqu’il arrive aussi qu’une masse se monstre plus ou moins Elastique selon la differente manière du choc, temoin l’eau même qui cede à une impression mediocre, et fait rebondir une balle de canon.

Or quand les parties des corps absorbent la force du choc, en tout comme lors que deux morceaux de terre grasse ou d’argille se choquent, ou en partie comme lors que deux boules de bois se rencontrent, qui sont bien moins élastiques que deux globes de jaspe ou d’acier trempé : quand, dis-je, de la force est absorbée par les parties, c’est autant de perdu pour la force absolue, et pour la vistesse respective, c’est à dire pour la troisième et pour la première Equation, qui ne réussissent pas, puisque ce qui reste apres le choc est devenu moindre que ce qui estoit avant le choc, à cause d’une partie de la force détournée ailleurs. Mais la quantité du progrès ou bien la seconde Equation n’y est point intéressée. Et même le mouvement de ce progrès total demeure seul, lorsque les deux corps vont ensemble apres le choc avec la vistesse de leur centre commun, comme feroient deux boules de terre grasse ou argille. Mais dans les demi-élastiques comme deux boules de bois, il arrive encor de plus que les corps s’éloignent entre eux apres le choc, quoyqu’avec un affaiblissement de la première Equation, suivant cette force du choc qui n’a point esté absorbée, Et sur quelques expériences touchant le degré de l’élasticité de ce bois, on pourroit prédire ce qui deuvroient arriver aux boules qui en seroient faites en toute sorte de recontres ou chocs. Cependant ce dechet de la force totale ou ce manquement de la troisième Equation ne déroge point à la vérité inviolable de la loy de la conservation de la même force dans le monde. Car ce qui est absorbé par les petites parties, n’est point perdu absolument pour l’univers, quoyqu’il soit perdu pour la force totale des corps concourans.

  1. *) Am Rande des Manuscripts hat Leibniz bemerkt : Ainsi il est estonnant que M. des Cartes a si bien évité l’ecueil de la vistesse prise pour la force, dans son petit traité de Statique ou de la Force morte, où il y avoit aucun danger, ayant tout réduit aux poids et hauteurs, quand cela estoit indifferent, et qu’il a abandonné les hauteurs pour les vistesses dans le cas où il falloit faire tout le contraire, c’est à dire quand il s’agit des percussions ou forces vives qui se doivent mesurer par les poids et les hauteurs.
  2. *) On ne compte point icy l’épaisseur des corps qu’on suppose peu considérable. Bemerkung von Leibniz.