Conditions d'admission des Partis dans l'Internationale communiste
Éditions du Progrès ; Éditions sociales, (p. 234-244).
Le premier congrès constitutif de l’Internationale communiste n’a pas élaboré les conditions précises d’admission des différents partis à la IIIe Internationale. Au moment de sa convocation, il n’existait encore, dans la plupart des pays, que des tendances et des groupes communistes.
C’est dans des conditions différentes que se réunit le IIe Congrès mondial de l’Internationale communiste. Il existe désormais dans la plupart des pays non seulement des courants et des tendances communistes, mais des partis et des organisations communistes.
Aujourd’hui, l’Internationale communiste reçoit de plus en plus souvent des demandes de partis et de groupes qui appartenaient récemment encore à la IIe Internationale et qui désirent maintenant adhérer à la IIIe Internationale, mais qui ne sont pas encore en fait devenus communistes. La IIe Internationale est définitivement battue. Les partis intermédiaires et les groupes du « centre », voyant que sa situation est tout à fait désespérée, tentent de s’appuyer sur l’Internationale communiste qui se renforce de plus en plus ; ils espèrent conserver toutefois une « autonomie » qui leur permettrait de poursuivre leur ancienne politique opportuniste ou « centriste ». L’Internationale communiste est, jusqu’à un certain point, à la mode.
Le désir de certains groupes dirigeants du « centre » d’adhérer maintenant à la IIIe Internationale prouve indirectement que l’Internationale communiste a gagné la sympathie de l’immense majorité des ouvriers conscients du monde entier et devient une puissance de jour en jour croissante.
Dans certaines circonstances, l’Internationale communiste peut être menacée de ramollissement par des groupes indécis et hybrides qui n’ont pas encore rompu avec l’idéologie de la IIe Internationale.
De plus, dans certains grands partis (Italie, Suède), dont la majorité se place sur les positions du communisme, il existe encore une forte aile réformiste et social-pacifiste, qui n’attend que le moment de relever la tête, de commencer le sabotage actif de la révolution prolétarienne et d’aider ainsi la bourgeoisie et la IIe Internationale.
Aucun communiste ne doit oublier les leçons de la République des Soviets de Hongrie. L’union des communistes hongrois et des réformistes a coûté cher au prolétariat hongrois.
Compte tenu de ces faits, le IIe Congrès mondial tient à déterminer avec la plus grande précision les conditions d’admission des nouveaux partis, et de rappeler, par la même occasion aux partis déjà admis à l’Internationale communiste les obligations qui leur incombent.
Le IIe Congrès de l’Internationale communiste décide que les conditions d’appartenance au Komintern sont les suivantes :
1°) La propagande et l’agitation quotidiennes doivent avoir un caractère effectivement communiste. Tous les organes de presse appartenant au parti doivent être rédigés par des communistes sûrs, ayant donné la preuve de leur dévouement à la cause de la révolution prolétarienne. Il ne s’agit pas de parler de la dictature du prolétariat tout simplement, comme d’une formule courante apprise par cœur ; il faut organiser la propagande en sa faveur d’une façon telle que pour chaque simple ouvrier, ouvrière, soldat ou paysan, sa nécessité découle des faits de la vie quotidienne notés au jour le jour par notre presse. Dans les journaux, dans les réunions publiques, dans les syndicats, dans les coopératives, partout où les partisans de la IIIe Internationale auront accès, il est indispensable de flétrir systématiquement et sans merci non seulement la bourgeoisie, mais aussi ses auxiliaires, les réformistes de toutes nuances.
2°) Toute organisation désirant appartenir à l’Internationale communiste est tenue d’écarter systématiquement des postes tant soit peu responsables dans le mouvement ouvrier (organisation du parti, rédaction, syndicat, fraction parlementaire, coopérative, municipalité, etc.) les réformistes et les partisans du « centre » et de mettre à leur place les communistes éprouvés, sans craindre d’avoir parfois, au début, à remplacer des dirigeants « expérimentés » par des ouvriers sortis du rang.
3°) Dans tous les pays où, en raison de l’état de siège ou de lois d’exception, les communistes n’ont pas la possibilité de mener légalement toute leur action, il est absolument indispensable de combiner le travail légal et le travail illégal. Dans presque tous les pays d’Europe et d’Amérique, la lutte des classes entre dans la phase de la guerre civile. Dans ces conditions, les communistes ne peuvent se fier à la légalité bourgeoise. Ils doivent créer partout une organisation parallèle illégale qui puisse, au moment décisif, aider le parti à remplir son devoir envers la révolution.
4°) Une propagande et une agitation systématiques et persévérantes doivent être faites parmi les troupes, et il faut former des cellules communistes dans chaque unité. Les communistes seront obligés de faire ce travail en grande partie illégalement, mais s’y refuser serait trahir le devoir révolutionnaire et serait incompatible avec l’appartenance à la IIIe Internationale.
5°) Une agitation régulière et systématique dans les campagnes est indispensable. La classe ouvrière ne peut affermir sa victoire si elle n’a pas pour elle au moins une partie des ouvriers agricoles et des paysans pauvres et si elle n’a pas neutralisé par sa politique une partie du reste de la population des campagnes. Dans la période actuelle, l’action communiste à la campagne prend une importance de premier plan. Elle doit être le fait, principalement, des ouvriers communiste révolutionnaire qui ont des attaches à la campagne. Se réfuser à ce travail ou le confier à des éléments semi-réformistes peu sûrs équivaut à renoncer à la révolution prolétarienne.
6°) Tout parti désireux d’appartenir à la IIIe Internationale est tenu de démasquer non seulement le social-patriotisme avoué, mais également l’hypocrisie et la fausseté du social-pacifisme ; démontrer systématiquement aux ouvriers que, sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, aucune cour internationale d’arbitrage, aucun débat sur la réduction des armements, aucune réorganisation « démocratique » de la Société des Nations ne sauraient sauver l’humanité de nouvelles guerres impérialistes.
7°) Les partis désireux d’appartenir à la IIIe Internationale sont tenus de reconnaître la nécessité d’une rupture totale et absolue avec le réformisme et la politique du « centre », et de faire de la propagande en faveur de cette rupture dans les milieux les plus larges de leurs organisations. Sans cela, aucune politique communiste conséquente n’est possible.
L’Internationale communiste exige absolument et sous forme d’ultimatum que cette rupture soit réalisée dans le plus bref délai. Elle ne peut admettre que des réformistes avérés, comme Turati, Modigliani et autres, aient le droit de se considérer comme des membres de l’Internationale communiste. Un tel état de choses conduirait la IIIe Internationale à ressembler singulièrement à la défunte IIe Internationale.
8°) Dans la question des colonies et des nationalités opprimés, les partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies et opprime d’autres nations doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout parti désireux d’appartenir à la IIIe Internationale est tenu de démasquer impitoyablement les entreprises de « ses » impérialistes dans les colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement de libération dans les colonies, d’exiger qu’en soient expulsés les impérialistes nationaux, de cultiver dans les cœurs des ouvriers de son pays une attitude vraiment fraternelle à l’égard de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimées, et de poursuivre une agitation systématique parmi les troupes de son pays contre toute oppression des peuples coloniaux.
9°) Tout parti qui désire appartenir à l’Internationale communiste est tenu de mener systématiquement et sans faiblesse une action communiste au sein des syndicats, des coopératives et des autres organisations ouvrières de masse. Il est indispensable d’y constituer des cellules communistes qui, par un travail constant et opiniâtre, doivent gagner les syndicats à la cause du communisme. Ces cellules sont tenues, à chaque moment du travail quotidien, de démasquer la trahison des social-patriotes et les hésitations du « centre ». Elles doivent être entièrement subordonnées au parti dans son ensemble.
10°) Un parti appartenant à l’Internationale communiste est tenu de lutter opiniâtrement contre l’« Internationale » des syndicats jaunes d’Amsterdam. Il doit faire une propagande obstinée parmi les ouvriers syndiqués pour la rupture avec elle. Il doit, par tous les moyens, soutenir le rassemblement international en voie de réalisation des syndicats rouges adhérant à l’Internationale communiste.
11°) Les partis désireux d’appartenir à la IIIe Internationale sont tenus de revoir la composition de leurs fractions parlementaires, d’en éliminer les éléments peu sûrs, de subordonner ces fractions, non en paroles mais en fait, à leurs comités centraux, d’exiger de chaque prolétaire communiste que toute son activité soit subordonnée aux intérêts d’une propagande et d’une agitation vraiment révolutionnaires.
12°) De même, la presse périodique et non périodique et tous les services d’édition doivent être entièrement subordonnés au Comité central du parti, indépendamment de la question de savoir si, à tel moment, le parti dans son ensemble est légal ou illégal ; il est inadmissible que des services d’édition, abusant de leur autonomie, poursuivent une politique qui ne soit pas entièrement celle du parti.
13°) Les partis adhérents à l’Internationale communiste doivent être organisés selon le principe du centralisme démocratique. Dans la période actuelle de guerre civile exacerbée, un parti communiste ne saurait faire son devoir que s’il est organisé de la manière la plus centralisée, s’il y règne une discipline de fer confinant à la discipline militaire, et si son organisme central est puissant, nanti de pouvoirs étendus et jouissant d’une autorité morale et de la confiance unanime de ses membres.
14°) Les partis communistes des pays où les communistes mènent légalement leur action doivent procéder à des épurations périodiques (réenregistrement) des effectifs de leurs organisations, de manière à en écarter systématiquement les éléments petits-bourgeois qui s’y faufilent inévitablement.
15°) Tout parti qui désire appartenir à l’Internationale communiste est tenu de soutenir sans réserve toute République soviétique dans sa lutte contre les forces contre-révolutionnaires. Les partis communistes doivent faire une propagande incessante pour que les ouvriers refusent de transporter les fournitures militaires destinées aux ennemis des Républiques soviétiques ; ils doivent faire de la propagande, légalement ou illégalement, parmi les troupes envoyées pour écraser les Républiques ouvrières, etc.
16°) Les partis qui, jusqu’à présent, ont conservé leurs anciens programmes social-démocrates, sont tenus de les réviser dans le plus bref délai et d’établir un nouveau programme communiste adapté aux conditions particulières de leur pays et conforme aux décisions de l’Internationale communiste. En règle générale, le programme de chaque parti affilié à l’Internationale communiste doit être ratifié par le Congrès ordinaire de l’Internationale communiste ou par son Comité exécutif. En cas de non-ratification par le Comité exécutif de l’Internationale communiste du programme de tel ou tel parti, celui-ci a le droit d’en appeler au Congrès de l’Internationale communiste.
17°) Toutes les décisions des Congrès de l’Internationale communiste, de même que celles de son Comité exécutif, sont obligatoires pour tous les partis affiliés. L’Internationale communiste, placée dans une ambiance de guerre civile exaspérée, doit être organisée d’une façon beaucoup plus centralisée que ne l’était la IIe Internationale. Cela étant, l’Internationale communiste et son Comité exécutif doivent, bien entendu, tenir compte, dans toute leur activité, de la diversité des conditions dans lesquelles les différents partis ont à lutter et à agir, et n’adopter de décisions obligatoires pour tous que dans les questions où de telles décisions sont possibles.
18°) Conformément à tout ce qui précède, tous les partis désireux d’adhérer à l’Internationale communiste doivent modifier leur appellation. Tout parti désireux de s’affilier à l’internationale communiste doit s’intituler : Parti communiste de tel pays (Section de la IIIe Internationale communiste). Cette question d’appellation n’est pas de pure forme, elle a une importance politique considérable. L’Internationale communiste a engagé une lutte décisive contre le monde bourgeois et tous les partis social-démocrates jaunes. Il est indispensable que la différence apparaisse clairement aux yeux de chaque travailleur entre les partis communistes et les anciens partis officiels « social-démocrates » ou « socialistes » qui ont trahi le drapeau de la classe ouvrière.
19°) Après la fin des travaux du Deuxième Congrès mondial de l’Internationale communiste, tous les partis désireux d’adhérer à l’Internationale communiste doivent, dans le plus bref délai, convoquer un congrès extraordinaire afin qu’y soient ratifiés officiellement, au nom de l’ensemble du parti, les engagements ci-dessus précisés.
20°) Les partis qui désireraient actuellement adhérer à la IIIe Internationale mais qui, jusqu’à présent, n’ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique doivent, avant cette adhésion, faire le nécessaire pour que leur Comité central et leurs principaux organismes centraux comptent, au moins pour les deux tiers, des camarades qui, dès avant le IIe Congrès de l’Internationale communiste, se sont prononcés publiquement et sans équivoque pour l’adhésion à la IIIe Internationale. Des exceptions peuvent être admises avec accord du Comité exécutif de la IIIe Internationale. Ce dernier a le droit de faire également des exceptions pour les représentants du « centre » désignés au § 7.
21°) Les adhérents au Parti qui rejettent en principe les conditions et les thèses établies par l’Internationale communiste doivent être exclus du Parti.
Ceci concerne également les délégués aux Congrès extraordinaires[1].
- ↑ Lénine a formulé les 19 premières conditions qui ont été adoptées par le IIe Congrès après quelques retouches de détail.
Les deux dernières conditions ont été ajoutées après coup à la suite des travaux d’une commission mixte (représentants de la commission des conditions d’admission et de la commission des tâches du Congrès) qui présenta un texte définitif adopté, à l’unanimité moins deux voix, le 6 août 1920.
Cependant, une précision mérite d’être apportée en ce qui concerne le texte de la 21e condition, car des versions différentes ont été publiées en français et le contenu politique s’en est trouvé parfois modifié.
Le texte que nous donnons est conforme :
— au texte de L’Humanité du 8 octobre 1920 (avec cependant l’emploi de mots différents mais de signification sensiblement équivalente),
— au texte de la brochure contenant les thèses et résolutions du IIe Congrès de l’Internationale éditée en 1933 par le bureau d’Editions,
— au texte russe de la publication de l’Institut du Marxisme-Léninisme à Moscou en 1970 : Lénine et l’Internationale communiste.
A titre documentaire, voici une version différente :
« Les adhérents au Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l’Internationale communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au congrès extraordinaire. »
Cette version se retrouve dans :
— le compte rendu sténographique des travaux du IIe Congrès de l’Internationale communiste. Petrograd. s.d.
— Statuts et Résolutions du IIe Congrès, Petrograd, 1920.
— Bulletin communiste du 28 octobre 1920.
— Le Phare, organe de la IIIe Internationale en Suisse romande. Décembre 1920.
— Manifeste et résolutions des 4 Congrès de l’Internationale communiste, Librairie communiste, 1934.