Les Éblouissements/Les pins reflètent les cyprès

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 280-281).
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LES PINS REFLÈTENT LES CYPRÈS


Les pins reflètent les cyprès,
La lumière creuse le sable,
L’eau palpite au bord des forêts,
C’est l’allégresse inexprimable !

Un marronnier qui coup sur coup
Fait pleuvoir ses sanglants pétales
Jonche de ses rouges bijoux
Le gravier jaune aux tons d’opales.

Sous le branchage balancé,
Des morceaux d’ombre et de lumière
Dorment comme un couple enlacé
Dans une ferveur familière.

Tombant soudain du ciel ouvert
L’abeille d’or et de bitume
Sur la capucine au cœur vert
Flotte comme une brune écume,


Et l’abeille remonte au ciel
Avec un doux bruit de rouage,
Comme si, sur des rails de miel,
Elle faisait ce beau voyage !

Tout est brûlant, tendre, éclaté,
Tout bourdonne, s’ébat, s’incline.
Ô divin roulis de l’été !
Mon cœur fond comme la résine.

Je ne vois plus rien, je me meurs.
Cris d’oiseau dans les graminées,
Silence’bercé de rumeurs,
Ô vertige des matinées !

Repos abondant, dilaté
Tout bleuit dans ta douce haleine,
Paisible et brève éternité
D’un matin en feu sur la plaine…

Et c’est soudain un calme immense, mol, uni,
Où rien ne tressaille et ne passe ;
Il semble qu’il n’y ait dans le jeune infini
Que mon bonheur et que l’espace…