Les Éblouissements/Un oiseau le soir

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 324-325).

UN OISEAU LE SOIR


Oiseau désespéré, ne chantez pas ainsi,
Quelle est la volupté qui vous est refusée
Pour que, plein d’un aigu, d’un obstiné souci,
Vous jetiez sous les bois cette ardente fusée ?
 
Dans le plus beau bosquet vous semblez abrité,
Ne chantez pas ainsi sur deux notes dolentes,
Le printemps est déjà si dur à supporter,
Il faut du moins la paix des bêtes et des plantes…

Cessez ce cri plaintif, ce cri trop long, trop fort,
Ne pouvez-vous donc pas contenter votre rêve ?
Faut-il que vous soyez un faible et triste corps
Dont le gosier toujours se gonfle et toujours crève ?

Oiseau, n’êtes-vous pas heureux chez les oiseaux,
La paix n’habite pas votre mouvant génie ?
Vous appelez l’amour comme on appelle l’eau
Dans le désert, dans la chaleur, dans l’agonie…


Cette aubépine est-elle aussi triste pour vous
Qu’elle l’est pour mes yeux assoiffés de torture
Dans ce soir vide, lent, si désolé, si doux,
Dans ce soir où l’on croit voir mourir la nature ?

Cher oiseau, quelle ardente image de bonheur
Naît en nous pour un peu d’ombrage et de nuée,
Pourquoi est-on si plein de rêve et de chaleur
Quand la lumière est sur le sol diminuée ?

Espérez, cher oiseau, roucoulez sans fureur,
Peut-être votre douce et démente femelle
Viendra pour vous, par un chemin d’herbe et de fleur,
Séparant l’air touffu des rames de son aile.

Dans le feuillage épais, natté, frais et pesant,
Dans l’aubépine rouge où la fleur écumeuse
Semble s’être baignée aux gouttes de mon sang,
Elle viendra, les yeux brillants, tiède, orageuse.

Oiseaux légers, gonflés, vous baisant et songeant,
Vous frémirez alors sous la courante brise,
Vous serez deux fronts noirs sur la lune d’argent,
Vous serez deux désirs que le ciel favorise.

Mais moi, je n’aurai pas de suffisant émoi,
Je repousse le cœur qui m’attend et m’appelle,
Et je suis cette nuit amoureuse de moi,
De mes yeux sans espoir, de ma voix immortelle…