Les Échos (Adolphe-Basile Routhier)/28

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P.-G. Delisle (p. 208-213).


INAUGURATION D’UNE CHAPELLE


au collège de sainte-anne


I


En ce jour fortuné, que Sainte-Anne est heureuse
De revoir dans ses murs ses enfants réunis !
Un seul mot a touché leur âme généreuse,
Et tous sont accourus ; oh ! qu’ils en soient bénis !
Ils sont restés ses fils ; leur mémoire fidèle
De leur Alma Mater se ressouvient encor ;
Et quand elle a parlé, tous groupés autour d’elle
Ont offert à la fois de l’amour et de l’or.
De l’amour, dans ce siècle où respire la haine,
Où l’amitié s’éteint dans le cœur des mortels !
De l’or, dans cette vie où l’opulence est reine,
Et voit ses courtisans lui dresser des autels !

Le saint Livre nous dit que les enfants des hommes
Au pays de Sennar s’assemblèrent un jour,
Et qu’avant de fonder leurs différents royaumes,
Ils se dirent entre eux : « bâtissons une tour ;
Élevons jusqu’au ciel un monument immense,
Qui puisse rendre un jour notre nom immortel. »
Mais Dieu, qui les voyait, confondit leur démence ;
Et leur folie insigne édifia Babel !

Les enfants de Sainte-Anne, animés d’autres flammes,
Ont voulu satisfaire un plus noble besoin ;
Un sentiment plus pur a vibré dans leurs âmes,
Et de l’éterniser leur œuvre aura le soin !
« Altius tendimus ! a dit leur voix sonore,
Nos esprits ont besoin d’un plus vaste horizon ;
De Sainte-Anne en nos cœurs la voix résonne encore ;
Reconnaissance ! amour ! voilà notre blazon !
Gravons-le sur ces murs où vécut notre enfance,
Comme Dieu sur la pierre a su graver sa loi ;
Et, tout en exprimant notre reconnaissance,
À la face du monde affirmons notre foi !
Embellissons enfin d’un nouveau sanctuaire
Ces lieux que nous aimons comme le toit natal,
Et qu’à ce dévouement pour notre bonne mère,
Un autel rajeuni serve de piédestal ! »


II


Et l’un d’eux se levant, plein d’une sainte flamme,
A fixé sur le ciel son regard inspiré ;
Il a pris le compas, ce verbe de son âme,
Et préparé le plan du travail désiré.
L’œuvre sainte a germé dans son âme artistique ;
Elle est là toute entière à l’état d’idéal :
Il a pour l’exprimer cette langue mystique,
Cet art vraiment sublime, autrefois sans rival,
Auquel on a donné le nom d’architecture.

Il est là contemplant l’espace consacré ;
Il observe de l’œil, il calcule, il mesure,
Et dans son cœur il sent grandir le feu sacré !
Ici devra planer une voûte en ogive,
Là sa main détendra des arceaux surbaissés,
Et là-bas le sculpteur, d’une main sûre et vive,

Découpera ces arcs dans de l’or enchâssés.
Au fond se dresseront d’élégantes arcades,
D’où l’orgue parlera son langage enchanteur,
Et sur leurs pieds d’airain de blanches colonnades
Au-dessous s’offriront au ciseau du sculpteur.
Au cintre émaillé d’or de la voûte courbée
L’art chrétien gravera ses emblèmes pieux :
La voûte sera livre, et toute une épopée
Devra s’y dérouler en traits mystérieux !
L’esquif de Pierre, orné de riches banderolles,
Y livrera sa voile aux flots amoncelés :
La science et les arts, en gracieux symboles,
Y seront de la Foi défenseurs obligés !
Et pour que le chrétien s’isole de la terre,
Et lève ses regards en entrant dans ces lieux ;
Pour qu’il comprenne bien qu’en bas tout est misère,
Et que de la beauté la source est dans les cieux,
Il faudra ciseler ces voûtes magnifiques,
Buriner sur leurs fronts les plus riches décors,
Et pour les embellir d’ornements symboliques,
De l’art et du génie épuiser les trésors !

Et l’architecte ému, réalisant son rêve,
S’est mis lui-même à l’œuvre et s’est fait ouvrier ;
L’idée a pris sa forme, et d’un travail sans trêve
A surgi la chapelle où nous allons prier.


III


Prions pour cette époque impure et criminelle :
Implorons de Jésus la bonté paternelle
Pour le genre humain racheté.
Qu’il brise de remords son âme malheureuse,
Et qu’il éclaire enfin sa route ténébreuse
D’un seul rayon de vérité !

Prions pour que l’Église autour d’elle rallie
Tous ces membres épars de la pauvre Italie,
Qui naguère étaient ses enfants !
Que le Pape soit roi de la famille humaine,
Et que le saint drapeau de l’Église Romaine
Déroule ses plis triomphants !


Prions pour la patrie où la croix règne encore,
Et que ce labarum dont son front se décore
La garde du joug étranger !
Aux pieds des saints autels qu’elle croisse en sagesse,
Afin que leur grande ombre, aux jours de la détresse,
L’abrite contre le danger !

Implorons de Jésus la sagesse infinie !
Qu’il éclaire toujours cette maison bénie
Et la conduise par la main ;
Afin que ses enfants, sa couronne et sa gloire,
Puissent de ses leçons conserver la mémoire,
Et marcher dans le droit chemin !

Qu’il garde les enfants ! qu’il bénisse la mère !
Que sans jamais quitter son nouveau sanctuaire,
Il veille sur eux constamment !
Et qu’il accorde enfin des grâces abondantes
Aux amis dévoués dont les mains bienfaisantes
Ont élevé ce monument !



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