Les Étoiles filantes (Gill)/Neige de Noël

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Neige de Noël



 

I



Le soleil de décembre est disparu sans flammes.
Il neige. C’est Noël. Le mystère des cieux
Donne, en la grande paix du soir silencieux,
La blancheur à la terre et la lumière aux âmes.

L’onde qu’en pur cristal l’abîme constella,
Veut embellir la nuit de la très sainte fête ;
C’est le rêve éthéré de l’espace, qui jette
Sur les sombres vivants ce rayon d’au-delà.

Avec le flot lacté des plages éternelles,
Les anges sont venus ; ils veillent près de nous ;
Et le cœur attendri des croyants à genoux
Peut rythmer son extase aux frissons de leurs ailes.

Le tourbillon s’engouffre à pleine immensité ;
Déjà, la terre a mis sa robe à blanche traîne ;
Ville, fleuve, forêt, montagne, gouffre et plaine,
D’innocence vêtus, sont prêts, Divinité !


II



Quand la goutte d’eau monte avec l’envol des nues,
Jusqu’au sein glacial des sphères inconnues
Dont le regard stellaire est l’unique témoin,
Elle se cristallise en fin duvet de cygne.
Mais, marquée au rayon d’un plus céleste signe,
La neige de Noël doit venir de plus loin.



Les lys majestueux que des soleils féeriques
Font fleurir sous les pas des groupes séraphiques,
Sont morts dans le jardin sans fin du pays bleu ;
Comme des fleurs d’en bas, qu’un jour sans astre afflige,
Ils ont penché leur front expirant sur leur tige,
Quand ils ont vu partir le petit bébé Dieu.
 
Le trépas a laissé du ciel sur leurs pétales ;
Son souffle a respecté ces virginités pâles,
Car un rayon divin sur elles avait lui ;
C’est donc du ciel qui tombe avec leur beauté morte,
Éperdument livrée au souffle qui l’emporte,
Dans l’orgueil de descendre en même temps que Lui.

Et les lys trépassés ont caché les épines ;
Ils ont enseveli la pente des collines
Où, bientôt, le Martyr succombera trois fois ;
Ils ont enveloppé, dans l’éclat froid des marbres,
Les oliviers, et les roseaux, et ces grands arbres
Que les hommes pervers assembleront en croix.

Étale-toi, splendeur, entre le globe infime
Où l’humanité rampe, et l’insondable abîme !
Croule aux quatre horizons, avalanche de lys !
Tombe, tombe toujours, pureté, tombe encore,
Pour que Ses yeux, demain, à leur première aurore,
Retrouvent en notre ombre un peu du Paradis !


III



Tombe, tombe, cristal ! La paille de l’étable,
Entre le bœuf stupide et l’âne misérable,
Reçoit le corps frileux du grand Nazaréen.
Mais le Monde lassé du mensonge ancien,


Le Monde que remplit Son cœur et Son génie,
Le Monde est le berceau de l’Idée infinie !…
Tombe, tombe, cristal ! Le vertige des cieux
Déchaîne, cette nuit, tes prismes radieux
Sur l’aube des pardons et sur la fin des haines,
Sur la rédemption des faiblesses humaines,
Sur la miséricorde et la fraternité,
Sur l’espoir des mortels en leur éternité !…
Drape-toi dans la neige immaculée, ô terre !
Pare-toi de candeur, pare-toi de lumière !
Les principes du Maître, enfin, te sont donnés…
Sur le recueillement de nos fronts inclinés,
Tombe, tombe, cristal de la voûte profonde :
Il faut des langes blancs dans le berceau du Monde !