Les Étrangers à Paris

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Gérard L....... ()
Napoléon et la France guerrière : Élégies Nationales
Ladvocat (p. 16-20).

LES ÉTRANGERS À PARIS.


 
Le Soleil qui sur nous dardait ses feux rapides,
A donc été vaincu par des astres perfides,
Et ses feux endormis ont fait place aux éclairs.
Quel charme assez puissant put fasciner la vue
De cet aigle, enfant de la nue,
Dont les regards ardens dévoraient l’univers ?

Un dieu vient de céder à des forces humaines ;
Quels bras l’ont enchaîné ? Des bras chargés de chaînes.
Avec lui, s’est dissoute à nos regards surpris,
Tant de puissance amoncelée,
Il tombe, et la terre ébranlée
A tremblé sous le poids de son vaste débris.

Sur un rocher désert, sur la roche obscurcie,
Que le temps, que la flamme ont tour-à-tour noircie,
On le voit s’endormir, pour ne s’éveiller plus ;
Autour de sa prison, roule la mer profonde ;
Ô Français, contemplez cet autre Marius,
Assis sur un débris du Monde !

Ah, si dans le combat qui décida son sort,
Il eût pu rencontrer une honorable mort,
De quel divin éclat eût brillé sa mémoire !
Mais, en proie aux chagrins, dans le malheur bercé,
Peut-être il va vieillir, comme un glaive émoussé,
Qui se ronge dans l’ombre, et se rouille sans gloire ![1]

Il est là pour toujours ; plus d’espoir, plus d’appui ;
Il reste en butte à la fureur commune,
Et les lâches flatteurs qui grandirent sous lui,
L’ont renié dans l’infortune.

Il eut de grands succès ; mais, hélas ! à quel prix !
Secourable à-la-fois et funeste à la France,
Au plus haut période il porta sa puissance,……
Mais la France, en pleurant, lui demande ses fils !…

Tes fils, ne pleure pas,… ils sont morts pour la gloire,
Un laurier toujours vert, ornera leur mémoire,
Partout où les guida le destin des combats,
Partout où pénétra leur rapide vaillance,
Leurs compagnons vainqueurs vengèrent leur trépas…
L’ennemi paya cher… Mais Waterloo… Silence !…
Ceux-ci n’ont obtenu qu’un trépas sans vengeance !

Français, courons sous les drapeaux,
Vengeons leur cendre profanée,
De la gloire d’une journée
Dépouillons nos lâches rivaux.
À la France qui nous appelle
Rendons son antique splendeur,
Et sur sa mourante grandeur,
Entons une grandeur nouvelle !

Marchons, et si le sort cesse de protéger
Un peuple généreux secouant ses entraves,
Soyons plutôt de l’étranger
Les victimes que les esclaves ;
Marchons ! En expirant, ils nous léguaient, nos braves,
Ou leur exemple à suivre, ou leur mort à venger.

Qu’offrir, en sacrifice, à leur cendre irritée ?
C’est du sang qu’il leur faut, nous n’avons que des pleurs ;
Tu parles de vengeance, ô France ensanglantée,
Qu’as-tu fait de tes défenseurs ?

Déjà des ennemis les clairons retentissent ;
Nous n’avons en nos murs qu’un peuple désarmé,
De femmes et d’enfans, un amas alarmé,
Et les lâches qui nous trahissent.
Malheureux ! Nous cédons au destin irrité !
Ô désespoir ! Une foule ennemie
Au poids de l’or, au poids de l’infamie,
Nous vendra notre liberté !

Mais il faut dévorer nos chagrins en silence.
Que de fois les sermens, les droits sont méconnus !
Que de fois l’équité gémit sous la puissance,
Que de fois penche la balance,
Sous le fer d’un nouveau Brennus !

Naguère riche et florissante,
Notre patrie, orgueilleuse et puissante,
S’applaudissait de sa fertilité,
Mais l’étranger y pose un pied perfide,…
Et nous cherchons en vain sur ce sol attristé,
Qui ne présente plus qu’une surface aride,
Son antique fécondité.

Nous voyons sous les mains de ces nouveaux Vandales,
Disparaître nos monumens,
Et ces antiques ornemens
Qui décoraient jadis nos pompes triomphales ;
Où sont-ils ces débris de cent peuples soumis,
Ces immortels travaux faits d’une main mortelle,
Ces amas d’étendards pris sur les ennemis,
Registres imposans d’une gloire éternelle !

L’étranger les enlève, il soustrait à nos yeux
De nos anciens travaux ces témoins glorieux ;

Des produits de nos arts à son tour il s’empare,
Dépouille d’ornemens nos palais violés,
Et promène sa main barbare
Sur nos monumens mutilés.

Mais sa fureur en vain sans cesse les menace ;
Et ces lâches en vain tâcheront de ternir
Les exploits étonnans que tenta notre audace ;
En vain ils essaieront d’en effacer la trace…,
En effaceront-ils l’immortel souvenir ?

Ce souvenir des temps bravera les injures,
Et perçant au travers des âges entassés,
Ira dire aux races futures
Les exploits des siècles passés.

Ainsi le peuple roi devint le peuple esclave,
Le Français s’endormit sous une indigne entrave,[2]
Et ce cri de surprise, au bruit de sa valeur,
Qui réveillait jadis les échos de la France,
Ne fut plus qu’un cri de douleur ;

Mais que notre ennemi cesse en son arrogance
D’insulter à notre malheur,
Ou, de nos cœurs brûlans d’une héroïque ardeur,
Partirait un cri de vengeance.



  1. ……………………… Or a sword laid by
    Which eats into itself, and rusts ingloriously.
    Lord Byron.
  2. Celle des étrangers.