Les Étrennes d’un vampire

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anonyme
Les Étrennes d’un vampire : manuscrit trouvé au cimetière du Père Lachaise
Pillet jeune (p. 1-12).


LES ÉTRENNES
D’UN VAMPIRE

MANUSCRIT
TROUVÉ AU CIMETIÈRE
DU PÈRE LACHAISE


Séparateur


le Lecteur.

Comment, encore des Étrennes ?

l’Auteur.

Eh ! pourquoi pas ? le titre vous effraye ?

le Lecteur.

Ma foi, vous avez raison, le Vampire ! et vous ajoutez : manuscrit trouvé au cimetière du père Lachaise.

l’Auteur.

Vous n’ignorez pas qu’il faut tout sacrifier au titre de son ouvrage, et d’ailleurs le cimetière du père Lachaise renferme la dépouille mortelle de grands génies.

Air : Marche à l’immortalité.

Le tombeau de notre Virgile
S’y montre paré d’un laurier.
On verse des pleurs sur Delille ;
On s’arrête auprès d’un guerrier.
L’orgueil de la scène française,
Cher à nos cœurs, repose en ce séjour ;
Melpomène y pleure sans cesse
Auprès du tombeau de Raucour.

le Lecteur.

Vous avez raison ; mais dites-moi, n’allez-vous pas nous entretenir que des morts, en nous annonçant un livre chantant ?

l’Auteur.

Je tâcherai de remplir mon titre. D’ailleurs, je suis Français, et

Air : Vous l’entendez comme il proteste

Dans sa gaîté le Français puise
L’oubli même de sa douleur :
Chanter, c’est toute sa devise ;
Chanter, c’est là son seul bonheur.
En chantant il dit : Je vous aime ;
Il chante jusqu’à son tourment ;
Il fait des dettes en chantant,
Et parfois s’acquitte de même.

le Lecteur.

Vous êtes de votre pays : mais monsieur l’auteur, gare la chute.

l’Auteur.

Qui ne risque rien, n’a rien.

l’Auteur.
Air : Corneille nous fait etc.

Des auteurs que tout idolatre,
Lecteur, je n’ai pas les talens ;
On les voit briller au théâtre,
On admire leurs vers charmans.
Mon but aujourd’hui est de plaire ;
En composant cet à-propos,
Je ne voudrais, je suis sincère,
Obtenir que quelques bravos.

Vous voyez que mon ambition se borne à bien peu de chose.

le Lecteur.

Bien peu de chose ! Contez-vous pour rien le talent de plaire ? C’est tout ce qu’il faut ; mais on n’y arrive pas facilement, et le public est exigeant.

l’Auteur.

Il est souvent indulgent, cher lecteur ; il n’y a que manière de s’y prendre : d’ailleurs, en variant mon petit Livret de quelques couplets épigrammatiques, d’un couplet d’annonce, je ne doute nullement de son succès.

le Lecteur.

Vous êtes modeste, mais vous avez bien des imitateurs, car la modestie est pour l’auteur ce qu’est la coquetterie chez la femme.

l’Auteur.

Ah ! cher lecteur, ménagez les dames ; un auteur en a souvent bien besoin, et surtout à une première représentation.

Air : Femme voulez-vous éprouver.

Femme jolie a le pouvoir
De conjurer une cabale ;
Et sitôt qu’elle se fait voir,
On fait silence dans la salle.
Sitôt que sourit le bon ton
Dont un seul regard sait nous plaire,
Ce rire est l’approbation
Que va lui donner le parterre.

le Lecteur.

Comment, de la galanterie ! mais c’est charmant : les belles vous lirons, et vous saurons gré de les avoir flattées.

l’Auteur.

Eh ! cher lecteur, comment ne pas aimer les dames ?… la vie n’est qu’un passage, et comme disait Anacréon : sachons l’embellire. D’ailleurs, écoutez-moi !

Air : Alexandre Piccini.

Simple voyageur qu’un instant
Jeta sur cet heureux rivage,
Amis, envisageons gaîment
Et les écueils et les orages.
Pour guide prenons le plaisir,
Pour législateur Épicure ;
Tous ces vrais enfans du plaisir
Furent dictés par la nature.

Dans nos bosquets et dans nos champs
Les fleurs ne durent qu’une aurore ;
La jeunesse n’a qu’un printemps
Qui s’échappe plus vite encore.
Un instant peut changer le sort ;
Tout finit ; c’est l’ordre des choses :
Mais au moins pour charmer la mort,
Je l’étends sur un lit de roses.

Du prisme brillant du plaisir
Le doux éclat jamais ne blesse ;
Mais il sait encore embellir
Les beaux jours de notre vieillesse.
Je veux encore avec gaîté,
Quittant Comus et la folie
Dans les bras de la volupté
Doucement exhaler ma vie.

le Lecteur.

De mieux en mieux, monsieur l’auteur ; j’aime votre philosophie ; mais gare la vieillesse : on est pas toujours jeune et alors…

l’Auteur,

Alors, monsieur le lecteur.

Air : Quand l’Amour naquit à Cythère.

C’est pour consoler la vieillesse
Que Noé cultiva le vin ;
Le monde sut avec adresse
Conserver ce nectar divin.
De l’amour il nous dédommage,
Nous fait oublier le chagrin ;
Quand d’aimer on n’est plus en âge,
On se console avec le vin.

le Lecteur.

C’est le lait de la vieillesse, et souvent l’écueil de la sagesse ; mais, monsieur l’auteur : tant va la cruche à l’eau

l’Auteur,

Qu’à la fin elle se casse, a dit Beaumarchais.

le Lecteur.

Vous connaissez vos auteurs, je le vois, et vous savez que Labruyère a dit : le choix des pensées est invention. Mais changeons de conversation : dites-moi, vous allez entrer en lice avec bien des rivaux ; car vous savez que chaque année il pleut des Chansonniers, et je crains bien que le vôtre ne retourne d’où il vient, pour n’en jamais sortir, ou qu’il n’aille faire un tour au cimetière du mont Parnasse.

l’Auteur,

Au moins, il sera en société.

le Lecteur.

Vous avez raison, car jamais on ne vit tant d’auteurs que cette année.

l’Auteur,

Que voulez-vous, tout le monde s’en mêle ; chacun barbouille du papier : On met les romans en pièces, et les pièces, en romans. Écoutez :

Air connu.

Plus d’un barbouilleur de papier
Qui du soir au matin rimaille,
Imite assez le savetier
Qui sur le vieux toujours travaille
Dans des pièces et des morceaux
Il cherche de vieilles richesses
Des pièces ils font des morceaux
Et des morceaux ils font des pièces.

le Lecteur.

C’est un peu méchant, monsieur l’auteur ; d’ailleurs, ignorez-vous que la littérature est un champ moissonné où nos sublimes auteurs n’ont rien laisser à glaner.

l’Auteur,

Oubliez-vous que nous en avons encore que le bon goût admiré ? Marie-Stuard, Louis IX, les Vêpres Siciliènes, Agamennon, sont l’orgueil de notre siècle…

le Lecteur.

En Tragédies, cher auteur ; mais, en Comédies ?…

l’Auteur,

En Comédie… Andrieux, Duval, et l’infatigable Picard, dont la verve est toujours fraîche.

Air : Dans son paradis.

Dans le monde il fit son entrée
Par des succès assez jolis ;
Thalie était veuve éplorée,
Picard lui donna trois maris.
Un jour on dit que de la France
Momus avait été banni ;
Picard s’échappe en diligence,
Va le rattraper à Joigny.

le Lecteur.

J’aime à vous voir rendre justice au mérite, cela prouve votre sagacité et votre impartialité.

l’Auteur,

On doit rendre à César ce qui appartient à César ; chacun son compte, ce n’est pas de trop.

le Lecteur.

Vous avez raison, mais le siècle où nous sommes, vous n’ignorez pas qu’on ne cherche qu’à se tromper mutuellement ; car enfin :

Les femmes trompent leurs amans
Le marchand trompe la pratique ;
L’ouvrier trompe à tous momens
Jusqu’au maître de la boutique
L’homme du jour trompe sans fin
Même en faisant le bon apôtre,
Et la moitié du monde enfin
S’occupe même à tromper l’autre.

air : Depuis trente ans avec vaillance.

Dans ce monde où chacun voyage
Ignorant les goûts, les erreurs,

Que de gens ne savent, je gage,
Qu’il existe des mauvais cœurs.
On ne sait pas que la sottise
A partout la place d’honneur,
Souvent l’indécence est assise
Tout à côté de la pudeur.

l’Auteur.

Vous connaissez le monde, monsieur le lecteur.

le Lecteur.

Comme a dit l’inimitable Racine : Nourri dans le Sérail, j’en connais les détours. Mais cependant, ne vous découragez pas, monsieur l’auteur, et, aussi ressouvenez-vous que.

Air : Vous m’entendez, mes chers enfans.

Où l’auteur croyait un succès,
Souvent il a trouvé la chute ;
On voudrait gagner un procès,
On le perd et l’on vous rebute,
Quand on compte sur un bonheur
Vient un revers qui nous chagrine ;
C’est en croyant cueillir la fleur,
Qu’on rencontre souvent l’épine.

l’Auteur,

Vous avez raison ; mais aussi la chance par fois tourne, et l’auteur chante alors :

Air : Je suis Français, mon pays avant tout.

Voilà donc comme dans la vie
On est souvent surpris par le bonheur
Et que d’une route fleurie,
Naît un plaisir plein de douceur.
Pauvres mortels que la fortune abuse
À ses décrets soyez toujours soumis,
D’un vain espoir trop souvent elle amuse
Mais bravez-la vous serez ses amis,

le Lecteur.

C’est bien prendre son parti, et même sa revanche.

l’Auteur.

Dans notre état l’on doit s’attendre à tout, et si l’auteur ne craignait pas de chute, il n’éprouverait aucun plaisir du succès, et comme je disais dernièrement à ma jeune amie.

Air connu.

Pour rendre mon bonheur extrême
Laisse-moi long-tems désirer ;
Car au sein d’un bonheur suprême ;
On aime encore à soupirer.

On sait que les métamorphoses
Sont les premiers biens des amours,
On aimerait pas tant les roses,
Si le printems durait toujours.

D’ailleurs, cher lecteur, je vais livrer mes petites étrennes au public ; quand à vous, je vous la souhaite bonne et heureuse, et vais faire mes excuses au public.

Air : Je suis Français mon pays. etc.

L’auteur en offrant cet ouvrage,
Ne voudrait que vous amuser ;
Accordez lui votre suffrage ;
Et daignez donc le lui prouver ;
Pour le juger, ne soyez point sévères,
Par l’indulgence laissez-vous guider,
Et désormais plus jaloux de vous plaire,
Il saura mieux le mériter


FIN.