Les Îles de la Madeleine et les Madelinots/Texte entier

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LES ÎLES DE LA MADELEINE
ET LES MADELINOTS

Droits réservés 1926. — Enregistré sous le No 6335.
PAUL HUBERT
Les Îles de la Madeleine
et les Madelinots
RIMOUSKI
IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE RIMOUSKI
1926
À MON PÈRE
qui m’apprit à aimer mon pays ;
À MA MÈRE
qui m’apprit à aimer le bon Dieu.

. . . . .

« Interrogez les générations anciennes, consultez avec soin la mémoire de vos pères, et eux-mêmes vous instruiront. » (Job VIII)

« Hâtons-nous de raconter ce qu’étaient les coutumes, les travaux, les vertus de nos pères, avant que les innovations du progrès moderne ne les aient fait entièrement disparaître. »

(Philippe Aubert de Gaspé.)

. . . . .

. . . . .

INTRODUCTION

Élevé dans l’amour de ma patrie, je m’attendrissais tellement aux récits de ma grand’mère et de mon père que j’aurais passé les nuits à écouter leurs histoires… d’en premier. Le culte des aïeux s’établit ainsi en moi dès la plus tendre enfance. Quand ma grand’mère restait embarrassée par ma curiosité enfantine et mes trop nombreuses questions, je tourmentais mon père et lui faisais conter les mêmes événements pour la centième fois, voir s’il n’ajouterait quelques détails inédits.

Tout le passé de mes Îles défilait ainsi en un tableau sous mes yeux ébahis : les expéditions de pêche, les inquiétudes cuisantes des épouses, les espoirs des absents trop souvent déçus, la joie exubérante du retour, les sinistres naufrages, les deuils fréquents, les fêtes intimes de familles, les corvées pour fouler l’étoffe du métier puis les folichonnes veillées de jeunesse, les danses toujours honnêtes en ce temps-là, les frolics, les noces, les méthodes rudimentaires de labourage et de pâturage, les manières simples de se vêtir confortablement et économiquement, les misères de l’hivernement qui donnaient lieu à l’exercice de cette charité digne des premiers chrétiens, et que d’autres sujets ont rendu mon âme sensible et mon cœur débordant d’amour pour mes chers compatriotes-insulaires.

À la petite école, je cherchai dans mes livres, mais en vain, quelques mots de mon île enchanteresse. Plus tard, dans l’histoire du Canada du Révérend Père Bourgeois, des Pères de Sainte-Croix, je trouvai un paragraphe, un tout petit paragraphe que je dévorai. Il me laissa dans un vague indéfini, mais éveilla et développa ma juvénile curiosité historique. J’y lus tout ce qui concernait l’Acadie et ses malheureux enfants, je le fis lire à mon père… Nous nous entretînmes souvent le soir de toutes ces choses si émotionnantes. À l’École Normale, d’autres livres qui me tombèrent entre les mains élargirent mon horizon. Je me passionnai de plus en plus pour l’histoire de l’Acadie. J’empilai livre sur livre : tout ce qui était écrit, tout ce qui s’écrivait. Mais de mes Îles, hélas ! pas grand’chose. Un jour, j’eus la bonne fortune de dénicher, au fond de la bibliothèque, les Promenades dans le Golfe de Faucher de Saint-Maurice. Ce fut pour moi une véritable révélation. Dès ce jour, j’entassai notes sur notes. Un ami me prêta The Heart of Gaspé de John M. Clarke ; j’y trouvai tout un long chapitre sur l’archipel de la Madeleine. Une phrase me frappa et blessa profondément ma fierté nationale de Madelinot : « Leur histoire intime n’a jamais été écrite et il n’y a peut-être pas de raison sérieuse pour qu’elle le soit. » Avec une inlassable persévérance, je continuai mes fouilles et recherches pour pénétrer l’inconnu de cette histoire et contrôler la valeur de cette affirmation stupéfiante. Plus je l’étudiai, plus je la trouvai digne d’être connue. Avec l’agrément du curé du Havre-Aubert, M. l’abbé Gallant, je pus à loisir compulser les vieux registres des Îles. Mille questions surgirent que je ne pus résoudre. À Ottawa, grâce à l’amabilité de messieurs Francis-J. Audet, Placide Gaudet et d’Aigle, j’exhumai de la poussière tout ce que nos précieuses archives canadiennes renferment sur les Îles de la Madeleine. Plus je cherchais et plus il se posait de nouvelles questions dans mon esprit. À Québec, le bon Mgr Lindsay m’aida à dépouiller les archives de l’archevêché. Je fouillai de même celles du Parlement. Je trouvai une foule de documents de première valeur. Mes cartables étaient déjà bien remplis. Je me mis en frais d’extraire quelques pages d’histoire de toute cette pile de documents. J’écrivis des pages et des pages, y consacrant mes veilles et mes loisirs. Mais je m’aperçus qu’il m’en manquait plus que je n’en avais. Je consultai la tradition orale, j’adressai lettres sur lettres, je fis des voyages spéciaux, enfin, je croyais posséder tout ce qui avait été dit sur les Îles de la Madeleine quand je rencontrai, par un heureux hasard, le révérend Père René-M. Kerdelhué, missionnaire eudiste à Riv. St-Jean et à la Pointe-aux-Esquimaux, de 1906 à 1918. Il me mit sur la piste de nouvelles informations et même m’en fournit un grand nombre qu’il avait obtenues de M. Placide Vigneau pendant son séjour sur la Côte-Nord. Me voilà en relation avec M. Vigneau, mon parent et compatriote émigré là depuis de longues années, qui me permet, dans la mesure du possible, de compléter ma documentation. Il me serait difficile d’énumérer tous ceux qui m’ont aidé dans ce travail et de leur exprimer avec assez de force toute ma gratitude ; à eux tous mille remerciements et une éternelle reconnaissance.

Ces recherches et ces études que je faisais d’abord pour mon seul plaisir ont développé chez moi le sens patriotique. Croyant que mes compatriotes les accueilleraient peut-être avec bienveillance, j’ai osé réunir ces feuilles éparses, les classer en un volume et les leur offrir avec confiance.

Me voici donc devant le public.

Lecteur, sois indulgent…

Il sera facile de trouver des lacunes dans ce livre ; par exemple, pour me conformer à la technique des travaux historiques, j’aurais dû indiquer scrupuleusement toutes mes références au bas de chaque page, mais je ne l’ai pas voulu ; je n’ai pas la naïve prétention de faire couronner mes œuvres… par la célèbre et docte Académie Française. J’en demande pardon aux chercheurs et aux érudits qui auront l’héroïque patience de me lire jusqu’au bout. Qu’ils soient cependant pleinement rassurés sur mon honnêteté littéraire : j’ai la fière prétention, et j’y serai fidèle, de ne rien affirmer qui ne s’appuie sur des documents authentiques et irrécusables

Les vieilles barbes grises des Îles ne manqueront pas de me demander pourquoi je n’ai pas parlé de ceci, pourquoi j’ai négligé cela… Les innombrables piles de notes et de documents, plus intimes, plus légendaires, que je possède encore et que je conserve religieusement, pourraient former d’autres volumes moins sévères et moins austères, moins strictement historiques. Au public à trancher la question ; j’attends respectueusement ses ordres…

Puisse donc mon humble travail ne point être stérile et donner à mes compatriotes, où qu’ils soient, plus de fierté de race, si possible ; les encourager à persévérer, comme leurs héroïques ancêtres, dans les sentiers de la vertu et de l’honneur et leur aider à conserver à nos Îles ce cachet tout spécial qui les caractérise et leur donne une atmosphère de légende et de vétusté.

L’Auteur.

L’ARCHIPEL DE LA MADELEINE

Aperçu géographique

Au nombre de douze, ces îles sont jetées au milieu du golfe Saint-Laurent comme une constellation tombée un jour du firmament. Quelques-unes, avec leurs effilochures de sable, ressemblent à des comètes à grand’queue. Elles émergent d’un vaste plateau sous-marin qui, à découvert, formerait une île deux cents fois plus étendue que l’archipel actuel et engloberait, non seulement toutes les îles, mais tous les récifs invisibles et les rochers d’alentour. (J. M. Clarke). Si nous osons remonter, par l’imagination, à des milliers d’années en arrière, nous voyons que la section appalachienne était ininterrompue jusqu’aux Îles de la Madeleine et que la vaste échancrure qui, du Cap-Breton à la Gaspésie, forme une grande partie du golfe Saint-Laurent, était alors une immense plaine de même formation que les Provinces Maritimes et les lambeaux qu’elle nous a laissés en témoignage : l’Île du Prince-Édouard et les Îles de la Madeleine. Celles-ci sont faites de roches éruptives et de grès. Leur physionomie mamelonnée est le témoin de l’action du volcanisme qui est manifeste dans tout le système des Alléghanys-Appalaches. Les géologues qui ont pris la peine d’aller y faire des études disent que ces îles furent soustraites à l’action glaciaire. Plus catégorique et plus positif que ses prédécesseurs, M. John M. Clarke dit : « le sol de ces Îles est essentiellement un résidu ; elles n’ont jamais été soumises à l’action glaciaire. » M. James Walter Goldthwait, seul, d’un avis contraire, affirme qu’il a trouvé des stries glaciaires sur plusieurs roches au Havre-Aubert, à la Pointe-Basse et à la Grande-Entrée, et il conclut que les Îles de la Madeleine n’auraient point été exemptes du travail d’érosion des énormes banquises de glace qui rongèrent les Laurentides et couvrirent toutes les Provinces Maritimes, depuis le Cap-Breton jusqu’à la Gaspésie. La question n’est donc pas définitivement réglée. Ce sujet étant bien au-dessus de nos connaissances actuelles, je laisse aux savants géologues le soin de l’approfondir et de le résoudre. Ce que je vais raconter de mes Îles se passe bien longtemps après la période glaciaire et lui est bien étranger.

Ce qui paraît acquis à la science cependant, c’est que les Îles ont émergé de 100 à 125 pieds (Chalmers) ; qu’elles étaient beaucoup plus étendues qu’actuellement ; que la mer les a rongées, les a tranchées, les a séparées pour les unir ensuite de leurs restes pulvérisés : les dunes ; que Neptune, poursuivant son travail titanesque avec une patience inlassable, réussira à limer jusqu’au dernier cap, jusqu’à la dernière pierre, jusqu’à la dernière motte de grès et fera de cet « archipel égéen » un lieu de désolation chaotique, une seconde île de sable. Mais en basant son calcul sur la durée d’une vie d’homme, on trouve qu’il faudrait encore 5,417 ans pour achever ce travail. Donc, en paix, chers Madelinots.

L’archipel de la Madeleine affecte quelque peu la forme d’une clef ou d’un hameçon placé dans la direction nord-est sud-ouest, en travers des courants dans la route que suivent tous les navires qui pénètrent dans le golfe Saint-Laurent, par le détroit de Cabot, pour remonter le fleuve. La pointe de l’Ouest est à 54 milles de la pointe de l’est de l’Île du Prince-Édouard, à 150 milles de Gaspé, à 100 milles de la Nouvelle-Écosse et à 120 milles au sud de la pointe de l’est de l’île d’Anticosti ; la pointe de l’Est est à environ 45 milles du Cap-Nord sur le Cap-Breton et à 96 milles du Cap-Ray, Terre-Neuve.

PRÉ-HISTOIRE

Le jour où des navigateurs pénétrèrent dans le golfe Saint-Laurent, il leur fut impossible de ne pas s’émerveiller à la vue de ce splendide archipel. Des mariniers rapportent qu’ayant navigué plusieurs jours dans le golfe et se croyant bien loin au vent, ils furent tout surpris de se réveiller un beau jour échoués sur les battures de ces îles : un courant centripète ou quelque fée les attirant insensiblement vers ces rivages.

Depuis quand ces îles sont-elles connues et habitées ? Voilà une question que beaucoup d’auteurs se sont souventes fois posée, sans pourtant la trancher définitivement. Sans prétention de mieux faire, je condenserai ici pour l’instruction et l’édification de mes compatriotes tout ce qu’ont écrit depuis le seizième siècle, les explorateurs et aventuriers les plus en renom.

Longtemps avant Jacques Cartier, des flottilles de pêcheurs avaient visité les côtes du golfe. Les Bretons, les Basques et les Normands, toujours en quête d’entreprises audacieuses, découvrent les bancs de Terre-Neuve vers 1500 et sont les premiers à s’installer sur les Îles et dans les havres du Golfe.

Les Scandinaves qui de très bonne heure, même vers l’an 1000, connaissaient déjà une partie des côtes de notre continent, ont-ils pénétré dans la grande baye de Saint-Laurent ? C’est peu probable, car ils auraient évidemment fondé des établissements dont les vestiges eussent été repérés plus tard. Cependant le Dr Storn assure que les Scandinaves franchirent le détroit, pénétrèrent dans le golfe et essayèrent d’y fonder un établissement ; et pour appuyer cette opinion on a prétendu que les prairies naturelles trouvées par Cartier sur l’île Brion provenaient d’une culture antérieure. L’illustre Malouin parle en effet de prairies, de campagnes pleines de froment sauvage et de pois, qui semblent avoir été semées par des laboureurs.

JACQUES CARTIER
1534-1536

Ayant visité sur des barques toute la rive nord du golfe jusqu’à Chicatica, Cartier alla reprendre ses vaisseaux au port de Brest, (Bonne-Espérance, une trentaine de milles à l’ouest de Blanc-Sablon), côtoya l’île de Terre-Neuve où il essuya au large de la Baie Saint-Georges une tourmente de vents contraires, qui dura six jours et lui fit perdre toute connaissance de terre, « jucques audit jour saint Jehan, que nous eumes congnoissance d’vng cap de terre, (C. Anguille) qui nous demouroit au suest… Et celuy jour fist bruimes et mauvais temps, et ne peumes approcher de ladite terre ; et pour ce que s’estoit le jour monseigneur saint Jehan, le nommames le cap sainct Jehan.

« Le lendemain, XXVe jour, (de juin) fist aussi mauvais temps, obscur et venteux ; et fymes courrir à ouaist nourouaist partie du jour, et le soir, nous mysmes en travers, jucques au segond quart, (minuit) que apparoillames ; et lors, par nostre esme, (estime) estions au norouaist, vng quart d’ouaist, dudit cap sainct Jehan dix-sept lieues et demye. Et lors que appareillames, le vent estoit norouaist, et fymes courrir au surouaist quinze lieues, et vynmes trouver trois isles, (les Îles aux Oiseaux) dont y en avoit deux petittes et acorez comme murailles, tellement que possible n’est de monter dessurs ; entre lesquelles y a vng petit forillon. Icelles isles estoient aussi plaines de ouaiseaux que vng pré de herbe, qui heirent au dedans d’icelles isles ; dont la plus-grande estoit plaine de margaulx, qui sont blancs, et plus-grans que ouays. Et en l’autre y en avoit paroillement, en vne partie quantité d’elle, et en l’autre, plaine de godez. Et au bas y avoit paroillement desdits godez, et des grans apponatz, qui sont paroilz de ceulx de l’isle, dont est cy davant faict mencion. Nous descendismes au bas de la plus petite, et tuames de godez et de apponatz, plus de mille, et en prinmes, en noz barques, ce que nous en vouillinmes. L’on y eust chargé, en vne heure trante icelles barques. Nous nommames icelles isles, isles de Margaulx. À cinq lieues desdites isles estoit l’autre isle, (Brion à dix milles et trois quarts vers l’ouest) à ouaist d’elles, qui a environ deux lieues de long et autant de leise, (guère plus de quatre milles de longueur par un de largeur). Nous y fumes posez pour la nuyt, pour avoir des eaux et du bouays à feu. Icelle isle est rangée de sablons, et beau fons, et possaige à l’antour d’elle à seix et à sept brassez. Cestedite Ille est la meilleure terre que nous ayons veu, car vng arpant d’icelle terre vault mielx que toute la Terre Neufve. Nous la trouvames plaine de beaulx arbres, prairies, champs de blé sauvaige, et de poys en fleurs, aussi espès et aussi beaulx, que je vis oncques en Bretaigne, queulx sembloict y avoir esté semé par laboureux. Il y a force grouaiseliers, frassiers et rossez de Provins, persil, et aultres bonnes erbes, de grant odeur.[1]

« Il luy a entour icelle ille, plusieurs grandes bestez, conme grans beuffz, quelles ont deux dans en la gueulle, conme dans d’olifant, qui vont en la mer. De quelles, y en avoict vne, qui dormoict à terre, à la rive de l’eau, et allames o nos barcques, pour la cuydez prandre ; mais incontinant que fumes auprès d’elle, elle se gecta en la mer. Nous y vimes paroillement des ours et des renars. Cette ille fut nommée l’ille de Bryon[2]. Aux environ d’icelles illes, y a de grandes marées, qui portent comme suest et norouaist. Je présume mielx que aultrement, à ce que j’ay veu, qu’il luy aict aulcun passaige entre la Terre Neuffve et la terre des Bretons[3]. Sy ainsi estoict, se seroict vne grande abréviacion, tant pour le temps, que pour le chemyn, si se treuve parfection en ce voyage[4]. À quatre lieues de ladite ille, il luy a la terre ferme à ouaist surouaist, la quelle paroit conme vne ille, avironnée d’isles de sablons[5]. Il luy a vng beau cap, que nommames cap du Daulplin[6], pour ce que c’est le commancement des bonnes terres.

« Le XXVIIe dudit moys de juin, nous rangeames ladite terre, qui gist est nordest et ouaist surouaist, et semble de loing que se soinct butterolles de sables, pour ce que ce sont terres basses et araineuses. Nous ne pumes allez ny dessandre à icelles, pour ce que le vent en venoict, et les rangeames celluy jour environ quinze lieues. »

Cartier veut parler de la dune du nord qui est basse et semée de ce que les habitants appellent buttereaux et qui sont des buttes de sable. Les battures s’étendent à quelques arpents du rivage et, à cause des vents forts des jours précédents, la mer était trop mauvaise pour permettre à Cartier d’atterrir.

« Le landemain, (dimanche, 28 juin) rangeames icelle terre, (la Pointe-au-Loup) environ X lieues, jusques à vng cap de terre rouge, qui est vng cap rongné, au dedans duquel il y a vne ancze, qui s’abat au nort, et poys sonme. Il luy a vng sillon de perroy, qui est entre la mer et vng estanc. D’icelluy cap de terre et estanc à vng aultre cap de terre, y a environ quatre lieues. Ce faict la terre en demy cercle, et tout rangé de sablons, faictz comme vng fossé ; par sur lequel et oultre yceluy, y a comme manière de marestz et estancqz, tant comme l’on peult voirs. Et auparavant arivez au premier cap, y a deux petittez illes, assez près de terre. Et à cinq lieues dudit second cap, y a vne ille au surouaist, qui est moult haulte et pointue, qui par nous fut nommée Allezay. Le premier cap fut nommé le cap saint Pierre, pour ce que le jour dudit sainct y arrivames.

« Dempuix ladite ille de Bryon jusques audit lieu, y a beau fons de sablon, et certaine sonde, qui asoumist conme l’on aproche de terre, égallement. À cinq lieues de terre, y a vingt cinq brasses, et à vne lieue, doze brassez ; bort à terre, seix brassez, et partout beau fons. Et pour ce que voullions abvoir plus emple congnoissance dudit parroige, mismes les voilles bas et en travers. »

Dans la description de Cartier ne reconnaît-on pas le pays qui s’étend de l’Étang-du-Nord à la Pointe-de-l’Ouest ? Cet étang, ce pays bas, ce demi-cercle de sablons et de marais, ne les voit-on pas encore aujourd’hui, quand on fait en voiture, à mer basse, le trajet de l’Étang-du-Nord à la Pointe-de-l’Ouest ? L’étang qu’il voit par-dessus la rangée de sablons, c’est le Havre-aux-Basques ; et ces deux petites îles, c’est l’Île-aux-Goélands avec une sœur disparue ; et cette troisième « moult haulte et pointue », c’est le Corps-Mort dans sa lugubre physionomie[7]. Saint-Pierre a laissé le cap de terre rouge pour étendre sa sollicitude à toute l’île et en faire la paroisse de Saint-Pierre-de-l’Étang-du-Nord.

Au retour de son second voyage, vers la fin du mois de mai, Cartier revit les Îles. Étant à l’Île-aux-Lièvres le dix-sept mai, il fut assailli dans la nuit par un coup de vent de nord-est qui le repoussa jusqu’à l’Île-aux-Coudres où il demeura cinq jours. Puis, le vent étant bon, il se remit en route et passa entre l’isle de l’Assomption (Anticosti) et le cap Honguedo. (Gaspé) « lequel passaige n’avoyt pas cy devant esté descouvert… Et pource que le vent estoit convenable et bon à plaisir, fisme porter le jour et la nuyt. Et le landemain (24 mai) vinsmes querir au corps l’isle de Bryon, ce que voullyons faire, pour l’abrégé de nostre chemyn. » Il voulait essayer de passer entre le Cap-Breton et Terre-Neuve.

« Le jeudi, XXVe jour dudict moys, jour et feste de l’Ascention Nostre Seigneur, nous traversames à vne terre et sillon de basses araynes, qui demeurent au surouaist de ladicte ysle de Bryon, envyron huict lieues, par sus lesquelles y a de grosses terres, plaines d’arbres. Et y a vne mer enclose[8], dont n’avons veu aucune entrée ny ouverture, par où entrer en icelle mer. Et le vendredi, XXVIe, parce que le vent chargeoit à la couste, retournames à ladicte ysle de Brion, où fumes jusques au premier jour de juing. Et vinmes querir vne terre haulte, qui demeure au suest de ladicte ysle, qui nous apparessoit estre vne ille ; et la rangames environ vingt deux lieues et demye. Faisant lequel chemin, eusmes congnoissance de troys aultres ysles qui demouroient vers les araines ; et pareillement lesdictes araines estre ille, et ladicte terre, qui est terre haulte et vnye, estre terre certaine[9] ».

Ces trois autres îles que Cartier aperçoit quand il vient à dépasser la Pointe-de-l’Est, faisant route vers le Cap-Breton, ce sont les îles du Havre, de l’Étang-du-Nord, et du Havre-aux-Maisons.

Voilà tout ce que le grand navigateur Jacques Cartier dit des Îles de la Magdeleine. J’ai tenu à le citer en entier par curiosité, parce que c’est le premier écrit où il est fait mention de ce petit coin de terre. Cartier est-il le premier Européen à mettre les pieds sur nos Îles ? C’est plus que très probable, c’est même certain, d’une certitude relative, toutefois, comme le sont toutes ces histoires enveloppées de mystère et de suppositions.

LES PREMIERS ÉTABLISSEMENTS

Quarante ans plus tard, nous y trouvons des Français et des Sauvages. Quand Cartier eut publié le récit de son premier voyage, les Basques et les Normands poussèrent leurs entreprises jusqu’à ces îles où il y a « grandes bêtes comme grands bœufs. » Les Micmacs y passaient la belle saison ; les Français les y trouvèrent, se les associèrent par quelques présents et les employèrent pour charger leurs bâtiments d’huiles et de peaux. Ils leur donnaient rendez-vous pour la saison suivante et chacun regagnait sa patrie. Flattés de ces relations et du bénéfice qu’ils en retiraient, les Micmacs augmentaient leur nombre chaque année, en entraînant quelques frères dans ces équipés industrielles, où se scella la solide et fidèle amitié franco-micmac. Je ne crois pas qu’il y eut des Sauvages sur les Îles au passage de Cartier, car il en aurait eu connaissance. Ces grands aventuriers de Sauvages ne devaient pas cependant ignorer l’archipel.

Il y avait donc bien des années que Français et Micmacs chassaient le loup-marin et tuaient la vache-marine, quand en 1591 une expédition fut organisée par Monsieur de la Court Pré Ravillon et Grand Pré, afin d’aller à la découverte de l’Île Ramea, (îles ramées, c’-à-d. réunies les unes aux autres par des dunes de sable.) avec un vaisseau appelé le Bonaventure, pour faire de l’huile « avec des bêtes qu’on nomme Morses et qui ont de grandes dents ».[10] J’ai lu en plus d’un auteur que le nom de Ramea fut donné aux Îles par Champlain. Ce doit être une erreur, puisque Champlain lui-même apprit l’existence et le nom de cette île dans les relations de cette première expédition. D’où vient donc ce nom de Ramea ? Au retour de leurs voyages de pêche, les Bretons et les Normands devaient en faire le récit avec chaleur et enthousiasme, Ramea provient très probablement de ce chef, mais comme ces hardis marins n’ont laissé aucune relation écrite, il est difficile de préciser vers quel temps notre archipel fut ainsi baptisé. Ce qui est absolument certain, c’est que ce fut avant 1591.

Le capitaine de l’expédition de 1591 ne nous a pas laissé son nom. Il semble avoir séjourné assez longtemps dans l’archipel, car il fait une description détaillée des îles, des havres pour l’entrée desquels il donne des conseils et des règles aux marins futurs. Il appelle le Rocher-aux-Oiseaux l’Île Aponas, sans doute parce que Cartier avait mentionné une grande quantité « d’apponats » sur ces îles. À un endroit qu’il appelle l’Île Blanche — l’Île d’Entrée, je crois — il tua quinze cents morses ou vaches-marines.

Alléchés par les récits de ces entreprises fructueuses, les Anglais se lancent bien vite sur la trace de leurs voisins. En 1593, un monsieur Hill de Redriffe équipe la Marigold qu’il met sous les ordres du capitaine Richard Strong et du premier officier Peter Langworth, tous deux d’Apsham. La Marigold sera accompagnée d’un autre vaisseau commandé par Georges Drake de Apsham également. Ils doivent se rendre à une île, dans le détroit de Saint-Pierre, dépassé Terre-Neuve vers l’ouest, au 47e de latitude. Les Bretons de Saint-Malo la nomment Île de Ramea, mais les sauvages et les aborigènes du continent voisin l’appellent Mewquit.

À peine avaient-ils quitté Apsham qu’une tempête sépara les deux vaisseaux qui ne se revirent plus de la traversée. Georges Drake arriva le premier et trouva un navire de Saint-Malo presque chargé de morses. En apprenant que ce nouvel arrivé était un navire anglais, sous les ordres du capitaine Georges Drake, les Malouins furent si effrayés et déguerpirent si vite durant la nuit, qu’ils oublièrent vingt-trois hommes et trois chaloupes sur le rivage. À cette époque, les deux nations étaient en guerre, et les Anglais n’eurent rien de plus pressé que de saisir le butin abandonné et de faire les hommes prisonniers.

Ce fut le seul succès de leur voyage, car ils étaient arrivés trop tard pour tuer la vache-marine qui ne se prend qu’au début de l’été.

Cela se passait vraisemblablement à la Grande-Entrée. Richard, le chroniqueur de ce voyage, écrit que les deux havres des Îles sont accaparés par les Bretons de Saint-Malo et les Basques de Saint-Jean-de-Luz. L’autre havres est, je pense, le Havres-au-Basques, ce que nous verrons dans la suite.

Hakluyt dit que Drake fut le premier Anglais qui s’avança aussi loin dans le golfe Saint-Laurent, mais d’autre part, je trouve une lettre du 14 septembre 1591 de Thomas James de Bristol au Très Honorable Sir William Cecill Lord Burghley, lord haut Trésorier d’Angleterre, etc., concernant sa découverte de l’Île Ramea avec son navire le Pleasure. Il fait une brève description de l’île et parle des milliers de gros
Carte faite par M. de Meulles.
Intendant de la Nouvelle-France, 1686.

Croquis de l’entrée du St-Laurent.
Sans nom d’auteur, 1640 ou 1650.
poissons avec grosses dents et peau de buffle qui viennent sur les bancs de sable en avril, mai et juin, pour y faire leurs petits qu’ils ne laissent pas, lesquels ont une chair délicieuse comme celle du veau. Avec les intestins de cinq gros poissons semblables, on fait un tonneau d’huile si douce et propre à faire de si bon savon que le roi d’Espagne en couperait tous ses oliviers.

Donc, ce n’est pas Drake mais Thomas James qui le premier des Anglais s’aventura à l’intérieur du Golfe. Et cette expédition aurait coïncidé avec celle du capitaine inconnu sous la protection de Monsieur de la Court Pré Ravillon et Grand Pré. Cependant, ni l’un ni l’autre n’en font mention. Ils ne se sont donc pas rencontrés. Et c’est facile à expliquer. James donne des détails inconnus à l’autre : les vaches-marines atterrissent en avril, mai et juin. Il est donc arrivé là de très bonne heure, sur la fin du printemps, quand l’autre n’y est parvenu qu’au cours de l’été, alors que les petits sont devenus gros, car la croissance, comme chez le loup-marin, est très rapide. Mais ce qui est étrange, c’est que ni l’un ni l’autre ne mentionnent de Bretons ou de Basques. Il n’y en avait donc pas cet été là. Tous les deux cependant croient avoir découvert l’Île Ramea, mais si c’était une découverte pour eux, ce n’en était pas une au sens générique du mot : connaître ce qui était inconnu. Tous les deux n’auraient pas pu appliquer ainsi par simple hasard le mot Ramea à ce petit groupe d’îles. Affirmons donc sans crainte que l’Île de Ramea était connue avant 1591.

À leur insu, les Anglais et les Français commencèrent en cette année 1591 à se disputer les premiers pouces de terre qu’ils se donnent respectivement le mérite d’avoir découverts dans le nord de l’Amérique. Nous allons voir que la rencontre ne tardera pas à s’effectuer… Et notre archipel va être le théâtre des premiers conflits anglo-français dans cette portion du Nouveau-Monde.

Au printemps de 1597, Charles Leigh, équipant un navire et faisant voile vers l’Île de Ramea, y arriva le 18 juin. Il trouva une énorme quantité, une multitude de vaches-marines (Vaccæ Marinæ) sur toutes les îles, même sur les battures du Rocher-aux-Oiseaux.

Et aux environs de Brion, il y avait tant de morue qu’en une heure, avec quatre lignes seulement, ses hommes en pêchèrent 250 et un flétan si gros que leur barque ne put le contenir.

Le 19, il pénétra dans la havre de Halabolina (La Grande-Entrée) et, après y avoir ancré son navire, il envoya sa grosse chaloupe et douze matelots, sous les ordres du premier officier, inspecter le voisinage. Ils trouvèrent[11] quatre navires : deux de Saint-Malo en Bretagne et deux de Sibiburo, des parages de Saint-Jean-de-Luz. Ces Français voulurent se faire passer comme Espagnols. À cette nouvelle, Charles Leigh convoque à son bord les quatre capitaines français, mais seuls ceux de Saint-Malo s’y rendent. Leigh envoie chercher les deux autres et leur dit : « Nous ne vous ferons pas de mal, nous voulons être vos amis, mais par mesure de prudence nous vous prions de nous livrer vos munitions. » Les Français s’y refusèrent carrément ; froissés et humiliés, les Anglais répondirent : « Vous ne voulez pas ? Eh bien ! nous retirons notre amitié ; soyez nos ennemis ! »

Les deux capitaines malouins sont congédiés. Quelques heures après, une barque bien montée se présente à leur bord pour jeter les munitions à l’eau. Il s’en suit un combat à mains armées sur le pont des navires français. Les Anglais l’emportent et, malgré l’engagement solennel de ne pas toucher à autre chose qu’aux munitions, ils pillent, saccagent, enlèvent tout ce qu’ils trouvent. Informé de la déloyauté de ses subalternes, Leigh, scrupuleusement fidèle à la parole donnée, intervient et fait rendre aux Français tout ce qui leur a été enlevé, mais il apporte à son bord leurs armes et leurs munitions. Ayant quelques doutes sur la nationalité de ces étrangers, il leur dit : « Si vous êtes les sujets du Roi de France, vous ne perdrez pas un seul sou. » Mais son équipage n’était pas du même avis et il dut réprimer sévèrement une mutinerie qui éclata parmi ses gens qui voulaient à tout prix enlever un navire aux Français.

Ceux-ci s’organisèrent. Le lendemain, 20 juin, à la pointe du jour, au moins deux cents Français et Bretons et trois cents Sauvages étaient rangés en ordre de bataille sur le rivage, où ils avaient placé trois pièces de canons, et se préparaient activement au combat.

Tout à coup une vigoureuse décharge d’une centaine de coups de fusils part d’un petit bois et s’abat sur la tête des Anglais. Charles Leigh constate à ses dépens qu’il n’est pas seul à faire la loi : il hisse le pavillon blanc. Les Français lui demandent d’envoyer des émissaires pour s’entendre avec eux. Ralph Hill et quelques délégués arrivent bientôt sur la grève tumultueuse où ils sont faits prisonniers et gardés jusqu’à la restitution des munitions volées. Ce qui est exécuté sur le champ.

Les Français victorieux, en vertu des lois de la guerre, forment le projet de saisir le navire anglais et de faire passer un vilain quart d’heure à l’équipage, mais les Anglais, flairant anguille sous roche, prennent la fuite durant la nuit. Pour leur malheur et l’amusement des Français, le courant jette leur vaisseau sur la barre de sable qui garde l’entrée du havre, et ils ne s’arrachent qu’à grand’peine de ce mauvais pas, après avoir perdu une ancre, un câble, une chaloupe et laissé deux hommes prisonniers.

Voilà la première bataille et la première victoire des Français au Canada. Elle a lieu sept ans avant la fondation de l’Acadie, onze ans avant la fondation de Québec et douze avant le combat du Lac Champlain. Et c’est sur ce petit coin de terre perdu au milieu des brumes du golfe que s’ouvrit le long et douloureux drame qui devait se terminer 163 ans plus tard ; sur ce coin de terre où dans 200 ans viendront s’échouer les tristes épaves de la déportation acadienne.

Les Bretons et les Basques ont-ils continué leurs expéditions de pêche, les Anglais sont-ils revenus troubler ces rivages ? Rien ne nous l’apprend. Aucune relation de voyage ne parle des Îles avant Champlain qui les appelle Ramée-Brion et n’en dit pas plus long.

PREMIERS ESSAIS DE COLONISATION

Le premier propriétaire attitré de l’archipel fut Nicolas Denys qui reçut ses titres le 3 décembre 1653. On lit à l’entête : « Concession des Pays et Isles situées entre la grande Baye Saint-Laurent à commencer depuis le cap Canceaux jusqu’au cap des Rosiers. » (Archives de l’Acadie, p. 207 C. g. v. I.) Cet acte était passé entre la Compagnie de la Nouvelle-France et celle de Miscou et le Sieur Nicolas Denys. Celui-ci s’engagea à payer 15,000 livres et à « faire dans l’étendue des dits pays, terres, costes et isles à luy concédés, dans le temps et espace de six ans, au moins deux habitations de quarante familles chacune, françaises, catholiques, apostoliques et romaines, ou une seule de quatre-vingt familles. ».

Sans considérations pour les droits de Denys, la Compagnie de la Nouvelle-France de concert avec celle de Miscou concéda les îles de la Madeleine et de Saint-Jean à François Doublet de Honfleur, le 19 janvier 1663.[12] Cette concession souleva une vive opposition de la part des armateurs bayonnais. Un sieur Pierre de Peyrelongue, bourgeois de Bayonne, exposait dans sa protestation qu’en 1659, ayant envoyé à l’île de la Madeleine un navire équipé de 18 hommes pour hiverner, il avait bâti des maisons dans l’île et il en avait joui paisiblement jusqu’alors. Il réclamait en conséquence le remboursement de ses frais et avances.[13]

En effet, quand le Sieur Doublet arriva dans l’île à la mi-mai 1663, il trouva une vingtaine de Basques qui y avaient hiverné avec le Sieur Dantès de Bayonne et « qui avoient bien réussy a la pesche des loups marins soubs la recommandation de M. Denis. Ils atendoient leur navire comandé par le capitaine Jean Sopite de Saint-Jean-de-Luz qui devoit leurs aporter des vivres et faire pendant l’esté sa pesche des morues et emporter leurs huilles qu’ils avoient faittes. »

Celui qui raconte ce fait est le fils de François Doublet, Jean, qui, n’étant âgé que de sept ans et trois mois, conçut le dessein de faire le voyage avec son père, se cacha « entre ponts dans une cabane » et se couvrit « pardessus la teste pour n’estre pas veu. » Quand le contre-maître, Jean L’Espoir, alla se coucher, il le trouva dans sa cabane et alla le porter à son père qui le gronda fort et lui dit qu’il le renverrait au pays s’il trouvait une occasion. Mais n’en trouvant pas, le petit Jean fit le voyage. C’est grâce à cette aventure du jeune mousse que je possède tous les détails de l’expédition du Sieur Doublet : la première tentative de colonisation aux Îles de la Madeleine[14].

Dès le commencement de l’été 1662, Doublet fut dépêché en Hollande pour acheter un navire et le matériel nécessaire à cette entreprise. Et, quand les lettres patentes arrivèrent, il était déjà prêt à partir avec deux navires : le Saint-Michel (400 tonneaux), sous son propre commandement, et le Grenadier (150 tonneaux) confié au capitaine Bérangier. L’armement de ses navires fut fait avec beaucoup de précautions. Outre les équipages, 25 hommes furent engagés pour hiverner et tuer les loups-marins au commencement du printemps. On apportait aussi « plusieurs outils de charpente et autres propres pour défricher les terres et pour travailler à la pesche des morues et des loups-marins. »

Fransçois Doublet était apothicaire à Honfleur. Âgé de cinquante ans, « se voyant un grand nombre d’enfants, restant encore seize bien vivants, et en état avec son épouse d’augmenter, n’ayant ensemble que médiocrement des biens en fonds et sa profession pour pouvoir élever une assez nombreuse famille, (il) se détermina de s’intéresser dans une grande entreprise d’une société avec des Messieurs de Paris et de Rouen, dans le dessein d’établir une colonie aux Îles de Brion et de Saint-Jean, dans la Baie de l’Acadie. » C’était un grand chrétien. Il voulut associer Dieu à son entreprise. Avant son départ, il fit célébrer une messe dans son navire à la jetée, en attendant la marée. Et en arrivant aux Îles de la Madeleine, « il fit planter une grande croix sur le plus haut cap de l’entrée du port, » tirer onze coups de canons, allumer un grand feu et chanter un Te Deum d’actions de grâces. Voilà le bel esprit religieux de nos Français du XVII siècle ! C’est le geste que font tous les découvreurs et tous les explorateurs français de cette époque. La croix est le point de repère qui retrace la marche de la civilisation à travers les régions sauvages et païennes du Nouveau-Monde.

Une étude comparée de la description de Jean Doublet et des premières cartes exactes qui furent dressées nous permet d’affirmer que le havre en question est le Havre-Aubert et que le cap sur lequel on planta une croix est le cap Shea.

On se mit à l’œuvre sans retard : on dressa quelques tentes pour l’été, on prépara les bateaux de pêche et les chaffauds pour faire sécher la morue, puis on examina « le lieu le plus à comodité proche de deux bayes où l’on peut plus abondament prendre les loups marins afin d’y faire des logements » pour l’hivernement. C’était à quelques milles du port du côté du Havre-aux-Basques, à l’Anse-du-Cap probablement. Pour y aller on pratiqua un chemin de dix-huit pieds de largeur. De ce côté-là de l’île, on voit à la fois le Bassin, qui était alors accessible aux navires et la baie de Plaisance ; ce qui fait dire à Doublet que l’habitation était proche de deux baies. C’est là que devait hiverner Philippe Gaignard, chirurgien, lieutenant de Doublet, avec les vingt-cinq hommes amenés dans ce but.

« Sur la fin de may arriva au port le navire du capitaine Sopite, » qui parut très surpris de voir ces gens ainsi établis. Doublet lui déclara que pour cette année, il l’autoriserait à faire la pêche à la morue seulement, qu’ensuite il devrait se retirer, à moins qu’il ne consente à donner un tiers des huiles faites durant l’hiver. Sopite ne s’en tint pas à cela ; il expédia son fils à Canseau rapporter cette nouvelle à Nicolas Denys. Ce dernier se transporta immédiatement aux Îles de la Madeleine, « usa de menaces et puis fit plusieurs protestations et procès-verbaux et s’il n’avoit esté beaucoup inférieur en force d’hommes on en seroit venu aux mains » ; mais Doublet lui « représenta qu’il falloit examiner les statuts d’un chacun et se rendre justice à qui aurait plus de fondement. » Le tout examiné, il fut convenu que les « gens basques qui hiverneroient donneroient le tiers de leurs huilles. » Denis s’en retourna, laissant son adversaire en paix. Mais la pêche ne fut pas merveilleuse parce qu’on avait perdu beaucoup de temps à s’installer, à choisir le lieu de la future habitation, etc., si bien que les deux navires n’avaient guère plus d’un tiers de charge. On s’encouragea toutefois pour l’année suivante à cause des huiles qu’on espérait faire au printemps. À la fin d’août on termina l’habitation, qui fut renchaussée et bien protégée contre les vents et le froid. Puis à la fin de septembre, le Saint-Michel et le Grenadier firent voile vers la France, laissant Gaignard et ses hommes dans la nouvelle habitation. Ils arrivèrent à Honfleur les derniers jours de décembre.

François Doublet nourrissait de grandes espérances. Il raconta son expédition avec enthousiasme et s’associa deux marchands de Rouen : François Gon, sieur de Quincé et Claude de Landemars. Puis il se mit en frais de rééquiper ses deux navires pour partir au commencement de mars 1664.

La traversée fut difficile et il n’atteignit les Îles de la Madeleine qu’à la mi-juin. Les pieds lui brûlaient d’arriver, afin de ne pas manquer de nouveau la saison de pêche et pour constater les succès que ses gens avaient eus à la chasse aux loups-marins. Il tira du canon pour annoncer son arrivée et saluer les insulaires, mais en approchant de la côte, il fut tout surpris de n’y voir aucun signe de vie. Ayant mis ses navires à l’ancre, il dépêcha deux hommes à l’habitation pour avertir Gaignard et lui dire qu’on apportait de bonnes choses de France. Mais les deux hommes trouvèrent l’habitation vide, les portes ouvertes et trois à quatre pieds de neige, accumulés par les vents d’hiver. Quels ne furent pas l’étonnement et la consternation du sieur Doublet en apprenant ce désastre. Que penser ? que dire ? Il n’y avait plus de Basques, non plus. On était en face de ruines irrémédiables dans les circonstances. Doublet crut donc sage de ramasser tout ce qui restait d’utile et d’abandonner cette entreprise « qui avoit donné lieu à de bonnes espérances. » Ne trouvant presque pas de morues, il résolut d’aller à l’Île Percé. Il y rencontra le capitaine Sopite qui lui expliqua l’énigme de la Madeleine. « Je suis passé avant vous aux Îles, je n’y ai rien trouvé, moi non plus. J’ai appris ici que vos gens passaient leur temps à jouer et à s’enivrer tous les jours, et, les provisions épuisées, ils pillèrent les Basques et tous s’embarquèrent sur leurs chaloupes de pêche pour monter à Québec. »

C’est ainsi que finit misérablement la belle entreprise du sieur François Doublet pour coloniser les Îles de la Madeleine, la perle du golfe.

* * *

Nicolas Denis n’a pas autant fait que Doublet pour le développement de l’archipel ; il n’a même pas essayé d’y établir une colonie. Il les visita néanmoins de temps en temps, car il prétendait qu’elles faisaient partie de ses immenses concessions. En 1671, revenant d’Europe, il en fait la description suivante :

« …De l’isle de Saint-Paul entrant vingt lieues dans la Grande Baye de Saint-Laurent, l’on trouve les Isles aux Oiseaux. Elles portent ce nom à cause du grand nombre qui s’y trouve et si les navires pescheurs qui entrent en cette baye ont beau temps en y passant, ils envoient leurs chaloupes qui s’y chargent d’œufs et d’oiseaux puis, passant le long des Isles Ramées qui sont sept toutes rangées le long de l’Isle du Cap-Breton à sept ou huit lieues au large,[15] il y a passage entre les deux[16] pour de grands vaisseaux. J’y ai passé avec un navire de 500 tonneaux que je menais à Miscou faire la pêche et porter des victuailles à mon habitation. Au bout des Isles Ramées est l’Isle de la Magdeleine[17] qui est bien plus grande que toutes les autres, il y a un petit havre pour des vaisseaux de 80 à 100 tonneaux, la pesche de la morue y est abondante, il s’y trouve aussi des loups marins ; les Anglais ont voulu y habiter déjà plusieurs fois d’où je les ay chassez, les Français estant en possession de ces lieux-là de temps immémorial et n’étant pas juste qu’ils nous viennent troubler dans nos concessions si anciennes, puisque nous les laissons jouir en paix de tant de nouvelles colonies qu’ils ont établies dans notre voisinage outre qu’ils ne permettent à aucun Français de faire pescherie, quelle qu’elle soit, en leur coste… »[18]

En l’été de 1685, la Compagnie de la Pesche Sédentaire de l’Acadie visita les Îles de la Madeleine, afin de se rendre compte des possibilités d’y établir une colonie et d’y pratiquer la tuerie des loups-marins. Puis elle en demanda la concession avec celles de Saint-Jean et du Cap-Breton pour un espace de vingt ans. Et dès le quinze de septembre de la même année, six Français et des Sauvages allèrent s’y mettre en état d’hivernement, afin de se trouver sur les lieux à l’époque où les loups-marins abondent sur les glaces autour des Îles. On devait faire cela tous les automnes et revenir au printemps dans les postes de l’Acadie pour la saison de pêche.

Obtint-elle la concession des Îles ? Aucun document ne le confirme. Mais au mois de mai 1686, les Îles de la Madeleine furent concédées à Gabriel Gauthier et à tous ses héritiers et successeurs, pour la tuerie des loups-marins. Cet acte est signé Louis et sur le repli Colbert.[19] Que fit Gauthier ? Rien. Il se contenta de visiter une fois les îles, n’entreprit aucune exploitation et en conséquence perdit ses droits qui passèrent au Comte de Saint-Pierre par lettres patentes du mois de janvier 1720[20] et du mois de mars 1722.

Le Comte de Saint-Pierre, premier écuyer de la Duchesse d’Orléans, obtint cette seigneurie « à titre de franc aleu noble, » avec le privilège de concéder des terres sans être tenu de payer aucune indemnité au Roi, mais s’engageant à « porter foi et hommage au Chateau de Louisbourg. »

Cette fois-ci, l’entreprise ne se borne pas uniquement à l’industrie de la pêche. On élabore un programme mirobolant pour peupler et développer rapidement toutes les îles de la Madeleine : le seigneur doit y faire passer cinquante personnes chaque année.

Ce sont les conditions imposées autrefois à Denis, mais, pas plus que Denis le Comte de Saint-Pierre ne se soucia de les mettre à exécution et, pour tenter de justifier son indolence ou son âpreté au gain, il prétendit qu’il n’y avait sur les Îles de la Madeleine ni port, ni assez de terre pour une habitation, et toute son industrie se concentra sur la pêche qui lui permettait plus promptement et plus sûrement de réaliser d’immenses profits. À cette époque, on croyait les Îles de la Madeleine beaucoup plus proches de l’Île Saint-Jean qu’elle ne le sont en réalité. Et pour cela, le Comte de Saint-Pierre obtint facilement le droit exclusif de pêche autour de ces îles et dans l’espace de mer qui les sépare ; il s’éleva de vives protestations de la part de tous les pêcheurs du Golfe. Les armateurs français prétendaient que la pêche sédentaire ne se faisait pas en goélettes et ne s’étendait qu’aux îles et battures adjacentes, c’est-à-dire à une lieue à la ronde et qu’on ne pouvait pas les empêcher de pêcher au-delà.

Le Comte de Saint-Pierre soutenait que cette protection lui était absolument nécessaire pour le dédommager des dépenses très considérables faites pour l’établissement de ces îles. Et en conséquence, il arma un brigantin pour chasser de ses eaux les pêcheurs de l’Île Royale et faire exécuter ses exorbitantes volontés. Mais dégouté d’une dispute où il avait tout à perdre, ne faisant pas ses frais, il avait abandonné les Îles en 1724 et ne s’y était plus montré. Le Conseil d’État, par un arrêté du 1er juin 1730 réunit cette seigneurie au domaine du Roi.

Et voilà comment les brillantes perspectives entrevues à l’arrivée du Comte de Saint-Pierre se sont toutes dissipées comme les nuages d’été, laissant la mer calme et le ciel pur autour de l’archipel.

Cette décision du Conseil d’État connue, de nouvelles demandes furent adressées à Sa Majesté. Une concession fut faite en 1731 ; en effet le 28 janvier 1732, Monsieur de Saint-Ovide, Gouverneur de Louisbourg, écrit au Ministre, le Comte de Maurepas : « Le Sieur Harenedé qui a pareillement obtenu un brevet de concession pour vingt ans des Îles de la Magdeleine, n’est point venu cette année, mais il a envoyé son frère pour préparer son entreprise, son Brevet a été enregistré au Conseil Supérieur. » (Série C. II vol. 12. 1732)

Le nouveau propriétaire n’est pas bien pressé de s’enrichir dans l’industrie des huiles, puisqu’il ne paraît pas encore en 1732. « Un commis qu’il avait y a seulement fait faire quelques huilles. »[21]

Cette ridicule manie d’obtenir des concessions importantes pour le seul plaisir d’être richissime propriétaire en Amérique ; ces projets flamboyants d’aujourd’hui qui demain sont abandonnés ; cette main-mise sur les sources de richesse du pays ; ce monopole passif et arbitraire ont toujours nui à l’intérêt général sans être avantageux aux particuliers. Au lieu de provoquer et de créer la vie, on l’étouffe avant de naître. Cette lenteur désespérante et cette criminelle inactivité exaspéraient beaucoup les armateurs français qui se trouvaient empêchés de tirer de leur industrie toutes les richesses qu’elles promettaient. Aussi s’adressaient-ils souvent aux autorités pour faire cesser ces abus criants et obtenir le champ large dans tout le golfe.

Monsieur Harenedé n’ayant point encore paru en 1734, on enleva les barrières et maints équipages s’abattirent sur les Îles comme des essaims d’abeilles dans un verger en fleurs. Il en vint même du Canada jusqu’où s’était répercuté l’écho des lamentations de la vache-marine surprise dans son échouerie. Les Sauvages de l’Île Saint-Jean qui s’y rendaient tous les étés furent très inquiétés par les Canadiens. Ces derniers, non contents de leur faire concurrence chez eux, se permirent d’enlever « neuf barriques de leurs huiles. » Nos paisibles Micmacs s’en plaignirent à Monsieur de Saint-Ovide qui promit d’envoyer un officier l’année suivante et de leur faire rendre justice[22].

De plus, le 10 mai 1735, le Roi permit au Sieur Claude Chenu Bois-Moris la tuerie des vaches et des loups-marins aux Îles de la Madeleine ; mais cet été-là le sieur Harenedé se reprend et vient passer la belle saison dans sa colonie[23].

Malgré son inconcevable indécision, le sieur Harenedé[24] est le premier seigneur qui ait tiré quelques bénéfices des Îles. Depuis son arrivée au pays, chaque printemps il s’y rend et ne retourne à Louisbourg qu’au mois d’octobre, avec une cargaison d’huiles. « Je souhaite, dit le Président de la marine à Monsieur LeNormant, que le succez que vous me marqués qu’il a eu dans cette tuerie puisse le mettre en estat de suivre son établissement avec plus de vigueur qu’il n’a fait jusqu’à présent[25]. »

Mais ses premiers succès ne répondent peut-être pas à ses espérances. Au lieu d’y mettre plus de vigueur, il abandonne tout, disparaît de la scène, et meurt en 1742.

Depuis 1730, le Gouverneur de l’Île Royale est tenu de surveiller cette pêche, de protéger les propriétaires, de faire exécuter les conditions de leur contrat et d’en rendre compte au Ministre de la Marine. Celui-ci sait donc à quoi s’en tenir sur la situation de la colonie et ne fera plus de concessions intempestives. À une lettre de Bigot (1742) recommandant le sieur Jouet, négociant de Louisbourg, pour un privilège de dix ans, aux Îles de la Madeleine, le Ministre répond que les frères Pascaud, négociants de la Rochelle, en ont déjà fait la demande qui vient de leur être accordée pour neuf années. Bigot n’en est pas faché : il répond qu’il fera tout ce qui dépendra de lui pour que les frères Pascaud tirent un meilleur parti de leur entreprise que ne l’a fait le sieur Harenedé[26].

C’est en 1734 que des Canadiens d’en bas de Québec s’étaient rendus pour la première fois jusqu’aux Îles et en avaient emporté de nombreux quarts d’huile. Encouragés par ces premiers succès, ils y revinrent chaque année, y fondèrent des établissements, s’y installèrent et finirent par y passer l’hiver. Quand les sieurs Pascaud y arrivèrent en 1743, ils trouvèrent une petite colonie assez turbulente d’abord, mais avec qui un arrangement à l’amiable leur permit de débuter avantageusement.[27] C’était bien le meilleur parti à prendre, car ces gens étaient là depuis des années, ils avaient acquis beaucoup d’expérience dans ce genre de pêche et en les utilisant les Pascaud assuraient le succès de leur entreprise.

La guerre de la succession d’Autriche, commencée par la France en 1744 et le siège de Louisbourg un an après interrompirent tous ces travaux, renvoyèrent les sieurs Pascaud en France et laissèrent champ libre aux Canadiens et aux Sauvages qui eurent grand succès, car ils s’y maintinrent et s’y multiplièrent à l’infini.

À la suite de la guerre Pascaud obtint une prolongation de neuf autres années avec un « privilège exclusif de faire seul la pêche et tuerie des vaches marines et des loups-marins sur les Îles de la Madeleine, et défense à toute personne de le faire pendant le dit temps, sous quelque prétexte que ce soit. Néanmoins, Sa Majesté entend que les Sauvages puissent continuer en toute liberté de faire la chasse et la pêche dans lesdites Îles. »[28] Cependant il ne reprit que mollement son commerce. Les Canadiens en profitèrent et firent des instances, par la voix du Marquis de Duquesne, afin d’obtenir la concession de ces Îles pour leurs bénéfices et liberté[29].

Mais presque à la même date, l’assassinat de Jumonville qui alluma la guerre des sept ans en Amérique, brisa ces perspectives de prospérité. Dès lors, le Canada s’organisa pour faire face à l’ennemi et tous les hommes disponibles furent appelés sous les armes. Les vaches-marines et les loups-marins purent se multiplier en paix et se livrer sans crainte à leur joyeux ébats sur leurs échoueries pendant que leurs redoutables adversaires vont généreusement verser leur sang pour Dieu et la patrie.

DOMINATION ANGLAISE

ÉTABLISSEMENT ACADIEN

Le drame de Grand-Pré était à peine consommé ; les armées formidables avaient tout juste descendu le majestueux fleuve, et le drapeau de France fermé son aile blanche ; la chasse barbare à l’Acadien n’était pas encore terminée dans les forêts et sur les rives de la Nouvelle-Écosse et de l’Île Saint-Jean, que déjà un Américain en herbe était rendu sur les Îles de la Madeleine pour y pratiquer la tuerie des vaches et des loups-marins et la pêche du homard. Après avoir établi un poste au Havre-Aubert, Richard Gridley[30] demanda, le 31 décembre 1762, la concession des Îles de la Madeleine aux Lords du Commerce qui ne se rendirent pas à sa prière, semble-t-il.

Quelques historiens prétendent que Gridley y amena les premières familles acadiennes qu’il avait embauchées à son service par d’alléchantes perspectives. Ce fait semble solidement confirmé par des documents officiels. Ainsi, dans un rapport du gouverneur Palliser de Terre-Neuve — dont dépendaient les Îles de la Madeleine depuis le traité de Paris — on voit que le 31 août 1765, 17 acadiens et 5 canadiens, engagés dans les pêcheries de M. Gridley, ont prêté le serment d’allégeance. De plus, dans la pétition des insulaires au gouverneur Sir James Kempt, il est affirmé que huit familles acadiennes y faisaient la pêche sédentaire dès l’année 1773, qu’elles y vécurent depuis et que deux d’entre elles faisaient partie des trois premières familles qui vinrent s’y établir bien avant cette date[31].

On sait qu’à partir de 1764 des groupes acadiens de l’Île Saint-Jean, de Chédabouctou, d’Halifax, etc., se rendirent à Saint-Pierre et Miquelon. Ce serait des familles de l’Île Saint-Jean qui auraient suivi Gridley et se seraient établies au Havre-Aubert. Trois des huit premières familles se fixèrent au Cap de l’Est, suivant la tradition orale qui répète encore leurs noms : Louis Thériault, Édouard Noël et Louis Snault dit Arseneault de Tignish.

Le Frère Marie-Victorin prétend avoir appris d’un vieux Madelinot que les cinq premières familles venues de l’Île Saint-Jean étaient celles de Louis Terrio, de Sylvère Yturbide, de Pierre-Marie Loiseau, d’Isaac Arseneault et d’un Poirier. Il y a confusion quelque part et je ne puis accepter cette version, car Yturbide et Loyseau sont des Français acadianisés à Miquelon et transplantés aux Îles de la Madeleine. Je ne trouve leurs noms nulle part dans toutes les listes provenant de l’Acadie, des états de la Nouvelle-Angleterre, ni dans le recensement de Saint-Pierre et Miquelon pour 1767. Mais Pierre Yturbide, (originaire de l’arrondissement de Hasparren, dans la ville de Bayonne, France) apparaît dans le registre de Miquelon en 1776, n’est pas au recensement de 1784 et se trouve dans les premières inscriptions du registre des Îles de la Madeleine, en 1793. Aurait-il gagné les Îles avant 1778 ? C’est possible.

D’après l’archiviste distingué et le généalogiste toujours bien renseigné, M. Placide Gaudet, Joseph Gueguen, (le Petil Baril) souche de tous les Gueguen d’aujourd’hui, serait venu de Miquelon en 1767, aurait hiverné aux Îles, avec plusieurs familles, pour passer, l’année suivante à l’Île Saint-Jean, puis à Cocagne dont il fut le fondateur. Il y avait donc une migration entre Miquelon et le Golfe, à cette époque. Rien ne nous empêche de croire que plusieurs familles auraient ainsi devancé leurs frères et que Yturbide serait parvenu aux Îles de cette façon.

Plusieurs années après leur installation, ces trois familles du Cap de l’Est eurent la visite de trois beaux-frères : James Clarke, John Rangin et George Goodwin, de Argyle, comté de Yarmouth, N. É. Ces Néo-Écossais, trouvant l’île de leur goût, décidèrent les Acadiens à vendre leur propriété. James Clarke acheta celle de Louis Thériault et les deux autres celles d’Édouard Noël et de Louis Snault.[32] Ceux-ci fixèrent leurs pénates au Havre-aux-Maisons dont ils furent les pionniers.

Aussitôt après la guerre d’indépendance américaine, Gridley revint à son exploitation des Îles avec un monsieur Thompson.

Le gouvernement de Terre-Neuve envoyait chaque été un vaisseau qui croisait dans ces parages pour réglementer la pêche et les méthodes de prendre la vache marine. « La manière de les cerner était entièrement conduite par des habitants français de ces Îles. Elle donnait beaucoup de profits et empêchait la destruction de l’espèce. La meilleure méthode de capturer ces animaux était d’attendre qu’ils se retirassent sur les grèves, leurs petits devenus grands[33] ».

Voici ce que l’arpenteur général, Samuel Holland, dit de ces bêtes en l’année 1765.

« Quand elle est toute petite, la vache-marine pèse environ 50 livres, une bagatelle comparée à la masse qu’elle forme en cinq ou six ans, alors qu’elle atteint 2000 livres. C’est la bête la plus laide qu’on puisse imaginer ; elle a un peu la forme et la couleur d’un crapaud avec une tête de bœuf, sans cornes ; pour oreilles, un très petit trou de chaque côté de la tête. Ses deux défenses d’ivoire, de dix-huit pouces de longueur, l’aident puissamment à grimper sur les rochers et les falaises où elle se repose souvent. Elle se sert aussi de ses longues dents pour arracher du sable les mollusques dont elle se nourrit. Ses yeux sont extrêmement petits et, malgré leur vivacité, ne voient qu’à une distance de vingt verges. Mais ce défaut est compensé par la finesse de l’ouïe et de l’odorat. Elle a quatre nageoires terminées par de petites griffes. Les deux d’avant ont environ une verge de longueur et autant de largeur quand elles sont ouvertes. Celles d’arrière sont beaucoup plus petites. Ces nageoires ont des ventouses d’une substance gélatineuse d’une telle force de succion qu’elles permettent à ce monstre de se traîner sur les rochers et de grimper sur les falaises abruptes, ce qui serait tout à fait impossible sans cela. Sa peau, d’un pouce d’épaisseur, sert à faire des traits. La partie la plus précieuse de l’animal se trouve sous la peau. C’est le lard dont on fait l’huile.

« L’endroit où se prennent les vaches marines se nomme échourie : un terrain de quelques centaines de pieds de superficie, au sommet d’une falaise de dix à soixante pieds d’élévation avec une inclinaison naturelle, mais parfois si escarpée qu’il est difficile d’imaginer qu’un animal aussi lourd puisse jamais arriver jusqu’au faîte. Voici la méthode de les cerner et de les tuer :

« Quand il y en a beaucoup d’échouées ensemble au bas de la falaise, elles sont suivies par d’autres qui, pour avoir une place, donnent un petit coup de dent à celles qui les précèdent et qui avancent immédiatement. Les dernières sont poussées par d’autres qui veulent aussi se reposer… jusqu’à ce que les premières soient rendues si loin en haut de l’échourie qu’elles permettent aux dernières de s’échouer et de dormir si elles ne sont pas dérangées.

« L’échourie étant à son comble ou en contenant assez pour permettre d’en cerner trois ou quatre cents, dix ou douze hommes, à la tombée de la nuit, se munissent de perches de douze pieds de longueur sur deux ou trois pouces de diamètre et attendent le moment opportun pour commencer l’attaque. Ils doivent faire bien attention de ne pas approcher du côté du vent, mais de toujours se tenir sous le vent, car la vache-marine a du flair et il ne faut pas l’éveiller. Quand ils sont à trois ou quatre cents verges de distance, cinq hommes avec chacun une perche, se détachent du groupe et s’avancent doucement ; à cinquante verges, ils se traînent sur leurs mains et leurs genoux, jusqu’à celles qu’ils doivent séparer et qui sont à environ dix ou douze verges du bord de la falaise. Ils se ménagent cet espace, par précaution, car si les plus en avant s’apercevaient de quelque chose, elles se rueraient en arrière, avec une telle précipitation que loin de les arrêter, ils seraient bien chanceux de pouvoir se sauver d’elles. À ce moment propice pour l’attaque, le premier des cinq hommes, pousse doucement sa voisine d’avant avec le bout de sa perche, en imitant autant que possible la poussée qu’elles se donnent l’une à l’autre pour grimper. Mais en même temps il est découvert par sa voisine d’arrière qui recule sous la surveillance du deuxième homme qui se tient près pour prévenir tout accident. Ayant gagné un peu de place, il se faufile et procède de la même façon pour la deuxième vache qui avance pendant qu’une autre recule, empêchée elle aussi de tout mauvais coup par le troisième homme. En silence complet, sans bruit, ils se frayent ainsi un passage jusque de l’autre côté de l’échourie, à travers le troupeau qu’ils divisent. Puis immédiatement, ils se mettent à crier et à faire le plus de bruit possible, aussi bien pour effrayer les vaches que pour appeler le reste de l’escouade. À l’aide de leurs perches, ils poussent et battent la dernière rangée qui avance pendant que la première se replie en arrière, ce qui fait un tumulte si épouvantable qu’elles grimpent les unes sur les autres, formant un mur de plus de vingt pieds de hauteur et en étouffant huit ou dix. Quand elles se sont ainsi bien fatiguées, les hommes les séparent en parties de trente ou quarante. Un homme seul peut mener un groupe où il veut, généralement à un mille de l’échourie, où on les tue et les dépèce.

« La chasse du printemps se fait ordinairement aux échourie de l’Est et de la Manche (Sicopot), entre le six et le vingt juin et jusqu’au vingt août. L’automne, c’est à la Petite Échourie, du 1er au vingt octobre. Les plus grosses chasses à La Manche furent de 800 vaches ; ordinairement elles sont de trois ou quatre cents, et on ne peut facilement faire que quatre battues par saison. C’est la meilleure échourie des Îles, car elle a une inclinaison à l’intérieur, ce qui la rend moins dangereuse que les autres. Elle est la plus fréquentée et la plus spacieuse. Il est aussi plus facile d’y mener les vaches au lieu du supplice, parce qu’elles ont creusé un canal de six à huit pieds de profondeur par huit pieds de largeur dans lequel on les fait nager, puis on les tue en les tirant dans la tête à un point spécial. Ensuite, on charge le lard sur des chalands et on le transporte à la Grosse-Île, distante de quatre milles, où on le fond et le met en barriques.

« La petite île vis-à-vis La Manche — l’île aux Taquis — est encore plus commode parce qu’aucune tempête ne peut empêcher le transport du lard et qu’il y a du bois en abondance.

« La Grande Échourie est la deuxième en importance. Elle est à un demi-mille de La Manche et peut contenir autant de vaches que cette dernière, mais elle est plus dangereuse… Dans ces deux échouries, entre le dix juin et le quinze août 1765, il fut capturé 2000 vaches. La troisième est la Petite Échourie près du Cap-aux-Meules — exploitée en automne. On ne fait qu’une capture d’environ 400, en cette saison, mais elle en vaut 800 du printemps, car elle donne deux fois plus d’huile. C’est l’échourie la moins dangereuse des Îles… À cette époque de l’année, il fait de grands vents qui poussent les vaches loin dans l’intérieur pour se mettre à l’abri : cela rend la capture plus facile…

« Il y a d’autres échouries : deux du côté ouest qui n’ont jamais été exploitées. L’une peut contenir 6000 vaches, mais étant élevée de 50 à 60 pieds, elle est très dangereuse. Il a déjà été fait des captures de 800 sur l’Île d’Entrée, et les pêcheurs rapportent qu’ils en ont déjà vu plus de 30,000 échouées ensemble sur le rivage de cette île qu’elles ont abandonnée en 1760. Sur le Corps-Mort, on en a vu plus de 100,000 entassées à la fois. Les pêcheurs vont les faire jeter à l’eau et essayent de les amener vers leurs échouries. Des troupeaux incroyables de 30,000 et de 40,000 s’échouent sur le Rocher-aux-Oiseaux. Ces derniers endroits sont impraticables, mais cela montre bien l’énorme quantité de ces monstres qui vivent autour des Îles, et la grande richesse qu’on en peut retirer.

« Malheureusement il n’y a pas assez de protection. L’escouade de pêcheurs employée dans cette industrie est dix fois trop insuffisante pour permettre de débarrasser convenablement le terrain des carcasses et détritus. Il faut donc chaque année changer le lieu de la boucherie. Quoiqu’elle se fasse à un mille du rivage, l’odeur nauséabonde qui s’en dégage peut faire déserter l’échourie surtout quand arrivent les grandes chaleurs, que plusieurs vaches meurent le long du chemin avant l’heure du supplice et y sont abandonnées. Un autre péché, c’est la méthode de les tuer au fusil. C’est de cette façon qu’on les a chassées de Brion et du reste des Îles. »

Au printemps de 1765, on fit 900 barriques d’huile ; on dut en faire autant à l’automne, ce qui est un réel succès. Gridley s’enrichissait rapidement dans cette industrie : il gardait les deux tiers de l’huile pour la pension de ses employés. Ceux-ci recevaient simplement l’autre tiers en effets qu’ils payaient très cher, de sorte que nos intrépides pêcheurs inhumainement exploités par ce vampire restaient toujours en dessous. Et pourtant ils étaient économes et industrieux, se nourrissant souvent de la chair de la vache-marine et ne portant d’autres habits que ceux fabriqués par leurs vaillantes épouses.

Les 900 barriques d’huile du printemps de 1765 donnaient à Gridley un profit net de 756 livres sans compter les 200 livres qu’il réalisa sur les articles si chèrement vendus à ses employés.[34]

Avec l’Acte de Québec, en 1774, les Îles passèrent sous la juridiction du Bas-Canada. Dès lors plus de croiseur ni aucune surveillance ou protection. Et, l’avènement de l’indépendance américaine ayant surexcité les cerveaux, les fils de la nouvelle république s’adjugèrent le monopole de la pêche autour des Îles de la Madeleine : d’autant plus que, par le traité de 1783, le gouvernement britannique permettait aux Américains de pêcher dans les anses, les baies ou les havres des Îles ; c’était presque leur en donner la clef. À partir de ce moment commence un commerce effréné de contrebande, une réciprocité illégale qu’il sera difficile de réprimer plus tard ; et, comme toujours, ce sont les pauvres Acadiens qui, devant l’impitoyable tribunal de l’opinion publique, en porteront seuls l’infamante responsabilité, alors qu’ils n’en furent que les innocentes victimes. C’est aussi la destruction systématique de la vache-marine qui s’annonce à brève échéance. Chaque printemps, les Américains y envoient de petits bâtiments qui pour échapper aux légitimes représailles des MM. Thompson et Gridley se gardent bien d’établir des postes à terre. Au lieu de suivre la sage méthode des habitants de l’endroit, ils se servent « du harpon à flotte », genre de pêche inévitablement suivi de désastreuses conséquences : l’effarouchement de ces précieux amphibies qui évitent les grèves et l’extermination des femelles qui, retenues par leurs instincts maternels, se laissent capturer plus facilement. C’est la course criminelle à l’extinction de la race.

Les autorités des provinces voisines s’alarmèrent de cet état de choses qui nuisait au commerce canadien, et dès 1787, le gouvernement de l’Île Saint-Jean entamait des démarches auprès des autorités britanniques pour s’annexer au plus vite les Îles de la Madeleine.

Vers cette époque, Sir Isaac Coffin côtoyait ces Îles en amenant à Québec Lord Dorchester. En homme très avisé, il se rendit compte du premier coup, du brillant parti qu’il pouvait en tirer, aussi les demanda-t-il avec instances au Gouverneur Général comme récompense des nombreux services rendus à l’Empire. Il voulait y entreprendre la pêche sur une vaste échelle avec des Canadiens de Québec. Lord Dorchester transmit immédiatement à Lord Sydney la demande de concession accompagnée d’une lettre qu’il terminait en ces termes : « En conséquence, nous avons cru qu’il était sage de concéder ces Îles au Capitaine Coffin… Mais comme elles ne sont pas tout à fait dans le même état que les autres terres vacantes de la couronne, nous avons décidé d’en suspendre le privilège jusqu’à ce que Sa Majesté nous fasse savoir comment et avec quelles conditions et restrictions cette concession doit être faite. »

Il y eut des correspondances et des pourparlers nombreux autour de cette question. Un comité spécial étudia l’affaire et recommanda fortement le pétitionnaire !


DE L’ACADIE AUX ÎLES DE LA MADELEINE

Nous savons qu’à partir de l’année 1755, et non uniquement en cette année, les Acadiens de toutes les Provinces Maritimes furent poursuivis comme des bêtes fauves, traqués sans merci, embarqués sur des navires et transportés bien loin de leur pays.

Disséminés tout le long de la côte américaine, depuis Boston jusqu’à la Georgie, les martyrs acadiens, attirés par un aimant naturel et irrésistible, fixent leurs regards sur l’étoile de leur patrie et remontent douloureusement vers le nord.

J’ai pu suivre assez facilement les pérégrinations du groupe dont je m’occupe ici.

À peine débarqués à Savannah, Georgie, (au nombre de 400) ils travaillent à se construire des bateaux et au mois de mars 1756, ils partent presque tous et cinglent vers le pays. Ils atteignent la Caroline du Sud où ils rencontrent des compatriotes. Deux cents reprennent la mer avec le secret espoir de revoir l’Acadie, mais 78 ayant atterri à Long-Island, New-York, le gouverneur Hardy fit saisir leur bâtiment et les fit disperser « dans les parties les plus reculées de cette colonie et les plus propres à les faire tenir en tutelle. »

Les habitants de Charleston et des autres ports de la Caroline du Sud refusèrent les 2000 exilés qu’on débarqua sur leurs rives. Ils leur donnèrent deux vieux vaisseaux avec lesquels nos pauvres Acadiens reprirent la mer, en l’hiver de 1756, pour aller faire naufrage sur les côtes de la Virginie. Là, ils achetèrent pour son pesant d’or une vieille carcasse dont les Irlandais de l’endroit voulaient se débarrasser. Ils ne purent pas aller plus loin que le Maryland où ils passèrent deux mois sur une rive déserte à essayer de rafistoler leur bateau. Enfin, prenant la mer pour la troisième fois, ils atteignent la Baie de Fundy, ayant perdu en chemin la moitié des leurs.

Les 1500 débarqués en Virginie furent faits prisonniers et transportés en Angleterre.

De tous les États de la Nouvelle-Angleterre, seuls, le Massachusetts, New-York, la Pennsylvanie et le Connecticut firent des règlements pour venir en aide à ces naufragés de l’humanité.

Ceux qui étaient destinés à la Pennsylvanie périrent en s’y rendant.

D’autres groupes de la Georgie et de la Caroline du Sud qui ne pouvaient pas se procurer de petits bâtiments, s’embarquaient sur des chaloupes, longeaient les côtes, allaient d’anse en anse, durant le jour, dormaient la nuit sous quelques saules complaisants et arrivaient ainsi à Boston vers le milieu de juillet 1756. Le gouverneur Phips fit saisir leurs embarcations et instituer une enquête.

On était alors en pleine guerre. Les habitants anglais de ces provinces regardaient les Acadiens comme des êtres très dangereux et les traitaient d’après la méthode boche durant la dernière boucherie mondiale (1914-18). Apprenaient-ils quelques victoires françaises au Canada, les gouverneurs des états du nord lançaient des proclamations pour ordonner une plus stricte surveillance des « Français Neutres ». S’ils désobéissaient aux lois draconiennes du pays, ils étaient condamnés à une forte amende, ou fouettés à nu, ou jetés en prison. Ceux qui avaient réussi à briser leurs lourdes chaînes et à s’évader en 1756 étaient bien chanceux, car à partir de 1757 aucun passeport ne fut accordé.

Ils vécurent ainsi des jours bien misérables, condamnés à habiter de vieilles masures délabrées, sans vitres, sans cheminées, exposés à la pluie, au vent et à la neige, n’ayant souvent pas de bois pour se chauffer et que de maigres rations à se partager. Tous ceux qui avaient la force et la santé de travailler étaient exploités comme des nègres : après avoir peiné durant deux mois, les deux frères Mius ne reçurent que trois verges de vieille toile, deux livres de morue sèche à moitié avariée et une livre de saindoux gâté. C’est un fait entre mille.

Enfin la guerre cessa. Aussitôt que les Acadiens déportés à Liverpool l’apprirent, ils envoyèrent secrètement une requête au duc de Nivernois, plénipotentiaire de Louis XIV à Londres, par un Irlandais qui avait épousé une Acadienne. Le duc expédia M. de la Rochette pour étudier la pénible situation de ces malheureux. Celui-ci leur annonça qu’ils seraient bientôt transportés en France. En apprenant leur délivrance prochaine, les Acadiens, fous de joie exubérante, de crier à tue-tête, au grand scandale des Anglais : Vive le Roi, Dieu bénisse notre bon Roi !

Immédiatement, ils pensèrent à leurs frères des colonies anglaises et leur écrivirent la bonne nouvelle, les engagent à demander leur rapatriement en France. En quelques jours, tous les Acadiens des états américains furent informés de ce projet et une liste des familles de chaque ville et de chaque province — au total de 4397 âmes — fut adressée au duc de Nivernois, accompagnée de placets le conjurant de les venir délivrer de leur captivité pour les emmener sous le gouvernement du bon roi de France où ils pourront enfin avoir des prêtres et s’approcher des sacrements, ce qu’ils n’ont pas fait depuis huit ans. « Nous avons toujours désiré, depuis que les Anglais nous ont brutalement retirés de Nos Terres, de passer en France ou en quelques Unes des colonies françoizes. » Cependant, ils n’ont pas discontinué de faire leurs prières, « dans une maison particulière, en observant rigoureusement les dimanches et les fêtes. » Ces placets sont débordants de protestations d’amour pour la douce France et tout imprégnés de joie naïve et de fidèle attachement à leur religion.

Cette heureuse nouvelle avait bouleversé les Acadiens qui, dans la riante perspective de s’éloigner enfin de ce pays de souffrance, avaient abandonné leurs bourgs, vendu le peu de bien qu’ils possédaient et s’étaient rassemblés à Boston, afin de partir le plus tôt possible. Mais il n’appert pas que Sa Majesté Très Chrétienne les ait entendus. Le transport des 750 Acadiens d’Angleterre avait coûté au Trésor la somme de 122,000 livres, celui-là aurait coûté des millions. Ce merveilleux projet de délivrance tomba piteusement à l’eau, devant l’obstination des Américains qui exigeaient le paiement intégral de toutes les dépenses occasionnées par les Acadiens, depuis leur arrivée…

Navrés de se voir abandonnés de tous et fatigués d’attendre inutilement du secours de France, ils nolisent quelques vieux bâtiments et confient une autre fois leur triste sort à l’océan, leur seul ami. Ah ! la mer ! la mer ! c’est encore la seule planche de salut pour vous arracher des mains des voleurs et cingler toutes voiles déployées vers la liberté ! La mer ! c’est elle qui vous a vus naître et vous a vus grandir ; c’est elle qui vous a consolés sur les plages lointaines, vous aidant à remonter vers la patrie ; c’est elle qui vous écoute, se lamente et pleure avec vous ; et c’est encore elle qui vient sans bruit durant la nuit, à la faveur des étoiles, vous charger sur ses épaules et s’enfuir avec vous ! comment pourriez-vous l’oublier, pèlerins acadiens ? La mer ! c’est votre mère et c’est votre cercueil ! Ah ! je comprends votre attachement à cette compagne de vos malheurs ! Je comprends la fascination qu’elle exerce sur votre âme…

MIQUELON

Par le traité de Paris, 10 fév. 1763, la France cédait à l’Angleterre toutes ses possessions coloniales dans le nord de l’Amérique, à l’exception des deux rochers de Saint-Pierre et Miquelon qu’elle se réservait pour servir d’asile à ses bateaux pêcheurs, avec le droit de pêche à une distance de trois lieues des côtes anglaises.

Dès le 1er janvier, 1763, M. d’Angeac avait été nommé gouverneur de Saint-Pierre.

Le baron de l’Espérance prit possession, au nom de la France, de ces rochers arides, le 14 juillet de l’année 1763 et s’occupa immédiatement de l’organisation. On fit venir des familles acadiennes de l’ancienne Île Royale et de l’Île Saint-Jean, grâce aux généreux subsides du roi de France qui fournissait des vivres pour cinq ans. En outre, on accordait à la colonie naissante, tous les privilèges que possédait autrefois l’Île Royale : suppression des droits d’entrée de la morue à Paris, gratification de vingt-cinq francs par quintal de morue introduit dans les colonies françaises,  etc., etc… On construisit deux chapelles et on y nomma deux aumoniers : l’abbé Bonnecamp pour Saint-Pierre et l’abbé François-Paul Ardilliers pour Miquelon dont le baron de l’Espérance devint gouverneur.

C’est sur cette île minuscule,… mais française, qu’au mois d’octobre 1763 arrivent les quinze familles que nous avons vues quitter Boston quelque temps auparavant : des Vigneau et des Leblanc, pour le grand nombre, deux Sirs, deux Hébert et un Thériault. Jean Vigneau était parti de Savannah, Georgie, et Magloire Hébert, de Charleston, Caroline du Sud, sept ans auparavant. Quelques-uns étaient de jeunes ménages, fondés au cours des pérégrinations. Le mariage se contractait du consentement des pères et mères, en présence d’un vieillard qui bénissait les nouveaux époux et les confiait à la garde de Dieu, tels les patriarches de l’Ancien Testament. La réhabilitation de ces mariages comme les cérémonies du baptême, aux enfants ondoyés fut faite à leur arrivée dans l’île, du 30 octobre au 26 décembre 1763.[35]

Ces pauvres réchappés furent reçus avec toute la douceur de la charité chrétienne et de la pitié compatissante par leurs compatriotes, le gouverneur et l’aumônier. Ils eurent enfin des maisons pour se loger, des hardes pour se vêtir et des vivres pour apaiser leur faim.

Au mois d’août de l’été suivant, un groupe de compatriotes de Chédabouctou et de l’Île Saint-Jean vint les rejoindre, d’autres de Boston, de Halifax, si bien qu’en 1767, ils se trouvent 551 sur ce rocher perdu en mer, malgré les hésitations du Président du Conseil de la Marine et les départs forcés pour les ports de France, etc.

Dès les mois de septembre de l’année 1764, le Sieur Perreault, un Canadien repassé en France, leur écrit une longue lettre où il les exhorte à abandonner ce rocher étroit, stérile et froid pour aller s’établir à Cayenne, en Guyanne. Il leur montre qu’ils ne sont pas à l’abri d’un mauvais coup, que l’île ne peut pas être fortifiée, qu’ils ne pourront pas établir leurs enfants autour d’eux, que le Roi leur offre des avantages exceptionnels à Cayenne, etc., etc. Rien ne fait fléchir les Acadiens ; ils se cramponnent au rocher français qui les a si fraternellement accueillis et repoussent catégoriquement l’offre du Ministre de France. Hélas, quoi qu’ils fassent, ils sont voués à un irrémédiable désastre. Se croyant au bout de leurs tourments, ils se mettent courageusement à réorganiser leur vie, se bâtissent des maisons, des étables, élèvent quelques animaux tout en faisant la pêche. La vie est dure ; le climat, difficile ; la pêche peu rémunératrice ; ils sont pauvres, oui, mais quel paradis en comparaison de l’exil où ils étaient plongés. En 1767, ils sont déjà 105 familles. En 1776, les plus à l’aise ont une grave, un chaffaud, trois chevaux, quatre bêtes à cornes, un mouton, une chaloupe ou une part de goélette. Quelques-uns ont même un magasin ; d’autres qu’une demi ou les deux tiers d’une chaloupe, d’une grave ou d’un chaffaud, une cabane de pêche, une vache. Mais tous ont une maison et une étable, ce qui rappelle les beaux jours de l’Acadie.[36]

Les Américains qui les ont tant fait souffrir vont être la cause d’une autre calamité presque aussi terrible que le grand Dérangement. La guerre de l’Indépendance ayant entraîné la France dans son tourbillon, les Anglais s’emparèrent des Îles Saint-Pierre et Miquelon. Le contre-amiral Montagu, gouverneur de Terre-Neuve, n’eut qu’à se présenter avec un vaisseau de 48 canons et trois frégates pour se rendre maître de ces îles, sans défense, le 14 juillet 1778. Encore une fois, les vainqueurs se conduisent en vandales et dévastent les deux îles. L’incendie dévore 237 maisons, 116 cabanes, 89 magasins, 79 étables, 7 boulangeries, 79 chaffauds. Les agrès de pêche et les animaux furent transportés à Terre-Neuve, et les pauvres habitants, au nombre de 1932, en France où ils demeurèrent jusqu’au traité de Versailles qui les réintégra dans leurs propriétés aux frais de l’État. En 1783, 510 colons s’y rendirent et furent suivis de 713 autres, l’année suivante. L’État rebâtissait leurs maisons, leurs cabanes et chaffauds et donnait à chaque famille des instruments de pêche, des chaloupes et se chargeait de leur subsistance pendant dix-huit mois. Tout était à refaire et à réorganiser. Pour la troisième fois, ces Acadiens rassemblaient les débris de leurs foyers épars. Cependant, ils ne reviennent pas tous, car des 776 personnes qui étaient à Miquelon en 1776, on en trouve 432 seulement en 1784.

La paix ne devait pas être longue. Un murmure sourd comme le bruit du tonnerre dans le lointain commença aussitôt à poindre en France. Il roula de montagne en montagne, de plaine en plaine, avec une progression rapide. En 1789, la révolution éclata en France avec une violence semblable à ces cyclones terribles qui emportent tout sur leur passage. Le contre-coup se fit sentir à Saint-Pierre et Miquelon : les Saint-Pierrais, sur leur rocher stérile, entrèrent dans le mouvement. Néanmoins, d’après les documents que j’ai pu trouver, les Acadiens de Miquelon — et ils étaient presque uniquement sur cette île — condamnèrent cette conduite de leurs compatriotes français. La proclamation du 22 septembre 1792 connue, ils refusèrent de prêter serment à la République persécutrice et 250 d’entre eux, sous la direction de leur aumônier, Jean-Baptiste Allain, s’embarquèrent la nuit dans leurs chaloupes et firent voiles pour les Îles de la Madeleine. Il y avait d’ailleurs quelques années qu’ils désiraient passer en pays anglais, craignant sans doute une nouvelle visite des Anglo-Saxons, de tout temps les irréconciliables ennemis de la France. Ils avaient eu bon flair, car le 14 mai 1793 une flotte anglaise, commandée par le vice-amiral King et le brigadier O’Gilvie, jetait l’ancre en face de Saint-Pierre. Le reste des Acadiens de Miquelon, profitant de la nuit, s’embarquèrent avec le peu d’effets qu’ils possédaient et quelques bestiaux pour s’en aller vers le Cap-Breton. L’abbé Lejamtel les accompagnait. Cent quinze d’entre eux avec onze pièces de bestiaux arrivèrent à Arichat sur dix chaloupes non pontées.[37]

Deux autres chaloupes, portant quatorze personnes, atterrirent à Main-à-Dieu. William Macarmick, Lieutenant-Gouverneur du Cap-Breton, les reçut avec une exquise humanité de parfait gentilhomme qui l’honore devant l’histoire. Le 12 décembre de la même année, il écrivit au Secrétaire d’État Dundas, qu’il voulait établir ces nouveaux colons autour du Gut de Canso et que « la plus grande partie des habitants des îles capturées restera probablement sur les Îles de la Madeleine. » Or, il y mentionne les 250 personnes que nous avons vues arriver sur ces Îles en 1792, car quatre d’entre elles avaient été déléguées à Sydney pour obtenir la permission de s’établir sur le Cap-Breton ; mais n’ayant pas eu de réponse très favorable, elles avaient décidé de ne plus tenter de nouvelles démarches[38].


On s’étonnera peut-être que pour raconter la petite histoire de mes Îles j’aie fait un si grand détour, mais je suis convaincu de la nécessité de cette apparente digression pour l’intelligence et la clarté du sujet.[39] Je veux aussi qu’on ait une idée de toutes les tempêtes qu’ont eu à essuyer ces lambeaux d’un peuple jadis heureux, sur la mer si effroyablement houleuse qu’ils ont traversée, avant d’échouer aux Îles de la Madeleine. Car leurs misères ne sont pas finies. Si on les plaint à cause des difficultés qu’ils ont rencontrées ici, que ne le fera-t-on pas en marchant avec eux la route infiniment longue et caillouteuse de l’éternel calvaire qu’ils n’ont pu surmonter, pour ne pas avoir trouvé de Cyrénéen qui les aidât à porter leur lourde croix et les empêchât de mourir dessous. Si j’ose effleurer cette comparaison, c’est que la belle figure du Crucifié a plané chaque jour sur ce supplément de sa passion et que le rapprochement n’a rien d’humiliant pour le Christ, parce que les martyrs acadiens sont dignes des grands martyrs de la Rome antique. Mais comment expliquer un tel océan de souffrance, une si longue et si ignominieuse passion ? « C’est plus haut que la terre, en dehors du temps, du nombre et de l’espace, qu’il faut en chercher une explication qui repose l’esprit désemparé en présence d’un tel sort fait à l’innocence et qui comprime les mouvements d’un cœur honnête que l’indignation, au souvenir de si grands malheurs, fait battre trop vite. De tout temps il a fallu qu’il y eut des justes souffrants. C’est la grande loi d’équilibre moral qui empêche notre monde d’être englouti dans le néant. À cause de sa foi, de ses vertus, la race acadienne a été choisie pour prendre rang parmi ces victimes augustes que l’antiquité païenne elle-même plaçait très haut : le juste qui expie. Et depuis la mort du Sauveur sur la croix, la souffrance du juste a quelque chose de divin. Ce sera la gloire de l’Acadie française d’avoir donné aux nations du globe l’exemple de la plus amère souffrance dans la plus parfaite justice, et d’avoir été, comme le divin Maître, crucifiée. La vertu de son sacrifice échappe à nos supputations humaines. Qu’il nous suffise de savoir que pas un atôme n’en sera perdu[40] ».

ORGANISATION ET POPULATION

Quand nous avons quitté les Îles de la Madeleine pour aller chercher à son origine le principal noyau de sa population, l’Américain Gridley en était le seigneur ; il avait réorganisé et agrandi ses huileries et bâti, à la Grande Échouerie, cinq maisons habitées par une douzaine de familles. Une centaine de personnes : hommes, femmes et enfants, hivernaient dans l’archipel, dont un bon groupe au Havre-Aubert.

C’est particulièrement en ce dernier endroit que campèrent les nouveaux immigrés, car il était le mieux organisé, le plus capable d’héberger un tel surplus de population et de fournir un bâtiment propre à servir de chapelle. Probablement qu’il y avait déjà eu une chapelle dans cette localité puisque vers 1774 l’abbé Thomas-François LeRoux arriva aux Îles, y demeura huit ans,[41] et les quitta en 1782 pour se rendre à Memramcook. De 1782 à 1792, l’abbé William Phelan, curé d’Arichat allait les visiter durant la belle saison. Si l’abbé LeRoux a tenu un registre, celui-ci est perdu. D’après monsieur Placide Gaudet, l’archiviste national, ces précieux documents historiques auraient été réduits en cendres avec ceux de Memramcook. En tous cas, il ne paraît pas avoir correspondu avec l’évêque de Québec, car les premières lettres des missionnaires des Îles à l’archevêché sont de M. Jean-Baptiste Allain et datent du 3 juin 1784. Les registres de l’abbé Phelan furent détruits dans l’incendie du presbytère d’Arichat en 1838.

Ceux de l’abbé Allain existent encore. Les feuillets de l’année 1793 contiennent des Bourque, des Boudreau, des Vigneau, des Theriault, des Arseneau, des Bonerie, des Deveau, des Giasson, des Etchevarie, des Cormier, des Richard, des Hébert, des Grenier, des Briand, des Yturbide, des Sire, des Bourgeois, des Lapierre, des Godet, des Gallant, des LeBorgne, etc., etc.

Ce bon prêtre était âgé de 57 ans quand il arriva dans les Îles. Monseigneur Plessis le tenait en grande estime et disait que « nul n’était plus propre que lui à maintenir ces braves Acadiens dans cette estimable simplicité digne du plus bel âge du christianisme, dans cette innocence de mœurs, dans cette union, cette harmonie et cette probité à toute épreuve que l’on admire parmi eux[42] ».

Durant l’été, il allait porter les secours de la religion aux habitants de Chéticamp, de Magré et des autres postes acadiens de ces côtes. Il se rendait à Arichat voir son ami et condisciple l’abbé Lejamtel, puis revenait passer l’hiver avec ses paisibles Madelinots. Et cela dura jusqu’en 1798. Cette année il permuta avec l’abbé Lejamtel, plus jeune que lui (41 ans), et plus capable de résister aux inévitables privations de la situation, de visiter régulièrement et de réconforter les chrétientés disséminées confiées à son zèle pastoral.

Dès l’été de 1793, l’abbé Allain alla voir l’évêque de Québec dont il dépendait. Il en rapporta des ordonnances et des règlements concernant sa petite colonie, et dès qu’il put rassembler les habitants, il fit élire un conseil de fabrique, composé d’un syndic : Louis Boudrot, et de deux marguillers : Nicolas Cormier et Joseph Bourgeois. Ceux-ci devront pourvoir aux besoins du prêtre, en recueillant de la morue sur les graves[43]. Il n’y a encore qu’un « bâtiment servant d’église, » probablement l’un des magasins ou hangars de Gridley qui semble avoir abandonné les Îles, après fortune faite.

Pendant longtemps, il n’y aura d’église qu’à cet endroit : l’église paroissiale, l’église mère, et encore sera-t-elle bien misérable, presque l’étable de Bethléem par son dénuement complet. En 1808 le missionnaire Allain écrit à Monseigneur Burk : « Il n’y a ici ni presbytère, ni chapelle suffisante, point d’ornements pour la messe », et en 1809, il répète à Monseigneur Plessis : « Il n’a qu’une pauvre chapelle sans ornements et une petite maison pour le prêtre. » Quand Monseigneur Plessis visita les Îles en 1811, il signifia que la chapelle du Havre-aux-Maisons dépendrait de l’église du Havre-Aubert et que tous les habitants devraient contribuer à y élever une nouvelle construction plus convenable pour la célébration des saints Mystères.[44]

Décidée en 1813 elle était terminée en 1819 ainsi que le presbytère qui attendait un curé résident. Vers 1820, l’abbé Madran fit construire un presbytère dans la mission du Havre-aux-Maisons qui comprenait alors le Cap-aux-Meules, le Grand Ruisseau et le Barachois. Cette division du territoire occasionna des discussions : le presbytère a été construit « aux frais du Havre-aux-Maisons » où se trouve la majorité des familles, et maintenant on veut bâtir la chapelle au Cap-aux-Meules et y transporter le presbytère, » écrivait l’abbé Madran. Évidemment cela n’allait pas toujours sans quelques criailleries des têtes croches. Encore en 1823, l’abbé Blanchet écrit : « Je suis en train de bâtir une chapelle au hâvre-aux-maisons (sic) l’année prochaine : pas une petite affaire dans un pays aussi pauvre que celui-ci.[45] Ce doit être une bâtisse de 50 x 30 pour 70 familles. » Les difficultés retardent indéfiniment l’entreprise ; il y a de la mauvaise volonté évidente, des murmures : » Ils se plaignent d’avoir contribué à l’église du Hâvre-au-Ber et d’être tous seuls maintenant pour construire la leur. » Le missionnaire les menace des foudres épiscopales qu’ils redoutent beaucoup. Cela les fait marcher, mais lentement, à pas de tortue ; ils ne se pressent pas de préparer le bois. C’est seulement en 1828 que la première église du Havre-aux-Maisons est enfin livrée au culte.

L’année suivante l’abbé Bédard construisit à la Côte la première église de l’Étang-du-Nord, bénite par l’abbé Brunet en 1830. Les gens de l’Étang-du-Nord si fiers, et à juste titre, de leur temple magnifique, seront-ils surpris d’apprendre que la deuxième église construite à la Côte en 1840 mesurait 36 x 25 pieds ?

Les premières écoles apparaissent vers cette époque. L’organisation hélas ! se faisait lentement, très lentement. Rien de surprenant à cela. Pour qui a étudié quelque peu la colonisation dans la province de Québec et ailleurs, pour qui a suivi et observé les lenteurs désespérantes de sa marche clopin-clopant et souffreteuse ; pour qui a pu examiner et vérifier sur place le peu de développement de certains centres, de certaines paroisses qui ont plus d’un demi-siècle d’existence, et le délaissement de riches territoires où il n’y a qu’à mettre le pied pour être chez soi et se tailler de magnifiques et fertiles domaines, la surprise est faite d’admiration. En effet, sur ces Îlots, contenant plus de sable que de terre, la population grandissait très vite. Les huit familles de 1773 s’étaient accrues de quelques autres, entre la guerre de l’Indépendance américaine et la Révolution française. Celle-ci provoqua une immigration en masse. Nous avons vu 250 pauvres réfugiés atterrir sur ces rives en 1792 ; d’autres les suivirent, plusieurs mariages se firent, si bien qu’en 1809 il y avait 68 familles.[46] Dans l’espace de quinze ans, de 1809 à 1824, la population fait plus que doubler, puisqu’on trouve alors 140 familles.[47] En 1831, il y a 195 familles, dont 20 anglaises ;[48] en 1844, 1738 âmes[49]. Depuis 1808 jusqu’à 1845, l’accroissement de la population est presque uniquement dû au surplus des naissances sur les décès. Et c’est à peu près la seule période où l’on puisse calculer le taux de la natalité et produire des chiffres exacts. Car, à partir de cette date, c’est l’exode qui dissémine dans divers coins de la province de Québec et tout autour du Golfe le merveilleux accroissement de ce capital humain. Cependant, pour une plus grande sûreté de calcul, nous compterons de 1824 à 1844. Et il sera facile de calculer quel serait aujourd’hui leur population si les plaines qui les enserrent n’étaient pas liquides.

Il y a 840 âmes en 1824 et 1738 en 1844. Cela fait une augmentation de 898 ou 107 % en 20 ans. En suivant la même progression, nous arriverons à 3596 en 1864, à 7429 en 1884, à 15,347 en 1904 et à 31,704 en 1924. En un siècle, si l’exiguïté du territoire n’avait pas forcé l’expatriation, la population se serait accrue de 30,894 âmes, ce qui veut dire que le capital se serait multiplié par 37.7428, ou qu’il se serait doublé tous les dix-neuf ans et tiers par son essor naturel. D’après ces chiffres, les Îles de la Madeleine auraient fourni au pays près de quatre fois et demie le nombre de leur population actuelle. (7,127, recensement 1921.)

La situation des Îles à ce moment-là ne nous permet pas de supposer aucune immigration. Les difficultés de la tenure des terres, la pauvreté du commerce, le peu de revenu que ces pauvres gens retiraient de leur pêche et le grand isolement où ils se trouvaient étaient une formidable barrière à tous projets d’immigration. C’est au contraire un courant de sortie qui aurait dû se produire, et il se peut fort bien que quelques familles l’aient suivi pour compenser la famille Pinel dit Lafrance, venue de Saint-Roch de Québec, et quelques rares familles de Chéticampais. Mais, comme ces étrangers n’arrivèrent qu’autour de 1840, notre calcul n’en souffre pas trop, même s’il n’y eut aucun exode.

Comment donc expliquer cette prodigieuse multiplication ? Voici : Ces Acadiens ont gardé les anciennes mœurs et coutumes — Dieu veuille qu’ils les conservent toujours ainsi ; — ils observent strictement les lois de Dieu et de la nature. Ce sont des prolifiques, mais leurs enfants naissent suffisamment espacés pour permettre à la mère de les nourrir de son lait et de s’en occuper activement. Elle est mère autant que la nature le lui commande et ne laisse pas à l’artificiel le soin de nourrir son enfant. Ici, pour le plus grand bien de la race, on ne connaît ni le biberon, ni la tétine (suce) qui tue. La nature — la belle et généreuse nature dont on voudrait changer les règles immuables en ces temps déréglés, la paie de retour, et son enfant pousse sain et fort. Il vit. Je ne crois pas qu’on trouve un coin de la province de Québec où il meurt si peu d’enfants que sur nos Îles. Le climat est sain, la nourriture, frugale mais abondante, les mœurs sont pures. Voilà les facteurs de l’incomparable vitalité des insulaires. Tous les étrangers le reconnaissent, et un ami canadien avec qui j’ai parcouru une partie de mes Îles me le disait à son tour : ces gens sont d’une frugalité à renverser et terrifier les carnivores bipèdes du reste de notre province. Être sobre dans le boire et le manger, plutôt pâtir que de se gaver, user de plus de poisson que de viande, humer à pleins poumons la senteur si vivifiante des goémons et boire l’eau de mer par tous les pores de la peau, voilà qui rend nos hommes forts et nos femmes fécondes et leur permet de procréer de jolis et nombreux enfants regorgeant de vie et de santé, et de les garder…

Fouillons les registres et voyons : des baptêmes, des mariages et pas ou peu de sépultures, pendant des années, des années jusqu’aujourd’hui même. C’est ainsi qu’en 1793, la première année du registre, il y eut 24 baptême et aucune sépulture ; en

Année Mariages Baptêmes Sépultures
1794 9 14 0
1795 2 12 0
1796 1 16 0
1798 3 24 0
1805 2 14 1
1809 4 14 0
1811 10 23 6
1813 4 33 0
1815 11 24 1
1818 2 29 0
1821 3 33 1
1827 6 23 11

De 1792 à 1804, pas un seul décès contre 192 naissances. La première sépulture apparaît en 1805, c’est celle de Joseph Boudrot, vieillard de 84 ans. Pendant une période de 25 ans, de 1794 à 1819, il y eut 15 sépultures, 565 baptêmes et 106 mariages. Est-il possible de battre ce record ? Monseigneur Plessis en était tout surpris et il nota dans son journal : « Il y meurt rarement deux personnes par an et ce sont des octogénaires. » En vérité, il n’y a pas de plus beau jardin de puériculture que les Îles de la Madeleine, et c’est un laboratoire exceptionnel pour se livrer avec succès à des études physiologiques.

Voici un petit tableau comparatif entre les meilleurs comtés canadiens-français et les Îles de la Madeleine :

Année Taux de natalité par 1000 de population Taux de mortalité par 1000 de population Économie du capital humain Taux de mortalité par 100 naissances Surplus % des nais­sances sur les décès Comtés
1918 39.66 14.33 2.53 36.13 63.87 I. de la M.
1919 35.46 12.69 2.27 35.76 64.24 I. de la M.
1920 38.67 13.22 2.54 34.22 65.78 I. de la M.
1919 33.35 66.65 L. Saint-Jean
45.62 13.34 3.23 32.55 67.45 Chicoutimi
35.4 64.6 Saguenay
35.88 11.73 2.415 39. 61. Beauce
39.04 12.20 2.68 37.43 62.57 Dorchester
54.50 14.94 3.956 36.75 63.25 Matane
31.23 9.29 2.19 38.67 61.33 Rimouski
 
1919 37.06 18.85 1.8 64.25 35.75 Verchères
1919 37.94 18.48 1.94 59.73 40.27 Richelieu
 
1921 [50] 31.35 68.65 I. de la M.
35.32 64.68 Lac Saint-Jean
32.22 67.78 Chicoutimi
38.5 61.5 Saguenay
35.68 64.32 Beauce
36.04 63.96 Dorchester
32.23 67.77 Matane
39.24 60.76 Rimouski

(Ces chiffres m’ont été fournis par l’Annuaire Statistique de Québec et par le greffier des Îles de la Madeleine, M. Ant. Painchaud.)

Il n’est toutefois pas juste de comparer, chiffres pour chiffres, les Îles de la Madeleine aux comtés qui ont à peu près le même surplus de naissances sur les décès. Par exemple, Chicoutimi, Lac Saint-Jean et Saguenay, qui les dépassent en 1919, forment une prospère région de colonisation où le surplus des vieilles paroisses en fonde de nouvelles où les jeunes ménages s’établissent, tandis que les Îles de la Madeleine sont surpeuplées, qu’un courant d’émigration charrie chaque année des centaines de personnes, jeunes ménages pour la plupart ou jeunes hommes, qui vont grossir la population d’autres comtés, tels que ceux du Saguenay, de Chicoutimi, de Saint-Maurice, de Matane ainsi que des villes de Québec et de Montréal malheureusement. Les vieux restent au pays natal et abaissent fatalement le pourcentage de la natalité et le cœfficient de la force vitale. C’est ainsi qu’en l’été de 1921, dans ma petite paroisse de Havre-aux-Maisons, je pouvais serrer la main à dix vieillards de 80 à 96 ans et compter une dizaine de jeunes familles forcées de s’expatrier.[51] Les Îles de la Madeleine se trouvent en réalité dans la situation des vieilles paroisses du bord du fleuve… Si je les compare maintenant aux comtés de Verchères et de Richelieu qui sont formés de vieilles paroisses, les chiffres sont joliment modifiés : soit une différence dans l’économie du capital humain de 0.47% pour le premier et de 0.33 % pour le second ; et une différence de 28.49% (V) et 23.97% (R) dans le surplus des naissances sur les décès. Cela ne prouve-t-il pas amplement mes assertions ?


COFFIN ET LA TENURE DES TERRES

Si nos Îles avaient pu élargir leurs cadres restreints et garder leurs fils, elles auraient actuellement onze paroisses de 2000 âmes. Mais les premiers départs ne furent pas causés tant par le besoin d’expansion des Madelinots que par le dégoût qui a ouvert les portes des Îles et fait reprendre le chemin de l’exil à ces gens : ils n’avaient plus un pouce de terre où reposer leur tête.

Quand les fils des Martyrs y abordèrent, ces îles étaient une terre vacante de la Couronne. Ils s’y fixèrent sans ordre au bord de la mer et se taillèrent de petits domaines qu’ils agrandirent et multiplièrent au besoin… Ils étaient les maîtres du lieu : chacun prenait la pointe de terre qui lui convenait et tout était dit. Quand l’Amiral Coffin, en 1781, sollicita de Dorchester la concession de cet archipel, il apprit que ces Îles n’étaient pas comme les autres terres de la Couronne. Mais les insulaires l’ignorant ne firent aucune démarche pour régulariser leur situation et prendre des titres de possession. En cela, ils eurent tort et grandement tort. Et je ne puis comprendre que les gens instruits de l’île n’aient pas flairé ces futures difficultés. Mais, auraient-ils obtenu quelque heureux résultat ? « Il semble que ce soit le sort de ce pauvre peuple de travailler pour autrui. » Ceux qui avaient pu s’échapper dans les bois lors de la dispersion et s’étaient fixés sur les bords de la Baie des Chaleurs eurent beaucoup de peine à obtenir du gouvernement des titres de possession pour les terres qu’ils avaient choisies et défrichées. En 1792, trente ans après leur établissement à Bonaventure, ils n’ont encore rien obtenu et se plaignent qu’on accorde à d’autres les terres qu’ils ont défrichées et améliorées. (Ferland, La Gaspésie, 1879, p. 194.)

Le gouvernement britannique, afin de tirer au net l’affaire de Gridley qui n’était pas un loyaliste, retarda pendant onze ans la demande de Coffin. Cependant, les insulaires ne donnèrent aucun signe de vie, prétendant, dirent-ils dans la suite, qu’ayant habité les Îles au temps où elles appartenaient au gouvernement de Terre-Neuve, ils bénéficiaient de la loi anglaise, alors en force, particulièrement l’acte 10 et 11 Wm. III, chap. 25, par laquelle « Toutes personnes qui depuis le 25 mars 1685 ont bâti, coupé ou fait, ou en tout temps ci-après, bâtiront, couperont ou feront des maisons, cabanes ou huileries ou toutes autres commodités pour la pêche qui n’ont pas appartenu aux bâtiments pêcheurs depuis ladite année, en jouiront paisiblement et librement et s’en serviront sans qu’aucune personne ne puisse les en empêcher. » Et ils croyaient que par l’Acte de Québec qui les unissait à cette province, ils étaient maintenus dans leurs droits. Mais le Colonial Office considéra ces textes de loi comme de vulgaires chiffons de papier. En 1798, il expédia, par lettres patentes, à Sir Isaac Coffin, la concession officielle des Îles de la Madeleine, réservant une partie de l’Île Coffin pour le clergé anglais et la permission à tout sujet britannique d’y faire librement la pêche… Ces terres devaient être tenues en franc alleu, comme en Angleterre.

Lors de leur concession à l’amiral Coffin, les Îles de la Madeleine renfermaient une population de 500 âmes.[52] Le nouveau seigneur lança une proclamation pour faire connaître ses droits aux insulaires qui n’en tinrent aucun compte. Trop occupé ailleurs, Coffin ne peut visiter ses terres qu’en 1806 ; à cette date, il écrit au gouverneur du Canada que 42 familles françaises échappées de Saint-Pierre et Miquelon, en se soustrayant à la vigilance du capitaine Malbon sur l’Aurora, se sont établies sur ses îles et, en dépit de plusieurs proclamations, refusent de le reconnaître comme seigneur ou de lui permettre d’y faire un établissement. Il affirme que ces gens sont des sujets français qui exècrent Sa Majesté Britannique, se livrent à une continuelle contrebande avec les Américains et s’obstinent à ne pas payer la rente annuelle ridicule (trifling) de 2 qtx de morue par famille. En conséquence, il demande que des mesures soient prises pour les déporter rapidement (speedy removal). Il annexe à sa lettre la liste des familles qui viennent de Miquelon, soient 223 personnes.[53] Cette liste ne peut pas être complète puisqu’en 1792, 250 âmes arrivèrent en ces lieux, et que plusieurs y vinrent en 1793-94 et 1804.

Dans une autre lettre, il mentionne 74 familles, ce qui serait un peu plus exact.

Le gouverneur Craig, à qui Coffin avait adressé ses doléances, lui offrit d’envoyer en prison toute la partie mâle de la population et d’y abandonner les femmes et les enfants dont il ne savait que faire. C’était un moyen draconien qui peint bien le terrible et farouche Craig. Pâlis Winslow ! Craig te bat ! Tes méthodes sont surannées : il en invente une nouvelle pour se débarrasser promptement des rejetons de ceux qui t’ont joué. Coffin n’en voulut pas : disons-le à son honneur. Ce qu’il voulait, c’était nettoyer sa propriété de ce vil troupeau de pêcheurs qui riaient de lui et de ses titres de concession et défiaient toute intervention… À cinq cents milles de Québec, il n’était pas facile à la justice de se tenir là avec sa balance à la main. Après avoir tenté l’impossible auprès du trésorier de la force navale pour les expulser comme des étrangers, Craig entra dans une grande colère contre le gouvernement du Bas-Canada qui ne voulait envoyer ni shérif, ni croiseur pour faire déguerpir les intrus de ces îles. » Ayant appris que la loi du Bas-Canada obligeait de rembourser l’occupant de la valeur des biens expropriés, il tenta de faire annexer les Îles à la Nouvelle-Écosse où cette loi n’existait pas. Même échec. Enfin, il demanda au gouvernement de passer un ordre en conseil pour lui permettre d’amener sur ces Îles ses amis et parents des États-Unis, sans les obliger de s’enregistrer. Ils viendraient simplement faire la pêche durant la belle saison et retourneraient à Boston à l’automne. Toutes ces tentatives n’aboutissant à rien et les Madelinots soutenant avantageusement le siège, il finit par écrire à Lord Bathurst qu’ayant vainement essayé d’amener des familles anglaises sur ses îles et ayant déjà dépensé inutilement à cet effet une somme de 5000 livres, il ne voyait pas d’autres perspectives de tirer quelques profits de sa propriété que de la vendre ou la louer aux États-Unis qui en feraient un pied-à-terre avantageux pour les pêcheurs américains. « Car elles ne seront jamais d’aucune importance à la Grande Bretagne, tandis qu’elles rendraient de grands services aux Américains. »

De toute la volumineuse correspondance échangée entre Coffin, son agent, les Lords du Commerce, les gouverneurs du Canada et le gouvernement du Bas-Canada, il ressort que les habitants des Îles de la Madeleine exigeaient des titres allodiaux ou en franc-alleu, c’est-à-dire sans aucune redevance au seigneur, pour toutes les terres qu’ils possédaient et qu’ils avaient défrichées. Ils prétendaient avoir des droits indéniables, et ils les exposèrent à Sir James Kempt, dans une énergique requête, qu’on peut lire à l’appendice VII de ce volume.

Peine inutile ! Le Gouverneur n’accorda aucune considération à cette pétition et laissa Coffin et ses insulaires trancher cette embarrassante question. Tous ces échecs calmaient les esprits et domptaient les volontés. Le seigneur se fit plus conciliant et les Acadiens moins têtus. Ils consentirent à prendre des baux de 999 ans. C’était trop fort. Coffin leur en offrit pour 99 ans. Nenni ! Ces terres nous appartiennent depuis la conquête : vous voulez nous les enlever et nous forcer, par dessus le marché, à vous payer une rente annuelle, il est juste et raisonnable qu’au moins nous posions les conditions.

La rente que l’amiral voulait établir était la même pour tous, sans égard à l’étendue de la propriété.[54]

L’abbé Allain écrit à Monseigneur Burk en 1808 : « Si on fait quelques démarches à son sujet (Coffin) auprès de l’autorité, ce n’est pas qu’on lui contestât ses droits ou privilèges qui ont paru extraordinaires, c’est que l’habitant ne se trouvait pas en état de supporter les charges qu’il prétendait établir et qui ont été bien modérées par la suite. » Si on examine cette question avec les yeux et l’esprit du jour, on comprendra peut-être difficilement, à première vue, que deux quintaux de morue soient une redevance exorbitante. Cependant, ce serait aujourd’hui le joli montant de $15.00, au moins, par année, pour jouir de quelques acres de terre ou d’un morceau de rivage. Si les cultivateurs établis sur les seigneuries des comtés de Rimouski et de Matane, et qui payent encore rente, devaient verser chaque année au seigneur quelque $150.00 ou des produits en proportion, n’auraient-ils pas raison de se plaindre ? Pourtant, il est bien plus facile de tirer profit de son travail dans ces plantureux cantons qu’aux Îles de la Madeleine, il y a cent vingt-cinq ans. Pour comprendre la situation de ces gens, non seulement faut-il reculer plus de cent ans dans le passé, mais encore se transporter sur ces lieux isolés, sans débouché, sans protection et peuplés de pauvres gens, réchappés de bien des naufrages, avec de vieux haillons en partage. Avouons-le crûment, ils ont été traités comme de vils parias. Dans une lettre de l’abbé Brunet, en date du 27 septembre 1838, je lis que « Dans certains lieux un habitant est exposé à voir son habitation concédée à un autre individu, parce que celui qui concède un terrain ne se donne pas la peine d’examiner si ce terrain n’est pas déjà concédé à un autre. Outre cela, un habitant n’est pas maître pour ainsi dire chez lui. Le premier venu s’établira sur son terrain sans qu’il puisse l’en empêcher, à moins de s’en défaire en lui ôtant la vie, car il n’y a pas un homme auquel il puisse s’adresser pour se faire rendre justice. » La situation ne s’améliorait pas vite. Quatorze ans plus tard — le 12 octobre 1852 — l’abbé Charles-N. Boudreault, curé du Havre-Aubert, affirmait, dans une lettre officielle, que : « Certain nombre de ces terres sont occupées depuis dix, vingt, trente, quarante ans et plus, sans aucune tenure quelconque, les habitants n’ayant point voulu jusqu’à présent reconnaître de seigneur ; les autres occupent leurs terres en payant au capitaine Isaac Coffin ou à ses agents, une rente outre mesure, surtout pour le terrain qui leur est absolument nécessaire pour sécher leur poisson ; pour quelques pieds de grève que la mer couvre bien souvent, pour des dunes que je comparerais aux sables mouvants des déserts de l’Arabie et que la moindre tempête bouleverse et démantibule de fond en comble, sans avoir pu néanmoins jusqu’à présent obtenir un bail en bonne et due forme, car tous ceux qu’on a donnés, ne valent guère la peine d’être lus, comme me l’a fait remarquer plusieurs fois monsieur le juge Deblois… On a été même jusqu’à saisir de force des individus et leur faire signer malgré eux de ces baux. »[55] Ceux qui consentirent avec le temps à signer un contrat s’engageaient à payer leur rente annuellement. Si, pour une raison ou une autre, ils retardaient de deux ans, sans aucune autre forme de procès, ils perdaient tous droits, et leurs propriétés étaient louées à d’autres. Auraient-ils été sur cette terre depuis vingt-cinq ans ; y auraient-ils fait des améliorations, des constructions ; auraient-ils été en pleine moisson, rien ne les sauvait de cette criminelle sentence. Coffin prenait sa revanche… Mais, en définitive, cette propriété fut une source d’ennuis considérables et ne lui rapporta jamais aucun profit. Ses demandes au gouvernement du Bas-Canada et ses sommations aux Madelinots n’avaient encore abouti à rien, quand il mourut en Angleterre, le 23 juillet 1839, laissant sa propriété à son neveu John Townsend Coffin, avec substitution en faveur de son fils Isaac Tristram Coffin, à la mort duquel l’héritage passerait aux mains de ses héritiers mâles. John Townsed Coffin mourut le 29 avril 1882, sans avoir réglé cette question épineuse qui avait été étudiée par un comité spécial sous le gouvernement du Bas-Canada, en 1853 et en 1859, et sous celui de l’Assemblée Législative en 1872 et 1875.

Par le rapport de l’enquête de 1852, notre gouvernement connut la pénible situation de nos Madelinots, mais il ne fit rien pour les secourir. Le peu d’espoir qu’ils avaient entrevu ne leur apporta qu’une cruelle déception. Seuls encore à se défendre, et si pauvres, et si ignorants pour faire valoir leurs droits ! Mais, têtus et énergiquement persévérants comme des Bretons authentiques, confiants dans le succès de leur cause, ils refusent de déposer les armes et prennent l’offensive. Contester les droits du propriétaire devant les tribunaux est une entreprise hardie, bien au-dessus de leurs ressources pécuniaires, mais qui ne les épeure pas. Ils s’y hasardent, prêts à tous les sacrifices. Louis Boudreault et autres plaident devant la Cour Supérieure de Québec ; Ed. Vigneau et autres devant celle de Percé ; Louis Boudreault, fils, Alexandre Cormier et autres devant la Cour de Circuit des Îles de la Madeleine. Ils auraient sans aucun doute gagné leur cause, s’ils avaient pu continuer les procédures, mais empêchés par l’éloignement, la difficulté des moyens de transport et le manque d’argent, ils abandonnèrent la partie juste au moment précis où la balance semblait pencher en leur faveur. Quelques jugements confirmèrent Coffin dans ses droits, d’autres renvoyèrent les plaideurs dos à dos ou donnèrent gain de cause aux insulaires : à Alexandre Cormier, que son instruction mettait en mesure de se défendre avec le brio d’un éloquent disciple de Thémis.

On en était là, quand, à la session de l’Assemblée Législative, en l’année 1872, le député de Gaspé, M. Pierre Fortin, obtint la nomination d’un comité composé de l’honorable M. Irvine, de Messieurs Robitaille, Chauveau, de Rimouski, Roy, Gendron, Lavallé, Cassidy et Fortin comme président, pour s’enquérir de la tenure des terres aux Îles de la Madeleine et des meilleurs moyens à prendre pour l’améliorer.

Le long questionnaire suivant fut adressé aux habitants les plus en mesure d’y répondre :

1. — Quel est votre nom et depuis quand habitez-vous les I. M.?

2. — Occupez-vous une ou plusieurs terres dans ces îles et en êtes-vous propriétaire ou locataire ?

3. — Si vous en êtes propriétaire, veuillez dire en vertu de quel titre.

4. — Si vous n’en êtes que locataire, veuillez dire aussi en vertu de quel genre de bail.

5. — Veuillez fournir une copie authentique de votre bail.

6. — Avez-vous connaissance que des habitants des Îles aient contesté devant les tribunaux la validité des titres de l’Amiral Coffin ?

7. — Quelles étaient les prétentions des contestants ?

8. — Quel a été le jugement de la cour ?

9. — Y a-t-il eu appel de ce jugement ?

10. — Veuillez dire combien il y a de genres de baux sur les terres ?

11. — Y a-t-il eu et y a-t-il encore des baux de dix ans ?

12. — Y a-t-il dans ces baux des clauses qui permettent au propriétaire de déposséder le locataire à cause de la non-exécution de quelques-unes des clauses de ces baux ?

13. — Y a-t-il eu des cas de dépossession ou d’expropriation ? Veuillez les citer.

14. — Y a-t-il eu et y a-t-il encore mécontentement parmi la population des Îles à cause du genre de la tenure des terres.

15. — Quelles sont les causes de ce mécontentement ? Quelles en sont les conséquences pour la colonisation et l’agriculture et aussi pour l’industrie de la pêche ?

16. — Y a-t-il eu émigration à cause du mécontentement causé par le genre de la tenure des terres et à combien estimez-vous le nombre des personnes parties ?

17. — Cette émigration continue-t-elle encore ? Et quels en sont les mauvais effets ?

18. — Dans le cas où il n’y aurait aucun moyen légal de forcer le propriétaire de ces îles à changer le système de tenure des terres possédées par les habitants, seriez-vous disposés à recommander que le gouvernement achète les droits du propriétaire sur ces îles ?

19. — Dans le cas où le gouvernement deviendrait propriétaire de ces îles, le système établi par la loi dans cette province pour la vente des terres publiques conviendrait-il aux îles, surtout en ce qui regarde la vente des terres à bois ?

20. — Et sous ce système, les habitants des Îles auraient-ils plus ou auraient-ils moins de facilités qu’il en ont maintenant pour se procurer le bois de chauffage, le bois de service, nécessaire pour la construction de leurs granges et autres bâtiments servant aux exploitations agricoles, et le bois de clôtures ?

21. — Et si ce système ne convenait pas, veuillez dire quelles modifications au système de la vente des terres établi par la loi vous trouveriez nécessaire ?

22. — Veuillez faire connaître l’importance des Îles au point de vue de la défense du pays, du commerce en général et de l’industrie de la pêche en particulier, de l’agriculture et de la colonisation.

23. — Enfin, veuillez faire connaître à ce comité toutes autres informations qui pourraient l’éclairer sur le sujet qui est référé par la Chambre.

24. — Y a-t-il des taxes scolaires et municipales aux Îles ; et de quelle manière sont-elles imposées ?

Plus de cinquante insulaires s’empressèrent de répondre le plus clairement possible à ces deux douzaines de questions, dans l’espoir que cette nouvelle démarche apporterait quelque solution à leurs inextricables difficultés. Voici très succinctement le résumé de toutes ces réponses suivant l’ordre des questions. Elles nous peignent la situation sur le vif.

1. — Tous les Acadiens qui ont répondu à l’enquête habitent les Îles depuis leur naissance ; Fontana, depuis 42 ans, Fox, 25 ans, Delaney, 25 ans, Painchaud, 23 ans.

2. — Chacun est locataire d’un simple lot, excepté Alexandre Cormier, plusieurs ; Richard Delaney, 3 ; John Fontana, 2 ; John Fox, 6 ; Édouard Borne, 3 ; Nelson Arseneault, plusieurs ; J.-B.-F. Painchaud, plusieurs : Bruno Thériault, 2 ; Prosper Turbide, un lot, mais paye rente pour deux depuis trois ans.

3. — Seuls, Borne et Painchaud, se disent propriétaires, ayant un bail emphytéotique vendable.

4. — Tous, en vertu d’un bail ou de dix, ou de cinquante, ou de quatre-vingt-dix-neuf ans, et d’aucuns à perpétuité.

5. — Voir copie d’un bail, appendice IX.

6. — Plusieurs ont contesté aux Îles et à Percé en 1846-47 et d’autres à Québec en 1858.

7. — Leurs prétentions étaient appuyées sur la prescription. Ils alléguaient que, possédant la terre par les ancêtres avant 1798, Coffin n’avait pas le droit de leur faire payer rente, que les baux étaient illégaux, trop onéreux et contraires au progrès de la colonisation permanente et assurée.

8. — Jugement en faveur de Coffin : abandon des terres par les récalcitrants. En 1846-47, les procédures furent abandonnées à cause de la difficulté des moyens de communication, chacun payant ses frais…

9. — Aucun appel n’eut lieu à cause de la pauvreté des gens impuissants à solder les dépenses, occasionnées par l’éloignement de la cour.

10. — Il y a des baux de dix ans, de trente ans, de cinquante ans, de quatre-vingt-dix-neuf ans, des baux — les premiers — pour une rente fixe, les autres pour quinze sous l’acre et le grand nombre à un chelin l’acre. Fontana, le chargé d’affaires de Coffin, répond que tout locataire payant une rente d’un chelin l’acre a droit d’exiger un bail à perpétuité, mais Alexandre Cormier affirme qu’il demande instamment des baux perpétuels comme en possèdent quelques rares privilégiés, mais que l’agent refuse opiniâtrement de lui en accorder. D’après Fox, les anciens baux, en vertu desquels les possesseurs auraient pu, avec chance de succès, plaider prescription, furent retirés sournoisement, par les agents, des mains de ces gens sans expérience et sans connaissance juridique et remplacés par d’autres moins équivoques.

11. — Oui, il y a encore des baux de dix ans, mais on n’en donne plus.

12. — Oui, après deux ans de non-paiement, le locataire perd sa terre avec toutes les améliorations, et en tout temps elle est hypothéquée.

13. — Firmin et Louis Boudreau, Dominique et Casimir Arseneau, Jean Chevérie, François, Vilbon et Fabien Lapierre ont été dépossédés. Voici le récit de ce dernier : « J’occupais ma terre depuis environ vingt-cinq ans, ayant toujours payé fidèlement ma rente. En 1863, je partis pour le Nord, ne sachant si je m’y fixerais ou non. Je laissai ma terre aux soins d’un nommé Basile Cormier et d’un nommé Émile Morin ; ils en jouiraient tous les deux pendant mon absence, mais à la condition expresse de l’entretenir, de payer la rente et de me la remettre à mon retour. Ils ont, en effet, payé la rente la première année ; la seconde, l’agent du propriétaire a refusé de la recevoir et il a pris possession de ma terre. De plus, il a défoncé ma maison qu’il a remplie du foin coupé dans ma prée ; ensuite, il a vendu ma terre à Désiré Chiasson.

« À mon retour, l’année suivante, lorsque je réclamai ma terre, il menaça de me chasser du pays ou de m’empêcher de couper du bois sur les Îles, si je poursuivais mes réclamations. Enfin, il a tout mis en œuvre pour m’intimider et me faire cesser mes poursuites judiciaires ; mais, encouragé par les sages conseils du Révérend M. Boudreault, notre dévoué curé acadien, j’ai tenu bon contre vents et marées, et j’ai enfin réussi à avoir la moitié seulement de ma terre. J’ai signé un nouveau bail qui m’oblige à payer un chelin par arpent ; l’autre moitié demeure la propriété de l’acheteur pour la somme de cinq louis. »

14. — Toutes les réponses sont unanimes :

La population a toujours manifesté et manifeste encore du mécontentement au sujet de la tenure des terres, telle est toujours la grande et presque l’unique cause de l’émigration en masse, malgré l’opinion intéressée de Fontana, en horreur aux Îles, à cause de ses tyranniques exactions. Comment qualifier un tel régime qui par cabale et influence honteuse exonère le richissime seigneur de toute contribution scolaire et municipale dans de pauvres îles où le peuple est si indigent, quels que soient les rapports mensongers et exagérés des ressources et de la prospérité de la région ! Fontana prétend que ce mécontentement doit être attribué au caractère particulier et toujours mécontent de la population : « Il semble qu’il y a ici une grande méfiance contre les hommes qui occupent une position. » Fox, tout aussi bien renseigné et plus digne de foi, assure au contraire que la rente est exorbitante, comparée au prix des autres terres en ce pays, et donc le mécontentement général parfaitement fondé. « Il se trouve d’anciens colons qui peuvent sans doute payer leur rente et qui sont satisfaits de leur position, car celle-là n’est pas en proportion du nombre d’acres de terre qu’ils occupent. Plusieurs d’entre eux ont cent acres en état de culture florissante et ne payent en tout que quinze chelins ou un quintal et demi de morue par année ; tandis qu’un jeune colon qui désirerait la même étendue de terre inculte et sans bois, serait obligé de payer à présent vingt piastres par année. Il n’y a plus maintenant de comparaison entre les nouveaux et les anciens octrois de terre qui accordaient au jeune colon autant de terre qu’il désirait en clore pour trois piastres par année. De là le retard de la colonisation et le découragement des jeunes gens qui sont ainsi forcés d’aller chercher ailleurs à gagner leur misérable existence. »

15. — Rentes trop élevées, pas d’encouragement en haut lieu et découragement général de la population, pas plus riche qu’il y a cinquante ans. Comment espérer qu’ils amélioreront une terre dont ils ne pourront jamais être les vrais maîtres mais dont ils pourront être brutalement dépouillés au moindre retard de paiement. « Nous avons déjà plusieurs fois payé le plein prix de nos terres en rentes et rien ne nous reste, et ce qui nous afflige, nos enfants devront payer encore. » Les meilleures terres sont prises et les rentes sont plus élevées que jamais. N’est-ce pas de nature à décourager les jeunes colons les mieux trempés. « On doit avoir beaucoup d’égard pour ces colons qui, pour la plupart, sont ignorants ; leurs ancêtres, avant 1840, ne formaient qu’une seule famille et vivaient heureux et en paix ; n’étaient soumis qu’à la patriarcale autorité de leur prêtre en qui ils avaient confiance absolue ; c’est à lui qu’ils recouraient pour recevoir des avis désintéressés et des secours généreux. » (Fox). Fontana seul prétend que l’agriculture et les pêcheries n’en sont pas affectées. Les autres témoignent qu’on arrête ainsi le développement des Îles, en paralysant le commerce et en éloignant les étrangers qui pourraient y placer des capitaux. L’émigration et l’exode en masse de tout un peuple, voilà l’inévitable aboutissement d’un pareil état de choses.

16. — Oui, émigration continuelle : de 200 à 250 familles ont dû quitter les Îles, pour trouver un gîte et gagner librement et honorablement leur morceau de pain.

17. — L’émigration continue tout le temps et les meilleurs pêcheurs abandonnent les Îles, voilà le témoignage de tous les enquêteurs, excepté John Fontana qui allègue candidement que l’émigration se continue en petit nombre, sans nuire au propriétaire, parce qu’il se présente toujours de nouveaux sujets pour remplacer les partants. La cause de l’émigration est certainement la rareté du combustible, ajoute-t-il. La belle histoire !… Fox n’est point du même avis : un grand nombre ont déjà quitté, vendant à vil prix ce qu’ils ne pouvaient pas emporter, et beaucoup plus les auraient suivis, s’ils en avaient eu les moyens. Ceux qui restent tournent sans cesse leurs regards du côté de la terre promise. Ce printemps il est parti une goélette chargée de monde pour les Sept-Îles.

18. — Tous désirent vivement que le gouvernement achète les Îles, dans l’espoir de devenir ainsi réellement propriétaires. Plusieurs se disent prêts à racheter leurs terres à n’importe quel prix, pourvu qu’ils en soient effectivement les maîtres.

19. — Le système établi par la loi ne conviendrait pas pour les terres à bois que quelques-uns seulement accapareraient. Déjà on importe le bois de construction. Actuellement le bois est libre sur les terres inoccupées.

20. — Sous ce régime, il serait impossible aux habitants de se procurer le bois de chauffage, car les terres boisées sont inhabitables. Du bois de construction, il n’y en a plus ; et, quant aux clôtures, elles sont faites d’un mur en terre, en pierre ou en haie vive, ce qui est beaucoup trop coûteux pour le censitaire à rente, susceptible de déguerpir au premier froncement de sourcil de l’agent ; ce dernier devient presque toujours un peu tyrannique par l’influence qu’il exerce, surtout aux élections locales où, par menaces et fausses promesses, il réussit à faire élire aux fonctions publiques ses créatures, gens à tout faire et se vendant au plus offrant, qui n’oseront pas taxer le propriétaire. » (Alex. Cormier).

21. — Les habitants devraient avoir le droit de couper le bois de chauffage partout où il y en a ; sans cela ils seront presque tous forcés d’émigrer.

22. — L’importance des Îles au point de vue de la défense du pays a déjà été démontrée : elles peuvent abriter presque toute la formidable flotte d’Albion. Plus de 250 goélettes pêcheuses y restent en sûreté pendant les tempêtes, et souvent on y voit de 300 à 400 vaisseaux sur leurs ancres en même temps. Il se fait actuellement des travaux gigantesques pour le creusage des havres ; depuis peu on a élevé des phares et posé des bouées. L’agriculture y est maigrement encouragée, toutefois les habitants cultivent et élèvent du bétail qui fait grand honneur à leur laborieuse industrie. Plusieurs, tout en s’occupant de la pêche, portent d’année en année une plus grande attention à la culture du sol qui est à la fois bon et productif. Les grains et les végétaux y réussissent également bien.

23 et 24. — Alexandre Cormier, secrétaire-trésorier de 1846 à 1868, ne réussit qu’en 1861 à faire fonctionner le système scolaire et municipal, quoique la municipalité eût été fondée en 1846. Pendant quinze ans, elle a été en léthargie. Avant 1861, les contributions scolaires étaient volontaires. L’amiral avait bien promis une souscription annuelle, mais son agent ne voulut la donner qu’une seule fois. ($20.) Les insulaires se plaignent amèrement de ce que le propriétaire ne contribue en rien à l’organisation locale. Les taxes scolaires sont de 1% à 1½% et les taxes municipales consistent en deux jours de corvée ou $0.80 par jour.

(Signé)

Arseneau, Élie
Arseneau, Calixte
Arseneau, Zéphirin
Arseneau, J.-Nelson
Arseneau, Hector
Arseneau, Fidèle
Arseneau, Dominique
Arseneau, Casimir
Born, Édouard
Boudreault, Chs-N.
Boudreault, Félix
Boudreault, Zacharie
Boudreault, Gilbert
Bourgeois, Charles
Bourgeois, Évé
Chevrier, Edmond
Chevérie, Jean
Chevérie, Olivier
Chiasson, Jean
Chiasson, Étienne
Chiasson, Germain
Cormier, Alfred
Cormier, Alexandre
Cyr, Nazaire
Delaney, Richard
Fontana, John
Giasson, Édouard
Gaudet, Julien
Hébert, André
Hébert, Émile
Hébert, Hippolyte
Jomphe, Timothé
Jomphe, Laurent
Jomphe, Étienne
Lapierre, Vilbon
Lapierre, Fabien
Lebel, Noël
McPhail, Robert
Painchaud, J.-B.-F.
Poirier, Jean
Renaud, Simon
Richard, Hippolyte
Richard, Simon
Thériault, Édouard
Thériault, Alexandre
Thériault, Bruno
Thériault, G.-William
Turbide, Prosper
Vigneau, Évé

Le 13 février 1875, M. Fortin, président, faisant rapport au gouvernement du travail accompli par son comité, termine ainsi : « Ces Îles sont habitées par une population active, laborieuse, forte et désireuse de profiter des avantages que lui offre un sol très propice à la culture. »

Treize ans après, M. Chs-A. Lebel, avocat de Montréal, chargé d’une autre enquête sur le même sujet qu’il étudia sur place, ne tarit pas d’éloges à l’endroit de cette population « travailleuse, frugale et courageuse, qui ne compte absolument que sur ses propres forces pour assurer son bien-être… En un mot, les habitants des Îles sont heureux et vivent aussi bien que possible. Leurs besoins ne sont pas matériels mais purement moraux ; ils souffrent de la situation inférieure et humiliante qui leur est faite, comme citoyens de notre pays, et des restrictions opposées à leur développement et à leur établissement stable. »

Après avoir relaté les misères de la tenure des terres au gouvernement qui se les entend répéter pour la centième fois, il conclut de la même façon que Fortin en 1875 : « Le seul remède, c’est l’achat par le gouvernement du domaine de l’île et la revente des terres aux occupants. L’achat de ces îles par le gouvernement serait une œuvre patriotique : l’agrandissement de notre domaine provincial ; une œuvre utile, car elle apporterait un revenu assuré ; enfin, ce serait aussi une œuvre sociale, car elle améliorerait le sort de 8000 braves Canadiens qui, par leur magnifique et leur énergique endurance, ont des droits sacrés à notre appui et à nos sympathies. »

Eh bien ! malgré toutes ces enquêtes — il y en eut une autre l’année suivante — et ces beaux rapports, le gouvernement ne se décidait à rien.

Le propriétaire croyait enfin le moment venu de faire fortune avec son héritage, aussi voulut-il saisir la balle au bond. Dès 1872, il promet $4,000. à son agent, John Fontana, s’il réussit à arracher au gouvernement 20,000 livres pour sa seigneurie. Ses instructions à l’endroit de l’habitant sont de plus en plus exigeantes, dans l’espoir probable de forcer le gouvernement à accepter ses conditions draconiennes.[56]

Tant que les anciens baux ont subsisté, en dépit de leur « illégalité et de leur teneur onéreuse », les habitants ont plutôt plié l’échine et s’y sont conformés à contre-cœur. Mais un beau jour, Monsieur Aurmont Sybrand David Van Barneveld, nouvel agent de Coffin, leur apprend qu’ils devront désormais en accepter d’autres beaucoup plus exorbitants, avec mille tracasseries nouvelles.[57] C’était trop fort : on avait déjà trop souffert de l’ancien système pour se laisser piétiner et écraser davantage. Indignée, toute la population se leva, comme un seul homme, pour protester et opposer la plus énergique résistance. Durant l’hiver 1888-89, de multiples assemblées publiques furent tenues dans les diverses municipalités de l’archipel et la pressante et énergique requête suivante fut préparée, puis transmise le 6 mai aux honorables membres du Conseil Exécutif de notre province.

Messieurs,

L’humble requête des soussignés habitants les Îles de la Magdeleine, dans le comté de Gaspé.

Expose :

Que ces Îles sont presqu’entièrement habitées par les descendants de ces braves et malheureux Acadiens qui, chassés de leur pays par la conquête, vinrent chercher un refuge sur leurs bords inhabités, dans l’espoir d’y trouver enfin le repos et la tranquillité qu’ils croyaient avoir assez chèrement achetés par leurs interminables infortunes imméritées.

Que depuis cette première occupation, ces Îles sont passées entre les mains d’un seigneur habitant l’Europe, lequel ne s’y intéresse que pour en exprimer la substance, en y maintenant un système de rentes qui fait obstacle à leur prospérité et fait plier les habitants sous un fardeau insupportable. C’est une nouvelle Irlande en plein cœur de la libre Amérique.

Que ce système est tellement incertain et oppressif, qu’il nous retire jusqu’au courage de cultiver nos terres et d’y faire aucune amélioration, car nous vivons perpétuellement sous la crainte d’une expulsion arbitraire, et cette crainte n’est certes pas chimérique car, outre les nombreuses expulsions dont nous avons été les témoins indignés, nous voyons aujourd’hui que les notifications sont déjà faites par le ministère du notaire public pour l’expulsion en bloc des habitants des îles Entrée et Brion, (environ quinze familles) sous le fallacieux prétexte que leurs baux sont expirés, mais en réalité parce que leurs terres, devenues très fertiles et très productives, feraient la fortune de quelques protégés éhontés d’un propriétaire sans entrailles. Rien ne nous dit qu’une pareille spoliation ne nous soit pas réservée dans un avenir plus ou moins éloigné.

Qu’en rentes annuelles seulement nous estimons avoir payé plusieurs fois la valeur de nos terres, et que néanmoins après plus d’un siècle de ce système, aucun ne peu se flatter de posséder le coin de terre nécessaire pour creuser sa tombe.

Que jusqu’à présent le propriétaire, par ses agents, a réussi, à force d’intimidation et d’autres moyens inavouables, également réprouvés par le droit divin et par le code criminel, à éluder la loi pour s’exempter de toutes taxes municipales et scolaires sur les propriétés non concédées.

Que, pour comble d’injustice, l’agent actuel a déjà essayé d’annuler les titres maintenant en force, pour leur substituer des titres semblables à ceux dont nous vous transmettons ci-inclus une copie ;[58] nous sommes fermement convaincus que la seule lecture de cet odieux document aura plus d’éloquence que tous les anathèmes dont nous pourrions le charger.

Que cette forme de bail dont l’adoption équivaudrait, sous une autre forme, à une deuxième expulsion en masse, plus inique encore que la première, nous nous déclarons ici à la fois incapables d’en remplir les conditions et crânement décidés à la repousser vigoureusement, quelles que puissent être d’ailleurs les lourdes conséquences de notre refus. Telle est la teneur de notre requête librement et unanimement exprimée en diverses assemblées publiques, tenues à cet effet en ces Îles.

La puissance du Canada se glorifie à juste titre d’être le pays libre par excellence : tout citoyen possède le coin de terre qu’il cultive ; seules les Îles de la Magdeleine sont encore en servage ; voilà ce qui augmente l’amertume de nos regrets et nous fait envisager d’un œil d’envie la prospérité de la Puissance en général et de la province de Québec en particulier, prospérité à laquelle notre position géographique, nos travaux, surtout nos malheurs, nous donnent bien le droit d’aspirer. Pour plus amples informations et afin d’étayer nos plaintes sur des faits indiscutables, nous vous référons humblement au rapport du comité nommé par la législature de Québec en 1875, avec mission de s’enquérir de la tenure des terres en ces Îles et des moyens de remédier au plus vite à un état de choses déjà alors reconnu intolérable.

En conséquence de ce que dessus, vos pétitionnaires, confiants dans la justice de leur cause et comptant sur la solidarité qui doit unir tous les citoyens d’un même pays, et sur l’esprit de justice qui vous anime, concluent humblement que, conformément aux conclusions du susdit comité, le gouvernement de Québec devienne acquéreur des droits du propriétaire des Îles de la Magdeleine, afin de revendre ensuite les terres aux habitants à telles conditions qu’il lui plaira d’imposer pour en obtenir le remboursement.

Nous, vos humbles pétitionnaires, nous nous déclarons prêts à tous les sacrifices possibles pour briser les lourdes chaînes de notre honteux esclavage ; et, pour prouver à nos libérateurs magnanimes que nous ne sommes ni des dégénérés ni des ingrats, notre reconnaissance sera à la hauteur des services rendus et de la sainte liberté reconquise. Et nous ne cesserons de prier.

Îles de la Magdeleine, 1889.

Les huit cent trente-huit signataires de cette respectueuse et énergique supplique attendaient avec une bien légitime confiance une réponse au moins encourageante et sympathique. Mais, hélas ! ils ne reçurent que la sèche et laconique missive suivante :

« La requête des habitants des Îles de la Magdeleine par vous adressée à l’honorable Premier Ministre, le 6 mai dernier, a été prise en sérieuse (?) considération, et je regrette beaucoup d’avoir à porter à la connaissance des nombreux pétitionnaires, dont les noms figurent au bas de cette requête, que le gouvernement se trouve actuellement dans l’impossibilité d’acquiescer à cette demande.

3 juin 1889.E.-E. TACHÉ, Com…re T. C.

Le 29 juin, nouvelle assemblée des habitants qui décident unanimement de poursuivre les démarches commencées auprès du gouvernement. — Le 8 juillet suivant, le préfet, John Ballantyne, s’adressant au Premier Ministre, lui-même, l’honorable Honoré Mercier, résume de nouveau leur position :… « Un examen attentif de ce bail convaincra votre honorable gouvernement, je le suppose, qu’il est impossible à des citoyens ayant droit à la liberté des sujets anglais de se soumettre aux conditions y contenues… Cette question n’est pas nouvelle, car elle a été soumise au gouvernement de Québec, il y a une quinzaine d’années, et les habitants ont montré une patience extraordinaire en attendant si longtemps sans obtenir aucune réforme ; et le temps est arrivé où le gouvernement de Sa Majesté à Québec doit faire quelque chose, avant que des troubles n’éclatent entre le propriétaire et ces citoyens si pacifiquement disposés. Par votre réponse du 3 juin, vous placez, plus que jamais, la population entre les mains de l’agent… »

Hélas ! la réponse du Premier Ministre fut aussi décevante que l’autre, car le gouvernement n’avait pas du tout l’intention d’acheter cette propriété, suivant le témoignage du commissaire des terres de la couronne, Georges Duhamel, en date du 24 décembre 1888, dans une lettre à M. Barneveld.

Pour temporiser, on multipliait les enquêtes dans l’espoir de trouver une solution satisfaisante et acceptable par tous. En février de l’année 1890, la question fut de nouveau mise sur le tapis, devant l’Assemblée Législative qui ordonna la production de tous les documents relatifs à cette affaire épineuse.[59]

Cette importante question, capitale pour nos Madelinots, allait être bientôt résolue à la satisfaction de tous. Encore quatre ans et le gouvernement de la province de Québec, à la quatrième session de la huitième législature, 1894-95, allait voter une loi concernant la tenure des terres aux Îles de la Magdeleine. C’est l’honorable E.-J. Flynn, alors commissaire des terres de la couronne et député du comté de Gaspé, qui en fut le courageux promoteur.

La population s’élevait à cette époque à plus de 5,000 âmes ; il y avait 820 occupants à des titres différents : 14 à perpétuité, concédés par Isaac Coffin, 12 à perpétuité, non rachetables, concédés par John Townsend Coffin, 794 rentes emphytéotiques à vingt sous l’acre. De ces 794 rentes emphytéotiques, pour 99 ans, 27 étaient concédées par John Townsend Coffin et les autres par Isaac Tristram Coffin qui ne pouvaient pas, ni l’un ni l’autre, accorder de titres pour plus que la durée de leurs droits et trompaient, par le fait même, ceux qui les prenaient pour 99 ans.

La loi de 1895 porte que : 1. — toutes les terres concédées à date appartiendront à l’avenir à leurs propriétaires ; 2. — tous ceux qui occupent des terres, sans titres, mais qui payent une rente annuelle verront leurs droits reconnus ; 3. — tout occupant, avec ou sans titres, qui paye une rente annuelle, deviendra propriétaire en propre de son lot, avec la seule obligation de payer la rente au seigneur, ou de la racheter, en payant un capital qui produira à l’avenir la même rente, au taux légal d’intérêt au temps du rachat ; 4. — ce rachat peut se faire par versements annuels ou en une seule fois.

Trois amendements subséquents furent apportés à cette loi : le premier, à la session suivante — en l’automne de 1895 — modifiait les conditions de rachat qui ne se ferait plus qu’en un seul paiement, entre le premier de mai et le premier de novembre de chaque année ; le second, deux ans après, permettait au locataire de devenir propriétaire par le paiement d’une somme qui produirait à l’avenir la même rente, au taux légal d’intérêt, qu’à l’époque du rachat : les deux tiers de cette somme étant payés par l’acheteur et l’autre tiers par le gouvernement, à même les fonds consolidés de la province. Ceux qui avaient déjà effectué ce rachat pouvaient jouir des mêmes privilèges. Le troisième amendement, sanctionné le 5 mars 1915, déterminait que le paiement des deux tiers pourra se faire en un, deux, trois ou quatre versements, mais avec intérêt à 6% sur les versements à échoir, le racheteur consentant à perdre ses titres au rachat, s’il néglige de faire ses paiements aux dates fixées. Dans ce cas, ce qu’il a payé lui sera remis et la rente rétablie.

Un grand nombre d’habitants se sont prévalus de cette loi pour acquérir les titres définitifs de leurs propriétés.[60] C’est ce qu’ils voulaient depuis cent ans. Il y avait bien près de cinquante ans que la tenure seigneuriale était abolie dans la province, que le colon canadien pouvait être maître et seigneur chez lui, et le Madelinot était encore forcé de prendre des titres sans valeur aucune, courant continuellement le risque d’être exproprié un jour ou l’autre.


LES MISSIONNAIRES

Obédience de Québec jusqu’au 25 octobre 1821,
et de fait jusqu’en 1846

Le diocèse de Québec qui s’étendait jusqu’à Terre-Neuve, il y a un siècle, englobait également les trois provinces maritimes. Et les vénérables évêques-missionnaires entreprenaient de longs et difficiles voyages pour aller visiter les catholiques dispersés dans tout l’est du Canada. Le récit de ces expéditions nous donne de pittoresques et héroïques détails. Les Acadiens devront une éternelle reconnaissance à l’évêque de Québec pour la sollicitude avec laquelle il veilla sur eux et les protégea toujours. Le groupe madelinot en bénéficia plus que tout autre, car longtemps après l’érection du diocèse de Charlottetown dont nos Îles font partie, des prêtres canadiens continuèrent à lui prodiguer les secours de la religion.

Ce fut pour se soustraire à la tempête révolutionnaire que les Acadiens-Miquelonnais, sous la conduite des abbés Allain et Lejamtel, se réfugièrent dans les Îles de la Madeleine et sur les côtes du Cap-Breton. L’abbé Lejamtel se transporta auprès du Révérend Père Jones à Halifax et lui offrit ses services pour les missions des environs. L’abbé Allain se rendit voir l’évêque de Québec. Tous deux furent nommés missionnaires pour Tracadie, Chéticamp, Arichat et les Îles de la Madeleine. Cela permit aux insulaires d’intensifier leur vie chrétienne sous la houlette de leur vieux curé. Soustraits à toute influence délétère du dehors, ils progressaient dans les sentiers de la vertu comme les chrétiens de la primitive Église. Des habitudes réglées, des principes solides se sont ancrés dans leur âme qui s’est toujours conservée simple et foncièrement pieuse.

Le missionnaire vieillissait et ses courses lointaines l’usaient beaucoup. Un jour, il demande à l’évêque de Québec la permission de se retirer à Chéticamp pour avoir plus de repos. En l’automne 1798, il est remplacé par son confrère Lejamtel et va hiverner à Arichat. Il ne reviendra aux Îles qu’en 1808 — en remplacement de l’abbé Gabriel Champion qui y résidait depuis 1801 — pour les quitter définitivement en 1812. Tout me fait croire que durant les vingt ans qui s’écoulèrent de 1792 à 1812, les trois missionnaires français qui, à tour de rôle, desservirent les Îles y passèrent presque tous les hivers. Les habitants disaient plutôt notre curé que notre missionnaire et, pour le forcer à ne point les laisser seuls l’hiver, ils refusèrent quelquefois de lui payer toute la dîme.

Depuis plusieurs années, l’abbé Allain supplie son évêque de le rappeler à Québec à cause de son grand âge, de ses infirmités et de la crainte qu’il a de mourir dans les Îles. C’eût été bien raisonnable que l’évêque l’écoutât, mais comment le remplacer ? Monseigneur Plessis voulut connaître nettement la situation et, dans sa visite pastorale de 1811, il arrêta aux Îles de la Madeleine. Il a laissé des notes précieuses sur l’esprit de cette chrétienté. L’abbé Allain profita de l’aubaine et obtint d’être remplacé l’année suivante.

L’abbé Louis-Antoine Dufrêne, le premier prêtre canadien désigné pour cette mission, partit de Québec à la fin d’octobre 1812. La goélette qui le transportait fut prise par un vent violent, poussée en dehors du Cap-Breton et jetée sur la côte de Halifax, vers la fin de novembre, où elle périt corps et biens, à Maccodom, à l’exception de Jean Turbide, jeune homme des Îles qui se sauva assez miraculeusement.

Les Madelinots durent donc passer l’hiver sans prêtre. Ils en souffrirent, car dès le mois de juin 1813, ils supplient l’évêque de Québec de ne pas les laisser plus longtemps dans cet état : ils lui promettent de
L’Étang-du-Nord
bâtir une église. Cependant l’évêque n’avait pas de prêtres disponibles cette année-là pour remplacer l’abbé Dufrêne. L’abbé Beaubien d’Arichat va les secourir durant la belle saison, mais cela ne les contente point. Ils réitèrent leurs instances, supplient l’évêque, insistent auprès des missionnaires et finissent par recourir à des procédés répréhensibles dont se plaignent ces derniers : « Nous avons besoin d’un prêtre à l’année ; nous avons construit une église et un presbytère ; nous sommes prêts à payer toute notre dîme et plus si vous restez avec nous, mais, puisque vous venez quelques mois seulement, nous ne vous en donnerons qu’une partie. » En vérité, c’était bien mal raisonner. Ils ne voyaient que leur malheur et, ne comprenant pas que les besoins des autres chrétientés obligeaient tous et chacun à faire sa part de sacrifices, ils calculaient égoïstement leur plan.

L’abbé R. Gaulin qui remplaça monsieur Beaubien, et à qui il reprocha de lui avoir dit de trop belles choses des insulaires, fut fort scandalisé de cette manière de voir. Il écrit à l’évêque qu’il fut mal reçu par les habitants lorsqu’il leur eut dit qu’il n’était pas venu pour hiverner. « Tout ceci, je crois, vient de ce que monsieur Beaubien leur a trop répété que Votre Grandeur devait leur envoyer assurément cette année un missionnaire résident. Trompés dans leurs espérances, ils se laissent aller à des murmures indécents et disent qu’on les joue. » En même temps que cette lettre, Monseigneur Plessis en recevait une des habitants le suppliant de leur laisser monsieur Gaulin pour l’hiver suivant.

Le saint évêque de Québec eut été heureux de donner un prêtre résident à cette intéressante population, perdue au milieu du Golfe, mais, hélas, pas de prêtres disponibles. Enfin, cet été-là (1819), Monseigneur Panet trouva en l’abbé Madran le prêtre dévoué qui consentait à passer trois ans sur cet archipel si pauvre et si isolé. Une lettre du 5 juin 1821 me fait croire qu’il ne s’occupa que des Îles de la Madeleine : « J’ose espérer qu’après trois ans de misère telle que je l’éprouve ici, votre Grandeur ne trouvera pas mauvais que je laisse les Îles pour monter à Québec… Voilà un an que je n’ai été à confesse et je crains de ne pouvoir y aller cette année, car personne ne vient ici… Bien loin d’avoir des louanges, je n’aurai que des plaintes à vous faire des gens des Îles de la Madeleine. » L’abbé Madran n’est pas le seul à se plaindre de l’isolement déprimant et dangereux dans lequel se trouve le prêtre sur ces lointains rivages. Tant que les missionnaires ont desservi en même temps quelques postes du Cap-Breton, ils ont pu rencontrer des confrères, mais, dès qu’ils devinrent résidents, ce fut la séquestration complète. Ils avaient « bien sujet d’accuser la nature », et leurs plaintes étaient tout à fait légitimes, mais cela justifie, il me semble, les cris désespérés des Madelinots et excuse leurs vivacités inconvenantes. Dans leurs correspondances à l’évêque de Québec, les missionnaires se lamentent beaucoup plus de leur situation personnelle qu’ils ne parlent du moral et des besoins de la population. Quelques-uns vont à confesse à Miquelon, d’autres à Arichat, — ce n’est pas à la porte quoique chez le voisin — et une fois ou deux seulement par an. C’est leur plus grande misère, celle qui les affecte le plus. L’abbé Madran n’est pas le seul non plus à trouver quelques ombres au tableau, mais le seul à n’y rien voir de bien. Il atténue cependant la sévérité de son jugement, en disant que le mal provient des étrangers qui fréquentent ces lieux dans la saison de pêche. De plus, il ne faut pas oublier que ces gens avaient été plusieurs années livrés à eux-mêmes, sans secours religieux, et condamnés à vivre au milieu d’étrangers sans foi ni loi. Quand le missionnaire y allait l’été, ils étaient sur les fonds de pêche, — même les enfants de huit ans — et il ne pouvait les voir que le dimanche, et encore rien qu’une faible portion, à cause de leur dissémination dans l’archipel. En conséquence, ils vivaient dans une profonde ignorance, restaient jusqu’à dix ans sans se confesser, et on en trouvait même de 25 et 30 ans qui n’avaient pas encore fait leur première communion. Comme il n’y avait pas d’écoles à cette époque, que les parents ne savaient pas lire et que le missionnaire ne pouvait les rassembler, cela s’explique…

Mais le jour où un prêtre pourra exercer son ministère quotidien au milieu d’eux, les quelques mauvaises herbes poussées dans le champ en l’absence du maître de la vigne en disparaîtront comme par enchantement.

Obédience de Charlottetown

Le 25 octobre 1821, les Îles de la Madeleine furent confiées, ainsi que les autres parties les plus éloignées du diocèse, non comprises dans le vicariat apostolique de la Nouvelle-Écosse, à un évêque suffragant, auxiliaire de l’archevêque de Québec, qui, le 11 août 1829, devint évêque de Charlottetown. Mais jusqu’en 1846, l’archevêque de Québec y envoya des missionnaires, à cause de l’impossibilité où se trouvait le titulaire d’y pourvoir par lui-même.

L’abbé Pierre Béland, le premier des missionnaires à poste fixe, arriva aux Îles en 1825, quatorze ans après la promesse de l’évêque de Québec. Les insulaires accueillirent cette nouvelle avec des transports de joie enthousiaste, reçurent solennellement le ministre de Jésus-Christ et lui firent des promesses publiques d’obéissance et de soumission. Ce même été, on répare l’église et le presbytère du Havre-Aubert pour la visite de Monseigneur McEachern, premier évêque de Charlottetown, qui confirma 178 enfants et jeunes gens. Les droits se « paient fidèlement » et tous les insulaires « paraissent heureux et fiers de posséder un missionnaire.[61] Mais, ajoute l’abbé Béland, quelques-uns me causent de la peine au sujet de la construction de l’église du Havre-aux-Maisons. Cette mission comprenait alors tous les gens de ladite île, habitée surtout du côté ouest et les gens du Cap-aux-Meules.[62] Elle croissait assez rapidement et occupait presque la moitié du temps du missionnaire. L’abbé Madran avait commencé par y construire un presbytère du côté du Havre-aux-Maisons. Son successeur, l’abbé Blanchet, voulut continuer en bâtissant une chapelle de 50 x 30 pour 70 familles. Comme de raison, elle fut située au milieu de la plus grosse agglomération et à proximité du presbytère. Mais les gens du Cap-aux-Meules ne l’entendirent pas de cette oreille et demandèrent qu’on la plaçât de leur côté. Un chenal coupait le territoire et séparait également les esprits. Ce désaccord ennuya beaucoup l’abbé Béland et retarda de trois ans la construction de la chapelle. Cinq ans après, l’abbé Brunet aura la douce satisfaction de pouvoir écrire à son évêque : « Je n’ai que des nouvelles consolantes à vous donner des fidèles de ces Îles. Ils sont vraiment chrétiens et dignes de la charité bienveillante d’un évêque ; ils savent même apprécier les sacrifices que fait un prêtre du Canada… pour venir travailler à leur salut. »[63] L’année suivante, il répétera : « Je n’ai que de bonnes choses à dire de la piété de mes gens ; » et un an plus tard : « ils se sont montrés empressés, au delà de ce que j’attendais, à entrer dans les confréries dont votre Grandeur a bien voulu accorder l’établissement l’an dernier. Je n’ai que des nouvelles consolantes à vous donner. »

L’abbé Bélanger n’a « qu’à se louer de leur obéissance. » Ils sont très empressés à se confesser, surtout les jeunes. Il y a donc eu beaucoup de progrès : les jeunes gens, si peu dévots par le passé, se font remarquer maintenant pour leur assiduité à fréquenter les sacrements. Quelques abus du rhum, voire même de la danse, furent les plus grands désordres dont certains missionnaires eurent à se plaindre.

J’ai dit dans un autre chapitre tout le mal que les Français révolutionnaires et les Américains indépendants firent aux Madelinots pour les éloigner de la direction de leurs prêtres et les faire désobéir à la loi. Par ailleurs, après le départ de l’abbé Allain qui avait été leur père, leur ami et leur consolateur dans tous les mauvais jours qui, se succédant l’un à l’autre, formaient la trame douloureuse de leur vie, ils s’étaient sentis abandonnés. L’abbé Allain était un des leurs : il les avait vus naître et grandir ; il les avait mariés, guidés, conseillés ; il avait entrepris avec eux une nouvelle migration pour échapper au démon de la Révolution et sauver leur foi. Car, c’était ce seul motif, leur foi, qui avait réglé leur conduite depuis le départ de l’Acadie. Sa bonté paternelle se les avait attachés comme des fils. Il les comprenait ; il avait souffert avec eux ; il connaissait comme eux les horreurs de la proscription, et c’est de plein gré, c’est par amour pour eux qu’il avait voulu partager leurs douleurs, en les accompagnant dans un nouvel exil. Leur histoire lamentable, il la connaissait, pour la leur avoir fait conter maintes fois ; et c’est au récit de toutes leurs misères qu’il avait senti monter en lui la flamme d’un grand amour pour ces déshérités. Il avait voulu leur donner le reste de sa vie. Déjà il tirait sur l’âge ; ses cheveux blanchissaient en même temps que les rhumatismes l’accablaient. Tout de même, il continuait sa mission auprès de ces pauvres gens. Et malgré son vieil âge — il avait plus de 70 ans — il faisait encore des courses aux missions de la Nouvelle-Écosse. En 1809, il se dit vieux, infirme : l’esprit s’en va, il craint de mourir seul, il demande un remplaçant, mais le bon Dieu veut qu’il passe les dernières années de sa vie avec ses chers Madelinots. Il les laisse en 1812 pour aller mourir à Québec à l’âge de 77 ans. Que leur reprocha-t-il ? Une fois seulement, dans un post-scriptum, il dit à l’évêque que l’esprit de l’habitant est insubordonné : chacun voulant être son maître. C’est la seule plainte qu’il ait formulée à l’endroit des insulaires.

Quelle différence avec les lamentations des prêtres qui lui ont succédé !

En 1839, l’abbé Alexis-Alphonse Bélanger vient prendre la direction de la mission. C’est le premier qui montre de l’enthousiasme à labourer ce champ embrumé, qui donne des statistiques précises et décrit la situation. Il s’oublie, se fait insulaire et Acadien, et conquiert tout de suite la confiance entière de ses ouailles. Peu de temps après son arrivée, il se loue de leur obéissance. Il fera d’eux ce qu’il voudra : leur cœur s’est ouvert à sa sollicitude et leur bonne volonté lui est acquise. Dès ce premier été, il fait bâtir une maison d’école et tirer du bois pour en faire deux autres. Bravo ! voilà de la bonne besogne, voilà un commencement d’organisation ! Il semble qu’avant lui on n’ait pas soupçonné que ces Acadiens, au nombre de 1380, étaient susceptibles d’instruction et d’éducation.

Au lieu de pleurer et de geindre sur son sort, de languir en attendant le terme de son supplice, l’abbé Bélanger, envoyé là pour un terme de trois ans, comme ses prédécesseurs, s’empressa d’écrire à son évêque, dès l’ouverture de la navigation, en 1842, pour lui demander un prolongement indéfini de séjour sur ces rivages. « Le temps passe avec une telle rapidité qu’il me semble que je viens d’arriver. Je compte ici des jours assez heureux. Je dois avouer cependant que c’est un peuple fort exigeant ; s’il donne un sou, il voudrait avoir un louis et un peu murmurer. Il faudrait faire suivant ses caprices. Si on renvoie un enfant de la première communion, « c’est comme ça qu’on gagne sa dîme, » dit-il sur la même lettre. En arrivant, il avait constaté que le champ avait besoin d’être travaillé ; il avait sondé toute la profondeur du mal à guérir ; il avait compris la misère et le découragement de ces pêcheurs, s’était attendri au récit de leurs malheurs ; et il avait voulu être leur ami, pour les faire marcher à sa suite, de progrès en progrès, comme le Christ sur les rivages de la Galilée. Il veut continuer la tâche vaillamment entreprise : il restera encore trois ans, encore six ans, et quand il partira ce sera pour accompagner ses fils spirituels sur les côtes de Terre-Neuve et du Labrador où ils iront chercher un refuge à leurs maux nouveaux.

Monseigneur Bernard McDonald, deuxième évêque de Charlottetown, visita les Îles en 1841 ; les habitants lui demandèrent un second missionnaire. Il leur répondit qu’il n’avait pas de prêtres disponibles mais que peut-être l’évêque de Québec pourrait encore lui venir en aide. En 1846, l’abbé Cajetan Miville-Deschênes vint desservir le Havre-aux-Maisons et le Cap-aux-Meules, avec résidence au premier endroit. Ce sont les deux derniers prêtres desservant les Îles, qui ont correspondu fréquemment avec l’archevêque de Québec.

Les quelques Canadiens qui représentaient l’autorité civile aux Îles, jaloux de l’immense influence que Monsieur Bélanger exerçait sur les insulaires, cherchèrent à lui provoquer des ennuis. Ses chantres d’église étaient ces Canadiens turbulents et prétentieux, il voulut s’en débarrasser. Dans l’hiver de 1848, il tint chez lui une école de plein chant, régulièrement deux fois par jour. Sept jeunes Acadiens suivirent ce cours avec entrain et assiduité. (Il en nourrit trois tout l’hiver.) À la fin, il avait la satisfaction de remplacer « les mauvais chantres canadiens » par un jeune chœur acadien dont le maître-chantre n’avait que 14 ans et le plus âgé 17. « Il y a maintenant de la graine de chant au milieu de mes pauvres Acadiens », disait-il avec fierté ; ces jeunes « sont meilleurs que les vieux, ils étonnent ; ils feront la classe à d’autres. » Et il ajoute : « Voilà un excellent moyen de passer agréablement et utilement l’hiver. »

En 1849, monsieur Bélanger obtint un remplaçant de Monseigneur McDonald et alla passer une partie de l’hiver à Rustico, sur l’Île-du-Prince-Édouard. Le 17 janvier, il arrivait à Caraquet où il se reposa quelques mois chez son ami, monsieur le grand-vicaire Pâquet. Puis, au printemps suivant, à l’ouverture de la navigation, il se rendit à Paspédiac où, de concert avec monsieur Hilaire Nadeau, il organisa une expédition sur la Côte-Nord et à la Baie Saint-Georges pour visiter les âmes abandonnées de ces parages lointains. En passant, il toucha aux Îles de la Madeleine, pour y faire ses adieux éternels. Il emmena son petit maître-chantre pour chanter des grand’messes. Notre saint apôtre ne devait plus, hélas ! revoir les Îles qu’il avait évangélisées avec un inlassable dévouement. Il mourut à la Baie Saint-Georges, le 7 septembre 1868 et fut inhumé à Saint-Roch-des-Aulnais, sa paroisse natale. Reconnaissance éternelle à ce vaillant ouvrier qui a consacré aux Madelinots, en des circonstances excessivement difficiles, dix longues années d’une vie débordante de zèle héroïque.[64]

L’abbé Charles-Nazaire Boudreault, enfant des Îles, vint prendre les rênes du gouvernement spirituel du Havre-Aubert en 1849. C’est le premier prêtre originaire des Îles, le premier Acadien chargé de les desservir, et aussi le premier prêtre du diocèse de Charlottetown envoyé chez les Madelinots.

À l’automne de 1846, pour faciliter aux gens l’accomplissement de leurs devoirs religieux, les Îles furent partagées en deux sections, sans être érigées en paroisses canoniques proprement dites ; aujourd’hui même elles ne le sont pas encore ; ce sont des missions ou quasi-paroisses, tout en ayant cependant une circonscription séparée, distincte et bien précise.

Trente ans après, toute l’île de l’Étang-du-Nord fut confiée à un missionnaire, ce qui faisait trois prêtres sur les Îles.[65]

Celui du Havre-aux-Maisons s’occupa de la Grande-Entrée et y construisit une église en 1887 (Meunier) ; celui du Havre-Aubert desservait le Bassin. Il en fut ainsi jusqu’en 1916, où un jeune Acadien, l’abbé Gallant, vicaire à l’Étang-du-Nord depuis deux ans, fut nommé à la cure du Havre-Aubert, Monsieur l’abbé Thériault gardant le Bassin.

C’est seulement vers 1850 que les Îles ont été entièrement administrées par l’évêque de Charlottetown. Il y a aujourd’hui cinq églises catholiques, une église et trois chapelles protestantes. Elles sont toutes de bois. L’église catholique de l’Étang-du-Nord peut rivaliser avec les plus belles églises des vieilles paroisses canadiennes, par sa masse imposante, son style pur gothique, sa nef élancée, son site exceptionnellement grandiose. Elle fut définitivement restaurée et agrandie en 1914.


PRÊTRES DESSERVANT LES ÎLES DE LA MADELEINE DEPUIS 1774.
Une seule mission — toutes les Îles. (72 ans)
L’abbé Leroux
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1774-1784
L’abbé» William Phelan
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1784-1792
L’abbé» J.-B. Allain
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1808-1812
L’abbé» Gabriel Champion et
L’abbé» Frs Lejamtel de
la Blanterie
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1798-1808
L’abbé» J.-B. Allain
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1792-1798
L’abbé» Ls-Jean Beaubien
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1813-1817
L’abbé» René Gaulin
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1817-1819
L’abbé Madran
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1819-1822
L’abbé» Magl. Blanchet
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1822-1824
L’abbé» Pierre Béland
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1825-1827
L’abbé» Pierre Bédard
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1827-1830
L’abbé» P.-H. Brunet
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1830-1833
L’abbé» Ths.-L. Brassard
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1833-1837
L’abbé» L. Noël
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1837-1839
L’abbé» A.-Alex Bélanger
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1839-1846
Deux Missions (30 ans)
Havre-Aubert
(L’île du Hâvre, d’Entrée, la Côte de l’Étang-du-Nord)
l’abbé A-Alex Bélanger
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1846-1849
l’abbé C. N. Boudreault
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1849-1876
 
 
 
Havre-aux-Maisons
(L’île du H. M., le Cap-aux-Meules et les Barachois)
Cajetan Miville
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1846-1868
Azade-J. Trudel
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1868-1871
Geo. A. Belcourt
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1871-1874
Chs. N. Boudreault[66]
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1874-1875
J. C. Onésime Hébert
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1875-1876
Trois Missions (depuis 1876)
N.-D.-de-la-Visitation-du-Havre-Aubert
(L’île entière)
Chs.-N. Boudreault
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1876-1887
S.-Frs-Xavier-du-Bassin[67]
(toute l’île avec mission au Havre)
L’abbé Pélissan
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1879-82
L’abbé» Picotte
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1882-84
L’abbé» Henri Thériault[68]
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1884-87
L’abbé» S. Boudreault[69]
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1887-89
L’abbé» Pouliot
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1889-96
Isaac Thériault[70]
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1896-89
St-Pierre-de-l’Étang-du-Nord
(toute l’île)
L’abbé»L’abbé O. Hébert[71]
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1876-81
L’abbé» Allard
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1881-86
 
L’abbé G. de Finance
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1886-89
L’abbé» Jean Chiasson
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1889-91
L’abbé» G. de Finance
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1891-99
L’abbé» J. Aug. Blaquière
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1899-89
L’abbé» Gallant, vic
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1914-16
Ste-Madeleine-du-Havre-aux-Maisons :
(toute l’île avec Grande-Entrée
et Pointe-au-Loups.)
J. C. O. Hébert
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1876-86
J. B. J. Ed. Meunier
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1886-89
Jean Chiasson[72]
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1889-91
G. de Finance
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1891-92
J. Aug. Blaquière.
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1892-99
J.-Sam. Turbide[70]
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1899-89
l’abbé Desroches, remplaçant M. Turbide en Europe, un hiver.

ÉMIGRATION

L’idée d’émigrer s’empara violemment des Madelinots vers 1848. Résumons les principales causes de cet exode : Coffin veut faire reconnaître et accepter ses titres de seigneur ; nos Madelinots s’y refusent avec opiniâtreté ; il leur demande une rente exagérée pour quelques arpents de terre ; il les poursuit, leur enlève leurs propriétés ou les tient dans une inquiétude constante. Quelques marchands sans conscience leur font payer les articles les plus indispensables à la vie 75 à 100% plus cher qu’à Québec ; loin de les encourager à cultiver la terre, ils cherchent plutôt à les en détourner ; ils leur font trop de crédits et les tiennent systématiquement enchaînés dans les dettes. Les étrangers viennent s’emparer des meilleurs fonds de pêche, des grèves, même de toutes les Îles dans la belle saison ; et aucun pouvoir civil ne protège les insulaires qui sont obligés d’aller chercher à la Baie Saint-Georges et sur la Côte-Nord le poisson qu’ils pourraient prendre aisément à leur porte, n’étaient ces nuées de pirates qui s’abattent sur leur territoire. Dans ces courses lointaines, ils font des marchés plus avantageux qu’aux Îles, rencontrent des lieux habitables et en rapportent la description à leurs familles émerveillées. Une disette, une famine, qui plongea toute la population dans la misère noire en l’hiver 1847-48, en décide enfin un grand nombre à s’expatrier.

À la Baie Saint-Georges

Voici en quels termes pathétiques l’abbé Bélanger décrit la situation au mois de mai 1848 :

« Fatigués de souffrir de la faim et ne voyant devant elles que la fâcheuse perspective de souffrir encore davantage à l’avenir, un grand nombre de familles originaires de ces îles émigrent sur les plages arides, hâves et sauvages de la Baie Saint-Georges. Quinze familles sont parties la semaine dernière de mes anciennes missions ; autant d’autres de ma mission actuelle s’embarquent aujourd’hui avec leur pauvre bagage pour faire voile vers le même lieu. Leur séparation de leurs parents, et amis est pitoyable. Leurs adieux sont des gémissements et des larmes. Ces pauvres gens s’éloignent de nos rivages sans espoir de revenir jamais s’y fixer.

« Je vis hier un respectable vieillard âgé de quatre-vingts ans, marchant avec peine appuyé sur sa canne. Il me dit qu’il était sur le point de partir. Touché de compassion de le voir s’expatrier à la veille de la mort, je lui dis qu’il allait mourir dans une terre étrangère où il serait privé de tous les secours de la religion et où il ne trouverait seulement pas un petit coin de terre bénite pour y faire déposer ses os. Il me témoigna de bons attachements pour la religion et pour ses ministres en me répondant avec cette belle et antique foi des Acadiens : « Je pars pour suivre mes enfants, unique ressource de ma vieillesse, mais je vous déclare que la mort me serait plus douce que le départ. Vous voyez que je puis à peine me traîner sur mes cannes (jambes). Eh bien ! si le bon Dieu ne m’ôte pas la vie cet hiver et si je trouve une occasion, quand même je ne pourrais plus marcher qu’à quatre pattes, je vous promets que je reviendrai le printemps prochain pour faire mes Pâques ici et pour vous voir encore une fois. » Je fus profondément ému en entendant l’expression sincère des sentiments de son cœur. Je lui enseignai la manière de s’exciter à la contrition parfaite accompagnée du désir de recevoir les sacrements, en cas de danger de mort. Je lui délivrai un certificat de bonne conduite, et il me quitta en pleurant et en me serrant la main.

« Peu de maladies et de mortalités. Mais bien des faces blêmes et livides portant l’empreinte d’une extrême misère. Personne n’a de patates pour planter, ni aucune espèce de grain pour semer. La moitié des gens ne pourront point avoir chez les marchands des avances pour la pêche. Toutes les maisons sont vides de provisions. Plus d’un tiers sans moyen quelconque pour en acheter. Plusieurs ont détruit et mangé tous leurs bestiaux cet hiver. »

Le 15 juillet 1849, écrivant à Monseigneur Turgeon, il ajoutait : « La moitié de nos insulaires est décidée d’aller se fixer sur la côte ouest de Terre-Neuve. Ils sont fatigués de la misère : la terre et la mer ne leur donnent que miette à miette les choses indispensables à la vie. Pour achever de les déterminer il faudrait un prêtre. Ils me supplient de les accompagner pour fonder une mission à la Baie-des-Îles. » Au printemps de 1850, avant de partir pour la Baie-des-Îles et la Baie Saint-Georges, il écrit : « La plupart des Madelinots s’y transporteront au cours de l’été. Monseigneur Flemming leur tend les bras. »

Ces prévisions ne se réalisèrent pas tout à fait. Maintes gens à la veille de partir virent leurs barques et leur butin saisis par les marchands vampires de l’endroit. Et il n’apparaît pas que le courant d’émigration fut bien fort de ce côté. Il prit plutôt la direction du nord.

L’expédition de Pic-de-Lis se composait de Jean Cormier, Vital Chevarie, Fabien Lapierre, Isidore Vigneau et leurs familles. Le petit Poirier de l’Étang-du-Nord et Michel Lapierre les ont traversés dans le mois de mai, Vital Chevarie et Isidore Vigneau ont été à la Baie Saint-Georges et les deux autres à Pic-de-Lis. Michel Lapierre est retourné les chercher le même automne. Ils avaient eu de la misère à vivre l’été, étant obligés de lever des « coqs » pour se faire de la soupe ; et, sans les Français établis à l’Île Rouge, pas loin de là, lesquels leur fournirent des provisions, ils auraient cruellement souffert de la faim. (Renseignements fournis par Placide Vigneau qui les eut de Nelson Giasson, renseigné lui-même par Nazaire Cormier, ancien habitant du Havre-Aubert).

Sur la Côte-Nord

Avant de donner quelques détails sur l’émigration des Madelinots vers la Côte-Nord, il est bon de faire connaître la situation de cette partie du pays à cette époque. Depuis le cap Whittle jusqu’à Tadoussac, c’est-à-dire sur un parcours d’environ 300 milles, on ne rencontrait que les postes de la Compagnie de la Baie d’Hudson, tels que Port-Neuf, Bethsiamits, Godbout, Sept-Îles, Mingan, Natashquan, Masquaroo, etc. Les autres, de moindre importance, étaient des postes de pêche en été et de chasse en hiver. L’Honorable Compagnie avait aussi une ou plusieurs chaloupes armées pour faire la police le long des côtes. Pendant les années 1853 et 54, quelques firmes jersiaises, possédant des pêcheries dans la Baie des Chaleurs et autres localités des côtes gaspésiennes, fondèrent des établissements de pêche à Sheldrake, Rivière-au-Tonnerre, Longue-Pointe-de-Mingan et aux environs. Le bail de la Compagnie allait expirer, et les agents s’étaient considérablement relâchés de leur morgue insolente et de leur sévérité tyrannique envers ceux qui avaient la malencontreuse audace de s’aventurer sur leur domaine. Les Madelinots étaient de ceux-là.

Blanc-Sablon et ses alentours étaient habités depuis avant 1800 par les établissements de pêche des Jersiais : de Quetteville,[73] Le Brocy, le Boutillier, Syvret, Guillaume LeGressley. Vers 1840, le capitaine Le Scelleur, agent de Quetteville, s’avisa d’aller engager des pêcheurs des Îles de la Madeleine pour pêcher au cent. LeBoutillier suivit son exemple. Ils leur fournissaient barge, bouette, etc., et leur payaient une piastre, moitié en effets, moitié en argent, pour cent morues rondes jetées sur le chaffaud… Les années où la morue donnait abondamment, d’aucuns faisaient des affaires d’or. Un vaisseau les allait chercher aux Îles au commencement de juin pour les y ramener vers la fin d’août. Il s’engageait aussi des trancheurs pour un salaire de $30 à $35 par mois à bord des Américains qui les débarquaient aux Îles en s’en retournant dans leur pays. Les Madelinots avaient ainsi l’avantage de connaître toute cette partie de la Côte-Nord, du Labrador et de Terre-Neuve ; mais ils n’allaient pas au delà de Natashquan. Telle fut l’origine de leur émigration sur la Côte-Nord.

En 1854, Jean Boudreau mit le cap sur Kégaska. Il était accompagné de Narcisse Hervé, Laurent Gallant, Isidore Chiasson, Urbain et Laurent Bourgeois et leurs familles, tous de l’Étang-du-Nord. La même année, Lazare Petitpas partit du Cap-aux-Meules pour s’établir à Blanc-Sablon.

En 1855, Paul, Jean, Hilaire, Placide et Ignace Vigneau, Victor Cormier et son fils Rémi, Jean Chiasson et Pierre Lapierre, tous avec leurs familles, se fixèrent à Natashquan. En même temps d’autres familles de l’Étang-du-Nord s’en vont à Kégaska : Patrice Chiasson, Boniface Bourgeois, Jude Poirier, Bertrand Déraps.

En 1856, Charles Vigneau, Paul Landry, Louis Talbot, Prosper Bourgeois, Thimothé Chiasson, tous du Havre-Aubert, vont rejoindre leurs compatriotes de Natashquan.
Le Havre-aux-Maisons

En 1857, quinze familles du Havre-aux-Maisons et du Cap-aux-Meules fondent la capitale du Nord : la Pointe-aux-Esquimaux. — Havre Saint-Pierre depuis 1924. — Pour se faire une petite idée de ce qu’étaient ces gigantesques équipées vers le nord, ouvrons le journal, si exact et si palpitant d’intérêt, tenu à jour par Placide Vigneau, le distingué historiographe de la Côte-Nord ; qu’il daigne agréer mes chaleureux remerciements pour tous les précieux documents qu’il a si cordialement mis à ma disposition.

« Départ, 27 ou 28 mai 1857 ; chaloupe Mariner, capitaine-propriétaire, Firmin Boudreau ; familles, Nathaël, fils du capitaine, Benjamin Landry, son gendre, François Petitpas, Louis Cormier, son beau-frère, John Boudreau (Madoise) et quelques jeunes gens dont les familles avaient l’intention de traverser bientôt.

« Le Mariner fait voile vers la Côte-Nord en quête d’une situation favorable pour le nouvel établissement. Il atterrit à la Rivière-aux-Corneilles, à quelques milles à l’est de l’île Sainte-Geneviève, vers le soir, y ancre pour la nuit. Le lendemain, le chaloupe appareille en route vers l’ouest, passant au large des îles de Betchouans et de Saint-Charles et arrive le soir dans l’anse de l’ouest de l’île du Havre de la Pointe-aux-Esquimaux pour y passer la nuit. Au petit jour, en avant entre les îles et la terre ferme. Ils parviennent ainsi à Mingan qui conquit du premier coup toutes les sympathies. Ils s’empressent de débarquer avec enthousiasme les bestiaux, effets, etc., lorsque l’agent de la Compagnie de la Baie d’Hudson s’y oppose formellement. Devant la force pas de résistance. Découragés et tout en larmes. ils songent à regagner le sol natal, quand ils rencontrent le Révérend Père Charles Arnaud, o.m.i. (d’Avignon, France) chargé des missions montagnaises de la Côte-Nord et le capitaine Placide Lemarquand qui les encouragent et les relèvent de leur abattement, en leur faisant entrevoir la possibilité de trouver entre Mingan et Sainte-Geneviève un emplacement favorable. Fortifiés, ils font voile à l’est, passent la Pointe-aux-Esquimaux, sans songer à s’y arrêter et arrivent aux Betchouans, le 9 juin. Ils mouillent l’ancre, descendent et visitent : havre excellent, terrain pierreux, une seule source d’eau potable. Devant cette situation peu alléchante, quelques femmes font remarquer timidement qu’elles ont observé, à mi-chemin entre Betchouans et Mingan un site qui leur a beaucoup plu. Après quelques heures de réflexion, on se rend à ce dernier parti et le lendemain, 10 juin, un mercredi, veille de la Fête-Dieu, on hisse les voiles. Vers midi, le Mariner jette l’ancre devant la Pointe. Après un rapide coup d’œil, tout l’équipage est conquis, et, séance tenante, bestiaux, effets et matériaux, tout est débarqué. On bâtit à la hâte quelques cabanes pour l’été, pour y abriter les vieillards, les femmes et les enfants. Après cette sommaire prise de possession, tous les hommes sous le commandement de Nathaël se rendent à Sheldrake pour la pêche ».

Chaque année ensuite, d’autres familles s’ajoutent aux premières. Le gros de l’émigration se porte surtout vers la Pointe-aux-Esquimaux. Le poste de Kégaska ne dure que 23 ans. Pendant ce temps les Acadiens l’abandonnent, en vendant leurs propriétés à des Irlandais venus de Terre-Neuve, et vont fonder Betchouans d’où ils lèvent le camp en 1887 pour s’éparpiller un peu partout.

Natashquan était le poste le plus avantageux pour la pêche. Les gens y vivaient dans l’abondance ; tous avaient le précieux bas de laine chargé d’épargnes : point de dettes. Leur situation s’était considérablement améliorée depuis leur départ des Îles. C’était l’âge d’or : la mer leur donnait le poisson qui se vendait bien ; la forêt, le bois et les insurpassables pelleteries du Nord. La paix régnait parmi eux. Il en était de même à la Pointe où une église et une école s’érigeaient déjà au milieu du gracieux et coquet village. Un missionnaire y résidait en 1860 et le premier instituteur en 1862. L’immigration continua son cours, si bien qu’en 1865, il y avait plus de 120 familles acadiennes sur la Côte. En 1872 les Sept-Îles furent fondées par Dominique Chiasson, du Bassin, qu’on appelait Dominique à Jean Natha, Benj. Montigny et quelques autres familles, des Lebel et des Hébert, qui en revinrent deux ans plus tard. D’autres de la Pointe fondèrent Washtawaka en 1874, mais déguerpirent en 1886 pour la Beauce. Ainsi, il s’est établi des Madelinots tout le long de la côte : à Auguanish, Piastrebaie, Rivière-au-Tonnerre, Sheldrake, Moisie, Sainte-Marguerite, Pentecôte, etc… Mais à la fin il n’est resté que trois postes importants : Natashquan, la Pointe-aux-Esquimaux et les Sept-Isles.

L’abbé Ferland qui visitait ces gens en 1859, eut un bon mot à leur endroit : c’est « une population vigoureuse, morale et franchement catholique. Les hommes en général sont forts et robustes. Ils sont surtout de hardis navigateurs ; les mères de famille sont bien instruites des vérités de la religion et savent élever leurs enfants dans la crainte de Dieu… Les maisons sont propres à l’extérieur et à l’intérieur ; la bonne tenue qui y règne prouve que les habitants ont joui d’une certaine aisance dans leur ancienne patrie ». À Natashquan, il dit la messe chez la patriarche du lieu. Victor Cormier, « famille extrêmement respectable ». Il apprend d’un pêcheur que ce sont les plaies d’Égypte qui les ont fait décoller des Îles de la Madeleine : « Les trois premières, ce sont les mauvaises récoltes, les seigneurs et les marchands ; les quatre autres ont fait leur sinistre apparition avec les gens de loi. Du moment que les avocats ont paru, impossible d’y tenir plus longtemps ! »

De fait, ça ne pouvait pas être le manque d’espace, puisque les Îles ne contenaient qu’une population d’environ 2000 âmes, à cette époque. En vérité, il fallait bien les plaies d’Égypte pour forcer ces gens d’abandonner le sol qu’ils avaient défriché, leurs maisons, leur prêtre et se réfugier en intrus dans la sauvagerie du nord, loin des secours spirituels, sur une seigneurie[74] encore moins avantageuse que la première, parce qu’il leur était tout à fait impossible d’avoir des titres de possession. (Depuis longtemps déjà, ils les obtiennent en bonne et due forme).

C’est pourquoi l’abbé Ferland élève la voix, afin que le gouvernement protège ces colons « formés aux durs travaux de la terre et de la mer, appartenant au pays, parlant le doux parler de France, fermement attachés à la religion de la majorité des habitants du pays, capables de mettre en valeur les pêcheries, de fournir de bons marins, de lutter pour conserver au Canada ses droits et ses privilèges contre les envahissements des spéculateurs des États-Unis ». Nous verrons dans un autre chapitre, quelle protection fut tardivement accordée aux Îles de la Madeleine ; ce ne fut pas mieux sur la Côte-Nord. Ils s’y sentaient tout de même plus à l’aise au point de vue matériel. La pêche dans le nord, que les Madelinots menaient alors sur une grande échelle, entretenait les relations entre ces deux colonies acadiennes et accentuait le courant d’émigration. De telle sorte que les expatriés continuaient de respirer l’atmosphère du pays natal dont ils se croyaient à peine distants, malgré les 300 milles qui les séparaient de leurs chères îles.

Jusqu’en 1880, cette population s’accrut continuellement, car il n’y avait pas de perte. Les enfants se mariaient et s’établissaient autour de leurs parents. Mais voici les mauvaises années, le poisson qui manque, la misère qui s’en vient au triple galop ! Que faire ? Évidemment il faut encore transporter ses pénates ailleurs, mais où aller ? Retourner aux Îles ? Mais on en est parti parce qu’on n’y pouvait plus tenir !…

Dans la Beauce

En 1885, l’abbé Boutin, vicaire à Saint-Georges de Beauce, fut chargé de la desserte de onze missions sur la Côte-Nord, avec pied à terre à Notre-Dame-de Natashquan. En voyant ces pauvres pêcheurs plongés dans la misère, il eut l’excellente idée de travailler à les sortir de ce marasme. Il connaissait bien les plaines si fertiles de la Beauce et il savait que la place ne manquait pas pour de nouveaux colons. Il propose donc à ses gens d’aller s’établir sur des terres où ils deviendront cultivateurs. La perspective de posséder un lot et d’y vivre sans l’inquiétude harassante du pêcheur leur sourit. Le projet ébauché, il fallait l’approbation de Mgr Bossé, préfet apostolique du Golfe St-Laurent, et l’aide du gouvernement pour le réaliser. Cela s’obtint sans misère. Le premier ministre, l’hon. J. J. Ross, promit d’accorder des titres aux conditions ordinaires, d’aider à bâtir une maison en bois rond sur chaque lot et de nourrir les familles durant le premier hiver. Jusque là, c’était parfait, mais le moyen de transporter tout ce monde ? Le gouvernement de Québec ne voulant rien faire en ce sens, l’abbé Boutin s’adressa alors à Ottawa, et fut exaucé. Le Napoléon III, en revenant de desservir les phares du Golfe, conduirait tous ces futurs colons à Québec. La majorité des émigrants partit de Natashquan. « Avant de s’embarquer, ils entendirent tous la sainte messe puis se rendirent au cimetière, afin de prier une dernière fois sur la tombe de leurs chers défunts et aussi pour leur dire un dernier adieu en ce monde. » (Boutin).

Ils étaient une trentaine de familles : Hilaire, Eusèbe, Isidore, Charles, Ignace, Alexandre, Hippolyte et Nathaël Vigneau ; William, Émile, Henri, Nazaire Cormier et un de ses fils marié ; Abel et Hippolyte Chevarie et un autre Chevarie dont le prénom est perdu ; Gilbert, Henri et Thimothée Chiasson ; Siméon Lapierre et deux autres du même nom ; Joseph et Syllas Bourque ; Placide Talbot, Élie Landry, David Richard, Alcide Bourgeois et Jules Gaudet.

De l’Isle-à-Michon : Vilbon Petitpas, Xavier et Dominique Boudreau, Cléophas et Joseph Allard, Boniface et Alfred Bourgeois, un Vallée et quelques autres.

D’Aguanish : Onésime Hébert, Alfred Cormier et deux ou trois autres. Micheau Rochette de la Rivière Nopissipi, Philippe Hervé et un Champion de la Pointe-aux-Esquimaux complétèrent le nombre. En tout, près de cinquante. Elles arrivèrent à Québec le 6 octobre 1886 et trouvèrent un abri dans les hangars des émigrés à Lévis où elles durent attendre une dizaine de jours, avant que le gouvernement ne put les faire transporter, par le Québec Central, à Saint-François-de-Beauce où les gens de Saint-Georges et de Saint-Côme les prirent dans leurs voitures et les menèrent à cinq milles plus haut que l’église de Saint-Côme, sur le chemin de Kénébec. » (l’abbé Boutin). Il y avait là une immense maison de 100 pieds de longueur, à trois étages, avec une aile en arrière, construite autrefois par une compagnie minière de Boston. La divine providence l’avait conservée pour cette circonstance, car presque toutes ces familles purent s’y loger pendant que les hommes construisaient leurs maisons en bois rond, terminées vers la fin de décembre. Au mois de janvier, le ministère Ross tomba ; l’honorable M. Taillon forma un cabinet éphémère et fut remplacé par l’honorable Honoré Mercier. Celui-ci n’approuva pas tout de suite l’initiative du gouvernement Ross à l’endroit des Acadiens de la Côte-Nord et menaça même de couper les secours promis. La situation devenait critique, mais grâce au dévouement de M. l’abbé Boutin, après un incident piquant avec l’honorable Mercier, ce dernier, non seulement accorda ce qui avait été promis, mais il ajouta $1000 pour commencer les routes. C’était le salut…[75]

Ces pêcheurs n’avaient aucun entraînement pour le travail du colon, aussi eurent-ils à souffrir grandement de leur inhabileté. Mais, encouragés et soutenus par l’abbé Boutin, ils se firent assez vite à leur nouveau genre de vie et s’attachèrent au sol de la Beauce. Ils y sont aujourd’hui (1922) 70 familles.

Dans la Matapédia

Dans le même temps, le poisson se fit plus abondant autour des Îles de la Madeleine et la situation des insulaires s’améliora. Se pliant philosophiquement aux événements, ils abandonnèrent leurs goélettes et organisèrent la pêche sédentaire. Dès lors, la navigation dans le nord fut interrompue et, par le fait même, l’émigration. (Ce n’est que vers 1900 qu’une autre petite colonie du Havre-Aubert et de l’Étang-du-Nord alla tenter fortune à Aguanish). La protection du gouvernement commença à se faire sentir et, les Américains étant tenus à distance, la paix et la prospérité vinrent enfin visiter les insulaires. Pour plusieurs années, il ne se fit pas ou point d’émigration : la population s’accrut rapidement.

Mais voilà qu’un jour l’honorable E. J. Flynn, ministre des terres de la couronne dans le cabinet Taillon et député de Gaspé, eut l’idée de transformer en colons-défricheurs les pêcheurs madelinots. C’était à l’époque où le courant de colonisation commençait son sillon dans la vallée de la Matapédia. Les descriptions poétiques, les circulaires alléchantes, les nombreux rapports envoyés aux Îles exagéraient les avantages de cette nouvelle région. L’honorable Monsieur Flynn encouragea particulièrement les Madelinots à tenter cette entreprise et leur promit son puissant appui. Cela leur sourit. En gens avisés, ils envoyèrent préalablement des éclaireurs se rendre compte de la situation. Louis Arsenault et André Thériault s’y rendirent aux frais de la communauté. Ils partirent des Îles le 30 mai 1896 à bord de la Mary-Jane qui allait à Chatham, sous le commandement du capitaine Amédée Cyr. De là, ils montèrent à Amqui, en chemin de fer. Ils visitèrent Amqui, Saint-Léon, Cedar Hall, Causapscal et Sainte-Florence, mais n’y trouvèrent pas ce qu’ils cherchaient, car ils voulaient un territoire assez grand pour y acheter une quarantaine de lots ensemble, afin d’y grouper autant de familles des Îles. Sans plus de succès, un peu découragés, ils arrivèrent dans leur pays par le même chemin, le 14 juin suivant. Leurs compatriotes les attendaient anxieusement. Le rapport de leurs émissaires les désappointa un peu, mais ne les dissuada pas. Ils décidèrent de renvoyer une autre expédition, plus nombreuse, avec mission de trouver un territoire inhabité pour y former une bonne paroisse acadienne. Louis Arsenault fut choisi de nouveau comme chef, auquel on adjoignit Samuel Jomphe, Célestin Lafrance, Marc et Fidèle Arsenault. Ils s’embarquèrent le 30 juin à bord de la goélette Una, capitaine Chevarie, qui allait à New-Castle et descendirent à Amqui le 5 juillet. Ils se mirent à explorer les cantons quand, le cinquième jour, ils rencontrèrent un arpenteur, M. Morency, qui faisait le relevé des frontières du canton Amqui. Il conseilla à ces gens d’aller visiter le sud du Lac-au-Saumon, leur fournit un plan et leur donna quelques indications. Ils étaient sur la piste. Les voilà partis à la recherche de la terre promise, sac au dos, à travers la forêt. Ils arrivèrent chez J.-B. Poitras, établi au bord du Lac. Ils y reçurent une aimable hospitalité dont ils profitèrent pendant la construction de leurs campements. Enfin, ils avaient trouvé un espace libre à deux milles du chemin de fer. Ils achetèrent immédiatement vingt lots et se mirent en frais d’y construire quelques « camps » pour les premières familles arrivées. Mais quels camps ! « Pauvres campes, me disait Louis Arsenault ; de temps à autre, il venait un homme voir ce que nous faisions et il ne pouvait s’empêcher de rire aux éclats, et nous, bons enfants, notre meilleur parti était de faire comme lui. » Imaginez des gens qui n’ont jamais vu la forêt et qui essaient de faire des campements de bûcherons. C’était leur cas. Très habiles sur la mer, ils avaient d’immenses progrès à réaliser dans les bois. Ils se gaudissent encore aujourd’hui quand ils racontent à leurs enfants les aventures de leurs premiers défrichements Malgré tout, le 26 juillet, ils télégraphient à leurs familles de venir. C’est la Canadienne, sous les ordres du capitaine Hénérie Bourque, qui transporte à Campbelton, les sept premières familles acadiennes à destination du Lac-au-Saumon. Ces familles étaient celles de Louis et de Marcel Arsenault, Samuel Jomphe, Célestin Lafrance, Amédée et André Thériault et Raphaël Turbide. Elles arrivèrent au mois d’octobre et hivernèrent dans les fameux campes. Quatre familles de l’Étang-du-Nord : Édouard et Louis Cyr, John Leblanc et Achille Verrault hivernèrent à Amqui et allèrent se fixer sur leurs lots dès le printemps suivant.

L’honorable E.-J. Flynn, devenu premier ministre au mois de mai 1896, apprit avec satisfaction la nouvelle de l’expédition des Madelinots et se rendit les voir à l’œuvre le 3 août de la même année. Il les encouragea beaucoup à poursuivre leur entreprise, s’occupa d’eux et leur réserva un territoire spacieux et fertile. Ils bénissent encore la mémoire de l’Honorable Flynn qui a toujours été pour eux un ami sincère et dévoué.

Ces détails m’ont paru nécessaires pour bien illustrer la première tentative de colonisation par des pêcheurs des Îles de la Madeleine, tentative couronnée de succès ; Lac-au-Saumon est aujourd’hui une paroisse prospère qui renferme 92 familles acadiennes.

Sur les bords de la Miramichi

En même temps que l’enthousiasme pour la Vallée battait son plein, une autre expédition fut organisée pour visiter les terres de Miramichi. Les esprits étaient en ébullition. La perspective d’émigrer sur des terres où on pourrait cultiver de vastes domaines défrayait toutes les conversations. Les navigateurs, dans leurs voyages en la Baie de Miramichi, avaient entendu parler de belles terres vacantes à la Baie-du-Vin. Ils rapportèrent ces nouvelles à leurs gens qui résolurent d’aller se renseigner sur place. Ils déléguèrent donc le capitaine Pierre Richard et Cyriac Richard qui furent pilotés par le capitaine Robt McLean de Hardwick. Fascinés et séduits par le site enchanteur, ils s’en retournèrent, et la même année (1899) cinq familles, celles de Luc Richard et de son fils Cyriac, de John Schofield et de son fils Joseph et celle de Samuel Turbide quittèrent le pays natal pour la Miramichi.

Ayant pêché tout l’été aux Îles de la Madeleine, ils n’arrivèrent à la Baie des Ouines qu’à la fin de septembre, juste à temps pour habiter la maison que Édouard Schofield et Denis Richard avaient préalablement construite. La petite caravane s’arrêta un soir chez un vieillard hospitalier du voisinage, Amand Cyr (aujourd’hui âgé de 88 ans) qui leur donna leur premier repas en terre étrangère.

Vite on termine tant bien que mal l’habitation pour l’hivernement ; on érige une petite étable pour abriter les divers bestiaux qu’on avait amenés ; on pourvoit aux nécessités de la saison prochaine, puis les hommes s’en vont gagner leur hiver à charrier des madriers sur leur dos, pour cinquante sous par jour, dans les scieries de Loggieville, à vingt-cinq milles de là. Deux fois la semaine, ils franchissent à pied cette distance pour venir consoler leurs familles souffrant de nostalgie dans ce pays sauvage et inconnu.

Le vieux Cyr fut un bon voisin, très serviable, pour ces nouveaux venus qu’il appelait les Îles à Madeleine. Que de fois il trouva les femmes tout en larmes, s’ennuyant à mourir des parents et des amis laissés là-bas au cher pays natal, de l’école, de l’église surtout ; il s’efforçait par sa constante bonne humeur, de les raisonner et de les encourager dans leur détresse… mais en pure perte… Et nos mater dolorosa inconsolables de crier à tue tête leurs interminables jérémiades : « Qu’allons-nous devenir ? pas de prêtre, jamais de messe ; pas d’écoles, nos enfants vont rester ignorants Quel triste pays ! »

Une chose cependant les consolait dans leur affreuse Thébaïde, il y avait du bois en abondance et on se chauffait à bon marché : « Si nous pouvions en passer quelques bargées aux gens de chez nous, disait Édouard ; ça me fait-il deuil de voir gaspiller du bois comme cela quand on en avait si peu aux Îles », reprenait sa sœur.

L’acclimatation se fit peu à peu, par les petits. L’été suivant, on se mit à l’œuvre plein d’ambition et d’espoir sur le lot choisi ; on jeta en terre un peu de grain et quelques légumes ; on défricha quelques arpents tout en sortant son bois de charpente pour la maison à construire. À l’automne, on s’engagea dans la pêche à l’éperlan avec quelques Anglais de l’endroit ; on réalisa de jolis profits qui permirent de consacrer l’été suivant à la culture. Mais une terrible épreuve vint fondre sur la colonie naissante et ruiner de fond en comble, cet établissement embryonnaire. Un incendie épouvantable ravagea toute la forêt d’alentours, détruisit le bois de charpente rendu sur place, toute la récolte prochaine et plusieurs animaux dont deux énormes cochons gras qui rôtirent dans leur tet (soue) qu’on avait oublié d’ouvrir. Quand on s’en aperçut le rôti était carbonisé. À peine put-on défendre l’habitation contre l’acharnement du feu à tout dévorer sur son passage, même les habits de nos vaillants et indomptables pompiers. Les femmes s’étaient sauvées à travers la rivière à l’Anguille. Résultat : aucune perte de vie humaine, mais un pays rasé, dénudé comme un désert plein de désolation et de deuil. Quel rude coup pour ces pionniers qui ne reçurent aucun secours des pouvoirs publics !

Sans se décourager, ils se remirent quand même à l’œuvre avec une nouvelle énergie. Le bon Dieu ne les abandonna pas dans leur immense malheur, car l’hiver suivant ce fut une pêche miraculeuse qui les aida puissamment à se rebâtir plus confortablement.

Quelques autres familles viennent s’ajouter aux premières ; mais aux Îles, on ne semble pas très enthousiaste pour la Baie-du-Vin : trente-deux familles seulement s’y sont établies jusqu’ici.

Quand les Madelinots abordèrent dans ces parages délaissés du Nouveau-Brunswick, ils trouvèrent parmi les Anglais quelques familles acadiennes, rares débris des anciennes familles qui s’étaient échappées de la vallée d’Annapolis et réfugiées là au temps de la persécution anglaise. Depuis plus de cent ans, elles avaient vécu en marge de la société, dans de misérables cabanes de bois rond, loin de l’église et de l’école, ne voyant de missionnaire qu’à de très rares intervalles. C’était fatalement et à brève échéance le retour à la vie primitive. Quelques rarissimes exceptions s’étaient livrées de toute leur âme à la culture du sol et avaient, comme toujours, réussi à se créer une modeste et honorable aisance, tels David Savoie et ce vieux Cyr qui hébergea si fraternellement et si cordialement les Îles à Madeleine ; le grand nombre étaient des meurt-de-faim qui ne mangeaient du pain qu’aux grandes fêtes chômées, et encore ; qui cultivaient misérablement quelques sillons de pommes de terre et qui n’allaient pêcher ou couper du bois que par nécessité extrême. La paresse les rongeait : c’était inévitablement l’indigence la plus complète au milieu de l’abondance même dans un pays de cocagne.

Leurs mœurs s’étaient relâchées avec le reste : la paresse est la mère de tous les vices… Aucune tentative n’avait été faite pour les tirer de cette avilissante abjection où ils croupissaient ; et, livrés à eux-mêmes, ils étaient incapables de se relever ; ils n’en avaient point l’énergie

Cette lamentable situation de gens qui devenaient leurs concitoyens, leurs futurs co-paroissiens, désola et dégoûta au dernier point nos Madelinots, accoutumés à un meilleur voisinage. Grâce à l’instruction et à l’éducation si solidement chrétienne, grâce à l’esprit de prosélytisme qu’ils tenaient de leur pays d’origine, ils prirent l’apostolique résolution de tout tenter pour relever et réhabiliter ces pauvres et tristes épaves. N’étaient-ils pas comme eux de nobles descendants des saints martyrs de l’Acadie, traqués, dépouillés, chassés, exilés, massacrés, pour leur attachement indomptable à la Foi catholique et à leur Roi bien-aimé ?

Coûte que coûte, il leur faut un prêtre résident au milieu d’eux ; ils vont en délégation auprès de Mgr Barry, de Chatham, qui, hélas ! ne peut accueillir favorablement leur très légitime demande : pas de prêtre disponible. Ils auront au moins une école et en donneront la direction à un des leurs, William Chiasson.

Durant onze années, ils iront à la messe à Escuminac, sept milles plus bas, à pied bien souvent, ou en petites charrettes à la façon des Îles, mais sans y manquer un seul dimanche. Quelle foi héroïque, digne des premiers temps de l’Église ! quelle piété intense ! On a même vu de pauvres femmes franchir allègrement et à jeun cette grande distance pour recevoir la Sainte communion…

Enfin, après mille et mille ennuis, grâce à l’indémontable ténacité de l’abbé Nazaire Savoie, leur tout dévoué curé acadien, (actuellement curé du Petit-Rocher, N. B.) ils finissent par arracher, en 1911, la permission de se construire une église à eux, ce qu’ils font sans retard à la Baie Sainte-Anne.

Aujourd’hui, vingt-sept ans après leur arrivée, cette paroisse de Sainte-Anne est parfaitement organisée : une belle grande église en pierre de taille, finie à l’extérieur et un magnifique presbytère, sans un sou de dette, plusieurs écoles florissantes, un curé et des institutrices de leur langue, etc… Vivent nos trente-deux Madelinots de la Baie Sainte-Anne ! C’est à eux que nous sommes redevables de tous ces merveilleux progrès. Et que serait-ce donc, si, comme leurs chanceux compatriotes de la Matapédia, ils avaient réussi à décrocher les encouragements et les faveurs des pouvoirs publics ? Par exemple, le développement des voies ferroviaires de Bathurst, Caraquet, Shippagan, Tracadie, jusqu’à Néguac, Pointe-Sapin, Escuminac, Baie Ste-Anne, pour aboutir à Newcastle, en sillonnant la région si merveilleusement fertile de l’incomparable Miramichi.

Ce sont les deux seuls groupements de Madelinots émigrés sur des terres. Pourquoi ces deux courants n’ont-ils pas été plus forts et pourquoi n’ont-ils pas continué à charrier vers d’autres terres neuves le trop plein de cette magnifique population ? C’est, je crois, le manque d’organisation. Si une société de colonisation avait canalisé et dirigé le surplus de la population des Îles de la Madeleine vers les terres neuves de notre province, elle aurait pu arracher aux centres industriels et au gouffre déprimant des grandes cités des milliers de gens qui y sont allés, parce qu’ils n’avaient pas d’autres débouchés. Une caractéristique : peut-être plus particulière aux Acadiens qu’à d’autres, c’est qu’ils aiment à être groupés : c’est probablement à cause de leur sens profond de la vie familiale. Et ils émigrent plutôt par groupes qu’individuellement. Bel avantage pour fonder une paroisse !

Au Royaume du Saguenay

L’industrie de la pulpe s’étant développée dans la Baie des Sept-Isles, l’émigration vers le nord reprit son cours. Des jeunes gens d’abord, puis des hommes mariés, puis des familles entières allaient passer deux, trois, quatre ans à Clarke-Cité, pour y faire un peu d’argent et revenir vivre plus heureux aux Îles. Un va et vient s’établit ainsi entre les Îles et la Côte-Nord. Mais voilà que des gens du Saguenay qui travaillaient avec ceux des Îles se mettent à parler de leur féérique Empire du Saguenay avec force louanges, et encouragent ces Acadiens, en quête d’un nouveau centre, à aller s’y établir. C’était vers le temps où se fonda Kénogami (1912-13). La main-d’œuvre abondait et il y avait beaucoup plus d’avantages qu’à Clarke-Cité. Voilà donc nos Madelinots qui envahissent Kénogami. D’abord des jeunes gens ; Alphée Richard, Elphège Bourgeois, Simon Lapierre, Bill. Bourque, etc., etc. ; puis des familles complètes : celles de Sylvio Turbide, de Toni Chevarie, d’Azade, de Philéas et de Charles Lapierre, de Jos Renaud, de Jean Arseneault, etc., etc… D’autres vinrent de la Beauce retrouver leurs anciens compatriotes, puis le courant s’établit directement des Îles à Kénogami. Il en vint chaque année des bargées de tous les points de l’archipel. Aujourd’hui (fév. 1925), ils y sont au nombre de 140 familles, toutes bien estimées de leur si dévoué et si digne curé, M. l’abbé Joseph Lapointe qui a su se les attacher par la mansuétude de son apostolat débordant de charité. C’est comme un des leurs… Le rapprochement des deux rameaux français tant souhaité ailleurs ne saurait là être plus complet… Bravo ! Bravo !

De là, par le même procédé, ils se rendirent au Cap de la Madeleine, où ils sont déjà 40 familles (1924). Ce qui fait une série de dix groupes acadiens-madelinots de Montréal où ils sont en trop grand nombre, en passant par les Trois-Rivières, Québec, Kénogami, la Côte-Nord, pour revenir aux Îles et continuer jusqu’à Miramichi, Lac-au-Saumon, Edmundston, la Beauce. À part cela, il y a quelques familles ici et là, dans la province de Québec, à Rimouski, Sandy-Bay, Chambord, Rivière-Bleue, etc., quelques-unes à Ottawa et dans l’Ouest, plusieurs groupes assez importants dans les ports de mer et les villes minières de la Nouvelle-Écosse. Quelques petits groupes se sont fourvoyés aussi dans les villes américaines de Boston, Salem, Gloucester. Mais un fait digne de remarque, c’est que l’émigration madelinote s’est presque complètement dirigée vers notre province. Qu’il est donc regrettable qu’on ait laissé l’industrie s’emparer de ces forces faites pour conquérir les terres neuves !

PÊCHERIES

Le gouvernement du Bas-Canada, à l’époque où les Îles avaient le plus besoin de sa protection, portait toute son attention sur un théâtre plus vaste ; les scènes qui s’y déroulaient pouvaient avoir des conséquences nationales d’une gravité exceptionnelle. C’est la période peut-être la plus aiguë de la lutte entre le vainqueur et le vaincu, pour l’anéantissement ou le salut d’une race que le pouvoir dirigeant voulait noyer à tout prix, afin de lui rendre service, disait-il. Quelques esprits se révoltèrent et entraînèrent dans leur sillage la partie saine de la population française. Les troubles de 37-38 éclatèrent et l’Acte d’Union suivit.

Il suffit de jeter un regard rapide sur ces événements tragiques pour comprendre que les intérêts des Îlots de la Madeleine pesaient peu dans la balance. Peut-on blâmer le gouvernement d’avoir agi de la sorte ? Ce qui importait, ce n’était pas tant de protéger et de développer les pêcheries du golfe que d’assurer à la race française des droits imprescriptibles qu’on essayait désespérément de lui ravir au mépris des traités. Toute l’attention se trouvait concentrée sur cette question angoissante. Allions-nous, oui ou non, rester Français ? Et la plus grande cause, sinon la seule, de notre pauvreté matérielle au Canada, c’est peut-être que nous avons dépensé toutes nos énergies dans des luttes de prétoire, sur les tribunes publiques et dans les parlements.

Il n’y a pas que nos Îles qui en souffrirent, mais elles semblent avoir eu beaucoup plus que leur part. Les Américains, qui avaient commencé à y poursuivre la vache-marine au lendemain du traité de Versailles, ne tardèrent pas à exploiter cette situation. Et, si Coffin n’a pas obtenu officiellement l’autorisation d’amener sur ces rivages ses parents et amis des États-Unis, il a dû y encourager de quelque façon les pêcheurs américains, car il fut un temps où les Îles en étaient tellement infestées qu’on les aurait prises pour une colonie de la grande république. Pendant trois quarts de siècle, plus de 250[76] goélettes américaines et françaises vinrent sans aucune gêne, avec une insolence révoltante, faire la pêche dans la Baie de Plaisance, sur les bancs et jusque dans les havre des Îles. Bien fournis d’agrès de pêche, ils faisaient une concurrence effrénée aux pauvres insulaires. Avec leurs immenses seines, ils prenaient plus de poissons en une seule fois que tous les petits bateaux des îles en une saison. Les Madelinots devaient payer un droit d’entrée écrasant ; et ils avaient bien de la misère à se procurer leurs cordages, filets, sel, barils, etc., car les marchands de la localité étaient si maigrement approvisionnés[77] qu’ils se seraient vus dans l’impossibilité de gagner leur pain, si les goélettes américaines ne les avaient assistés. Chaque année, ce commerce illicite se poursuivit secrètement et se développa au détriment des marchands et au grand scandale des scrupuleux à l’excès. Ce n’était pourtant qu’un simple échange très avantageux aux deux partis. L’accoutumance fit disparaître la crainte et, malgré les efforts et les appels du douanier, Madelinots et Américains faisaient de la contrebande publique. Les marchands se lamentaient, maudissaient les Yankees et fustigeaient leurs compatriotes. Ces abus étaient pourtant provoqués par leurs prix exorbitants. Les Américains du 19e siècle répètent, aux Îles de la Madeleine, les procédés des Bostonnais du 17e siècle en Acadie ; et les Acadiens dans l’un et l’autre cas sont quasiment forcés de profiter de la situation anormale où les jettent les circonstances et de mener ce commerce en marge de la loi qui le défend mais n’y supplée point.

Nécessité n’a pas de loi et ventre affamé n’a jamais eu d’oreilles. Tout de même, les Américains profitaient de la situation pour exploiter les insulaires et imposer leur tyrannique domination, jusque dans le sanctuaire du foyer familial. Ils s’emparaient des havre, des quais, des grèves et des fonds de pêche d’où ils chassaient impitoyablement parfois les barques acadiennes… Après un quart de siècle de luttes pour la vie, les Acadiens, se sentant trop faibles pour prolonger davantage une concurrence inutile, tentèrent de s’organiser autrement. Les Îles devinrent un immense chantier maritime où chaque hiver on construisait une, deux, trois goélettes. La première lancée reçut au baptême le nom de Sophie. Puis vinrent la Delaney, la Constantine, la Flash, la Canadienne, la Stella, etc., etc… Plus de cinquante goélettes furent ainsi construites. Ces habiles Acadiens que les événements et les nécessités de la vie firent agriculteurs, pêcheurs, navigateurs, charpentiers, menuisiers, architectes, durent travailler bien fort durant les interminables hivers pour tirer un tel succès de cette industrie nouvelle. Ils coupaient et préparaient le bois un an d’avance ; ils utilisaient tout ce que les Îles pouvaient fournir, tout ce que le flot charroyait de convenable et tout ce qu’on pouvait acheter ou sauver des naufrages. Ce bois devait être transformé à la main. Pas d’autres scieries que les bras nerveux et vigoureux de ces vieux loups de mer qui, tout l’hiver, dans l’aire de leur grange, tiraient la grand’scie pour convertir les robustes troncs en bordages, poutres, préceintes, madriers, etc. L’année suivante, ces vieux Acadiens tenaces et travailleurs élevaient la carène, à l’abri, dans un bois ; et bientôt l’on voyait se dessiner sur la neige le flanc puissant, la proue élancée et la poupe échancrée du nouveau bâtiment. Si bien qu’en 1830, on comptait 27 goélettes de 30 à 60 tonneaux dont dix pêchaient au Labrador et les autres commerçaient avec Pictou, Halifax et surtout Québec. En 1851, il y avait 37 goélettes et 101 barques employées à la pêche.

Malgré leur industrie et leur vaillance, nos Madelinots ne réussissent pas à tenir tête aux Américains. C’est alors que, de guerre lasse, ils abandonnèrent les fonds de pêche aux étrangers pour aller à 300 milles de leurs demeures chercher le pain de leurs enfants. Ils équipent leurs petites goélettes et s’en vont demander à quelque anse de la Côte-Nord un abri et une cachette. Ils ont là une certaine protection de la nature, peuvent acheter leur sel, leurs agrès de pêche et quelques marchandises à des conditions plus avantageuses qu’aux Îles. « Il leur faut payer ici le sel quatorze, quinze et quelquefois jusqu’à vingt chelins, ne recevant de leur morue que de dix à douze chelins et six sous, au lieu qu’au Labrador, ils l’ont à un quintal la barrique et les autres articles de pêche en proportion. »

« Le monopole, avec le système de crédit qui l’a accompagné d’abord, n’a produit qu’un commerce mesquin ; ces principes rétrécis tiennent les habitants assujettis et écrasent leur énergie. » (P. Winter, 1852)

Tout l’été, ils sont dans ce nord lointain et leurs femmes, leurs enfants et leurs vieillards restent seuls dans l’archipel. À l’automne, ils vendent sur place le fruit de leur été ou reviennent chargés de morues qu’ils donnent aux marchands pour solder leurs dettes et s’assurer de nouvelles avances[78]. Durant ce temps, les Américains qui se considèrent comme en pays conquis, font sécher leur morue sur les grèves, s’emparent des animaux dans les champs et, profitant de l’absence des pêcheurs, vont jusqu’à pénétrer dans des maisons qu’ils pillent, après en avoir ligoté les occupants inoffensifs.[79] Parfois même ces vandales se rassemblent jusqu’au nombre de 1000 et se livrent à toutes sortes de déprédations. Que peuvent les vieillards, les femmes et les enfants ! (J. Fontana).

Il est clair que de cette façon le commerce des îles était une source intarissable d’immenses revenus plutôt pour les étrangers que pour la province dont elles dépendaient. À force de se lamenter, d’envoyer pétitions sur pétitions, d’exposer les difficultés de leur situation désespérée, les Madelinots obtinrent enfin un quart d’heure d’attention de Québec. Monsieur Jos. Bouchette fut chargé d’y faire un voyage d’étude en l’été de 1850, et le 24 mars 1851, il soumettait à l’Assemblée Législative un rapport très détaillé sur la valeur et l’importance de ces îles, les ressources naturelles et commerciales qu’elles offrent dans leurs inépuisables pêcheries et les avantages agricoles d’un sol très fertile. Il prouvait, avec documents à l’appui, que le golfe St-Laurent est supérieur à toute autre partie du continent américain pour l’abondance et la variété du poisson et que les Îles de la Madeleine sont le centre d’attraction de toute cette gent sous-marine qui y passe à tour de rôle et s’y arrête successivement de mars à novembre. À cette époque, malgré la pêche dans le nord, malgré les milliers de tonnes[80] de poissons enlevées annuellement par les étrangers, les Îles exportaient des produits de pêche pour une valeur égale à un sixième des exportations du comté de Gaspé et à la moitié de celles du Nouveau-Brunswick sur le golfe[81]. Il mentionne, toutefois, que ces exportations ont diminué considérablement depuis que les insulaires, impuissants à soutenir avantageusement la concurrence américaine, ont dû entreprendre la pêche lointaine. Ce qui ne serait pas arrivé, bien au contraire, s’ils avaient eu autant d’encouragement à développer leur industrie que les étrangers qui fréquentent ces lieux et si le tarif ne leur était pas si défavorable : 12½% à 30% sur tous les articles indispensables à la pêche, sur le vêtement et les denrées.

Voici les meilleurs remèdes à ce lamentable état de choses, qu’il suggère au Gouvernement :

1. Un vaisseau armé pour tenir à distance les Américains et les Français et protéger les intérêts immédiats des insulaires ;

2. Une prime à toute embarcation engagée dans les pêcheries, mais à la condition que tout le poisson soit apporté aux Îles ;

3. Une exemption du tarif sur tous les articles nécessaires à la poursuite de cette industrie.

Il demande aussi la construction d’un phare au Rocher-aux-Oiseaux et d’un autre à la Pointe de l’Ouest du groupe, avec des dépôts de provisions pour secourir les naufragés, jusqu’ici à charge aux insulaires peu fortunés.

Ce substantiel rapport détermina enfin le gouvernement à prendre quelques mesures efficaces. Une goélette fut équipée pour surveiller les Îles et la Côte-Nord où les Américains avaient suivi les Acadiens.[82]

En 1852, l’Alliance fit sa première visite officielle. Le commandant Fortin y dirigea une enquête consciencieuse sur les besoins de la population qu’il devrait désormais protéger. Son rapport au Gouvernement renforça et compléta celui de Bouchette ; il fit un sombre mais exact tableau de l’abandon que seuls des Acadiens pouvaient supporter. Il montra et prouva qu’il leur était complètement impossible de soutenir toute concurrence avec les pêcheurs étrangers, car le gouvernement français accordait dix francs (8sh, 4d) pour chaque quintal de morue débarqué en France, cinq francs, en sus, pour chaque quintal exporté par des bâtiments français dans un pays étranger et cinquante francs pour chaque homme ou mousse employé à la pêche. Les États-Unis, depuis 1819, offraient $3.50 par tonne à tous les bâtiments de 5 à 30 tonnes et $4.00 à ceux de plus de 30 tonnes, à condition de 4 mois de service. L’Île du Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse protégeaient et encourageaient aussi leurs pêcheurs, tandis que les Madelinots n’avaient rien, rien que leurs sueurs et leurs larmes.

En même temps que le commandant Fortin s’acquitte de sa mission protectrice, un comité, formé des Messieurs C. J. Fournier, Colonel John Prince, Robert Christie et De Sales Laterrière, M.P., est chargé d’enquêter sur les pêcheries, l’agriculture, la tenure des terres et la valeur de ces Îles pour la province de Québec. Les principaux habitants des Îles remplissent un questionnaire, et toutes leurs réponses corroborent et justifient les remarques et les suggestions faites par Bouchette et Fortin : à savoir que la nonchalance et l’apathie qui semblent caractériser la population de ces Îles ne sont dues qu’à l’abandon complet dans lequel on l’a toujours laissée ainsi qu’aux obligations onéreuses qui l’écrasent. Ces habitants ont du nerf et de la volonté autant que tout autre groupement humain. C’est le découragement seul qui les a énervés et déprimés. Qu’on leur montre, une bonne fois, un peu d’attention, de sympathie, et l’on sera surpris de quelle somme d’énergie et d’endurance ils sont capables. Ils ont peut-être paru indifférents à la prospérité, au progrès, aux lois… rien de surprenant à cela. Quel progrès pouvaient-ils réaliser ? Jusqu’ici, leurs revenus sont ridicules et ils doivent en donner une forte partie en tarif, une autre en rente seigneuriale, et enfin, avec le reste, entretenir une nombreuse famille et prévoir les maladies, les mauvaises années… C’est l’exploitation en grand. On leur demande l’impossible : « Braves et honnêtes Madelinots, leur dit-on, c’est bien dommage que des milliers de pêcheurs étrangers arrachent le pain de la bouche de vos femmes et de vos enfants. Pêchez à côté d’eux, mais veillez, même si vous ne le trouvez pas chez vos marchands, à ne jamais acheter aucun effet de contrebande, fut-il indispensable à votre pêche. Si vous avez besoin de quelque article, introuvable ici, en route pour l’Île du Prince-Édouard, y perdriez-vous huit jours de travail au plus fort de la pêche. Ces étrangers peuvent vous vendre des vivres, des agrès de pêche à beaucoup meilleur marché que les bourgeois des Îles, mais n’en achetez pas : la loi vous le défend : cela nuirait au revenu de la province !! Ne soyez pas des indisciplinés ; achetez chez vous, afin de payer le tarif et d’encourager les vôtres. Ne voyez pas les officiers de loi d’un mauvais œil, ils veulent tous votre bien. Les étrangers vous chassent des fonds de pêche et des havres, défendez-vous, nous n’y pouvons rien. D’ailleurs, nous ne sommes pas ici pour vous protéger, mais pour protéger la loi. » Voilà le langage des représentants du gouvernement jusqu’en 1852. Cette année leur apporte un commencement de protection qu’ils implorent pour l’avenir. Elle leur fut en effet généreusement continuée dans la suite. Plus tard une prison fut bâtie pour ramener les récalcitrants et délinquants au respect de la loi, mais elle servit peu aux insulaires.

Ce ne fut que trente ans plus tard qu’une loi fédérale autorisa le paiement d’une prime pour aider au développement des pêcheries maritimes du Canada et pour encourager la construction et le gréement perfectionné des navires de pêche. Durant les six premières années, la prime était de une à deux piastres par bateau proportionnellement aux dimensions, ensuite elle fut fixée à une piastre par chaloupe ou par tonneau jusqu’aujourd’hui Chaque pêcheur recevait primitivement $3.00, puis $3.50, $3.75 et jusqu’à $6.95, suivant le nombre plus ou moins considérable des pêcheurs. Le gouverneur général en conseil ne peut pas autoriser le paiement d’une somme excédant $160,000, qui représente les intérêts d’un capital versé par les États-Unis pour acheter le droit de pêche dans les eaux canadiennes.

Cette protection eut de bons effets. La pêche dans le nord fut abandonnée en 1885. On vit bientôt dans chaque anse une flotte de légères embarcations et dans les havres des barquettes et de grosses barges. Tous les beaux jours, à l’aurore, ces centaines de voiles sortaient à quelques encâblures des côtes et s’en venaient avec une grande quantité de poissons. Il y en avait en telle abondance qu’au dire des anciens, dans un avant-déjeuner, ils chargeaient leurs barges de maquereaux. Le soleil était à peine levé et la barge déjà bien calée ; on se huchait l’un à l’autre : « Hé, t’en viens-tu boire ton café » ? Et avant que le poisson n’ait pu s’échauffer, on filait vite le préparer. Pêches vraiment idéales ! Quel contraste avec ces expéditions périlleuses et inquiétantes sur des côtes lointaines ! Voyez l’effet de l’ordre. Un peu de sympathie, une large protection, l’application rigoureuse d’une loi constamment violée par le passé suffisent à modifier radicalement la situation de nos insulaires. L’amélioration de la tenure seigneuriale avait rendu à ces laboureurs de la mer le goût de la terre. Après une matinée de pêche fructueuse, ils travaillaient à la culture de leurs champs sur le haut du jour et, vers le soir, ils retournaient joyeux à leurs lignes ou à leurs filets.

Jusqu’alors ils ne se sont occupés que du hareng, du maquereau et de la morue ; ils vont désormais se livrer avec succès à la pêche des crustacés qui couvrent les fonds pierreux et viennent jusque sur les galets du rivage où on les prend à la gaffe. Qu’on ne s’imagine pas toutefois qu’ils se lancèrent dans la pêche au homard avec une gaffe. Ils se servirent, comme aujourd’hui, d’attrapes ou pièges qu’ils appellent cages. Elles mesurent quatre pieds de longueur sur deux de largeur, sont construites de lattes, en forme d’arche, avec un boyau d’entrée en fil de coton maillé, par où s’introduit l’animal pour atteindre la bouette ou appât. (On la cale avec un lest de pierres plates). Une fois entré, il lui est impossible de monter dans le haut de la cage pour retrouver sa liberté perdue. En cherchant le moyen de sortir de cette étroite prison, il aperçoit un autre boyau, semblable au premier : c’est, pense-t-il, son unique chance de salut. Il le gravit jusqu’au sommet et se laisse choir de nouveau, mais, à sa grande stupéfaction, il est toujours emprisonné. Que faire ? Attendre le pêcheur. Celui-ci arrive de grand matin, prend la bouée qui marque le long cordage sur lequel sont attachées les cages à toutes les six ou huit brasses et file d’une à l’autre, enlevant le homard qui remplit parfois la chambre de sûreté, débarrassant les parasites et ajoutant de la bouette sur l’épingle tremblotante. Douze, quinze, dix-huit, vingt homards par cage, quand on pêche avec 100, 150 ou 200 cages, chargent bien vite la chaloupe. Le pêcheur alors ne sent pas la fatigue, ne songe pas à regretter son dur labeur. Il manie ces lourdes machines avec une dextérité inconcevable. Chacune met quelques ressources dans sa bourse et donne du nerf à ses bras vigoureux. Dans l’espace de quelques heures, s’il n’a pas d’accidents, il empile dans sa barge jusqu’à 1000, 1200, même 3000 ou 4000 crustacés qu’il apporte à terre et vend immédiatement. Aujourd’hui, le homard se pèse en vie et se vend huit ou neuf sous la livre. C’est peu, bien peu, si on considère les frais et les fatigues que cette industrie exige. Mais au début, nos pêcheurs n’obtenaient que $0.50 pour 100 beaux gros homards. ce qui faisait à peu près 30 à 34 sous du cent livres. Naturellement les marchands imposaient leur prix peu rémunérateur et pêchez bons Madelinots. Ils pêchèrent si bien, en effet, qu’ils faillirent en détruire la race. Alarmé de cet état de choses, le ministre de la marine et des pêcheries, fit construire à grands frais une couveuse artificielle qui ne donna que de très maigres résultats. Un récent règlement défendant d’apporter aucune femelle à terre en donnera de plus heureux, s’il est bien observé, et la gent homardière se multipliera à l’infini, à la grande satisfaction des fidèles protégés du bon saint Pierre.

Cette pêche a varié d’une façon assez incompréhensible, mais elle a toujours rapporté trois fois plus que dans les comtés réunis de Bonaventure-Gaspé ; plus à elle seule que dans le reste de la province de Québec. Qu’on s’en rende compte par un rapide coup d’œil sur le tableau suivant, puisé dans l’annuaire statistique de Québec. (1919, p. 374). J’ai pris des chiffres quinquennaux un peu au hasard. Cela montrera peut-être davantage les oscillations de cette pêche.

Années I. de la M. Gaspésie Diff. Total P. Q. % I. M.
boîtes : 1 lb qtx en écailles boîtes : 1 lb qtx écailles livres boîtes 1 lb qtx écailles
1897 703656 291218 94 408937 1036202 94 67.68
1902 429826 191200 55 296573 708019 55 60.53
1907 588109 167520 90 417229 819723 90 71.45
1912 827568 60 241408 190 581307 1086096 300 75.62
1917 542304 14 96192 850 414902 669360 864 77.37
1922 621704 104443 1188 472904 759600 1190 77.32

Le hareng, lui, n’a pas diminué. Il continue, chaque printemps, d’étreindre l’archipel de la Madeleine de ses innombrables légions. On le pêcha d’abord et longtemps au filet, puis à la seine qui fut remplacée par l’attrape : seine flottante fixe qui ressemble beaucoup aux pêches à fascines du bas du fleuve Saint-Laurent. Il n’est pas rare qu’elle prenne jusqu’à 2000 barils à la fois. Le plus grand débit se fait aux pêcheurs des bancs de Terre-Neuve, le reste s’exporte dans les boucaneries des Provinces Maritimes ou se consomme sur place. Pour s’éviter des luttes de clans, des querelles et des fatigues extraordinaires, les pêcheurs de hareng se forment en coopérative. Ils laissent alors les acheteurs aller librement où bon leur semble : ils sont assurés d’en avoir une part. Autrement, c’est un attrape-qui-peut très démoralisant, puisqu’il force ces fils d’une même mère — la mer — à guerroyer dans le large, exposés à toutes les tempêtes, dans leurs frêles coquilles, pour enregistrer le plus d’acheteurs possibles.

Cette dernière méthode fut tentée plusieurs fois, mais on préfère de beaucoup l’autre et on y revient sans cesse. Les Américains qui au début terrorisaient les insulaires sont à présent leurs meilleurs amis. Ils laissent chaque année beaucoup d’argent dans les Îles pour la bouette, les œufs, les pommes de terre, la viande qu’ils y achètent. Les rôles sont maintenant changés. Jamais vous n’entendez un Madelinot se plaindre des Américains assagis. Un pêcheur, en venant du large, arrête-t-il à bord d’une de leurs goélettes qu’il est invité à goûter la cuisine américaine. Les Terre-Neuviens et les Néo-Écossais lui sont également sympathiques. Mais la mauvaise renommée que tous ces étrangers s’étaient faite jadis sur les îles, leur a créé une atmosphère antipathique qu’ont respirée tous les enfants, dans les récits de leurs grand’mères. La maman dit encore à son petit qui pleure : « Tais-toi, voilà un Américain ! » Cela tend à disparaître, et les enfants d’écoles ne redoutent plus de suivre le chemin du roi dans le mois de mai. Il ne reste que les Français dont il faut se garer, à cause de leur langage pernicieux et de leur malhonnêteté. Ces pirates et écumeurs de mer volent lignes, voiles, rames, tout ce qu’ils rencontrent, voire même parfois des bateaux de pêche. Il faut tout cacher ou mettre sous clef dès qu’apparaît une voile rouge à l’horizon. Ils furent sans cesse à craindre ; leur esprit révolutionnaire et irréligieux cherchait à contaminer les honnêtes gens qui leur accordaient une si large et cordiale hospitalité. On sentait toujours une idée fixe chez eux : semer le mal par l’exemple et par la parole, partout où ce serait possible mais chez les enfants surtout. Ceux-ci, entendant parler leur langue maternelle, avaient moins peur et pouvaient être approchés plus facilement. C’était bien diabolique… J’ai vu de ces mauvais esprits chassés de terre par quelques énergiques parents soucieux de l’honneur de leur famille ; j’en ai vu d’autres repris sévèrement… Depuis 1800, les missionnaires se sont plaints de la mentalité anti-religieuse que ces individus sans foi ni loi cherchaient à semer parmi la population. Et beaucoup de méfaits, dont on accusait injustement les insulaires, étaient l’œuvre de ces fanfarons. Au début ils eurent quelque emprise à cause des relations de famille qui existaient encore avec le groupe de Saint-Pierre et Miquelon. L’abbé Madran ne le dit-il pas : « C’est aux étrangers qui fréquentent l’endroit qu’il faut attribuer ce dépérissement de la foi et de la piété ». Et l’abbé Bédard, précisant davantage : « J’ai beaucoup à faire ici par rapport aux Miquelonnais qui sont en grand nombre sur et autour de ces Îles pour la pêche. Étant révolutionnaires, ils s’efforcent de rendre mes habitants semblables à eux, mais, grâce à Dieu, ils sont fort rares ceux qui les écoutent ». Tout de même, le mal se répandait et l’esprit d’hostilité, de rébellion ou d’entêtement, dont les missionnaires se plaignirent jusqu’en 1820, trouve là son explication toute naturelle, car la soumission proverbiale des Acadiens à leurs prêtres n’a pas diminué. Il est même remarquable que ces gens aient si bien résisté à tant d’influence délétères et se soient dressés fièrement, comme un seul homme, contre cette ambiance envahissante

Que nous voilà bien loin du hareng ! Revenons-y !

Voici un petit tableau comparatif pour les principaux poissons marchands des Îles, d’après l’annuaire statistique 1921.

Année Poissons Îles Madeleine Reste de la province % de la production totale par I. M. Moyenne
1919 Hareng 265570 qtx 68265 qtx 79.5 34 p.c.
Homard 28060 qtx» 3785 qtx» 88.
Maquereau 31542 qtx» 1248 qtx» 96.
Morue 67813 qtx» 692169 qtx» 9.
Phoques 1964 qtx» 2802 qtx» 41.

La valeur totale du poisson vendu en cette année a été de $4,007,012 pour toute la province (partie maritime), et de $ 1,051,764, soit 26.2% pour les Îles de la Madeleine, où le poisson se vend moins cher que partout ailleurs.

En 1922, la proportion était de 37.91 %.

Le maquereau est le plus difficile à capturer ; il gagne sans cesse le large. Au lieu de le pêcher sur les chaînes de terre, comme il y a trente ans, il faut aller jusqu’à vingt milles ; effarouché sans doute, par les moteurs à essence, comme les sataniques distillateurs et charrieurs de chien et de bagosse, il a une peur bleue des spotters en automobile. Cela appauvrit la pêche d’été qui se fait à la ligne et qui est un sport idéal, très goûté des fervents de la mer et de ses émouvantes aventures. Au printemps, on le prend aux filets. Quelques signes avant-coureurs annoncent aux pêcheurs l’arrivée prochaine de la mouvée impatiemment attendue. Vite, les filets se tendent. Il ne faut pas le manquer, car sa visite est courte et éphémère. Cette pêche est très variable : peu payante une année, elle est épatante l’année suivante. En 1920, près de 13,000 barils, contre à peine 6,000 en 1917. Pour cela, comme pour le reste, les années se suivent et ne se ressemblent pas.

Chaque famille est nantie d’une barge, un bateau ou une barquette, cette dernière pour le Havre-Aubert seulement, car il y a là un abri sûr et commode. Ailleurs, c’est la barge, plus élancée, plus élégante, moins lourde, qu’il faut haler dans les anses. Disons en passant qu’elle a dernièrement perdu tout son cachet antique et poétique ; pour être de son temps elle s’est modernisée en métamorphosant ses blanches ailes en moteur à essence. Avec chaque embarcation il faut tout un attirail de filets, lignes, cordages, cages, salines, fûts, etc…

En 1922, il y avait 875 embarcations de pêche, représentant une valeur de $213,000, et des agrès de toutes sortes, boucaneries, homarderies, etc., pour la somme de $462,835. Ce qui donne une moyenne totale de $772.38 par embarcation et de $220.80 par personne — homme ou femme — employée à l’industrie de la pêche. Cette moyenne pour le comté de Gaspé est de $429.46 dans le premier cas et de $177.00 dans le second.

Au prix fabuleux du poisson sur le marché des villes, on s’imagine peut-être que les pêcheurs doivent avoir des coffres pleins d’or et d’argent. Nenni ! Le pauvre travaillera éternellement pour le riche. Et je me demande quelquefois si de l’autre côté le riche va tondre encore le pauvre… Avant d’arriver au consommateur, il colle plus d’argent aux doigts rapaces et gluants des intermédiaires qu’il n’en reste dans les mains du producteur sempiternellement exploité. Le pêcheur réalise beaucoup d’argent, mais ses agrès de pêche lui coûtent énormément cher.[83] Chaque printemps, il faut les renouveler en partie ; qu’une tempête soudaine, une banquise imprévue, écrasent les cages, déchirent les attrapes et les filets, jettent les embarcations à la dérive, tout est à recommencer. Le beau temps revenu, la mer calmée, ils ne sont que dégâts et ruines, et avec ces débris, il faut se réorganiser. On achète des matériaux, on passe des journées à tout remettre en ordre, perdant ainsi un temps infiniment précieux, et on recommence courageusement. Ces désastres peuvent se produire deux ou trois fois dans une saison, de sorte qu’un matériel neuf mis à la mer en mai en est retiré presque usé en juillet. Il a perdu les trois-quarts de sa valeur. Tous les deux, trois ou quatre ans, force est au pêcheur de renouveler de fond en comble une organisation onéreuse. Comment s’en tirerait le cultivateur réduit à acheter une moissonneuse tous les quatre ans, une faucheuse tous les deux ans, et ses autres instruments agraires à l’équipelent ? Assurément, il n’y aurait pas de cultivateurs crésus. Y aurait-il même des cultivateurs ? Quand il a payé tous ses frais et son sel, le pêcheur s’estime et se considère comme richissime s’il lui reste quelques centaines de piastres…

Autrefois, la chasse aux loups-marins était une bonne source de gros revenus. Les insulaires l’appelaient leur manne. Chaque printemps, une vingtaine de goélettes[84] bien équipées se lançaient à travers les banquises, à la poursuite de cet intéressant amphibie. Métier très dangereux, qui demandait une grande habileté, doublée d’un grand sens marin. Ces voiliers étaient les esclaves du vent et des courants. S’ils avaient le malheur de se faire geler dans les glaces, c’était un printemps perdu : aucun autre mouvement possible que celui de l’immense croute du golfe, glissant vers l’est. Et les loups-marins passaient à distance. Heureux encore si tardivement dégagés, ils pouvaient courir les derniers glaçons. Bien des malheurs ont jeté la population dans de grandes tristesses, lors de ces expéditions : c’est la goélette Emma, appartenant à William Johnston, avec 10 hommes d’équipage, et la Breeze, appartenant à Germain Cyr, avec le même nombre d’hommes — en tout 20 dont 13 mariés, ayant 45 enfants — que les glaces écrasent et font périr corps et biens, dont six frères Hubert, en 1873 ; ce sont des navires étrangers qui se perdent loin des côtes dans les glaces et les ouragans et dont les débris sont trouvés par les Madelinots ; (un printemps, Zéphirin Arseneau sauva plusieurs hommes et femmes abandonnés sur la banquise, dont une jeune mère avec un enfant de trois semaines caché sur son sein. Julien Boudreau en sauva quelques-uns de la même façon ;) c’est l’Espérance qui disparaît le 2 avril 1893, au large de la Grande-Échouerie, le plus mystérieusement du monde…

Après chaque saison, quand on rentrait au port, c’était jour de vive allégresse et de grande liesse. Les femmes et les enfants sortaient des maisons, allaient sur les falaises et sur les caps saluer les hardis marins. Ceux-ci leur répondaient par autant de coups de fusil qu’ils avaient de cents loups-marins. Si le bâtiment était bien calé, c’était une explosion formidable de joie, des battements de mains, des cris, des signaux. Puis on se précipitait au port…

Dès que les vapeurs terre-neuviens commencèrent la chasse dans le golfe, les Madelinots, incapables de soutenir la lutte au large, désarmèrent leurs goélettes et s’organisèrent pour la chasse à pieds[85]. Les premières années furent miraculeusement fructueuses, car les loups-marins, n’ayant pas été élevés dans la crainte des Îles, s’en approchaient sans peur au temps de la mise à bas : 1er mars. Mais, serrés et traqués, d’un côté par les Madelinots et de l’autre par les Terre-Neuviens, ils purent difficilement s’échapper et durent subir, sans mot dire, un épouvantable massacre — un massacre d’innocents — qui en extermina la race : en 1917, 15,350 de capturés ; en 1918, 10,000 ; en 1920, pas un seul…[86]

Pourtant un peu d’intelligente protection aurait conservé cette source de revenus importants. Avec de l’organisation, les Îles de la Madeleine seraient un pays de cocagne, mais on y vit pauvrement au sein d’une abondance dont on ne sait tirer parti. Les pêcheurs n’étant pas organisés se trouvent à la merci des commerçants qui les exploitent à leur guise. Le plus difficile n’est pas de pêcher le poisson, c’est de le vendre. On le donne bien souvent : n’est-ce pas donner quand on en retire à peine de quoi couvrir ses frais et qu’il ne reste rien pour vivre. L’abbé Miville constatait le même mal en 1852 : « Après avoir travaillé sur la mer tout l’été, ils se trouvent avec rien pour passer l’hiver, quand toutes les dépenses de la pêche sont payées et les pertes réparées ». Ils ont des cercles et des sociétés d’agriculteurs et n’en ont pas de pêcheurs. Voilà pourtant le moyen de se libérer une bonne fois de la tutelle qui les asservit et de profiter de la richesse qui les entoure.


QUELQUES DÉSASTRES MARITIMES

De tout temps, les Îles de la Madeleine ont été le théâtre ou le témoin de furieuses tempêtes, de violents coups de vent, de terribles ouragans qui ont causé de lamentables désastres, ruiné plus d’une famille et semé la désolation et le deuil dans toute la population. La tradition les conserve tous, et les vieillards les racontent aux enfants de leurs enfants, avides d’histoires et de légendes.

Voici les plus inoubliables et les plus sensationnels.

Écoutons notre vieil ami, Monsieur Placide Vigneau : C’était en 1856, ma seconde année de navigation ; nous partîmes dix-huit goélettes des Îles de la Madeleine pour la « pêche dans le Nord ». Ayant complété notre équipement à Blanc Sablon, nous filâmes un peu plus à l’est dans le détroit de Belle-Isle, cherchant un abri pour nos goélettes à proximité des bancs morutiers. Le 27 ou le 28 juin, à la tombée du jour, nous arrivâmes à une petite anse du côté est de l’île Greenly où nous mouillâmes l’ancre au milieu d’une quinzaine d’autres goélettes américaines et néo-écossaises qui y étaient déjà rendues. Il y avait aussi un brick yankee.

Nous apprîmes de ces gens que la morue abondait. Le lendemain, à la pointe du jour, nous jetâmes nos barges à la mer et houp au large. À cette époque nous n’avions pas encore le doris, embarcation beaucoup plus légère et plus maniable que la barge, mais plus frêle et moins confortable.

Nous commencions déjà à nous encourager, quand le 2 juillet vers les deux heures de l’après-midi le temps se couvrit presque subitement, suivi d’une saute de vent d’est qui fraîchit avec une rapidité étonnante. « Ça menace mal, nous dit mon oncle Alcide, le temps est chargé ; on pourrait bien avoir un coup de vent… C’est pas des fiances de rester au large… » et se levant sur la tille, il huche au vieux Polite, mouillé banc à banc avec nous : « T’en viens-tu ? — Attendons les autres, ça ne force pas encore. — Ouais ! ça sert à rien de se mettre dans le péril pour quelques morues de plus… »

La morue mordait bien et il en coûtait de lever l’ancre, malgré la bourrasque, mais à quatre heures, ne pouvant plus tenir, toutes les barges appareillèrent. Trop tard : nous avions trop laissé forcer. Ça ne paraissait pas pire au large, mais à mesure que nous approchions de terre, la mer était si grosse et le vent si violent que nous eûmes beaucoup de peine à gagner bord : plusieurs furent forcés d’atterrir à l’île. Vers six heures, les goélettes commencèrent à chasser sur leurs ancres ; on mit dehors tout ce qu’on avait de mouillage, pensant bien tenir tête aux éléments déchaînés, mais le vent fraichissait toujours, hurlait dans les mâtures à faire frémir le plus brave de la bande, et les deux ancres avec tous leurs câbles ne pouvaient plus résister à la mer en furie. Ce fut un cri de stupeur quand on s’aperçut que les ancres dérapaient et que chaque lame nous poussait dans les brisants de terre ; nous allions nous émietter, entassés, enchevêtrés les uns par-dessus les autres, comme des fétus de paille. C’en était fait de nous… Il n’y avait plus moyen d’échapper… Un moment, le désespoir nous étreignit, mais une petite éclaircie nous ayant permis de voir le ciel, nous y jetâmes des regards suppliants et invoquâmes du fond du cœur notre bonne Étoile de la Mer, nous confiant entièrement en elle et la priant de nous sauver tous de cet imminent péril…

Toujours le vent soufflait plus fort, et la nuit approchait. Quelle lugubre nuit ! Vers sept heures la goélette Henry, sous les ordres du petit Pierre Vigneau, cassa son câble, chassa sa grosse ancre et s’en alla, telle une épave, couverte par les vagues énormes, se perdre dans les brisants de la côte. Un quart d’heure après une autre fit de même, puis une troisième, puis une quatrième, si bien qu’au soleil couché une quinzaine déjà était à la côte. Ce furent les plus chanceuses, car vers neuf heures, la pluie se mit de la partie, une pluie torrentielle, grosse comme des balles, poussée par un vent qui faisait peur, un vent comme je n’en ai jamais vu depuis, auquel rien ne résiste : un ouragan épouvantable.

Dans l’épaisse nuit noire, à travers la sinistre clameur des vagues, les éclats du tonnerre et le hurlement du vent dans les cordages, on entendait les cris désespérés des matelots, essayant quelque manœuvre pour éviter les abordages. C’est ce que nous craignions le plus. Notre goélette étant neuve, avec de bons mouillages, tint bon et nous permit d’être les témoins attristés de cette scène douloureuse. Plusieurs, pour éviter le naufrage, coupèrent leur mâture, mais le vent avait un tel empire qu’il arracha tout ; et ces coques dégarnies nous frôlèrent, s’en allant à la dérive, battues par la mer démontée. Toutes y allèrent, moins une de la N.-É. qui, ayant accroché les ancres de ses sœurs, s’arrêta à une encablure du rivage. À minuit c’était notre tour : un des derniers. Nous débarquâmes sans trop savoir comment, mais sains et saufs.

C’est là que nous entendîmes des cris, des plaintes et des lamentations. Les matelots s’appelaient, se cherchaient, mais impossible de se trouver tous dans la nuit noire… Tel équipage est perdu, disait-on, la moitié de tel autre manque, celui-ci a perdu trois hommes, celui-là deux, et les déchirantes lamentations, les pleurs et les gémissements de continuer avec les mugissements de la tempête. Vers les deux heures du matin, son œuvre de destruction terminée, le vent commença à modérer, puis diminua graduellement jusqu’au jour.

Ce ne fut qu’au grand jour que les équipages purent se retrouver et se réunir. La stupéfaction fut générale quand on s’aperçut que non seulement il ne manquait personne à l’appel, mais que pas un n’avait une simple égratignure. L’unique victime fut le petit chien de Xavier Cormier, à bord de la Pandora.

La sainte Vierge Marie avait protégé ses fidèles Acadiens.

Les goélettes étrangères qui, les jours suivants, passant près de l’île, venaient donner un pied d’ancre dans l’anse désormais historique et apercevaient un tel désastre, s’imaginaient sans doute que ces hommes travaillaient à enterrer leurs morts ; pas du tout, ils déterraient les débris de leur naufrage et tiraient le meilleur parti possible de tout ce qui en restait d’utilisable. Dix-sept goélettes dont neuf des Îles de la Madeleine avaient été mises en pièces, les autres, renflouées, pouvaient tant bien que mal reprendre la mer. On imagine assez facilement cette marine : dans une anse d’à peine deux cents verges de rivage, au bord d’une mer redevenue calme et douce, quinze goélettes couchées sur le flanc dans leurs souilles profondes ; dix-sept autres éventrées, déchirées ; des mâts, des vergues, des barges, des épaves de toutes sortes, et au milieu des hommes hâves et fatigués s’agitent et parlent…

Après une inspection sommaire et un conseil de guerre nous décidâmes de renflouer les moins avariées, et à l’œuvre sans retard et sans découragement. Entreprise gigantesque avec les moyens primitifs dont nous disposions. Cependant, douze jours plus tard, la brillante escadre madelinote était reconstituée et nous reprenions, avec de nouvelles énergies, notre pêche interrompue… Chaque goélette prit à son bord une couple de rescapés ; les autres allèrent à Blanc-Sablon et à l’Île-au-Bois où tout le monde sauve son été, la morue ayant bien donné cette année-là.

Voici la liste de nos goélettes naufragées : toute la flotte madelinote moins la Constantine du capitaine Julien Boudreau, montée à Québec.

Goélettes renflouées
1 Wide Awake
2 Lady
3 Adelina
4 Mariner (N. B.)
5 Tempérance
6 Sophie
7 Eugénie
8 Eliza
9 Loup-Marin

Goélettes brisées
1 Labrador
2 Pandora
3 Haddock
4 Henry
5 Kent
6 Mariner (L. F.)
7 Marie
8 Nancy
9 Mère-de-Famille.

La Lord’s Day Gale

L’histoire en conserve une autre quasiment semblable, mais aux Îles cette fois.

« C’est la furibonde tempête du 23 août 1873. Elle dura trois jours sans désemparer et surprit quatre-vingt-quatre navires (étrangers) ancrés dans la Baie de Plaisance. Dès les premières rafales, quarante-huit d’entre eux se mirent de suite à chasser sur leurs ancres : dix allèrent s’ensabler sur la rive de la baie et trente-huit firent côte dans le Havre-Aubert où ils trouvèrent vingt-six de leurs camarades revenus au mouillage, pendant que dix seulement résistaient encore sur leurs fonds. Au milieu des péripéties de cet épouvantable ouragan, qui le croirait ? on n’eut à déplorer que la mort de trois personnes. « Quelques-uns des malheureux navires, rapporte le commandant Lavoie, après avoir été ballottés de tous côtés et avoir perdu leurs ancres, allèrent se jeter sur le rocher à fleur d’eau situé au pied de la côte des Demoiselles, La lame brisait à cet endroit à une hauteur de cent pieds. Sans la présence d’esprit et l’héroïque courage de Aimé Nadeau et James Cassidy qui virent venir à terre la Diploma, l’Ellen Woodward et l’Emma Rich, les équipages de ces navires auraient certainement péri. Ces deux héros descendirent le cap à l’aide d’une corde et, aidés du chien de Terre-Neuve de Cassidy, qui saisissait un à un les naufragés dans le ressac, ils purent opérer leur sauvetage et arracher à une mort certaine trente et une précieuses vies humaines. L’année suivante, le 18 juin, une seconde tempête vint fondre sur l’archipel. Ses ravages ne furent pas aussi considérables que la première, et pendant les quatre longs jours qu’elle dura, elle ne put mettre à la côte que deux goélettes, et balayer la plupart des filets et des engins de pêche qui étaient à la mer ». (F. de Saint Maurice, Promenades dans le Golfe, pp. 183-184).

L’année que les bâtiments ont fait côte
sur le Cap-Breton

Le voyage de Halifax fut toujours dangereux à cause des brumes et des récifs qu’on rencontre le long des côtes de la Nouvelle-Écosse. Avant l’établissement d’une ligne de cabotage desservie par un vapeur, tout le transport se faisait par les goélettes des Îles. Chaque automne, une flotte chargée de poisson partait pour Halifax d’où elle rapportait tout l’approvisionnement des insulaires. C’était le grand événement de la saison.

À la fin de novembre 1875, sept ou huit goélettes madelinotes larguèrent Halifax ensemble par un temps splendide. Elles furent encalminées[87] une partie de la journée. Vers le soir, le vent prit au sud-est, un petit vent léger qui fraîchit dans la nuit, mais rien de dangereux. C’était le bon vent : il n’y avait qu’à border les voiles et à filer. Le lendemain soir à neuf heures on traversa le détroit de Canso et, avec du largue, on mit le cap sur les Îles de la Madeleine. La nuit fut belle ; au jour bourrasque qui se calme vers neuf heures ; à onze heures, on avait déjà doublé la pointe de l’est de l’Île du Prince-Édouard. C’était ravissant, jamais traversée n’aurait été aussi rapide : un vrai record. On arriverait de bonne heure aux Îles… Quelle fête à l’arrivée du grand voyage d’Halifax ; déjà les cœurs battaient de joie, mais courte joie, hélas ! car, par un revirement soudain et inattendu, avec une violence inconcevable, le vent tapa en furie au norois, avec une neigé épaisse et un froid très intense.

Ce fut un véritable ouragan, à ne pas voir dix brasses en avant de soi. Il fallut amener toutes les voiles et se laisser aller à mâts-cornes, à Dieu miséricorde. La panique devint générale et le désespoir s’empara des marins : aucune manœuvre n’était possible. On mit à la cape : la roue amarrée au vent, deux pieds de misaine dehors et Dieu nous garde… Ce fut une nuit d’épouvante et d’horreur, comme jamais démon n’en déchaîna du fond de son enfer. On sentait les falaises du Cap-Breton là, tout près, et on avait peur de se sentir d’un moment à l’autre écrasé sous les brisants furieux. À quatre heures du matin, l’Espérance passa près de la Marie-Anne, dans la force du poudrin, filant vent arrière sans un pouce de toile, pensant parer le Cap-Nord, mais François Thériault, capitaine de la Marie-Anne, cria à travers l’ouragan : « Vous faites une mauvaise manœuvre, vous allez vous perdre sur le Cap-Breton ». Il ne se trompait pas ; une demi-heure après elle allait s’éventrer sur les rochers de la côte. Trois matelots se sauvèrent en sautant du beaupré. La Stella-Maris, l’Arctique, la Présidente, eurent le même sort avec leurs équipages et leurs passagers Les trois autres : la Marie-Anne, la Painchaud et la Flash parèrent le Cap-Breton à six heures du matin dans les brisants de terre. Elles furent décapées en dehors de Scatari et ne prirent Louisbourg qu’après quatre jours de transes affreuses, d’inquiétudes mortelles et de fatigues indicibles. La Marie-Anne avait perdu un homme, Grégoire Chevarie, emporté par une vague.

Les rescapés donnèrent l’alarme. L’épouvantable nouvelle fut envoyée au gouvernement qui fit charger le Harlo pour voler au secours de la population des Îles. Aucune communication télégraphique n’existait à cette époque, entre les Îles et le continent, et c’est ce vapeur qui, ayant vu les restes de la flotte acadienne au détroit de Canso, le 7 décembre, annonça le désastre aux insulaires deux jours plus tard.

Entre temps, les rescapés allèrent s’enquérir des quatre disparus. C’est là que l’on vit des scènes d’horreur et de désolation : tous les matelots échappés aux flots avaient essayé d’escalader les falaises et les caps. Quelques-uns affaiblis et transis purent à peine s’arracher à la mer. Alex. Turbide, le fils du capitaine de la Présidente fut trouvé gelé dans le cap, les doigts arrachés et les pieds usés à force de se traîner sur les galets et dans les anfractuosités des rochers. Eugène, son père, Samuel Cormier, André Desjardins, Alfred Bourgeois, Antoine Lafrance furent ramassés raidis dans la mort sur les cailloux du rivage. La Stella-Maris, les deux mâts cassés, était chavirée la quille en l’air, au flanc d’un rocher, comme si un titan l’eut portée là, après l’avoir démâtée. Ses panneaux étaient fermés et toute sa cargaison intacte. (Cette cargaison fut pillée sans scrupule par les gens de l’endroit). Sept hommes de son bord étaient couchés sans vie sur la grève.

Seule l’Arctique fut renflouée et son équipage sauvé.

Les trois survivants de ce mémorable événement, ayant repris leurs forces et retrouvé leur sang froid, mirent à la voile pour une seconde fois, vers le quinze de décembre. Ils arrivèrent aisément aux Îles six jours plus tard au milieu d’une population en deuil. Impossible de décrire les scènes poignantes qui se déroulèrent alors sur les quais du Havre-aux-Maisons ! Mon père me les a maintes fois narrées, cependant je me sens complètement impuissant à en rendre ici les accents pathétiques. Le tableau m’a beaucoup fait songer à celui de l’embarquement des Acadiens, sur les rives du Bassin des Mines, en 1775…

La défunte Flash

Le voyage de Québec était plus long que celui d’Halifax, mais moins redouté des Madelinots, à coup sûr, à cause des relations plus amicales et plus faciles entre gens de même foi, même race et même langue. On ne l’entreprenait que durant les beaux mois de l’été. On montait chargé de produits de la mer pour en rapporter des provisions, des vêtements et autres articles de nécessité locale. Des relations commerciales s’étaient ainsi établies avec plusieurs Québécois : Vital, Têtu, F. Buteau, H. LeMesurier et autres ; des liens de famille et d’amitié créés par l’intermédiaire de quelques Canadiens fixés aux Îles. Arrivé au port après une rude navigation, quel bonheur de se régaler dans d’hospitaliers et sympathiques foyers canadiens ! On passait quelques bonnes soirées un peu semblables à celles du pays lointain, puis on se remettait en mer, le cœur gai, emportant le plus excellent souvenir de ces bons cousins de la vieille cité.

La Flash venait de partir pour la capitale, — en 1881, six ans après s’être sauvée du premier désastre — elle fut assaillie par une forte bourrasque et forcée de relâcher pour se mettre à l’abri dans le Havre-Aubert, en même temps qu’un autre bâtiment du port de Baie Saint-Paul, également en route pour Québec. À la façon des gens de mer, on fit tout de suite connaissance, on fraternisa presque, se promettant de faire voile ensemble. Ne redoutant rien de ces marins de même langue et de même foi, les Madelinots s’ouvrirent tout naïvement à leurs compagnons de voyage, parlèrent de leur cargaison, des achats à faire, etc…

Le temps ayant calmi pendant la nuit, on décida d’appareiller, mais Laurent Cormier, qui s’était dit malade en rentrant, ne voulut plus se rembarquer. Il prétexta un mal secret et déclina les offres les plus pressantes du capitaine Isaac Arseneau. Il a toujours assuré plus tard qu’il ne souffrait d’aucune maladie, mais qu’une voix intérieure et mystérieuse, un sinistre pressentiment, le pressait vivement d’éviter ce voyage. On le remplaça et les deux bateaux se mirent en mer de beau matin. La brise était légère, puis elle calmit tout à fait sur le haut du jour… Les gens de l’Étang-du-Nord virent sous le soleil couchant, les deux goélettes côte à côté, les voiles faséyantes, comme deux amis qui s’arrêtent à l’entrée de la nuit pour se donner la main et le baiser du soir… Le lendemain matin, le vent soufflait du nord ; le tableau de la veille était effacé.

Les jours passèrent ; des semaines, des mois s’enfuirent, et… toujours pas de nouvelles de la Flash. Québec ne l’avait pas enregistrée, aucun port de mer ne l’avait vue, personne ne l’avait rencontrée. Le mystère devenait de plus en plus impénétrable. Les marins les plus expérimentés y perdaient leur grec et leur latin à se creuser la tête, quand Laurent à Damase se fit apporter un escalier qu’un rôdeur de côte avait trouvé sur la dune du nord, quelque temps auparavant. C’était l’escalier de la chambre de la Flash. Il l’identifia sans difficulté, l’ayant fabriqué de ses propres mains. Plus de doute, alors, un ouragan, une trombe avait englouti les deux compagnons à la fois… Mais, pourtant, il avait fait beau après le départ de la Flash : le lendemain, beau vent de nord qui a duré plusieurs jours, vent idéal pour une montée rapide. Puis vent de norois, vent d’ouest, mais point de fortes brises. Enfin !… Plus on étudiait l’énigme, plus on se perdait…

Quinze années durant, les vieux loups-de-mer s’informaient aux marins à leur retour de Québec : « Vous n’avez pas entendu parler de la Flash ? » — Et toujours la même réponse : rien, rien. Enfin, un jour, un coin du voile fut levé. On rapporta toute une histoire à l’endroit de la Flash, drame horrible que les honnêtes Madelinots n’avaient jamais même soupçonné : le cuisinier du « Canayen » déclara sur son lit de mort qu’ayant été forcé de participer à un crime affreux il ne voulait point emporter dans la tombe un secret qui l’avait sans cesse torturé. La Flash, le premier soir du départ, avait été attaquée sournoisement ; une lutte sanglante avait eu lieu, l’équipage acadien massacré, le vaisseau pillé puis coulé. Un seul avait échappé au couteau, en plongeant dans les flots… Le capitaine s’était battu comme un lion jusqu’au dernier souffle : on avait eu mille peines à le tuer…

C’est depuis cette révélation que les Madelinots disent la défunte Flash.


AGRICULTURE

À l’origine, on croyait les Îles de la Madeleine incultes à cause de leur apparence tourmentée, de l’aspect désolé de certains points et de leurs immenses étendues de sable qui rappelaient les déserts du Sahara. Le major Holland, par exemple, prétend « que d’après les plus exactes observations et les plus strictes informations, l’Île ne semble pas capable de produire suffisamment pour la subsistance de sa population actuelle ou à venir ». On est un peu surpris de ce rapport, après le témoignage de Cartier : C’est la meilleure terre que nous eussions oncques vues ». Mais on l’est encore davantage quand l’abbé Miville affirme, en 1852 : que les Îles de la Madeleine ne sont nullement propres à l’agriculture : « Je crois que la seule inspection de ces îles ferait verser des larmes aux habitants des campagnes de Québec, s’ils se voyaient obligés de cultiver de semblables terres. » Or, ces deux témoignages, à 87 ans l’un de l’autre, sont tout à fait relatifs pour ne pas dire archi-faux. Holland, ayant visité l’établissement de pêche de la Grande-Échouerie où vivait un groupe de familles, trouva que le sol en était pauvre, presque partout sablonneux, et le mentionna dans son rapport sans spécifier si c’est l’île de l’est — Coffin — ou tout le groupe de la Madeleine qu’on prenait communément pour une seule et même île à cette époque. Il note toutefois qu’on y élève des moutons, que l’Île Brion et l’Île d’Entrée renferment des prairies naturelles.

« Il semblerait, dit Bouchette, que la capacité générale du sol pour l’agriculture n’a pas été appréciée à sa juste valeur dans le rapport du major Holland. » Et continuant, il évalue la superficie totale des Îles à 78,000 acres, en chiffres ronds : « la surface variée que cette étendue de terrain présente en inclinant depuis les sommets élevés et rocheux jusqu’aux bords des falaises perpendiculaires qui caractérisent une partie des côtes de ces îles, ou jusqu’au niveau des marais, fondrières et barres de sable qui constituent un autre trait de sa configuration générale, offre une grande diversité de sols, depuis ceux qui sont stériles et incultivables jusqu’à ceux qui sont extrêmement fertiles et propres à la culture, et souvent, entre ces deux extrêmes, des terrains riches ou peu fertiles, selon qu’ils proviennent plus ou moins de la dégradation de roches contenant l’élément fertilisant, et selon que le dépôt fertilisant est superposé à des couches plus ou moins propices, pour les objets de l’agriculture. » (op. cit. p. 64.)

Il est prouvé qu’il s’y faisait de la culture avant l’arrivée des colons de Miquelon, puisque les anciens habitants étaient en moyens de céder les communes aux nouveaux pour le foin nécessaire à l’hivernage des animaux qu’ils avaient amenés. À cette époque, il y aurait donc eu un peu de défrichement et des bestiaux pour les besoins de la communauté. Aucun chiffre cependant ne vient préciser la situation avant le recensement de 1831 qui donne 2823 têtes de bétail, 2193 acres de terre en culture, près de 600 minots de grain et 25,500 minots de patates pour une population de 1057 âmes. Baddeley remarquait l’année précédente que les habitants étaient le long des côtes, qu’entre les montagnes il y avait de belles vallées couvertes de gras pâturages pour les bestiaux à venir et qu’on y élevait plus d’ovins que de bovins. Bouchette signale l’avantageuse position des Îles, sous le rapport de la population et de l’agriculture, comparées au reste du comté de Gaspé et même à la province entière : « Leurs habitants pourraient jouir d’une assez grande prospérité et d’une aisance indépendante, si l’absence de protection jointe à des souffrances domestiques, (il reste à décider si elles sont réelles ou présumées) énumérées dans leur mémoire à Sa Majesté, n’avait pas eu pour effet de les éloigner des travaux de l’agriculture auxquels la nature favorable du sol aurait pu les porter. »

« Cependant, malgré l’étendue bornée et la position isolée de ces îles et leur éloignement du comté de Gaspé, on verra par les statistiques de ce comté, fournies par les recensements de 1834 et de 1837, que la population des Îles de la Magdeleine est plus dense que celle des anciens établissements du pays situés sur le bord du golfe Saint-Laurent, non seulement sous le rapport de l’étendue territoriale du comté et de l’île de la Magdeleine respectivement, mais sous le rapport de l’étendue des terres cultivées, dans ces deux localités ; et que ces îles contiennent, en proportion de l’étendue des terres cultivées qui s’y trouvent, une population plus dense que celle du Bas-Canada, comparée à ses terres en culture. La population dans le dernier cas étant de cinq acres et demie par personne, suivant le recensement de 1831 et de quatre par personne suivant celui de 1844. » Suivant le recensement de 1831, le comté de Gaspé, moins les Îles de la Madeleine, contenait un habitant par une acre et un dixième en culture tandis que les Îles avaient presque un tiers des terres cultivées de tout le comté de Gaspé ou près de deux acres par personne. Le recensement de 1844 signale une augmentation considérable des produits de l’agriculture. Les terres cultivées s’élèvent à 2335 acres, ou une acre et un quart par personne, tandis que dans Gaspé c’est une acre par personne. « En même temps que sous d’autres rapports, on voit, en examinant les statistiques des établissements situés dans les municipalités du littoral du golfe, que les îles de la Magdeleine contiennent une plus grande population, plus de terres en culture et plus de produits agricoles, de bétail et d’étoffes de manufacture domestique que trois ou quatre municipalités du comté de Gaspé réunies, la municipalité de Percé, contenant quelques-uns des plus anciens établissements de culture et de pêche du littoral du Golfe Saint-Laurent, seule exceptée ». (ibid.)

De 1844 à 1850, l’étendue des terres cultivées n’a monté que de 33 % mais « les produits agricoles en grains paraissent avoir augmenté dans la proportion de 1 à 9 et le bétail de 35%, ce qui indique non seulement une augmentation des terres en culture en proportion de la population mais aussi que les habitants des Îles de la Magdeleine ont depuis quelques années porté plus d’attention et de soins à la culture du sol et à l’élève du bétail qui, ainsi qu’on peut le constater par les rapports de la douane pour les cinq dernières années (1845-50), devient un article d’exportation important. »

Baddeley prétend que les bestiaux des Îles fournissent une viande supérieure à toute celle qu’il a mangée dans le Canada ; plusieurs après lui diront la même chose. Il y avait donc moyen de cultiver particulièrement cette branche de l’industrie agricole puisqu’un débouché facile s’offrait et parce que des pâturages naturels étaient là tout prêts. L’Île d’Entrée, par exemple, aura toujours un bétail nombreux et remarquable, et c’est elle surtout qui exportera. Nous avons vu par le témoignage de Bouchette que le tiers de la superficie de ces Îles est une terre riche pour les besoins de l’agriculture, ce qui renverse les observations contraires. En 1852, le capitaine A. Painchaud affirme que le sol y est très fertile, produisant de quinze à vingt minots de grain pour un avec peu de travail ; que les engrais de toutes espèces abondent et que les gras pâturages ne manquent pas. « Quant à l’agriculture, dit P. Winter, il est reconnu que les terres et le climat sont tels qu’on y peut produire tout ce qui peut être produit dans les districts de Québec et Kamouraska. J’y ai vu d’excellents grains de toutes espèces et d’aussi beau blé qu’en aucune autre partie de la province ; on y fait du beurre délicieux et du fromage, d’aucuns ayant jusqu’à dix vaches à lait. »

En 1852, il n’y a pas encore de moulin à farine, ce qui empêche les insulaires de se livrer davantage à la culture des grains, surtout des blés. Une souscription générale a déjà produit quelques fonds et a permis de se procurer la plupart des matériaux à cet effet, mais elle n’est pas suffisante. Et l’abbé Boudreault demande au gouvernement de leur venir en aide, vu qu’ils n’ont eu aucun secours jusqu’ici. Quelques années plus tard le moulin était construit dans la paroisse du Bassin et servait pour toutes les Îles. C’était un avantage considérable, car jusque là les habitants devaient faire moudre leurs grains sur l’Île du Prince-Édouard. Déjà les Îles se suffisent à elles-mêmes pour les produits de la ferme et sont en état d’exporter un peu. Les Madelinots comptent si bien sur leurs terres pour les principaux articles de consommation qu’ils ont à souffrir des années de mauvaises récoltes. Les pêcheurs étrangers qui fréquentent ces Îles ont souvent recours aux habitants pour certaines denrées : légumes, viande, beurre, œufs, qu’ils échangent pour des hardes, du sucre, du thé, de la mélasse, des chaussures, du tabac, la plupart du temps à l’insu du douanier. En 1830, Baddeley trouva douze goélettes de Québec, Pictou et Halifax qui faisaient un commerce de cabotage et même de contrebande aux Îles, à part celles de l’endroit qui, tout en allant pêcher au Labrador, y faisaient aussi du négoce. Elles en rapportaient des pelleteries, par exemple, qu’elles vendaient ensuite aux Américains. Les marchands résidents étaient à la fois armateurs, car ils devaient pourvoir eux-mêmes aux moyens de communiquer avec la grand’terre pour écouler leur poisson et s’approvisionner. Deux sortes de marchands — le sédentaire et l’ambulant — à part le contrebandier, s’y partageaient le trafic. Le gros du commerce avait pour principal objet les articles de pêche. Une tentative d’exploitation du gypse et de l’ocre rouge n’eut pas de résultats heureux. Vers 1885, il fallut songer à importer le charbon pour le chauffage, et le bois de construction à peu près vers la même époque. Plusieurs goélettes établirent un service entre les Îles et Pictou, Port-Hood, Inverness, Sydney, en Nouvelle-Écosse, pour le charbon, et Bouctouche, New-Castle, Chatham, Campbelton, au Nouveau-Brunswick, pour le bois marchand[88].

Les Îles eurent bientôt toute une flotte adonnée au trafic. Le commerce se stabilisa, s’orienta, et la navigation connut un quart de siècle intéressant, d’une activité plus intense qu’aujourd’hui. Québec et Halifax étaient les grands voyages difficiles, dangereux. On y allait chaque automne avec une cargaison de poisson renouveler les approvisionnements d’hiver. Des souvenirs de tragique mémoire ont parfois tristement illustré ces expéditions lointaines, sans amoindrir l’humeur voyageuse des insulaires qui continuent encore aujourd’hui, et s’en font un jeu, leurs légendaires voyages d’Halifax. Jusqu’en 1876, tout le transport se faisait par goélettes. Cette année-là apparut le premier bateau à vapeur qui devait faire le cabotage entre les Îles et la terre ferme. Depuis huit ans, une petite goélette y apportait les malles une fois le mois. Ce nouveau service favorisa le commerce et atténua un peu l’isolement des insulaires. Pendant trente ans, il y aura ainsi un petit vapeur une fois ou deux par quinzaine, puis, vers 1905, deux fois la semaine, du commencement de mai à la fin de décembre. Le gouvernement fédéral y commença vers 1900 la construction de quais à eau profonde, pour servir à la fois de débarcadères et d’abris[89]. Amélioration immense ! Personne ne songea à regretter l’ancien mode de débarquement par chaloupes. Le transport actuel beaucoup plus commode et plus facile permet aux insulaires de s’organiser pour expédier plus rapidement leurs produits sur le marché. L’agriculture qui a fait de remarquables progrès depuis une quinzaine d’années pourrait encore être plus intense et permettre l’exportation de plusieurs produits. Ce qui manque, ce n’est pas la possibilité de produire ni d’exporter, c’est l’organisation, c’est la création d’un marché… Ce n’est pas irréalisable. Déjà Terre-Neuve y vint chercher plusieurs cargaisons de pommes de terre et de navets, il y a quinze ans ; mais cette porte entr’ouverte se referma aussitôt faute d’initiative, d’esprit d’organisation et de sens commercial de la part des Madelinots. Depuis trois ou quatre ans on exporte de 4000 à 6000 douzaines d’œufs chaque année. C’est beau et c’est peu… Toutefois, l’importation est assez restreinte, à part la farine, et l’on peut dire en somme que les Îles se suffisent à elles-mêmes dans les produits de la ferme. Les sociétés d’agriculture, les cercles agricoles, les cercles de fermières ont fait un bien considérable et crée chez l’insulaire un véritable enthousiasme pour la culture de la terre. Des gens du pays m’affirment même que les pêcheurs y prennent plus de goût et s’y appliquent plus qu’à la pêche, tout en restant toujours pêcheurs par nécessité, par atavisme. Avant 1913, la société d’agriculture de Gaspé No 2 comprenait les Îles de la Madeleine, mais à cette date ces dernières furent constituées en une société locale pour tous les habitants des Îles, avec siège principal à la Dune-du-Sud. En 1919, les progrès incessants et les besoins impérieux de l’agriculture firent organiser une deuxième société, avec siège principal au Cap-aux-Meules, comprenant tout le territoire de ce comté au sud-ouest du Havre-aux-Maisons. En même temps, des cercles agricoles se fondaient dans les différentes paroisses : le premier est celui du Havre-Aubert, en 1912, puis de l’Étang-du-Nord en 1913, de la Grosse-Île en 1914 et du Bassin en 1917[90]. Les octrois accordés à ces cercles et à ces sociétés permettent à leurs membres d’établir des expositions, des concours de toutes sortes, d’acheter des animaux de race pure, de primer ces animaux, etc. D’une manière générale, ils fonctionnent bien et ils ont réalisé un grand progrès en industrie animale. (Ant. Mathieu).

Cinq concours et deux expositions ont eu lieu depuis dix ans ; des champs de démonstration — établis depuis 1913 — ont aussi grandement contribué à faire l’éducation agricole de ces laboureurs de la mer et leur ont permis de donner à la culture de la terre un élan remarquable. L’enseignement ménager n’est pas négligé, lui non plus. Il se donne aux jeunes filles qui fréquentent le couvent Notre-Dame-des-Flots et aux dames et demoiselles qui font partie du cercle de fermières du Havre-Aubert. (Mathieu).

Le peuple est plein de bonne volonté ; désireux de s’instruire, d’améliorer et de perfectionner ses méthodes de culture et d’élevage ; il profiterait encore plus largement des choses agricoles qui lui sont fournies libéralement s’il n’était pas aussi défiant et aussi susceptible. (Mathieu).

D’après le dernier recensement, (1921) il y a 1019 fermes sur les Îles de la Madeleine, comprenant 22,393 acres de terre évaluées à $710,790, et des bâtiments pour $892,555. Ce qui fait une moyenne de 22 acres par ferme. Comme on le voit, la terre ne suffit pas, il faut l’aide de la mer pour vivre. Il n’y a pas sur toutes les Îles dix vrais cultivateurs vivant exclusivement de la terre, je pourrais même dire qu’il n’y en a pas un… Le même recensement donne 11,340 têtes de bétail, — 1,164 chevaux, 1,702 vaches à lait, 3,346 moutons, 3,276 porcs — et 18,472 oiseaux de basse-cour. Ces animaux sont estimés à $346,338.


COUTUMES

Les petites industries domestiques ont toujours été en honneur chez les Madelinots, surtout chez les Madelinotes qui sont les femmes les plus industrieuses, les plus vaillantes et les plus actives que l’on puisse trouver, comme se plaisait à le proclamer le major Holland. Dès 1765, les femmes fabriquaient tout ce qui servait aux vêtements de leurs familles. Tous les voyageurs qui dans la suite ont laissé quelques notes sur ces îles, font les mêmes observations ; quelques-uns vont même jusqu’à exagérer un tantinet la part très active que nos vaillantes Madelinotes prennent au travail de la pêche. En 1765, on y élève déjà des moutons et des vaches ; au fur et à mesure que grandit la population, le cheptel se multiplie. Les pâturages sont abondants et il croît assez d’herbe sauvage pour qu’avec le moindre travail de culture on puisse récolter le foin de l’hivernage. Il semble qu’on se livre plutôt à l’élevage du mouton, sans doute parce que, pour eux, c’est le plus facile et le plus nécessaire. En 1830, Baddeley en compta 550, lesquels permirent de fabriquer 1275 verges de tissus. C’est le lot de la femme. Avec la laine qu’elle tond elle-même, qu’elle carde et file de ses mains au rouet, elle tisse des couvertes, de la flanelle, de l’étoffe pour les besoins de la maison. Et de ses doigts agiles, elle tricote des gilets de laine, des camisoles, des bonnets, des bas, des mitaines, des gants… Elle tricote tout le temps qu’elle ne fait pas autre chose, et même en faisant autre chose : en soignant le pot-au-feu, en allant faire une visite à la voisine, en caquetant dans les veillées intimes, en se rendant au rivage à l’arrivée des pêcheurs, en allant aux bluets, aux coqs, au magasin, partout, la Madelinote du 19e siècle — et celle du 20e lui ressemble — apporte sa brochure et broche les yeux fermés. La première chose qu’on constate avec surprise, c’est qu’elle a fini sa mitaine ou son bas ; c’est l’affaire d’une courte veillée.

Le Rév. Geo. Patterson, auteur d’une remarquable étude sur les Îles de la Madeleine, écrit en 1891 : « Je dois avouer ici que de toutes les créatures industrieuses que j’aie vues, les femmes françaises méritent la palme. À côté de leur part de travail dans la pêche, la culture de la terre est en grande partie leur ouvrage. En plus de leurs devoirs de ménagères, elles filent la laine à la vieille méthode, la tissent en étoffe pour elles et leurs familles. Et quant au tricotage, elles se croiraient impardonnables d’aller quelque part, même à une petite distance, sans mettre en action les aiguilles à tricoter. Voyez ces deux jeunes filles qui s’en vont en charrette le long du chemin ; tandis que l’une guide, l’autre ajoute quelques broches à son bas. » La coutume surprend un peu l’étranger, moins aujourd’hui cependant depuis que le tricot est à la mode dans les villes ; il l’a toujours été aux Îles. Les longs hivers madelinots sont propices à ces industries domestiques. Tous les enfants y prennent part. Pendant que le père raccommode ses filets, la mère prépare sa pièce. Après la classe, les leçons étudiées, les garçonnets « brochent des têtes de cages, » les fillettes « font de la défaisure, »[91] les plus grandes écharpillent, la mère file au rouet, la grand’mère dorlote bébé, puis le père, quand il n’a pas été faire son petit tour chez le voisin, fume sa pipe en cousant des bottes sauvages à ses gars. Sorte de mocassin, la botte sauvage qui est encore aujourd’hui la chaussure des hommes pour l’hiver, fut aussi celle des femmes jusque vers 1880. La plupart des vieux et des vieilles, en nous contant des histoires du temps passé, n’oublient pas de nous dire, un peu malicieusement, qu’ils ont été longtemps à la messe en bottes sauvages, que dans ce temps-là le monde n’était pas fier comme aujourd’hui, et que les garçons n’avaient pas honte d’aller voir leurs blondes en bottes sauvages, ni les filles de porter la câline[92] le dimanche. C’est que la chaussure fine — qu’on persiste à appeler chaussure française — coûtait bien cher alors ; et seulement les plus fortunés pouvaient de temps à autre en acheter une paire, qu’ils ménageaient comme leurs yeux. Cela ne les empêchait pas de couler des jours heureux et de passer d’agréables soirées, pour faire diversion aux occupations ordinaires.

La pièce d’étoffe terminée, il restait une autre opération à lui faire subir, avant de la convertir en robes, culottes et vestons. C’était le foulage : la journée de plaisir des garçons et des filles. Quelle agréable corvée pour la jeunesse ! Je ne saurais décrire au juste quel procédé on employait pour ce travail. Je sais qu’il y avait une espèce d’auge immense, remplie d’eau chaude et de savon domestique ; que les filles se plaçaient d’un côté, les garçons de l’autre ; et que du matin au soir on travaillait l’étoffe pour la fouler et la rendre épaisse et ferme comme du drap anglais. Inutile de dire qu’on ne gardait pas un silence monacal et qu’on n’avait pas toujours les yeux modestement baissés dans l’auge. C’était l’occasion où les amoureux se déclaraient leur feu. Aussi la maîtresse, tout en préparant son fricot, avait-elle à surveiller soigneusement son affaire, pour que les jeunesses ne lui gâtent pas son étoffe et pour que tout se passe dans l’ordre. Les histoires, les contes, les taquineries, les rires jetaient une note gaie dans l’atmosphère. À midi, on se mettait à table, et, pour agrémenter le repas, on rappelait les incidents de l’avant-midi. Vers le soir, l’ouvrage achevé, les garçons allaient s’attifer pour la veillée que les jeunes filles se hâtaient de préparer. C’était la récompense vivement attendue de leur journée. La maison s’emplissait bientôt de vieux et de jeunes. Les femmes, armées de leurs inséparables brochures, se mettaient à tricoter tout en jasant de l’événement sensationnel du jour, puis chacune disait avec un tout petit brin d’exagération combien elle avait filé de livres de laine, tricoté de paires de mitaines, quand elle finirait sa pièce et ce qu’elle fabriquerait cet hiver. Les hommes allumaient une vieille bouffarde et parlaient des glaces : y aurait-il des loups-marins, quelles goélettes iraient, quels en seraient les équipages, les accidents passés et ceux qui pourraient encore se rencontrer, etc… Pendant ce temps, les jeunes s’amusaient à chanter et à rire. Et tout en chantant, ils se mettaient à danser. Les vieux durs à cuire s’animaient — la danse les électrisait — ils se mêlaient aux jeunes pour une quadrille, puis pour un cotillon inoffensif ; c’est à qui montrerait le plus d’habileté, de souplesse dans la gigue. Pendant ce temps, un chaudron de tire ronronnait sur le feu ; histoire d’adoucir la langue, en attendant le réveillon pantagruélique. À cette occasion, on sortait de leurs cachettes les tartes, les gâteaux et les galettes confectionnés par l’habile ménagère, en prévision de cette soirée.

Ces veillées se répétaient assez fréquemment, puisque chaque famille avait sa foulerie, qu’il y avait les Fêtes, la Chandeleur, les Jours Gras, les noces, à part des carderies, des grands ménages, des battages, etc., qui se faisaient par corvées et donnaient lieu également à des divertissements de cette sorte. Et les jeunes, sans parler des vieux, en profitaient d’autant plus que du printemps à l’automne, ils vivaient en ermites sur la mer et n’avaient pas le temps de s’amuser, ni d’aller voir leurs dulcinées. Dans ces veillées, ils chantaient de vieilles chansons et complaintes apportées d’Acadie ou des chants populaires éclos au terroir si fertile et si poétique de nos îles.

Pendant le carême et les avents, pas de danses ni de divertissements. On se rassemble tout de même pour la veillée, car la pénitence serait par trop forte de ne plus aller faire son petit tour, si profondément ancré dans les mœurs, puis on chante des cantiques,[93] on parle des misères d’autrefois et de celles d’aujourd’hui, on s’attendrit aux récits des vieux sur leurs carêmes antiques, et quand on peut décrocher un beau livre, quel délicieux régal ! C’est le silence complet pendant des heures de lecture à haute voix. Parfois, c’est un discours politique, précieusement et respectueusement conservé dans un tiroir. Alors la conversation, la discussion s’engage sur le sujet et voilà nos pêcheurs métamorphosés en parlementaires improvisés, qui feraient bonne figure parmi nos Honorables Députés de Québec et d’Ottawa !

Dès qu’une jeune fille savait manier les broches, elle commençait à se tricoter des bas : douze paires n’étaient pas de trop pour commencer le trousseau. Ensuite sa mère l’initiait aux secrets du métier. Quand elle était devenue assez expérimentée, elle confectionnait sa couverte, sa catalogne, qu’elle tissait avec redoublement de diligence et d’amour, pour elle et pour le prince charmant qui faisait battre bien fort son cœur épris et monter du sang à ses joues. Petit à petit, le coffre s’emplissait de belles flanelles et de chauds tricots. On y ajoutait des tapis, habilement dessinés et crochetés. À dix-sept, dix-huit ans, quand la jeune fille était demandée en mariage, elle avait peu de dentelle, de fanfreluches et de bébéleries, mais elle pouvait garnir plusieurs lits, bien habiller son mari, bien tenir sa maison, occuper ses dix doigts et élever des enfants. Car, il ne faut pas oublier qu’en plus du travail qu’accomplit vaillamment notre Acadienne, elle élève une douzaine d’enfants, regorgeant de vie et de santé.

La jeune fille apporte aussi sa vache, sa brebis et quelques volailles. C’est sa dot. Elle n’est peut-être pas brillante, mais c’est de règle ; et quand un père y manque par négligence où mesquinerie, la tradition constate qu’il lui arrive malheur : l’animal qu’il n’a pas donné meurt tout d’un coup. Le garçon, lui, aura un coin de l’enclos paternel, un cheval, sa barge et ses agrès de pêche ou une part de goélette. Souvent le nouveau ménage demeure avec les parents de l’époux, jusqu’au mariage de son frère, ou en attendant de se loger. Quand c’est celui qui doit garder les vieux, il hérite de tout, quitte à entretenir ses parents leur vie durant. Parfois il devra aussi donner aux frères et sœurs leurs parts d’héritage, au décès du père.

Les hommes profitaient encore de l’hiver pour réparer leurs embarcations de pêche, en construire de nouvelles et se préparer à la chasse aux phoques. Nos Nemrod, tous très habiles tireurs, chassaient aussi le gibier de mer qui abondait. Un homme, ayant un fusil, était sûr de ne pas pâtir. Au mois de mars, on commençait à gréer ses goélettes pour les premiers beaux jours d’avril et, quand les havre étaient trop gelés, on les sciait pour frayer un chemin aux bateaux. Certains printemps, il fallait se couper ainsi un canal de trois milles de longueur, dans une glace épaisse. Bien dur labeur qui causa plus d’un malheur !

« Ils sont pauvres sans paupérisme et indépendants sans orgueil », constate Baddeley en 1830, et il ajoute : « Je suis entré chez plusieurs et j’y ai trouvé de la courtoisie, du bonheur, de la propreté et du confort ». Leurs maisons de bois, couvertes en bardeaux blanchis à la chaux, ont un air très propret. Les toits et les châssis sont peints avec de l’ocre rouge qu’ils trouvent dans les caps et détrempent à l’huile de loup-marin ou de pourcil ; l’intérieur est toujours simple, mais propre et en ordre. La bonne note, donnée par l’abbé Ferland aux femmes de la Côte-Nord, s’applique également à celles des Îles d’où elles venaient. Ainsi, ces modestes foyers renfermaient beaucoup de bonheur. Que peut-on désirer de plus ? De mendiants, point. Quand l’un d’eux, par maladie, incendie ou désastre maritime, était réduit à la mendicité, ses voisins faisaient le tour de la paroisse et lui recueillaient assez de vivres et vêtements pour le tirer de sa mauvaise position. Entre eux régnait cette fraternité chrétienne que l’on rencontre ordinairement entre les membres d’une même famille. Le morceau du voisin a toujours été de rigueur quand on fait boucherie. D’ailleurs, les liens de parenté qui les unissaient, l’isolement, leur genre de vie, l’égalité de leur condition sociale et surtout la pratique sincère de leurs devoirs religieux, tout contribuait à les faire vivre en bonne harmonie et charité parfaite. Sans doute qu’il s’élevait parfois des contestations, des disputes bruyantes, causées par la jalousie et la médisance, mais les conseils du prêtre ou ceux d’un vieillard[94] avaient vite calmé et rasséréné les esprits et les cœurs ; et aussitôt, sans rancune, ils étaient tout prêts à se rendre service comme par le passé. Tous ceux qui les connaissent se plaisent à remarquer leurs heureuses dispositions natives à la tranquillité et à la paix. Quand on sentira le besoin d’une prison, ce ne sera pas pour les Madelinots, mais pour les étrangers qui fréquentent ces lieux et y propagent le mépris des lois divines et humaines. Avec tout un régiment de circonstances atténuantes, ne vous semble-t-il pas qu’on peut sans scrupule excuser quelques petites taches au tableau ? Il y en a bien dans le soleil ! C’est ce que dit Baddeley quand il demande de l’indulgence à leur endroit, « car sans cette contrebande, ils manqueraient souvent des choses indispensables à la vie. »

Les annales de la vieille et sainte Acadie « ne contiennent pas un seul cas de crime ni de vol, de débauche ni de naissance illégitime, » celles des Îles de la Madeleine leur ressemblent de bien près. « Le vol, le meurtre et autres offenses criminelles semblent être inconnus dans ces Îles », écrit le même Baddeley ; ils ont le caractère « doux et bienfaisant, » affirme à son tour l’abbé Brunet. « À l’exception de deux ou trois mauvais sujets étrangers qui mettent ici le désordre et une confusion horrible, la population acadienne est, comme par le passé, paisible et soumise, » reprend l’abbé Bélanger, quinze ans plus tard. « Pas d’esprit de violence entre eux, dit Patterson en 1891, et j’ajouterai qu’ils ont beaucoup de courtoisie française. Vous ne rencontrez jamais un garçon sur votre chemin, sans qu’il vous fasse un salut dont ne rougiraient pas les plus selects Parisiens. » Baddeley constate que malgré leurs habitudes sobres en général, ils se permettent quelques licences après un bon printemps aux phoques. Ce fut trop longtemps une coutume de fêter les succès d’une saison de pêche par des réjouissances et libations un peu trop spiritueuses et peu spirituelles. C’est probablement leur plus grand défaut qu’ils tiennent de leurs ancêtres bretons ou normands. Les missionnaires s’en plaignent amèrement et avec raison, surtout quand s’y mêlent la danse et les « frolics ». Cependant, il n’y a pas de débauches à notre sens, car pour eux la débauche, c’est le vent qui les empêche de sortir en mer ou la pluie qui les retient à la maison, même sans rhum… et sans bagosse.

Leur piété éclairée et agissante a toujours été proverbiale jusqu’aujourd’hui. Baddeley dit qu’il eut de la peine à se trouver un guide le dimanche qui est bien le jour du Seigneur, là plus que partout ailleurs. En été, ils le passent souvent sans prêtre, soit que le curé aille à la mission voisine ou qu’un voyage nécessaire sur le continent le retienne loin de ses ouailles. Alors, à l’heure de la messe, toute la famille se met en prière, puis chante le Kyrie, le Gloria ou le Credo ; dans le cours de la journée, la plupart font une visite au Saint-Sacrement. Et il faut une forte brise et une grosse mer pour arrêter les pêcheurs éloignés d’aller à la messe du dimanche. Dans nos îles, on ne fait pas les choses à moitié : le plus grand nombre sanctifie l’après-midi par vêpres ; et nulle part ailleurs on ne rencontre de plus belle assistance. « J’assistai aux offices du dimanche, messe et vêpres, dit l’honorable Pascal Poirier, en 1914. Il y avait autant de monde à vêpres qu’à la messe : cela est la bonne vieille coutume acadienne, religieusement conservée aux Îles de la M. » C’est leur invincible attachement à la religion catholique qui a conservé « leurs mœurs pures, leur esprit droit et docile à l’égard de l’autorité civile et religieuse », suivant la remarque du protestant Baddeley.

« Les habitants des Îles de la M. ont en général le caractère gai, jovial et aimable », écrit Bouchette en 1851. Ils prennent le temps un peu comme il vient : s’il fait beau et que la pêche donne, tout le monde est content, et une joie exubérante rayonne et s’épanouit sur leurs visages. On travaille avec entrain et énergie. On bâtit parfois mille châteaux en Espagne, et, comme Perrette, on croit déjà tenir le porcelet quand un revers, une tempête désastreuse, une pêche manquée, une mauvaise récolte viennent assombrir les esprits et jeter sur le riant tableau d’hier un voile de mélancolie. Adieu veau, vache, cochon, couvée !

On songe alors à la misère possible, mais on s’encourage aussi vite qu’on se déconforte et on se prend à espérer, envers et contre tout. « Le bon Dieu ferme une porte et Il en ouvre une autre », disent les femmes qui ne capitulent jamais. On se jette à genoux et l’on demande à la Reine des flots de protéger et bénir ces laboureurs inlassables de la mer ; on se rappelle avec plaisir et confiance que le Seigneur nourrit généreusement les petits oiseaux et habille somptueusement le lis de la vallée… Et la foi triomphe : demain sera ce que Dieu voudra…

Ils ont des manières très familières et cordiales, de nature à surprendre, de prime abord, mais qui nous prouvent péremptoirement combien est profonde et sincère l’intimité indéfectible qui les unit. Les mots monsieur, madame, sont peu en usage, excepté pour monsieur le curé ou les étrangers. Pas de timbres ni de sonnettes à leurs portes qui sont toujours ouvertes aux visiteurs. Pas besoin de frapper : vous entrez comme chez vous, à la bonne franquette. On vous salue et vous invite aimablement à prendre un siège ; mais si c’est pendant la prière du soir, n’attendez pas qu’on se dérange : mettez-vous tout simplement à genoux et priez. Anciennement la prière du soir se faisait en commun à la demeure du vénérable grand-père ; et là se réunissaient ses enfants et petits enfants, neveux et nièces, devant le vieux crucifix de la famille.

Jamais de disputes ni de chicanes avec leurs voisins anglais. Les deux groupes se mêlent peu ou point dans les relations intimes, aussi la bonne entente est parfaite. Chacun jouit de sa propre liberté que l’autre respecte. On s’efforce d’être bilingue, surtout à cause des transactions commerciales où, il faut bien l’avouer, c’est l’anglais qui prédomine, tandis que dans les relations sociales, c’est le doux parler de France. Les femmes, à peu d’exceptions près, sont unilingues. Chacun se trouve donc obligé, d’une manière ou d’une autre, de se servir de la langue de son voisin. Et les Acadiens qui, entre eux, ne conversent jamais en anglais, se saluent souvent à l’anglaise et mêlent à leur langage des mots étrangers, sans s’en apercevoir et parfois sans le savoir. Pourquoi cette ridicule manie ?

La poésie toute pastorale et patriarcale qui embauma toujours l’atmosphère des Îles de la Madeleine lui attacha ses fils par des liens indestructibles, quelque pénible qu’y fut leur vie de durs labeurs ; et le Madelinot, où qu’il soit, ne parle jamais de ce cher coin de pays sans une profonde émotion, sans larmes des yeux et de la voix. Aussi, aime-t-il à y retourner en de fréquents pèlerinages, comme à un lieu sacré ; se bercer sur la mer dont l’absence lui serre et tenaille le cœur ; revoir ces rivages, ces terres, suivre ces sentiers qui lui rappellent tant d’agréables souvenirs d’enfance et de jeunesse ; revivre, en quelque sorte avec son monde, la vie des anciens jours…

« Mémoire de notre passé, lieux toujours charmants qui ont été témoins de nos premiers jeux et des premiers bouillonnements de notre cœur, tradition de famille, enseignements aimés de notre enfance, vous êtes toujours pour nous revêtus d’un prisme incomparable ! Les chants qui nous ont bercés, la langue et jusqu’à l’accent qui nous les ont transmis, tout ce qui tient à ces souvenirs du jeune âge, à ces premières émotions de l’adolescence, nous laisse des impressions qu’aucune jouissance matérielle n’égalera jamais. Puis viennent les œuvres de notre virilité ; pouvons-nous revoir avec indifférence les objets qui ont subi l’empreinte de notre travail, ces terres que nous avons façonnées, ces arbres que nous avons plantés, ces progrès que nous avons semés et que nous avons vus grandir, en nous passionnant pour notre œuvre.

« Tout cela nous émeut, nous réjouit, nous attriste par des sentiments multiples et saisissants, supérieurs à tout dans leur vivacité, et plus pénétrant dans leur action que les jouissances les plus raffinées. Il faut bien qu’il en soit ainsi, puisque nous voyons tous les hommes, dans les climats les plus sévères, dans les pays les plus pauvres, tous invinciblement attachés, par des charmes secrets, à ce mythe indéfinissable, insaisissable et chéri, que nous appelons la patrie ! » (R. de S.-Père, L’Acadie, p. 160.)


ÉDUCATION

Les seules écoles qui existèrent avant 1839 furent celles des missionnaires qui préparaient les enfants à la première communion. En 1827, Isaac Coffin écrit à l’évêque de Québec qu’il allouera 50 livres de rente au prêtre, s’il veut faire la classe d’après la méthode lancastrienne[95], mais il ne paraît pas qu’on ait donné suite à cette proposition.

La génération qui avait poussé sur l’Île Miquelon avait fréquenté les écoles que le gouvernement français y entretenait au bénéfice des pêcheurs. Elle savait en général lire et écrire. Les documents publics nous montrent que celles qui suivirent n’eurent pas cet inappréciable avantage. À l’appendice XII de ce volume, je donne, par curiosité, la copie d’un testament fait en 1804. Les témoins et les partis, moins un, ont su signer. Cela décline à mesure que la vieille génération s’éteint. Mais les rudiments d’instruction religieuse se transmettent de père en fils, comme la tradition. Ce sont surtout les mères, ces anges du foyer, qui remplissent avec zèle et compétence la sainte fonction de maîtresses d’écoles, en faisant réciter les prières et le catéchisme à leurs enfants. Maintenant, comme autrefois, elles sont restées de vraies mères chrétiennes. Monseigneur Plessis, en 1811, constatera qu’elles sont d’une modestie exemplaire et d’une grande et noble simplicité ; l’abbé Ferland, qu’elles sont parfaitement instruites des vérités de la religion et qu’elles savent élever leurs enfants dans la crainte de Dieu. Mais, si elles peuvent élever leurs enfants chrétiennement dans « cette estimable simplicité digne du plus bel âge du christianisme, dans cette innocence de mœurs, dans cette union, cette harmonie et cette probité à toute épreuve » que Monseigneur Plessis admirait parmi eux, elles le doivent à la bienfaisante influence du prêtre, en qui elles ont toujours trouvé un soutien ferme, un conseiller sage et un ami fidèle.

Dès son arrivée, en 1839, l’abbé Bélanger fait bâtir une maison d’école et préparer des matériaux pour deux autres ; il trouve deux institutrices pour les enfants du Havre-Aubert et se préoccupe de ceux du Havre-aux-Maisons qui eurent pour premier instituteur Jean Fontana, et pour première école la maison de Isaac Arseneault. Leur première maison d’école ne fut bâtie qu’en 1845 ou 47 ; c’est madame Morin, sœur du curé Bélanger, qui en prit la direction. Voilà le commencement de la petite école. C’est bien insuffisant, car il y a des groupes de disséminés sur toutes les Îles : au Havre-aux-Maisons, au Cap-aux-Meules, à la Côte de l’Étang-du-Nord, au Bassin, au Havre-Aubert, à l’Île d’Entrée. Il aurait donc fallu déjà sept ou huit institutrices. Le travail de relèvement intellectuel est excessivement lent ; il est difficile à l’extrême, car il n’est pas possible de trouver une institutrice parmi les jeunes filles des Îles. Il faut les chercher ailleurs ; et ce n’est guère souriant pour une jeune fille de la « grand’terre » d’aller s’enfermer aux Îles de la Madeleine pour faire la classe à des gens qui n’en ont jamais eu. C’est bien pour cela, sans doute que les prédécesseurs de l’abbé Bélanger n’avaient pas réussi à organiser quelques rudiments d’écoles élémentaires. Avec le temps et la patience, les événements se modifient, les choses s’améliorent, les difficultés s’aplanissent. Ceux qui ont travaillé dans l’ombre, sans succès, sont ordinairement ignorés, et le bénéfice de leur lent et pénible travail passe souvent au compte de celui qui n’a qu’à sauver la récolte. L’abbé Bélanger eut plus de facilité, car il trouva un terrain longuement et intelligemment préparé par ses prédécesseurs ! Aussi continua-t-il la grande œuvre commencée de l’instruction et de l’éducation, avec une énergie indomptable et un enthousiasme apostolique : les Madelinots soupçonnaient enfin l’absolue nécessité et les merveilleux bienfaits de l’enseignement.

Pendant dix ans, il s’acharnera, avec une inlassable persévérance à organiser les Îles en municipalité scolaire, à bâtir des maisons d’écoles et à recruter, coûte que coûte, des institutrices dévouées et diplômées. Madelinots, inclinons-nous, et chapeau bas, devant la mémoire vénérée de cet infatigable et intelligent apôtre de nos grands pères et devant celle de ces admirables institutrices qui ont commencé la tâche sublime que leurs dignes émules d’aujourd’hui continuent avec le même zèle et le même dévouement sans bornes. Mais, le recrutement des institutrices devenant impossible, on engagea des instituteurs : hommes sans diplômes, pour la plupart, mais ayant eu l’immense avantage d’étudier quelques années dans un collège à Charlottetown où ailleurs. Un de ces maîtres d’écoles, Paul Duclos, est resté en faveur et vénération dans le souvenir des Madelinots. En 1849, quand l’abbé Bélanger quitta l’archipel, il y avait une municipalité scolaire, huit écoles sous contrôle, fréquentées par 202 élèves.

Le premier inspecteur d’écoles, monsieur J.-B.-F. Painchaud, fut nommé en 1850. Ses rapports attestent qu’il était soucieux du progrès intellectuel des insulaires. Il travailla énergiquement, de concert avec les curés, à parfaire l’organisation commencée, à recruter des titulaires pour toutes les écoles et à encourager les parents d’y envoyer leurs enfants. Trois ans après, il y a trois instituteurs dans les quatre écoles en activité (les autres étant fermées faute de maîtres), deux écoles dissidentes organisées avec l’aide du ministre Bayle et 160 enfants qui lisent couramment.

Les Madelinots souffrent de voir la moitié de leurs écoles fermées. Monsieur Alexandre Cormier, à la fois maire et secrétaire des écoles, écrit, le 10 juillet 1854, à l’abbé Charles-F. Careau, V. G. à Québec, pour lui demander de vouloir bien lui aider à trouver des instituteurs. Il suggère qu’on s’adresse aux Frères de la Doctrine Chrétienne qui déclinent l’invitation. « Les maîtres laïcs, trop peu rémunérés par des salaires de famine, préfèrent un emploi dans le commerce ou sur les chemins de fer. » (Careau à Cormier) Il fallut patienter et attendre. Ce n’était pas cependant la bonne volonté qui manquait : on offrait des traitements plus élevés qu’ailleurs ; l’amiral Coffin promettait de payer le déficit ; le gouvernement donnait de 85 à 90 livres d’octrois annuels.

Dans son rapport de 1858, monsieur Painchaud signale la générosité des commissaires qui ont bâti trois nouvelles maisons d’écoles et offrent 60 livres pour le salaire des maîtres ; l’intérêt que les parents et les commissaires montrent en visitant les écoles avec lui ; l’intelligence des enfants qui courent de progrès en progrès. Mais malheureusement, toutes les écoles n’étaient pas encore ouvertes : sur 766 enfants d’âge scolaire, 205 seulement avaient l’avantage d’y assister.

En 1861, on forme deux municipalités : une pour l’île du Havre et l’autre comprenant le Havre-aux-Maisons et l’Étang-du-Nord. Cette année-là, il y a comme instituteurs messieurs Briand au Havre, Morin, (Français) au Bassin, Dupreuil, (Français) à l’Anse-à-la-Cabane, Borne, au Cap-aux-Meules et Catellier, au Havre-aux-Maisons. Ce dernier est le seul diplômé : il a fait faire de bons progrès à ses élèves ; les autres ne sont que passables au témoignage de l’inspecteur d’écoles. Le mal dont on se plaignait alors, existe encore aujourd’hui et durera longtemps : la fascination de la mer et les besoins des parents qui font perdre quelques mois chaque année aux petits garçons, condamnés à pêcher dès huit ou neuf ans. Impossible de comprendre cette mentalité quand on ne connaît pas la mer et la situation particulière des Madelinots ; mais irrésistible est le charme que la grande ensorceleuse exerce sur les enfants quand arrive le mois de mai, que toute l’agitation fiévreuse des ports de mer renaît, que les voiles, petites et grandes, glissent, comme des oiseaux joyeux sous le soleil…

Sept instituteurs, dont un seulement n’a pas de diplôme, dirigent les écoles des Îles en 1865. Les progrès s’accentuent. Trois ans plus tard, une institutrice diplômée de l’École normale Laval, mademoiselle Neuville, dirige l’école du Havre. En 1869-70, tout le personnel enseignant est diplômé, une nouvelle municipalité — L’Étang-du-Nord — est organisée, quatre écoles neuves sortent de terre et la gent écolière augmente de 140 élèves. L’inspecteur ne cesse de faire remarquer au surintendant de l’instruction publique, le dévouement des commissaires et les généreux sacrifices des contribuables. Malgré les constructions nouvelles, pas un sou de dettes n’apparaît dans les livres des commissions scolaires. Les instituteurs sont de plus en plus compétents : deux jeunes diplômés de l’École normale Laval, messieurs Lamarre et Brochu qui enseignent à l’Étang-du-Nord font une excellente classe ; messieurs Phil. Thériault et Ed. Morin réussissent moins bien au Havre-aux-Maisons ; Messieurs Ed. Noël et A. Brasset enseignent au Havre.

Mais c’était tout un problème de décider de jeunes Québécois à venir se claquemurer aux Îles. Les Madelinots comprirent qu’il leur fallait une autre organisation. Outre les difficultés de trouver des hommes pour faire la classe, il y avait celles que rencontraient les enfants dans des arrondissements trop étendus ou dans des endroits encore privés des bienfaits d’une école. Avec des institutrices, il serait facile de multiplier les maisons d’écoles. Mais comment se les procurer au dehors ? Ne valait-il pas mieux travailler à les former sur place ?

Ils avaient échoué dans leur demande à une communauté d’hommes, ils s’adressèrent cette fois à des Religieuses de la Congrégation Notre-Dame qui acceptèrent de venir sur ces rivages lointains porter la bonne semence que les filles de la vénérable Marguerite Bourgeoys jetaient, avec tant de perfection pédagogique et de zèle vraiment apostolique, sur la terre canadienne. Fonder une maison aux Îles de la Madeleine, c’était à la fois se dévouer à l’éducation des jeunes Acadiennes et partant au relèvement de la race par la mère, préparer des institutrices et cultiver les vocations religieuses. Quel beau champ d’action pour ces vaillantes du devoir ! Comment résister à l’appel de ces petits, de ces humbles pêcheurs qui leur tendaient les bras dans un geste de prière ardente ?

Dès l’année 1875, sous l’instigation de monsieur l’abbé Onésime Hébert, curé de Sainte-Madeleine-du-Havre-aux-Maisons, on commença à préparer le bois pour la construction du couvent. Les religieuses arrivèrent en 1877 et se retirèrent au presbytère, en attendant la fin des travaux. Les classes ouvrirent cet automne-là dans le couvent neuf. Je voudrais pouvoir écrire ici en lettres d’or le nom des trois premières religieuses que Monseigneur McIntyre, évêque de Charlottetown, daigna accompagner jusqu’à leur champ d’action : ce sont Sœur Sainte-Anne, première supérieure locale, Sœur Sainte-Céline et Sœur Saint-Théophane. Quelle date mémorable et inoubliable dans l’histoire de nos Îles ! Le cinquantenaire qui tombe en 1927 sera, je l’espère, l’occasion de belles fêtes et de profondes leçons. Cette année-là, mademoiselle Zoé Delaney, qui enseigna si longtemps aux petits Madelinots débutait au Havre-aux-Maisons. Monsieur l’abbé Boudreault, curé du Havre-Aubert, voyant le succès presque facile de son confrère, parla de la fondation d’un couvent chez lui. Mais, après un examen attentif de la question, il pensa, avec raison, qu’un couvent central suffirait largement pour tout l’archipel et aurait beaucoup plus de chances de se développer et de progresser. Il serait la maison d’éducation supérieure des jeunes Acadiennes, une sorte d’école normale où se formerait l’élite des mères des générations futures. Et son projet mourut dans l’œuf.

La création du couvent mit fin à la léthargie intellectuelle des Madelinots. Cette année-là, 470 enfants fréquentèrent les écoles toutes en pleine activité. Elles le seront désormais, car la crise du personnel enseignant est enfin résolue. Cependant, il manque encore quelque chose : le moyen de donner des diplômes officiels. Cela nécessite la création d’un bureau d’examinateurs local, car Percé est trop loin. De nombreuses demandes sont adressées au Conseil de l’Instruction publique qui les exauce en 1881.

Cette année, Monsieur Daniel Pâquet, qui avait enseigné pendant onze ans dans les Îles, fut nommé inspecteur d’école en remplacement de monsieur Painchaud. Dans son premier rapport, il signale trois écoles par paroisse, à part du couvent qui donnait l’instruction à cinquante jeunes filles.

Les premières jeunes filles diplômées au couvent Notre-Dame-des-Flots furent M.-Tyrsa Richard, Johanna Turbide et M.-Virginie Verdier. Ce sont les enfants du Havre-Aubert qui bénéficient le plus longtemps de l’enseignement masculin : tant que les institutrices n’ont pas été en nombre pour enseigner sur toutes les Îles. Ainsi, en 1882, trois jeunes maîtres, sortis de l’École Normale Laval : messieurs Bouchard, Côté, Gignac, dirigent avec énergie leur formation intellectuelle. Et même quand le nombre d’institutrices devient suffisant, on continue d’engager des maîtres pour les garçons ; système excellent ! Aujourd’hui encore, on constate les précieux avantages de l’enseignement et de la formation morale et virile donnés à la gent écolière masculine par messieurs Albin Thériault et Louis-Philippe Marquis.

Mais il manquait toujours, on le sentait bien, une école modèle de garçons, pour aller de pair avec le couvent. On ne voulait pas que les jeunes filles seules s’instruisent, et bien peu de gens avaient les ressources voulues pour envoyer leurs garçons dans des institutions étrangères. Monsieur l’abbé J.-S. Turbide, curé de Sainte-Madeleine-du-Havre-aux-Maisons, féconda cette idée, l’agita dans le peuple, fit appel aux bonnes volontés et lança le projet de construire une grande école pour les garçons de 14 ans et plus. Une souscription volontaire en argent et en journées de travail en assura le succès. Chacun se mit généreusement à l’œuvre : monsieur le curé pour obtenir de l’aide extérieure, et il en provoqua beaucoup ; les paroissiens pour charroyer les matériaux, creuser les fondations, aider à élever la construction et à la parachever, à la corvée. On fit ainsi, et à relativement peu de frais, une belle maison, simple mais spacieuse, où on combina une magnifique classe avec une encore plus magnifique salle publique, capable de contenir 400 personnes. Avantageusement située, elle est un monument et un ornement pour la paroisse qui en est fière, à juste titre. On pourrait bien l’appeler le monument Turbide ; pour le présent, c’est l’école Saint-Joseph. Elle ouvrit ses portes, en 1906, à 35 jeunes gens, sous la direction de monsieur Phelan. L’année suivante, monsieur J.-B. Turbide en prit la direction pour cinq années. Il fut remplacé par monsieur Hélié Pâquet. Impossible de dire tout le bien que fit cette école, non seulement aux jeunes du Havre-aux-Maisons mais à ceux de toutes les Îles, car il en venait de partout, même de chez les Anglais. Raconter l’histoire de l’école Saint-Joseph, c’est entreprendre la biographie du prêtre inlassablement dévoué qu’est monsieur l’abbé Turbide, car il s’est identifié avec elle, pendant plus de dix ans. Je n’ose m’y hasarder ; je dirai simplement que personne autre n’aurait pu mieux réussir, ou même aussi bien et, que pour une fois, il aura fait mentir le proverbe que nul n’est prophète dans son pays.

Quel enthousiasme prodigieux pendant que M. Jean-Baptiste Turbide occupait, avec science et distinction, la chaire de l’école supérieure ! Les hommes et les jeunes gens voulaient à tout prix assister aux leçons du docte magister, au point que la classe, étant trop petite, on dut ouvrir alors un cours du soir, fréquenté par des gens mariés. L’instruction des garçons a fait un grand pas avec cette école ; nous verrons avec satisfaction qu’elle ne s’arrêta pas là.

De jour en jour l’organisation scolaire se perfectionnait et courait de progrès en progrès. Monsieur le curé Turbide pensa qu’il était temps d’inviter les autorités à venir sur place constater le splendide travail intellectuel réalisé et contribuer à le rendre meilleur encore. Il fut donc l’initiateur du premier congrès pédagogique tenu aux Îles de la Madeleine. Voici ce qu’en dit l’Enseignement Primaire du mois de septembre 1911.

« Du 18 au 21 juillet dernier, les institutrices des lointaines Îles de la Madeleine se sont réunies en congrès, sous la présidence de l’honorable P.-B. de la Bruère, surintendant de l’instruction publique.

« C’est à la demande du Révérend Monsieur Turbide, le dévoué curé de Havre-aux-Maisons, que ce congrès pédagogique a été accordé au personnel enseignant des Îles, qui vit isolé du reste de la province.

« La réception de Monsieur le curé, du député, M. Thériault, de l’inspecteur Pâquet, des institutrices de la paroisse entière fut des plus cordiales. Monsieur le Surintendant et ses compagnons de voyage, constatèrent avec bonheur que la brave population des Îles de la Madeleine comprend toute l’importance d’une bonne instruction primaire. Aussi, quels sacrifices ne s’impose-t-elle pas pour construire et meubler de jolies écoles, qui feraient honneur aux riches paroisses de la « grande terre » comme les insulaires appellent la province de Québec.

« Le Surintendant était accompagné des conférenciers dont les noms suivent : Monsieur l’abbé Duchêne, principal de l’école normale de Chicoutimi ; MM. John Ahern, professeur et membre du Comité catholique, Adjutor Rivard, professeur à l’Université Laval et secrétaire de la Société du Parler français, H. Nansot inspecteur d’écoles, C.-J. Magnan, inspecteur général des écoles. Monsieur Gosselin, protonotaire de Chicoutimi, en voyage de vacance, s’étaient joint aux conférenciers

« La séance d’ouverture eut lieu dans l’église et les conférences furent données dans la sacristie.

« Les religieuses de la Congrégation Notre-Dame, au nombre de cinq, ont suivi les séances du congrès. Toutes les institutrices des Îles, une trentaine, furent assidues à venir entendre les conférenciers ; et plusieurs autres personnes, des pères et mères de famille, s’intéressèrent vivement aux travaux de la convention ».

Les conférenciers étaient arrivés par le bateau de mardi et devaient retourner sur celui du vendredi. Le jeudi soir, Monsieur Adjutor Rivard devait donner une conférence sur l’élocution à l’école primaire. À la demande de Monsieur le curé, la population fut invitée à cette dernière soirée qui eut lieu dans l’église ; et du chant, des discours et de la déclamation furent ajoutés au programme. Ce fut une bien agréable et instructive veillée dont je garderai un impérissable souvenir. L’église était remplie comme aux grandes solennités.

Le vieux couvent, devenu trop insuffisant, déjà pas mal détérioré, allait céder sa place à un autre plus spacieux. Une fois de plus, M. le curé-apôtre Turbide se mit à l’œuvre ; il fit appel à la bonne volonté de ses paroissiens et les persuada de construire en pierre. C’était nouveau ; ce serait la première construction en pierre dans l’archipel. La proposition fut acceptée d’emblée — qu’est-ce que le dévoué et entreprenant curé Turbide ne ferait pas accepter ? — et chacun s’engagea à fournir un certain nombre de voyages de pierre. Des équipes se formèrent pour les extraire du cap Alright. Et voilà que lentement, mais sûrement le couvent monte, grandit, se pare et devient l’orgueil de cette pauvre, mais généreuse population qui a compris son vénéré chef et a voulu contribuer, au prix d’immenses sacrifices, à l’érection de ce monument de l’éducation. Voilà une preuve éclatante de ce que peut un curé zélé et désintéressé qui sait faire coopérer ses paroissiens au progrès de sa paroisse. « Montrez de la bonne volonté, leur disait-il, et nous aurons un magnifique couvent. » Et pour les stimuler à l’action, il allait lui même derrière le cap, avec les équipes, et mettait la main à la pierre, au besoin…

Le second couvent Notre-Dame-des-Flots fut inauguré dans l’automne de 1918. Il abrite maintenant 60 jeunes filles qui y reçoivent une éducation soignée et pratique. Plusieurs y ont obtenu avec grande distinction des diplômes académiques. Les religieuses ne tarissent pas d’éloges quand elles parlent des Madelinots qui « se sont toujours distingués par un grand respect pour elles et par leur exquise et généreuse bienveillance en toutes occasions. »

En 1912, l’honorable Joseph-Édouard Caron, ministre de l’agriculture dans le cabinet Gouin, devenait député des Îles de la Madeleine. L’idée d’une grande école, au centre des Îles, commença à flotter dans l’atmosphère. Un comité fut formé de messieurs les abbés J.-H. Blaquière, V. F., J.-S. Turbide et Isaac Thériault, tous curés de l’archipel. Pour assurer le succès de cette entreprise, il fallait renoncer à l’école Saint-Joseph, en fermer les portes, afin de canaliser tous les efforts et toutes les ressources vers la nouvelle institution. La mort dans l’âme, M. le curé Turbide consentit, pour le bien général, à cet héroïque sacrifice. Et l’académie Saint-Pierre fut inaugurée au mois d’octobre 1919, sous la direction de deux dévoués prêtres acadiens : MM. les abbés Gallant et Arsenault, aidés d’un professeur laïc, M. Willy Chiasson. Soixante et quinze jeunes gens, dont une trentaine de pensionnaires, y affluèrent de tous les points de l’archipel. Cette école, en face de l’église de l’Étang-du-Nord, au hameau de la Vernière, occupe un des plus beaux sites de toute la région et offre aux regards émerveillés un point de vue d’une grandiose magnificence. L’horizon qui se déploie au loin, souligné par la fine dentelure des îles ; les féériques levers et couchers de soleil en pleine mer sont de nature à remplir l’âme de poésie et à l’élever vers le Créateur. Cette institution est encore trop jeune pour qu’il soit possible de constater et d’apprécier ses résultats, mais les débuts promettent… L’enthousiasme de toute la population et des jeunes collégiens en fait foi.

Voilà donc une des meilleures organisations que l’on puisse désirer : l’école élémentaire — la petite école de tout le monde — dirigée par des institutrices de l’archipel ; un couvent où les jeunes filles reçoivent une éducation supérieure, une formation spéciale ; une académie, appelée à jouer le même rôle chez les garçons. En vérité, la génération actuelle est bien favorisée. Puisse-t-elle en profiter intelligemment pour que la marche du progrès ne se ralentisse jamais et que les petits moussaillons tiennent à honneur, par leur constante application, à dédommager leurs parents des lourds sacrifices qu’ils s’imposent avec plaisir. Ces deux écoles spéciales cultivent aussi les vocations : vingt-cinq jeunes filles ont déjà fait profession perpétuelle dans la célèbre Congrégation Notre-Dame et une dizaine d’autres ailleurs ;[96] souhaitons que l’académie, qui est une sorte de succursale du collège Saint-Dunstan, puisqu’on y cultive avec soin les éléments latins, fasse une aussi riche moisson dans la fine fleur de notre jeunesse, si bien conservée.

Le bien inappréciable qu’a fait la Congrégation Notre-Dame aux Îles de la Madeleine parle de lui-même avec éloquence. Il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles quand on visite ces lieux pour s’en convaincre. L’institutrice à l’école, la mère de famille au foyer continuent l’action bienfaisante du couvent. Les religieuses sèment en bonne terre ; leurs élèves « sont dociles et intelligentes » ; leur autorité qui suit immédiatement celle du curé leur permet d’exercer une influence profonde et durable. Il y a 49 ans qu’elles pétrissent le cerveau des jeunes Madelinotes ; ce sont quarante-neuf années de vénération et de respect à leur endroit. Que ne fait-on pas avec de telles dispositions ?

Ce chapitre serait incomplet, si je passais sous silence les royales largesses octroyées par le gouvernement de la province de Québec, dont dépendent les Îles, pour
Le Havre-Aubert
cette poignée d’Acadiens. Chaque année, il rétribua largement le professeur de l’école Saint-Joseph qui de fait devenait une école gratuite, l’étudiant n’ayant qu’à payer le chauffage ; il construisit le palais scolaire de l’académie ; il aida à la construction de nouvelles et jolies maisons d’écoles élémentaires, à celle du couvent et de l’école Saint-Joseph ; et, chaque année, par de substantiels octrois, il encourage ces vaillants marins à donner à leurs enfants toute l’instruction que permet leur situation.

M. Louis-Albin Thériault, troisième inspecteur d’écoles, fut nommé en 1912. Dans son dernier rapport (1925), je trouve 23 écoles élémentaires catholiques et cinq protestantes, un couvent et une académie, le tout fréquenté par 1700 élèves. Les propriétés scolaires sont évaluées à une quarantaine de mille piastres, sans dettes, contre une évaluation foncière totale de seulement $782,539.


ADMINISTRATION CIVILE ET JUDICIAIRE

Les Îles de la Madeleine ont fait partie du comté de Gaspé jusqu’à leur érection en circonscription électorale pour la représentation à l’assemblée législative en 1897, et jusqu’à ce jour pour celle de la Chambre des Communes. Mais pratiquement, les insulaires restèrent défranchisés jusqu’à l’élection de 1850, n’ayant jamais auparavant été invités à user de leur qualité d’électeur. Et pendant près de cinquante ans, leur vote ne servira qu’à fixer la majorité : rôle humiliant, vivement ressenti par la population qui souhaite la formation d’une division électorale, dit un enquêteur en 1889.

Le premier député à l’Assemblée Législative fut le Dr P.-P. Delaney, médecin au Havre-aux-Maisons.

Vers 1850, la loi leur donnait un conseil municipal (Gaspé no. 3) avec chef-lieu au Havre-Aubert, mais elle ne pourvoyait pas à la manière de faire l’élection des conseillers. Ainsi, par la loi 10 et 11 Vic., ch. 7, (1847) qui partagea le comté de Gaspé en trois municipalités, on pouvait élire deux conseillers par paroisse ou township, mais les Îles de la Madeleine n’étant pas divisées pour aucune fin civile ou religieuse, faisaient exception. Et la dite municipalité n’était que nominale.

Avant 1847, « lorsque le système municipal était adapté aux paroisses ou lieux réputés tels, on élisait un certain nombre de conseillers collectivement ; il y eut alors un conseil de constitué aux Îles, mais point depuis la mise en opération de la (nouvelle) loi. » (P. Winter)

Plus tard, le gouvernement amenda sa loi et un conseil fut élu pour les Îles de la Madeleine (1861). En 1874, ce conseil demanda la division des Îles en trois municipalités locales distinctes ; ce qui lui fut accordé par la loi 37, Vic. ch. 43, qui devint en force le premier de janvier 1875. L’article 6 se lit ainsi : « Les trois municipalités constituées par le présent acte ne feront pas partie de la municipalité du comté de Gaspé, mais composeront une municipalité de comté sous le nom de Municipalité du comté de Gaspé, No 2, laquelle municipalité de comté fonctionnera sous l’autorité du code municipal comme toute autre municipalité de comté. » Le premier conseil de comté des Îles de la Madeleine, se composait de Charles E. Chiasson, préfet, Édouard Borne, registrateur, Nectaire Arsenault et Charles Chiasson, conseillers. Les mêmes divisions subsistent encore aujourd’hui.

Dans une communication du 12 octobre 1852, M. Alexandre Cormier, J. P. dit : « Un conseil municipal qui serait ici d’un avantage immense n’a pu subsister en conséquence de ce qu’il n’était ni respecté, ni obéi, après quelques délits qu’il n’avait pu punir, se trouvant sans protection… Sans prison, le conseil municipal ne peut fonctionner ici, ni aucun règlement. » Il n’est pas le seul à proclamer le besoin urgent d’une prison. Bouchet avait demandé l’année précédente « l’érection d’un palais de justice et d’une prison ; le même édifice pourrait être disposé de manière à répondre à ces deux destinations, et pourrait contenir en outre le bureau d’enregistrement et servir à d’autres objets publics. » Depuis 1845 il y avait des officiers de loi ; une cour de circuit était établie au Havre-Aubert et un magistrat y venait une fois par année ; (cette cour de circuit remplit aujourd’hui les mêmes fonctions que la cour supérieure dans les autres districts de la province) mais les Îles faisaient partie du district judiciaire de Gaspé, avec Percé pour chef-lieu ; c’est là qu’était la prison. Comme moyens de communications entre les deux localités, rien que des goélettes d’occasion. On voit tout de suite la piteuse situation des gens de loi. S’ils trouvaient quelques coupables et les condamnaient impossible, hélas ! de faire exécuter leurs sentences. Ridicule situation qui faisait rire les insulaires et encore plus les étrangers qui, se sachant dans un pays où il n’y avait pratiquement que la loi du plus fort, se livraient parfois à des actes très répréhensibles et même horribles à décrire, affirme le notaire Painchaud. D’ailleurs, c’était plutôt pour mettre ces étrangers à la raison que pour morigéner les paisibles insulaires : la population flottante de ces Îles durant l’été se chiffrant à près de 5,000 âmes qui n’étaient pas toujours la crème du Dominion.

Cette prison, si impatiemment attendue, fut enfin construite en 1861, au coût de $7,212.16.

La cour de magistrat, établie au Havre-Aubert en 1885, fut réorganisée en 1922 et installée au Havre-Aubert, à l’Étang-du-Nord et au Havre-aux-Maisons.


LE ROCHER

Le Rocher-aux-Oiseaux est enveloppé d’une atmosphère lugubre qui inspire à tout l’archipel une crainte un peu semblable à celle qu’éprouvent les enfants aux abords des maisons hantées des contes de fées. On s’en approche avec mille précautions, après s’être assuré de la faveur des vents et des courants. Et encore, c’est-il pour peu de temps, car on ne sait jamais ce qui peut arriver dans ces parages de sinistre réputation, l’abordage étant hérissé de difficultés. Les seuls êtres qui n’en ont pas la chair de poule à son approche, qui l’abordent sans façon et y vivent sans crainte, ce sont les myriades de fous de Bassan, de goélands, de cormorans, qui en formèrent l’unique population de temps immémorial. En voyant une telle multitude d’ailes autour de ce rocher, Cartier lui donna le nom de Isle-aux-Margaulx[97] Les premiers navigateurs qui s’aventurèrent sur le sommet du rocher faillirent être mis en pièces à coups de bec. Le sol était si couvert de nids et d’oiseaux qu’on ne savait où placer le pied pour n’en point écraser. On aurait dit qu’ils couvaient en plusieurs rangs d’épaisseur. Même à l’heure actuelle, malgré la présence de l’homme, ces oiseaux n’ont pas peur de couver à ciel ouvert, sur la surface du rocher. Mais la majorité a déménagé pour chercher un refuge dans les interstices et les anfractuosités des falaises, si parsemées d’ailes blanches qu’on les dirait couvertes de neige. Avant l’établissement du phare, les Américains, qui se considèrent partout comme en pays conquis, ne se gênaient pas d’y monter, au temps de la ponte, et de cueillir des œufs en quantité, par barils, qu’ils chargeaient sur leurs goélettes. Les chasseurs, non plus, ne se sont pas fait scrupule de massacrer inutilement, et pour le seul plaisir sauvage de tuer, des millions de ces oiseaux sans protection. Alarmé de cet état de choses, le gouvernement provincial a réservé le Rocher comme paradis des oiseaux, en prohibant en 1920 toute chasse, sous peine d’amendes très sévères.

Je ne saurais mieux raconter l’histoire de ce rocher sinistre qu’en insérant ici une lettre de monsieur Wilfrid Bourque à monsieur Théophile Béland :

Rocher-aux-Oiseaux, Golfe St-Laurent
le 6 juillet 1909.
À Monsieur Théophile Béland, agent,
Département de la Marine et des Pêcheries,
Québec.
Cher monsieur,

J’ai l’honneur d’accuser réception de votre lettre, no 3055, datée du 25 août 1908, et qui, à cause du défaut de communication, ne m’est parvenue que récemment.

Pour me conformer à votre demande, j’ai l’honneur de vous exposer humblement ce qui suit :

En ce qui me concerne, je suis heureux autant que mes connaissances me le permettent de vous faire l’historique de cette lumière (phare). Toutefois, c’est avec regret que je suis obligé de vous faire constater que le registre des gardiens de cette lumière est assez pénible, plusieurs y ayant laissé leur vie. Les autres ont été contraints d’abandonner, n’ayant pu obtenir des différents gouvernements qui se sont succédés depuis 1870, année où ce phare fut érigé, la protection et les améliorations que réclamait leur position unique.

Aucune station sous le contrôle de votre département ne peut être sérieusement comparée à ce rocher en mer, d’une superficie d’environ cinq acres, s’élevant à 130 pieds au-dessus du niveau de la mer, abordable à un seul endroit et cela seulement dans un temps très calme, ce qui est assez rare dans ces parages ; à une distance de onze milles de l’île la plus rapprochée qui est tout aussi isolée et non plus abordable que celle-ci. Ce rocher, par sa position géographique, étant situé sur la route des vaisseaux qui remontent le Saint-Laurent, fut souvent témoin de désastres maritimes. En 1870, le gouvernement se décida d’y faire ériger un phare et chargea monsieur Fraser de ce travail gigantesque. Après avoir été obligé de se tailler un chemin dans le roc, le plus bas point de ce rocher étant de 90 pieds, pour monter les matériaux nécessaires à la construction, et avoir surmonté mille difficultés, il érigea le phare en 1871.[98] En même temps, on posa un canon pour guider les vaisseaux en temps de brume.

Le premier gardien nommé fut un monsieur Fennelton qui refusa la charge ; monsieur Guitté le remplaça et demeura en fonction jusqu’en 1873, lorsqu’il résigna, n’ayant pu s’habituer à la vie d’ermite qu’on est obligé de mener ici[99]. Il fut remplacé par monsieur Patrick Whalen. Pendant sept ans, tout marcha bien, mais en 1880, le 8 avril, les loups-marins étant très nombreux aux environs du rocher, monsieur Whaler et ses deux associés se décidèrent d’aller leur faire la chasse. À peine étaient-ils sur la banquise qu’une violente tempête s’éleva et les glaces, poussées par la force du vent, s’éloignèrent si vite que les pauvres hommes ne purent regagner leur demeure. Madame Whalen était restée seule sur le Rocher. On ne peut guère se figurer la terrible nuit qu’elle dut passer sur un rocher en mer, seule, son mari et son fils emportés à la dérive sur la glace, sans aucun moyen de communication avec la terre ferme, comptant seulement sur la bonne Providence et espérant qu’un bâtiment loup-marinier arriverait au Rocher pour la secourir dans son extrême détresse.

Le lendemain, Thomas Thivierge, un des trois malheureux emportés à la dérive, les pieds gelés et à moitié mort de froid, retourna au Rocher et apporta à l’épouse inconsolable la triste nouvelle que monsieur Whalen et son fils étaient morts pendant la nuit. Cet accident détermina enfin le gouvernement à faire poser l’été suivant un câble sous-marin, entre le rocher et la Grosse-Île. Monsieur Charles Chiasson, du Havre-aux-Maisons, fut nommé gardien le 25 juillet 1880, charge qu’il occupa jusqu’au 23 août 1881. Ce jour-là Paul Chenell, sa fille et Jean Turbide étaient en visite sur le Rocher. Leur hôte, monsieur Chiasson, leur fit voir en détail les différents bâtiments, phare, bouilloire, engin, et enfin on arriva au canon d’alarme ; les visiteurs prièrent le gardien de bien vouloir tirer un coup de canon. Ce dernier se rendit à leur désir, mais hélas ! la grosse Bertha fit explosion et victima le gardien et son fils, blessa gravement Paul Chenell, qui expirait deux heures plus tard. Jean Turbide en fut quitte pour une légère égratignure. Monsieur Télesphore Turbide était alors assistant, mais il ignorait complètement le maniement du télégraphe ; dans la cruelle situation où il se trouvait, avec trois cadavres sur le Rocher, les vitres du phare brisées par l’explosion, il s’ingénia à tenter l’impossible et réussit à se faire comprendre par monsieur LeBourdais, opérateur au Cap-aux-Meules. Une heure plus tard, le câble était rompu. On envoya immédiatement un bâtiment[100] chercher les cadavres des victimes de l’explosion. Quelques jours plus tard, le SS Napoléon III arrivait au Rocher avec des ouvriers pour réparer les dégâts. De toutes parts on reconnaissait la nécessité absolue de maintenir des communications télégraphiques sur ce rocher.

Quelques semaines plus tard, monsieur Turbide, jugé compétent, fut nommé gardien et resta en fonction jusqu’à l’année 1896. Pendant son administration, de 1880 à 1890, le câble fut rompu plusieurs fois. Monsieur Gilford, capitaine du SS Newfield, chargé des réparations, était un homme tellement nerveux et froussard qu’il tremblait d’effroi rien qu’à la vue du Rocher.

Aussi, les réparations étaient-elles faites à la va-vite : jeter négligemment le bout du câble à terre, sans rechercher l’endroit le plus propice, s’en aller chanter sur tous les tons au gouvernement qu’il était impossible de fixer solidement un câble sur le Rocher-aux-Oiseaux : voilà la principale occupation du réparateur grassement rétribué. Finalement, en 1890, malgré les pleurs du gardien, sans considérer les services signalés que le télégraphe avait rendus lors de l’explosion du canon en 1881, on eut l’impardonnable barbarie de retirer le câble et de laisser le pauvre gardien sans aucun moyen direct de communication avec la terre ferme[101], exposé à être des mois entiers dans une misère extrême, sans pouvoir obtenir aucun secours.

L’année suivante, en 1891, par une explosion du canon, le gardien se fit emporter une main ; le câble n’existant plus, il fallait attendre le passage d’un vaisseau en vue du Rocher. Après deux longs jours de souffrances atroces, le capitaine Frédéric Poirier, de Arichat, C. B., arriva au Rocher. Voyant la situation pénible dans laquelle le gardien se trouvait, il consentit à le conduire à Chéticamp, C. B., afin qu’il put recevoir les soins urgents que réclamait son état précaire. Un mois s’écoula avant qu’il put se faire remplacer temporairement sur le Rocher. En 1896, le même fit une chute assez grave et obtint une vacance. Dans le mois de septembre de la même année, il envoya sa démission. Monsieur Arsène Turbide fit l’intérim en attendant la nomination du gardien attitré, qui fut monsieur Pierre Bourque, nommé dans le mois de novembre suivant, trop tard pour se faire transporter sur son rocher ; Arsène Turbide fut donc obligé d’y passer l’hiver en compagnie de Charles Turbide, fils du gardien, et de Damien Cormier et son épouse.

Le 7 mars, 1897, par un temps magnifique, les trois hommes se décidèrent d’aller à la chasse sur les glaces qui entouraient le Rocher. Le pénible accident de 1880 se renouvelle. Surpris par la tempête, ils sont emportés à la dérive. Charles Turbide, 17 ans, et Damien Cormier, 60 ans, meurent de froid la première nuit qu’ils passent sur la banquise, l’un à minuit, l’autre à deux heures du matin. Arsène Turbide, après trois jours et trois nuits de marche, sans aucune nourriture, n’ayant pour breuvage que du sang de loup-marin, les pieds gelés, ayant franchi sur les glaces une distance géographique de 60 milles, fait terre à la Baie Saint-Laurent, C. B. Quinze jours plus tard, il expire des suites de cette marche pénible. L’épouse de monsieur Cormier, (Ainée) restée seule sur le Rocher, n’avait aucun moyen de communiquer avec le reste de l’univers. Heureusement, depuis plusieurs années, quelques hommes, s’exposant à mille misères et bravant mille dangers, avaient l’habitude d’aller chaque printemps au Rocher faire la chasse aux loups-marins, assez nombreux dans ces parages. Le 9 mars, cinq de ces hardis chasseurs arrivèrent au Rocher, et la pauvre femme, à moitié folle de terreur, fut sauvée ; elle n’aurait pu rester ainsi plus longtemps. À l’ouverture de la navigation, monsieur Pierre Bourque se fit transporter au Rocher où il arriva le 17 mai 1897. J’ai à vous faire remarquer la troisième explosion du canon. Le 12 juin 1897, monsieur Hippolyte Melanson, un des assistants de monsieur Bourque, fut sérieusement blessé. Le gardien-chef le fit transporter en chaloupe à l’île Brion et de là au Havre-aux-Maisons pour qu’il put recevoir les traitements nécessaires. J’étais alors étudiant au Collège Saint-Dunstan, Charlottetown. Le 12 juillet, j’allai avec mon père, comme assistant, charge que j’occupai jusqu’en 1905, quand, monsieur Bourque ayant démissionné, j’obtins la charge de gardien que j’occupe encore aujourd’hui. Je dois mentionner qu’en 1904 le feu, fixe jusqu’à cette date, devint tournant. Depuis que j’occupe la charge de gardien, le département a beaucoup fait d’améliorations. En 1907, on remplaça le canon, comme signal en temps de brume, par un sifflet à air comprimé. L’année dernière, le phare a été haussé de dix-huit pieds. Toutefois, il y a une lacune à laquelle le département devrait remédier dans le plus bref délai, je veux parler du manque de communication et la nécessité d’avoir sur ce Rocher, soit une station Marconi, soit un câble sous-marin, pour nous permettre, en cas de naufrage ou d’accident, d’obtenir du secours immédiatement, sans s’exposer à se noyer, en faisant le voyage en chaloupe du Rocher à l’Île Brion, une distance de 11 milles en plein golfe, ou attendre que par hasard un vaisseau passe en vue et que le capitaine veuille bien nous porter secours. Ce voyage, je l’ai fait plusieurs fois, mais c’était dans des cas de nécessité absolue ; et je remerciais Dieu du fond du cœur quand j’arrivais au terme de mon voyage, vu l’incertitude du temps, exposé à être frappé à mi-chemin par la tempête et à devenir la victime d’un nouvel accident.

Si ce rocher était pourvu de communications télégraphiques, ces misères seraient atténuées de beaucoup ! Le manque de communication a toujours été le grand malaise des gardiens de cette lumière. En lisant l’historique de ce phare, vous avez dû remarquer que lorsqu’il est arrivé quelque accident, le manque de communication a fait endurer de grandes souffrances.

Un gardien de phare est comme les autres mortels : il a besoin parfois de communiquer avec la terre ferme pour ses propres affaires, souvent pour ce qui regarde ses devoirs comme gardien, quelquefois pour protéger sa vie et celle de sa famille. Le 26 juillet 1908, un de mes enfants s’est démis un bras. Si j’avais pu envoyer un message de dix mots sur la terre ferme, au prix de mon année de salaire, je l’aurait fait volontiers. C’est pour cela que tous les gardiens qui se sont succédés jusqu’à moi, après s’être efforcés de démontrer la nécessité d’avoir des communications télégraphiques ici, ont abandonné de dégoût.

Je ne peux comprendre pourquoi ce rocher a tant été systématiquement ignoré, quand tant de stations de marconi ont été établies où il y avait déjà d’autres communications télégraphiques. Et pourtant, par sa situation géographique, cette station ne manque pas d’importance : située sur la route de tous les vaisseaux qui remontent le Saint-Laurent, excepté pendant quelques mois l’été, combien de fois, quoiqu’il soit bien spécifié dans les codes internationaux que cette station n’en est pas une de signaux, ces vaisseaux m’ont demandé avec instances de les rapporter à Québec. L’on me demande des nouvelles du temps dans le Saint-Laurent, et surtout le printemps quand on redoute les glaces, pas un vaisseau ne passe sans me signaler. Sans doute, ces navigateurs ne peuvent se faire à l’idée que ce phare soit laissé ainsi dépourvu de toute communication.[102]

Vous me direz : vous pouvez toujours, en cas de nécessité, communiquer avec les steamers. Eh bien ! quand ils ont besoin de nous, ils diminuent leur vitesse, arrêtent et retournent au besoin ; si nous avons besoin d’eux, les neuf-dixièmes ne nous répondent point ou répondent négativement. C’est ce qui m’est arrivé le printemps dernier lorsque le SS. Aranmore passa à un demi-mille du Rocher, par un temps très calme. Je lui demandai s’il voulait prendre une lettre. On m’a répondu, non. S’il vous plaît, il flottait le pavillon du gouvernement et depuis huit mois j’étais sans aucune nouvelle de la terre ferme ; et nos instantes demandes de secours restent sans réponse cinq ou six fois par année. Je reconnais les difficultés naturelles qui existent, mais l’importance de ce rocher pour la navigation et les dangers auxquels nous sommes exposés, en cas de naufrages ou d’accidents, ne méritent-ils pas l’établissement d’une station télégraphique sur ce rocher ?

J’ai tâché de vous raconter, sans exagération et sans acrimonie, les dangers et les misères auxquels mes prédécesseurs et moi avons été exposés dans l’exercice de nos devoirs de gardiens de ce phare. J’espère que ce rapport vous sera satisfaisant et que mes réclamations recevront votre juste considération.

J’ai l’honneur d’être, cher monsieur,
votre serviteur dévoué,
Wilfrid Bourque,
gardien de phare.

Au commencement de mars 1911, le signataire de cette lettre eut une aventure on ne peut plus mystérieuse et tragique. Il alla à la chasse, suivant son habitude, au bas de la falaise, sur la laisse de glace qui bordait le rocher. Mais son absence, se prolongeant sans raison, inquiéta son épouse qui envoya son jeune neveu en recherche. Il revint bientôt, disant que son oncle était debout dans l’eau au bord de la glace. Daniel Turbide, l’assistant-gardien, se précipita à la suite du neveu avec des cordages, et ils réussirent à monter monsieur Bourque sur la glace qui était haute. Mais hélas, il était sans vie. Comment était-il mort ? Mystère ! On se perdit en conjectures et on n’arriva jamais à la solution du problème

Le défaut de communications qu’il avait tant déploré obligea sa femme à passer des heures cruelles, en attendant que le hasard amène un navire à son secours. Le premier qu’on signala, plusieurs jours après, fut le SS. Seal de Saint-Jean, T. N., à la recherche des loups-marins. Il transporta la dépouille mortelle et la veuve éplorée au Havre-aux-Maisons, avant même que la nouvelle parvint à la famille.

Monsieur Elphège Bourque remplaça son oncle au poste de gardien, en l’été de 1912, après une vacance remplie temporairement par l’assistant Daniel Turbide. Depuis lors, tout marchait bien ; des réparations avaient été faites au point d’atterrissage pour rendre l’accès plus accostable ainsi que d’autres améliorations. Dix années s’étaient écoulées sans que la sinistre prédiction se réalisât, mais voilà qu’au mois de novembre 1922, tout le personnel s’empoisonne par l’emploi de l’eau qu’on est obligé de recueillir, lors des pluies, dans un grand réservoir. Ici encore, le défaut de communications rendit la situation d’une gravité extrême, et on eut à enregistrer la mort d’une personne, Albin Bourque, le frère du gardien. Philias Richard, un assistant, mourut des suites de cet accident, dix-huit mois plus tard ; seul Octave Lancford en réchappa assez misérablement.

MILICE

Postées en sentinelle dans le golfe, les Îles de la Madeleine auraient fourni la meilleure base navale au Canada, du côté de l’est. Plusieurs stratégistes de renom l’ont signalé au gouvernement. Dès 1830, le lieutenant Baddeley prétend qu’on n’a pas attaché assez d’importance à la position géographique de ces îles au point de vue militaire. Fortifiées, elles peuvent abriter une flotte de défense en état de protéger efficacement le pays, en empêchant toute entrée dans le golfe, soit par un endroit ou par l’autre.

« En temps de guerre, dit Bouchette, les Îles de la Madeleine seraient importantes comme dépôt naval ; les vaisseaux de ligne et les corvettes pourraient en effet y trouver un abri sûr et un bon mouillage dans la baie de Plaisance et le chenal entre l’Île d’Entrée et la Pointe-aux-Sables ; et les bâtiments d’un tonnage inférieur pourraient atteindre en sûreté les havres que présentent ces Îles, suivant que leur tirant d’eau le permettrait. »

De plus on y trouverait une pépinière inépuisable de marins robustes, expérimentés et endurants.

Dès l’année 1805, les Îles de la Madeleine sont comprises dans l’organisation militaire du comté de Gaspé. Une compagnie, faisant partie du premier bataillon de ce comté, y est établie, sous les ordres de Philip Colbeck, capitaine, Benoit Boudreau, lieutenant et Ed. Noël, enseigne.

En 1815, il y a trois officiers, 87 miliciens et 55 fusils.

Un bataillon est formé en 1832. En 1835, il se compose du Major Pierre Doucet, commandant ; adjudant Isidore Vigneau, Sergent-Major, Samuel Bouchard, pour toutes les Îles de la Madeleine. Ces quatre compagnies ont les officiers suivants : à l’île du Havre-Aubert, capitaine Joseph Cormier ; lieutenant Louis Bouffard ; enseigne Constant Bourque : deux sergents, 24 garçons, 47 hommes mariés. Au Cap-aux-Maisons, Capitaine Val. Fontana ; lieutenant Ls-F. Borne ; enseigne Jacques Renaud : 2 sergents, 24 garçons, 69 hommes mariés. Au Cap-aux-Meules, capitaine John-F. Munsey ; lieutenant John Haley ; enseigne Isaac Arsenault : 3 sergents, 32 garçons, 54 hommes mariés. Au Grand-Ruisseau, capitaine Andrew Doyle ; lieutenant Sylvester Hewes ; enseigne Montague Colbeck : 4 sergents, 16 garçons, 48 hommes mariés ; le tout comprenant 13 officiers et 326 miliciens.

Les derniers officiers de ce bataillon qui semble avoir été licencié en 1860 sont :

Lt-col. Louis Bouffard ; Capitaines : Jacques Renaud Henry Shea, John Fontana, Édouard Borne, Charles M. Bourque, Alexander Hockart.

Lieutenants : Sixte Lafrance, Antoine-Edmond Chevrier, Édouard Pâquet, Pierre Alex. Belleau, F. J. B Painchaud (Adjt), Gilbert Cormier, Louis Thériault.

Enseignes : John Patton, Achille Bouffard, Onésime Jomphe, William Johnson, Léon Cormier.

Quartier-maître : Hilaire Nadeau.

Chapelain : L’abbé Charles Boudreau.



Le « Ponchon »

VISITES MÉMORABLES

Le 16 juin 1914, les Madelinots eurent l’insigne honneur de recevoir la visite du Délégué apostolique, Son Excellence Monseigneur Stagni, accompagné de son secrétaire, Monseigneur Synotte, actuellement Archevêque de Winnipeg et de Sa Grandeur Monseigneur O’Leary, évêque de Charlottetown. Toute la population s’était mise de cœur et d’âme à préparer une réception digne des éminents visiteurs. Les paroisses du Havre-Aubert, de l’Étang-du-Nord et du Havre-aux-Maisons avaient rivalisé entre elles à qui ferait la plus éclatante démonstration et le plus touchant accueil. Les uns s’étaient préparés à exécuter un feu de salve dont les échos devaient se répercuter d’île en île à l’arrivée du bateau ; les autres devaient le soir illuminer l’archipel d’une série de feux d’artifice, lancés du sommet des Demoiselles ; d’autres avaient bordé de sapins et parsemé de fleurs le chemin que suivrait Son Excellence ; partout c’était une propreté parfaite, tant les habitations et les clôtures avaient été blanchies ou peinturées ; puis on avait décoré les maisons à profusion et érigé des arcs de triomphe. Les drapeaux du Sacré-Cœur, du Pape, de l’Acadie, de la France, de l’Angleterre, de l’Irlande et la bannière de l’Assomption flottaient au-dessus de la foule qui accompagnait processionnellement Son Excellence à l’église.

Durant quatre jours, les Acadiens des Îles de la Madeleine furent en liesse et acclamèrent l’auguste représentant du Souverain Pontife par des chants, des vivats, des adresses, des prières et par toutes les marques les plus sincères et les plus émouvantes d’un grand amour et d’un religieux respect.

Le départ se fit le vendredi après-midi, au chant de l’hymne national des Acadiens, sous la main bénissante de Son Excellence et en présence de tout ce que le quai pouvait contenir d’hommes, de femmes et d’enfants…

Les Madelinots garderont éternellement le doux souvenir de cette fête, car les parents, avec une légitime fierté, le rediront à leurs enfants de génération en génération.

* * *

Une autre visite dont les Madelinots sont fiers, c’est celle du gouverneur général du Canada, le duc de Devonshire, accompagné de la duchesse et des jeunes princesses leurs filles. Le vapeur qui les transportait à Terre-Neuve arrêta six heures aux Îles de la Madeleine, le 18 juillet 1920 : juste le temps de faire un court arrêt au Havre-Aubert, au Cap-aux-Meules et au Havre-aux-Maisons pour y saluer la population rassemblée. Dans chaque localité le maire lut une adresse en français[103] à laquelle le duc eut la courtoisie de répondre dans la langue des insulaires. Cette visite du plus haut dignitaire civil du Canada est un grand honneur pour les Madelinots ; perdus au milieu des brumes du golfe, ils ne pensaient jamais avoir l’honneur de serrer la main à de si distingués représentants de Sa Majesté britannique.

LE « PONCHON »[104]

La navigation se clôture généralement à la fin de décembre pour ne rouvrir qu’au commencement de mai, ce qui fait quatre longs mois sans autre moyen de communication avec la « grand’terre » qu’un câble et un T. sans fil. Cet isolement, bien terrible aux gens du continent, habitués à recevoir régulièrement leur courrier chaque matin, est relativement facile à supporter par les insulaires qui ont toujours vécu ainsi. Cependant, cette situation devient de plus en plus pénible, parce que des enfants, des frères, des sœurs, sont condamnés, à cause d’une surpopulation débordante de vitalité, à s’expatrier et à transporter leurs pénates sous d’autres cieux. Un message apporté de temps à autre par le câble était, il y a dix ans, les seules bribes de nouvelles qui parvenaient aux Madelinots, pour ensoleiller leurs longs mois de casernement. Or il arriva qu’un jour le télégraphiste parla dans le vide : le câble était rompu… C’était le 6 janvier 1910. Jugez de la désolation des insulaires.

Ne serait-il pas possible d’entreprendre la traversée : la mer est libre de glace et la température idéale ; les voitures d’été continuent à circuler sur le chemin du roi. Avec un vent favorable, ce serait vite fait. Oui, mais les havres sont gelés, les bateaux à l’abri, et, somme toute, c’est un gros risque. Les vieux loups de mer s’y refusent ; les jeunes, plus fougueux, parce que sans expérience, veulent essayer…, quand le plus ingénieux de l’endroit — du Havre-Aubert — déclare qu’il a trouvé le moyen facile de sortir de cette impasse. Lancer un bateau seul, sans équipage, toutes voiles dehors et orienté de façon qu’il atterrisse fatalement à bon port. C’est ingénieux, mais le bateau ?… Le bateau ! c’est simple comme bonjour : un ponchon… Ce sera bien le bateau le plus original au monde ! C’est accepté d’emblée, avec enthousiasme. Voilà tous les hommes du Havre à gréer le ponchon et toutes les femmes des Îles à écrire de leur plus belle main ! Il faut être expéditif : le lancement aura lieu dans vingt-quatre heures. Le vent est bon, la mer est libre et les vieux prédisent sans broncher une liaison de nord-est.[105] Écoutons une petite Madelinote qui écrit à un cousin par ce courrier insolite. « Je confie ces lignes au hasard des flots, mais l’ardeur et la légitimité de nos désirs qu’elles parviennent à destination changent nos chères espérances en douces réalités… Si la nécessité est mère des inventions géniales, devant quelles entreprises audacieuses reculerait-on pour briser les liens d’une trop longue captivité ? J’ai le cœur gonflé d’émotions ; des larmes s’échappent malgré moi en te traçant à la course ces lignes qui doivent franchir si crânement les limites périlleuses qui nous séparent du reste des humains. L’appareil est prêt : un tonneau à la voile, muni d’un gouvernail en fer devant, par sa position, tenir le vaisseau dans une direction favorable pour qu’il atteigne quelque part. Nos lettres sont mises en boite à conserves cachetées à l’épreuve de l’eau. À deux heures cet après-midi aura lieu le lancement du vaisseau fantastique… ; le vent est favorable, et béni soit celui qui le premier volera au secours de notre frèle esquif ! Il portera pour enseigne et devise : « Winter Magdalen Mail. »

Ce bateau nouveau genre et fin de siècle toucha à Fort Hasting dans la nuit du 12 février. Outre les lettres aux parents et amis, il en portait pour les députés, MM. Rodolphe Lemieux et L-A. Thériault, pour le ministre de la marine, etc… Immédiatement MM. Lemieux et Thériault firent des instances auprès du gouvernement fédéral pour qu’un bateau allât au secours des captifs. Et c’est le 1er mars que le vapeur Harlow partit de Sydney pour les Îles de la Madeleine. Nos ingénieux constructeurs maritimes qui attendaient sans confiance illimitée le résultat plus ou moins problématique de leur mirobolant transatlantique-ponchon, éclatèrent en des transports de joie délirante, lorsqu’un beau matin ils aperçurent une fumée au large. « Un bateau ! Un bateau ! » criait-on de toutes parts, le cœur sautant à tout casser dans les vigoureuses poitrines de tout un peuple en liesse. Le bonheur qu’ils en éprouvèrent compensa et justifia les frais énormes, royalement consentis par le gouvernement qui envoya un second navire en avril. Grâce à l’heureux atterrissage du légendaire « ponchon », nos vaillants chiqueurs furent prêts pour l’ouverture de la saison.

L’année suivante, le gouvernement fit installer, à grands frais, une station marconique au Cap-au-Meules et chaque hiver, jusqu’en 1915, il envoya un navire deux et trois fois aux Îles. Le service du télégraphe sans fil est très apprécié du public, car il permet aux insulaires de se délecter tout l’hiver, une fois la semaine, à la lecture du résumé des principaux événements nationaux et mondiaux. Il y a même à présent des correspondances des centres madelinots à l’étranger. À l’origine, ces communiqués officiels et autres étaient proclamés du haut de la chaire de vérité, le dimanche, aujourd’hui, c’est par un bulletin hebdomadaire. Heureuse initiative, due à l’activité infatigable de M. Jos. Le Bourdais, et qui, souhaitons-le s’accentuera et se développera pour devenir un petit journal local. La cause initiale de tous ces progrès inespérés, en attendant à brève échéance la vulgarisation commerciale des aéroplanes, c’est le génial Ponchon-Dreadnought.[106]

FAUSSE LÉGENDE

L’annexion des Îles de la Madeleine au gouvernement de l’Île du Prince-Édouard, agitée dès 1787, fut ressassée jusqu’en 1845, alors qu’une cour de justice fut établie sur ces îles. Le 16 avril 1840, une clause avait été insérée dans un projet de loi présenté au gouvernement du Bas-Canada pour séparer les Îles de la Madeleine de cette province et les rattacher à l’Île du Prince-Édouard. Ces démarches réitérées, cette insistance sur une question aussi futile aux yeux des Québécois éveillèrent enfin leur attention et ils s’aperçurent que ces îles n’étaient pas si ardemment convoitées, aux seules fins d’y installer la justice et de donner la paix à leurs habitants. Maître des I. M., le gouvernement de l’Î. P.-E. en aurait retiré de grands bénéfices, car les poissons de toutes sortes y abondaient, mais hélas ! ils étaient follement gaspillés. Organisées et disciplinées, ces îles auraient arrondi considérablement le budget de leur pauvre voisine. En 1838, leur exportation s’élevait à 10,000 livres sterling, malgré le primitif et trop élémentaire outillage des pêcheurs et la nuisance considérable des Américains. Ceux-ci énergiquement tenus à l’écart et ceux-là protégés et outillés, les rendements auraient beaucoup augmenté et fourni au commerce canadien une source inépuisable de revenus immenses. Pour arrêter et apaiser les envieux, on promit de s’occuper activement de la question. C’est alors qu’on y implanta une cour de justice… chancelante et mal administrée.

Dans cette campagne, on représentait les Madelinots comme des révolutionnaires anti-britanniques de la plus belle eau. L’Amiral Coffin et certains personnages officiels défigurèrent tellement les choses que ces gens passèrent pour des pirates et des brigands, se moquant des lois et de leurs sanctions. Et on demandait à grands cris une prison pour les y enfermer et les assagir. La prison bâtie, elle resta sans hôtes, comme de nos jours. Quel était donc le fond de cette affaire ? C’est que les insulaires, de très bonne foi, se croyaient réellement les légitimes propriétaires des biens qu’ils occupaient de longue date et refusaient de reconnaître le seigneur. Celui-ci ne s’attendait guère à la résistance. Il détestait au suprême degré ces misérables Acadiens qui avaient conservé au plus profond de leur cœur un grand amour de la France Chrétienne et royale d’avant la Révolution. Ce fanatique à tout crin ne savait pas que c’était la fidélité à la religion et au roi, le souci intense de la paix et le dégoût des scènes douloureuses dont Saint-Pierre avait été témoin, qui les avaient amenés dans ses domaines ; sans preuve aucune, il les disait alliés aux révolutionnaires français et ennemis irréductibles de la Grande-Bretagne. Les moindres incidents servaient à propager ces mensongères accusations. C’est ainsi que MM. Brenan et Fogarty qui voulaient arpenter de force les terres de quelques pêcheurs de l’Étang-du-Nord, se voyant mis à la porte d’une façon un peu cavalière, publièrent que l’île était en rébellion ouverte, « qu’il faudrait une force armée pour maintenir l’ordre. » Enquête sérieusement faite, il en résulta clairement que les habitants étaient très paisibles et que les sinistres bruits largement répandus sur leur compte étaient un tissu de noires calomnies.

En 1831, le lieutenant J.-H. Baddeley, qui fit sur place un étude approfondie et documentée, a la courageuse franchise d’avouer que si ces gens sont un peu emportés entre eux, ils sont d’une politesse exquise dans leurs relations avec les étrangers. Le Capitaine Baynes, malgré son antipathie ancestrale pour les Français, écrit à son tour à Charles Fitzroy, lieutenant-gouverneur de l’Île du Prince-Édouard, le 20 septembre 1839, que les habitants sont en général d’une humeur tranquille et inoffensive, et que les rixes ou les querelles sont très rares parmi eux.

Et quant à leurs prétendus délits de rapine et de piraterie, voici de quelle façon Baddeley les absout devant l’histoire : « Les accuser de brigandage et de vol, c’est vouloir traîner dans la boue la réputation d’un peuple scrupuleusement fidèle à observer les lois divines et humaines. Jamais, pas même leurs plus malveillants ennemis n’ont réussi à formuler contre ces consciencieux insulaires de manquement grave d’humanité. »

« Que le sort du Grannicus eut été différent, s’il avait fait naufrage sur les Îles de la Madeleine ! » En effet ces pauvres gens avaient souvent à secourir des équipages et des marins que les tempêtes jetaient sur leurs rives. Qu’on examine le tableau des naufrages à la fin de ce livre et on se fera une haute idée des services signalés rendus par les insulaires aux victimes de la mer. Le gouvernement ne faisait pas de dépôts de provisions ni de vêtements pour naufragés.[107] Ces accidents se produisaient surtout à l’automne, alors que les communications avec la terre ferme étaient difficiles et souvent interrompues ; c’était nos pêcheurs peu fortunés qui, sans rémunération aucune, nourrissaient les rescapés au dépend de leur garde-manger, insuffisamment ravitaillé pour leurs familles nombreuses.[108] Plusieurs de ces réchappés trouvèrent une hospitalité si charitablement empressée, si fraternellement cordiale qu’ils ne voulurent plus s’en retourner dans les vieux pays, et y fixèrent leurs pénates et fondèrent de nouvelles familles : telles sont, Céleste McLoad, mariée à David Arseneau, Marguerite Maldune, mariée à J.-B. Richard, émigrés 20 ans plus tard à la Pt-aux-Esquimaux. Ces deux femmes étaient à bord du Miracle, navire anglais transportant des émigrés irlandais et qui fit naufrage à la Pointe de l’Est. Le capitaine était paraît-il, une espèce de pirate anglais… Tels encore J.-B. Clark, William Hadone, William Wallace, Robert Best, Obe Taker ou Tekoff (Russe), Paul Chenel (Anglais), Pierre Huot (Français), Philippe Verdier (Français), Louis Damours (Français), LeBourdais (Canadien), John Schofield (Anglais), Giffard (Canadien).

Toujours leur conscience a été très délicate. Il est peut-être difficile de trouver sous la calotte des cieux une région l’honnêteté soit mieux pratiquée. Monseigneur Plessis en était tout étonné, il y a 114 ans. Il écrivit : « Ils n’ont nulle idée de la chicane non plus que de l’injustice ; si quelquefois il s’élève des contestations entre eux, elles sont aussitôt soumises à un arbitrage et terminées sans retour. Ils ignorent l’usage des clefs et des serrures et riraient de celui qui fermerait sa maison autrement qu’au loquet, pour s’en éloigner de deux ou trois lieues ; si quelques hardes les incommodent en route, ils les laissent tout uniment le long du chemin, assurés de les y retrouver à leur retour, n’eut-il lieu que le jour suivant. » (Mission, 1881, p. 85.) Quelle agréable surprise pour cet éminent évêque, s’il lui était donné de revoir et de retrouver exactement la même probité chrétienne dans un siècle où des barbares ont eu l’impudence d’ériger en dogme cet horrible principe : « La Force prime le Droit. » J’ai moi-même pratiqué cette expérience, que je connaissais d’ailleurs depuis mon enfance, aux yeux ébahis de quelques Montréalais. En route pour une promenade, avec mes compagnons de voyage, je laissai mon paletot sur une clôture le long du chemin et le repris cinq heures après au même endroit. Personne n’y avait touché. Je n’aurais pas craint de le laisser jusqu’au lendemain. Trouve-t-on un fer à cheval, on l’accroche sur la clôture, bien en vue afin que le propriétaire le prenne en s’en retournant. Combien de fois, quand j’étais enfant, n’avons-nous pas laissé la maison pour aller en promenade, même à l’île voisine, sans jamais fermer les portes à clefs. Deux jours après, nous retrouvions tout en ordre. Dans les belles nuits d’été, que de fois nous avons dormi les portes grandes ouvertes. Cette sécurité absolue s’explique assez facilement : toutes les familles sont étroitement unies par des liens de parenté, la nature ou le malheur les ayant faits frères deux fois ; leur isolement et surtout leur religion qu’ils pratiquent crânement, voilà l’explication de ces coutumes fortement chrétiennes.

Un jour, un marin Madelinot trouve 53 louis sur les rivages déserts de l’Anticosti. C’était assurément en perdition ; rien de plus facile que de se les approprier sans souffler mot à âme qui vive. Qui ne le ferait pas aujourd’hui ? Hélas ! non, c’était trop pour cette conscience délicate ! Il remet intégralement cette somme entre les mains de son curé, l’abbé Bédard, et attend patiemment la décision théologique du pasteur. Il y a quelque vingt ans, des loups-mariniers de Terre-Neuve avaient fait une telle chasse qu’ils pouvaient charger deux fois leurs navires. Vents et marées leur firent perdre leurs balises dont quelques-unes vinrent se coller aux rivages des Îles. Des habitants en halèrent tant qu’ils purent, considérant que la glace allait bientôt s’émietter et que toute cette richesse serait perdue. Il s’exposaient à provoquer une avalanche de réclamations des redoutables et irascibles Terre-Neuviens. Qu’arriva-t-il ? Un mois plus tard, un des navires malchanceux, mouilla l’ancre dans la Baie-de-Plaisance et proposa aux Madelinots d’acheter leurs loups-marins. Les insulaires racontèrent leur aventure et furent confirmés dans leurs droits. C’est ainsi que le hasard des vents et de la marée, aussi la Bonne Providence, dirigeaient vers ces rivages hospitaliers les secours que des hommes indignes de ce nom leur refusaient… N’ont-ils pas été parfois par trop empressés à sauver du butin d’un navire échoué, avant de voir si vraiment la cargaison était en perdition ?

Eh bien ! oui, dans l’histoire, déjà relativement longue des Îles de la Madeleine, il s’est rencontré quelques rares individus, de vrais écumeurs de mer, qui se sont fait une sinistre réputation d’exploiteurs de naufrages ; mais ils ont trouvé dans le catholicisme le courage de reconnaître franchement leur crime, de déplorer amèrement ces quelques minutes de faiblesse passagère, cette âpreté désordonnée au gain… et de réparer moyennant finance. De grâce, rappelons-nous qu’exception n’est pas règle, et que ces faits isolés de quelques rarissimes unités ne permettent pas, en bonne logique, de ternir et de salir le bon renom de toute une population, demeurée très honnête, parce que toujours fidèle à Dieu et à la religion catholique.


APPENDICE I

MOORE’S POEM

Written on passing Deadman’s Island
in the Gulf of St-Lawrence, late
in the evening sept. 1804.

See you beneath yon cloud so dark,
Fast gliding along, a gloomy bark ?
Her sails are full, though the wind is till,
And there blows not a breath her sails to fill !

Oh ! what doth that vessel of darkness bear ?
The silent calm of the grave is there,
Save now and again a death-knell rung,
And the flap of the sails with night fog hung.

There lieth a wreck on the dismal shore
Of cold and pitiless Labrador ;
Where, under the moon, upon mounts of frost,
Full many a mariner’s bones are tost !

Yon shadowy bark hath been to that wreck,
And the dim blue fire, that lights her deck,
Doth play on as pale and livid a crew
As ever yet drank the churh-yard dew !

To Deadman’s Isle, in the eye of the blast,
To Deadman’s Isle, she speads her fast,
By skeleton shapes her sails are furléd,
And the hand that steers is not of this world !

Oh ! hurry thee on — oh ! hurry thee on,
Thou terrible bark ! ere the night be gone ;
Nor let morning look on so foul a sight
As would blanch for ever her rosy light !


ET VOICI UN AUTRE POÈME IMITÉ DE THOMAS MOORE PAR UN POÈTE CANADIEN, JAMES DONELLY.


Ami, vois-tu là-bas, sous ce nuage sombre,
Cet étrange vaisseau qui s’avance dans l’ombre,
Et qu’un souffle inconnu fait bondir sur les eaux ?
D’un vent mystérieux ses voiles semblent pleines !…
Et pourtant les zéphirs retiennent leurs haleines :
Dans un calme profond, au loin dorment les flots.

Qu’a-t-il donc à son bord ce vaisseau des ténèbres ?
Il porte du tombeau tous les signes funèbres ;
Un silence de mort sur les ondes le suit.
Seul un glas triste et lent parfois s’y fait entendre,
Avec un battement des voiles que fait pendre
L’humide pesanteur des brumes de la nuit.

Au milieu des rochers de la stérile plage
Gisent des os blanchis, jetés par le naufrage,
Sous les brouillards épais du sombre Labrador.
La lune, en éclairant ces lieux impitoyables,
Découvre avec horreur ces restes lamentables,
Que les flots irrités se disputent encor.

C’est là que cette barque en sa course nocturne
Va cueillir en passant la troupe taciturne
Qui semble maintenant à son bord se mouvoir.
Une flamme bleuâtre à demi les éclaire,
Et jamais la rosée, au morne cimetière
Ne tomba sur des fronts plus livides à voir.

C’est à l’Île-des-Morts qu’un vent fatal les guide,
C’est à l’Île-des-Morts que s’avance rapide
Cet ombre de vaisseau par des ombres conduit :
Des squelettes sont là déroulant à la brise
La sinistre voilure ; une forme indécise
Debout veille à la poupe, et la barque obéit !

Fuis, ô barque terrible ! ô barque de mystère !
Fuyez pendant que l’ombre enveloppe la terre.
Fantômes de la nuit, rentrez vite au cercueil,
De peur qu’à votre aspect la jeune et tendre aurore
Ne dépouille son front de l’éclat qui la dore,
Et se cache à jamais sous un voile de deuil.


APPENDICE II

MÉMOIRES DES COMMISSAIRES. TOME II.
XXXIII

Concession des Îles de la Madeleine et de Saint-Jean
au sieur Doublet, du 19 janvier 1663
Tiré du dépôt de la Marine.

La Compagnie de la Nouvelle-France, assemblée avec celle de Miscou, et de son consentement : À tous présens et à venir, Salut. Désirant aider ceux qui peuvent travailler à la colonie du pays, sur la demande à nous faite par le sieur Doublet, capitaine de navire, des isles de la Madeleine, Saint-Jean, aux Oiseaux & de Brion, dans le Golfe de Saint-Laurent, pour y faire colonie & y envoyer navires nécessaires, et pour y faire toutes sortes de pêches aux environs, et sur les battures desdites isles, défricher et cultiver lesdites terres. Sur quoi délibération se seroit ensuivie, suivant le pouvoir à elle donné par Sa Majesté, a audit sieur Doublet donné, concédé et accordé lesdites isles de la Madeleine, Saint-Jean, aux Oiseaux, et de Brion, en toute propriété et redevance de vasselage de notre dite Compagnie de Miscou, et chargée vers elle de cinquante livres par chacun an pour toute redevance, qui sera payée pendant les trois premières années, sans pourtant que ledit sieur Doublet puisse traiter aucunes peaux ni pelleteries dans l’étendue des-dits lieux ni ailleurs. En témoin de quoi nous avons fait apposer le scel de notre Compagnie.

FAIT au Bureau de notre Compagnie de la Nouvelle-France, le dixneuvième janvier mil six cent soixante-trois.

Extrait des délibérations de la Compagnie de la Nouvelle-France, par moi Cheffaut, Secrétaire, avec paraphe.

J’ai l’original signé De Brevedent.

Nous E’cuyer, Conseiller du Roi honoraire en la Cour des comptes, aides & finances de Rouen, Commissaire ordinaire de la Marine, premier Commis & Garde des archives & dépôt de la Marine, certifions la copie ci-dessus véritable, l’ayant collationnée sur les régistres et papiers qui sont aux dits archives & dépot. À Paris, le sept octobre mil sept cent cinquante-un.

Signé : Laffilard.

APPENDICE III

ARCHIVES PUBLIQUES DU CANADA
Série F. Vol. 132, p. 216 ; C. II. v. 8.

LETTRES PATENTES

de concession des Isles de la Madeleine, Brion ou Ramées en faveur de monsieur le Comte de Saint Pierre.

Du 28 Janvier 1720.

Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre à tous présens et avenir, Salut, nous aurions par nos lettres patentes du mois d’août de l’année dernière concédé au sieur Comte de Saint Pierre, premier Ecuier de notre très chère et très aimée Tante la Duchesse d’Orléans, la concession des Isles Saint Jean et de Miscou, avec les Isles, Islets et batures adjacentes situées dans le Golfe Saint Laurent et ledit Sieur Comte de Saint Pierre nous aiant supplié de lui accorder encore la concession des Isles de la Madeleine et de celles de Brion, avec les Isles, Islets et batures adjacentes situées aussi dans le golfe Saint Laurent et proche des Isles Saint Jean et de Miscou afin de pouvoir faire un Établissement plus considérable dans le dit Golfe, tant pour la culture des terres, exploitations de bois, que pour les pêches de morue, de loup marin et de vache marine, nous avons trouvé cette proposition avantageuse à notre Roiaume et au commerce de nos sujets, à ces causes et autres à ce nous mouvans de l’avis de notre très cher et très aimé oncle le Duc d’Orléans, petit-fils de France, Régent de notre Roiaume et de notre grâce spéciale pleine puissance et authorité Roiale, nous avons concédé, donné et octroié audit Sieur Comte de Saint Pierre les Isles de la Madeleine et de Brion ou Ramées, avec les Îles, Islets et batures adjacentes situées dans ledit golfe de Saint Laurent pour en jouir par ledit Sieur Comte de Saint Pierre ses héritiers ou aiant cause à perpétuité comme de leur propre à titre de franc aleu noble cependant sans justice que nous nous sommes réservée.

Donnons faculté audit Sieur Comte de Saint Pierre, de concéder les terres contenues dans lesdites Isles à rente, sans que pour raison de la présente concession il soit tenu de nous payer ni à nos successeurs Rois aucune finance ni indemnité des quelles à quelques sommes qu’elles puissent monter nous lui avons fait don et remise à la charge de porter foi et hommage au Chateau de Louisbourg dont il relèvera sans aucune redevance de conserver et faire conserver par ses tenanciers les bois de chêne propres à la construction de nos vaisseaux de nous donner avis ou au Gouverneur et Commissaire Ordonnateur de l’Isle Roiale des mines minières ou minéraux, si aucuns se trouvent sur l’étendue des terres concédées par les présentes, lesquels nous nous sommes réservé de conserver ou indemniser les habitants qui peuvent y être établis.

De faire passer sur icelles pendant le courant de la présente année cent personnes pour s’y habituer, et pendant les années suivantes cinquante autres personnes par chacune année jusqu’à ce que lesdites Isles soient entièrement habitées avec les bestiaux nécessaires, d’y tenir feu et lieu et le faire tenir par ceux qu’il y établira ; d’éserter et faire éserter incessamment les dites terres, laisser les chemins nécessaires pour l’utilité publique, et au cas que dans la suite nous eussions besoin d’aucune partie dudit terrain pour y faire construire des forts, batteries, places d’armes, magasins et autres ouvrages publics, nous nous réservons la faculté de pouvoir les prendre, aussi bien que les arbres qui seront nécessaires pour lesdits ouvrages publics et le bois de chauffage pour la garnison des dits forts sans être tenu d’aucun dédommagement à l’exception du prix qu’il pourra en avoir couté pour éserter ledit terrain et des bâtimens et clôtures à dire d’experts.

Permettons audit Sieur Comte de Saint Pierre de faire construire des vaisseaux et autres bâtiments de mer des bois qui se trouveront sur les terres concédées par les présentes, comme aussi de faire construire tels moulins qu’il avisera bon être sur lesdites terres, et en cas qu’il y fasse bâtir de pierre une ou plusieurs Églises, nous lui en accordons le Patronage et ordonnons que dans icelle il jouisse des honneurs dûs au Patron.

Permettons aussi audit Sieur Comte de Saint Pierre et aux habitans qu’il établira dans lesdites Isles d’avoir des nègres esclaves à condition de se conformer aux ordonnances et réglemens qui seront rendus par rapport aux dits nègres.

Voulons que faute d’exécution des conditions contenues aux présentes les Isles et terres concédées par icelles soient réunies à notre Domaine.

..............................................................................................................................................................

Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours nous y avons fait apposer notre Scel.

Donné à Paris au mois de Janvier, l’an de grâce mil sept cent vingt et de notre règne le cinquième.

Fait et arrêté au Conseil de Marine le 28 Janvier 1720.

Signé

L. A. de Bourbon
Le Maréchal d’Estrées
Par le Conseil
La Chapelle.


APPENDICE IV

Tiré du registre de l’Île Miquelon,
tenu par
Frç-Paul Ardilier, ptre,
aumônier du Roi.


Arseneau, Marie, fille de Pierre et de Thérèse Bourgeois, née le 30 oct. 1761 à Shedaboctou, baptisée le 1er sept. 1764. Semble être arrivé sur l’île en août 1764.

Boudreau, Firmin, fils de Charles et de Marg. Chiasson, née le 4 fév. 1762 à l’Isle St-Jean, baptisé le 8 sept 1764. À dû arriver en même temps que Pierre Arseneau.

Blaquière, Jean, fils de Louis et de Jeanne Brillant, né le 6 oct. 1763 à Miquelon, baptisé le même jour. Sergent de la Compagnie du Baron de l’Espérance.

Boudreau, Pierre, fils de Jean et de Françoise Arseneau, né le 6 juin 1764 à Shédaboctou, baptisé le 26 oct. 1764.

Boudreau, Louise, fille de Joseph et de Magdeleine Chiasson, née le 21 sept. 1761 à l’Isle St-Jean, baptisée le 31 août 1764.

Boudreau Rosalie, fille de Joseph et de Magdeleine Chiasson, née le 6 mars 1764 à Shédaboctou, baptisée le 31 août 1764. Ces trois Boudreau paraissent être venus ensemble au mois d’août 1764 : Jean et Joseph passant prendre Charles à l’Isle Saint-Jean.

Chiasson, Marie, fille de Jean et de Marie Boudrot, née le 20 sept. 1763 à l’Isle St-Jean, baptisée le 12 sept. 1764.

Chiasson, Marie, fille de Michel et de Marg. Boudrot, née le 23 déc. 1763 à Tracadie, baptisée le 29 août 1764.

Cormier, Marie, fille de François et de Marie Bourgeois, née le 22 août 1763 à Shedaboctou, baptisée le 31 août 1764. Semble être venu sur l’île avec les Boudreau.

Cormier, Nicolas, fils de Pierre et de Isabelle Chiasson, né le 4 avril 1764 à l’Isle St-Jean, baptisé le 6 sept. 1764. Semble être venu sur l’île avec les Boudreau.

Cormier, Anne, fille de Pierre et de Rosalie Vigneau, née à Miquelon, et baptisée le 14 fév. 1765. Probablement un nouveau ménage.

Comeau, Pierre, fils de Benoit et de Anne Blanchard, né le 4 juil. 1764 à Shédaboctou, baptisé le 1 sept. 1764.

Comeau, Louise, fille de Joseph et de Marie Vigneau, née le 14 oct. 1762 à Shédaboctou, baptisée le 2 sept. 1764.

Comeau, Anne, fille de Joseph et de Anne Vigneau, née à Miquelon, et baptisée le 10 juin 1765. Probablement un nouveau ménage, fils de Joseph.

Bourgeois, Anne, fille de Joseph et de Marguerite Hébert, née le 30 juil. 1761 à Shédaboctou, baptisée le 30 août 1764. Aurait traversé avec les Boudreau.

Bourgeois, Anastasie, fille de Claude et de Marie Vigneau, née à Miquelon, et baptisée le 31 oct. 1764. Nouveau ménage.

Etchevary, François, fils de Pierre et de Geneviève Lafargue, né à Miquelon, et baptisé le 30 mars 1764. Français.

Etchevary, Pierre, fils de Pierre et de Geneviève Lafargue, né à Miquelon, et baptisé le 7 juil. 1765.

Hébert, Anastasie, fille de Magloire et de Anne Sirs, née le 6 avril 1756 à Charleston, Caroline du Sud, baptisée le 26 déc. 1763. Autrefois de l’Acadie. Déportés en Nouv. Angleterre.

Hébert, Magdeleine, fille de Magloire et de Anne Sirs, née le 15 juin 1759 à Trenton, baptisée le 6 oct. 1763.

Hébert, Joseph, fils de Magloire et de Anne Sirs, né le 25 mars 1762 à Boston. Baptisé par Jacques Bourdeau (?) à Boston.

Hébert, Chs-Jean, fils de Jean et de Anne-Marie Hébert, né le 24 déc. 1759 à Dakmas, N. A., baptisé le 6 nov. 1763. Ondoyé. C’est plutôt Darthmouth, Nouv.-Angleterre.

LeBlanc, Marie, fille de Charles et de Marie Bariotte, née le 25 juil. 1755 (?) à Quenteng (Canton), baptisée le 1 janv. 1764. Marie serait née avant la déportation ou il y a erreur de date.

LeBlanc, Marguerite, fille de Charles et de Marie Bariotte, née le 11 avril 1759 à Staten, N. Ang. baptisée le 30 oct. 1763.

LeBlanc, Elizabeth, fille de Charles et de Marie Bariotte, née le 5 mars 1761 en N. Angl. baptisée le 30 oct. 1763.

LeBlanc, Pierre, fils de Charles et de Marie Bariotte, né le 6 juin 1762 en N. Angl. et baptisé le 30 oct. 1763.

LeBlanc, Marie, fille de Jacques et Nathalie Braud, née le 28 juil. 1759 à Staten, baptisée le 12 déc. 1763.

LeBlanc, Simon, fils de Jacques et de Nathalie Braud, né le 26 déc. 1760 à Staten, baptisé le 12 déc. 1763.

LeBlanc, Isabelle, fille de Jacques et de Nathalie Braud, née le 25 déc. 1762 à Daukiston, baptisée le 12 déc. 1763.

LeBlanc, Marie, fille de Pierre et de Marie Bourgeois, née le 15 fév. 1761, lieu inconnu, et baptisée le 27 nov. 1763.

LeBlanc, Pierre, fils de Pierre et de Marie Bourgeois, né le 16 mai 1763 à Nidem. (Neidham), N. Angl. et baptisé le 30 oct. 1763.

Lapierre, Pierre, fils de Pierre et de Cécile Blanchard né le 15 sept. 1764 à Isle St-Jean, baptisé le 25 août 1765.

Sirs, Pierre, fils de Paul et de Josèphe Richard, né le 30 août 1758 à Centon, baptisé le 8 déc. 1763.

Sirs, Paul, fils de Paul et de Josèphe Richard, né le 10 août 1760 à Centon, baptisé le 4 déc. 1763.

Sirs, Pierre, fils de Pierre et de Magdeleine Poirier, né le 8 déc. 1761 à Roxberi, baptisé le 20 nov. 1763.

Sirs, Joseph, fils de Joseph et de Josette Hébert, né le 4 déc. 1762 à Boston, baptisé le 20 nov. 1763.

Terriau, Louis, fils de Jean-Baptiste, et de Marie Sirs né le 24 oct. 1762. Anciennement de l’Acadie et venant de la Nov. Angl. (Boston), où ils étaient détenus après la déportation. Louis fut baptisé par une sage-femme.

Terriau, Marie, fille de Jean-Baptiste et de Marie Sirs, née à Miquelon, et baptisée le 29 déc. 1763.

Vigneau, Marguerite, fille de Jacques et de Rosalie Sirs, née le 7 avril 1757 à Sexton, W. baptisée le 27 nov. 1763.

Vigneau, Anne, fille de Jacques et de Rosalie Sirs, née le 25 oct. 1761 à Roxberi. Baptisée par son père.

Vigneau, Angélique, fille de Joseph et de Anne Bourgeois, née le 12 déc. 1756 à Sexton, W. baptisée le 13 nov. 1763.

Vigneau, Maria, fille de Abraham et de Marie Bourg, née le 20 fév. 1758 à Sexton, N. Ang. baptisée le 13 nov. 1763.

Vigneau, Henriette, fille de Abraham et de Marie Bourg, née le 15 mai 1760 à Roxberi, baptisée le 12 déc. 1763.

Vigneau, Isaac, fils de Abraham et de Marie Bourg, né à Miquelon, et baptisé le 20 nov. 1763.

Vigneau, Anastasie, fille de Joseph et de Magdeleine Sirs, née le 19 avril 1762 à Shédaboctou, baptisée le 26 août 1764.

Vigneau, Étienne fils de Jean et de Marie Bourgeois, né le 26 déc. 1755 à Savannah, Georgie, baptisé le 26 déc. 1763.

Vigneau, Jeanne, fille de Jean et de Marie Bourgeois, née le 22 juin 1758 à Bâton (Boston), baptisée le 26 déc. 1763.

Vigneau Marie, fille de Jean et de Marie Bourgeois, née le 3 sept. 1761, à Boston, baptisée le 4 déc. 1763.

Vigneau, Jacques, fils de J.-Baptiste et de Anne-Poirier, né le 10 août 1758 à Dockmas, N. Angl. baptisé le 4 déc. 1763.

Vigneau, Marie, fille de Pierre et Magdeleine Sirs, née le 22 janv. 1756 à Georgie, Caroline du Sud, baptisée le 26 déc. 1763.

Vigneau, Jacques, fils de Pierre et de Magdeleine Sirs, né le 28 déc. 1761 à Roxberi, baptisée le 9 nov. 1763.

En tout 33 familles

1 de Tracadie : Les Chiasson.

8 de Shédaboctou : Les Arseneau, Boudreau, Bourgeois, Cormier, Comeau.

5 de l’Île St-Jean : Les Boudreau, Cormier, Chiasson, Lapierre.

2 de France : Etchevary, Blaquière.

14 des divers états américains depuis la Georgie jusqu’à Boston.

3 Jeunes ménages.

Note : 1o Les misères qu’ils eurent à endurer entre 1755 et 1760 ont dû arrêter la famille ou tuer les enfants à la mamelle, car il paraît peu de naissances pendant cette période. 2o Les noms propres de la Nouvelle-Angleterre ne sont pas toujours correctement écrits, parce que les Acadiens qui les rapportaient les prononçaient mal, ou parce que l’aumônier, un Français, écrivait ces noms anglais à la française.


APPENDICE IVa

ARCHIVES PUBLIQUES DU CANADA. REGISTRES DES COLONIES. CAP-BRETON.
Séries M. Vol. 429, p. 43-44.

Au Très Honorable Henry Dundas, principal Secrétaire
d’État de Sa Majesté pour le Ministère
de l’Intérieur, &c., &c., &c.

Sydney, Cap-Breton, 31 mai 1793.
Monsieur,

J’ai l’honneur de vous dire qu’il y a quelques jours, quatre hommes, venant des Îles de la Madeleine dans un petit vaisseau, arrivèrent dans ce hâvre et affirmèrent qu’ils avaient habité l’Île de Miquelon ; qu’ils descendaient des anciens Acadiens, étant proches parents d’un grand nombre des habitants de cette île ; que depuis deux ans et au-delà, ils avaient essayé d’émigrer dans les colonies de Sa Majesté Britannique, dans l’Amérique du Nord ; et ils me prièrent en leur nom, au nom de leurs familles et des autres émigrants, au nombre de deux cent cinquante, de leur permettre de devenir sujets britaniques et habitants de cette île de la manière qui me semblerait la plus avantageuse.

J’ai cru bon de consulter le Conseil de Sa Majesté et de lui soumettre la pétition de ces gens. Aux réponses qu’ils firent devant la Chambre, il appert que l’intention et le désir de la grande majorité de ces émigrants étaient de s’établir en différents endroits aussi bien sous ce gouvernement que sous celui de Québec, &c. Voyant cela, le Conseil de Sa Majesté suggéra que tous ceux qui viendraient ici avec la détermination d’être colons et de prendre le serment d’allégeance recevraient de moi l’assurance de pouvoir rester jusqu’à ce que le bon plaisir du Roi fut connu. Ma bienveillance ne me permettait pas d’augmenter la détresse d’un si grand nombre d’hommes, de femmes et d’enfants, en les repoussant après leur arrivée dans des chaloupes ouvertes, tous déclarant qu’ils n’avaient jamais prêté serment à la République Française dont ils parlaient avec horreur. En conséquence, j’ai acquiescé à la suggestion du Conseil de Sa Majesté, mais en même temps, afin de prévenir, autant que possible, tout méfait provenant de l’admission d’un si grand nombre d’émigrants français à résider ici, j’ai cru que mon devoir envers Sa Majesté, de même que la sûreté de ce gouvernement, m’obligeaient à agir avec la plus grande précaution en les acceptant, et cela seulement jusqu’à ce que le bon plaisir de Sa Majesté soit connu. Il m’a paru que la méthode qui répondrait le mieux à ce projet serait de les garder groupés dans ce hâvre où leur conduite et leurs manières pourraient être surveillées de très près ; et ne pas leur permettre de se disperser dans les différents hâvres, ou de venir simplement avec l’idée de prêter le serment d’allégeance et ainsi avoir un prétexte pour errer d’une province à l’autre, et même de passer dans les États d’Amérique, à la faveur du gouvernement britannique.

J’ai l’honneur d’être avec le plus profond respect et la plus grande soumission, Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Wm. Macarmick,
Lt-Gouv. du Cap-Breton.

APPENDICE V

DÉLIBÉRATION DES HABITANTS DES ÎLES
DE LA MADELEINE, LE 5 FÉV. 1794.

Assemblée Générale le Dimanche après les Vêpres.

Les habitants anciens et nouveaux réunis ce jour 5 février 1794, après plusieurs publications sont convenus de nommer trois marguillers pour prendre soin des affaires concernant la communauté, ce qu’ils ont fait de suite dans les personnes de Louis Boudrot, pour Syndic, Nicolas Cormier et Joseph Bourgeois pour marguillers ; après quoi ils ont convenu de ce qui suit : 1o que les marguillers sont chargés de procurer les émoluments du prêtre et pour cela autorisés à demander et recevoir de la morue sur les graves dans le courant de l’été, suivant le besoin du prêtre, ou autre payement ; 2o que chacun des communiants membre de la communauté, par ce seul titre payera une piastre ou valeur reçue pour l’entretien du prêtre ; 3o que, pour l’entretien de l’église, il sera également imposé par tête ce qui sera convenu dans l’assemblée ; 4o les anciens habitants pour faciliter les nouveaux leur ont accordé le droit du bâtiment servant d’église, les ont exemptés de fournir cette année la portion de bois pour le chauffage du prêtre et en outre leur cèdent les communes pour se procurer leur foin et se le partager comme ils aviseront. Tout convenu et tous présents excepté Jo. Boudiche et guime Vigneau qui ont ratifié… après lecture.

J. Allain, Curé.

APPENDICE VI

Joseph-Octave Plessis, &c., &c., ayant fait la visite de la paroisse ou mission des îles de la Madeleine dans le Golfe Saint-Laurent et pris connaissance de ce qui peut concerner le spirituel et le temporel de ladite mission avons jugé convenable de régler et ordonner, réglons et ordonnons ce qui suit :

1o Dans le plus court délai tous les bancs de l’église seront criés et adjugés aux plus offrants et derniers enchérisseurs. Chaque adjudicataire payera tous les ans au marguiller lors en charge le montant de la somme à laquelle son banc aura été adjugé. Il lui sera libre en tout temps de remettre son banc à la fabrique, auquel cas, il sera de nouveau crié et adjugé à un autre. S’il préfère le garder, il le pourra jusqu’à la mort ou jusqu’à ce qu’il sorte de la paroisse, cette sortie le faisant vaquer de plein droit.

2o Chaque famille continuera de payer fidèlement au curé ou missionnaire un quintal de morue par an quand même il serait obligé de partager sa demeure entre cette mission et celle de Chéticamp ou de Magré. Il sera libre au missionnaire de percevoir par lui-même ce revenu ou de le faire lever par le marguiller en charge.

3o On se procurera aussitôt que le revenu de l’église le pourra permettre, une cloche, un ciboire, un encensoir, un bénitier et du linge, et l’on s’occupera des moyens de construire une église plus grande que celle qui existe.

4o Dans le cas de sépultures, services et grand’messes lorsqu’il sera possible de les chanter décemment on payera les droits réglés par le tarif du diocèse au missionnaire, à l’église, au clerc et au bedeau.

5o La chapelle située au pied des Demoiselles sera réputée l’église paroissiale, à l’entretien et reconstruction de laquelle tous les habitants de ces îles seront indistinctement tenus de contribuer. Elle sera sous l’invocation de la sainte Vierge, ayant pour titulaire la Purification[109] dont la solennité toute entière, excepté la bénédiction des cierges, sera transférée au premier dimanche d’après la Toussaint, comme celle des autres fêtes titulaires des paroisses de ce diocèse, suivant notre mandement du mois de décembre dernier.

6o La petite chapelle qui existe au Havre-aux-Maisons demeurera sous l’invocation de sainte Marie-Madeleine, sans toutefois, que l’on en fasse aucune fête. Les habitants dudit Havre ne pourront se prévaloir de l’existence de leur chapelle pour se dispenser des contributions requises pour l’église principale.

7o Monsieur Allain fera connaître nos précédentes ordonnances dimanche prochain aux habitants réunis et tiendra la main à l’exécution d’icelles jusqu’à ce qu’il laisse la mission.

Donné aux Îles de la Madeleine dans le cours de nos visites le vingt-quatre juin mil-huit-cent onze.

† J. O. Év. de Québec.
Par Monseigneur
R. Gautrie — d. Vice Sect.

APPENDICE VII

ARCHIVES PUBLIQUES DU CANADA.
RÉGISTRES DES COLONIAUX.

À Son Excellence Sir James Kempt, K. G. B. Capitaine
Général et Gouverneur en Chef pour la province
du Bas-Canada, etc., etc., etc.
La pétition des soussignés, habitants des Îles de la
Madeleine, dans le golfe Saint-Laurent, dans
ladite province.

Soumet humblement :

Que vos pétitionnaires et leurs prédécesseurs s’établirent dans lesdites Îles pour y faire la pêche, vers l’année 1773 ; que les Îles étaient alors complètement inoccupées par des pêcheurs sédentaires, quoique plusieurs les avaient déjà fréquentées, particulièrement trois familles dont deux firent partie des huit premières familles qui s’y fixèrent définitivement et ont continué d’y vivre avec d’autres et leurs descendants ; qu’en 1797, la population des Îles était d’à peu près cinq cents âmes qui depuis sont devenues mille dont les deux tiers sont nés ici ; qu’ils sont tous occupés à la pêche et possèdent environ trente goélettes de vingt à trente tonnes chacune et une centaine de barges de pêche, ce qui leur permet de gagner une maigre subsistance et de vivre sans faire de mal à personne et paisiblement entre eux, sans être aucunement à charge au gouvernement, recevant leur instruction morale et religieuse d’un missionnaire qui, aussi bien que leurs deux églises où le culte religieux a été pratiqué depuis le premier établissement, est entièrement supporté par vos pétitionnaires.

Qu’ainsi, uniquement par la protection du nom britannique, ils ont joui de la paix, le premier des biens terrestres, et, quoique vivant dans une grande pauvreté et dans les misères inévitables à la situation où le sort les a jetés, ils ont souvent eu le bonheur de secourir ceux qui étaient jetés sur leurs côtes désolées par les naufrages et les aléas d’une mer dangereuse qui les entoure à une distance de plus de cinquante milles de toute autre terre et les enveloppe de glace pendant près de la moitié de l’année.

Qu’à l’époque où les premiers colons s’établirent dans lesdites Îles, les Îles de la Madeleine étaient annexées par une proclamation royale du mois d’octobre 1763 au gouvernement de Terre-Neuve et par les lois de la Grande Bretagne, lors en force dans ces contrées-ci, particulièrement l’Acte 10 et 11 Wm. III, chap. 25 « pour encourager le commerce à Terre-Neuve » il était stipulé dans la section VII : « Que toutes personnes qui depuis le vingt-cinquième jour de mars mil six cent quatre-vingt-cinq ont bâti coupé ou fait, ou en tout temps par après bâtiront, couperont ou feront des maisons, cabanes, huileries ou toutes autres commodités pour y faire la pêche, qui n’ont pas appartenu aux bâtiments pêcheurs depuis ladite année, en jouiront paisiblement et librement et s’en serviront sans qu’aucune personne ne puisse les en empêcher. »

Que, par l’Acte 15, Geo. III, chap. 31. sec. II, ceux qui les avaient habitées sans cesse était maintenus dans leurs droits.

Que lesdites Îles furent cependant annexées à la province de Québec par l’acte 14, Geo. III, chap. 83, et que vos pétitionnaires et leurs prédécesseurs ont continué d’y vivre sans molestation, quoique les vaisseaux de Sa Majesté les visitassent chaque année, jusqu’à un peu après l’année 1798, alors qu’ils furent traités avec violence par et de la part de Isaac Coffin, écuyer, commandant un navire dans la marine de Sa Majesté et maintenant l’amiral Sir Isaac Coffin, afin que les habitants prennent des titres de lui, sujets aux redevances et conditions qu’il lui plairait d’imposer.

Que vos pétitionnaires ont appris que ledit Isaac Coffin obtint la concession desdites Îles en franc-alleu du gouvernement du Bas-Canada en l’année mil huit cent quatre-vingt-dix-huit…

Que ladite concession fut obtenue à l’insu desdits occupants qui étaient alors au nombre d’environ cinq cents âmes et y vivaient paisiblement depuis un quart de siècle, commencé sous la sanction d’un acte du parlement et continué sous la protection et au su et vu de Sa Majesté.

Que depuis, sous le couvert de ladite concession, vos pétitionnaires ont été fréquemment inquiétés dans leur occupation de la part dudit concessionnaire et menacés, en son nom, avec beaucoup de violence par le navire de guerre de Sa Majesté.

Que finalement, ledit concessionnaire a intenté des procès contre lesdits occupants, vos humbles pétitionnaires, à la cour du Banc du Roi à Québec, une copie d’une déclaration dans un de ces procès étant ici annexée, dans lesquels procès ledit concessionnaire fait des demandes ruineuses pour un de vos pétitionnaires qui fut obligé à l’âge de soixante-douze ans de se rendre à Québec, une distance de plusieurs centaines de milles, sous peine de se voir condamné par défaut à la ruine quasi totale de sa famille, quel que soit le résultat dudit procès.

Que vos pétitionnaires sont tous exposés au même mal, à moins qu’ils ne se soumettent aux exigences arbitraires du concessionnaire lesquelles, quelques petites qu’elles paraissent, sont encore plus qu’ils ne peuvent épargner de leurs moyens de subsistance et du pénible soutien de leurs familles.

Que si les procédés dudit concessionnaire contre vos pétitionnaires continuent, il ne reste pas d’autre alternative, pour un millier d’âmes vivant paisiblement depuis longtemps sous une loi de la Grande Bretagne et sous la protection de Sa Majesté, que d’abandonner. dans un état d’extrême pauvreté, (helplesness) les demeures qu’ils ont bâties, les établissements qu’il ont formés, le lieu de leur naissance, les tombes de leurs parents et de se jeter au milieu d’un monde étranger.

Vos pétitionnaires implorent humblement votre Excellence de leur accorder votre protection, ainsi qu’à leurs vieillards, leurs infirmes, leurs enfants, leurs orphelins, et d’avoir la bonté de recommander leur cas à la considération de leur Gracieux Souverain et de son gouvernement ou autrement de faire en ceci ce que la sagesse de votre Excellence croira préférable.

Et vos pétitionnaires ne cesseront de prier.

Québec 1828.

APPENDICE VIII

Liste des réfugiés de Saint-Pierre et Miquelon,
résidant aux Îles de la Madeleine.

AU HAVRE-AUX-MAISONS
Jean Hubert
..............................................................................................................................................................
depuis 1792
Louis Terriau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1791
Jean Boudrot.
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
Pierre Terriau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1791
Veuve Turby
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
Jean Vigneau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
Paulette Cormier
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
Pierre Mariam
..............................................................................................................................................................
depuis» 1804
Jean Terriau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1791
Mellem Sire
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
Jean Richard
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
Pierrot Richard
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
AU CAP-AUX MEULES
François Petitpas
..............................................................................................................................................................
depuis» 1804
Pierre Gaudette
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
Joseph Gaudette
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
Joseph Bourgeois
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
À L’ÎLE D’ENTRÉE
Simon Bourgeois
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
François Grenier
..............................................................................................................................................................
depuis» 1791
Veuve Richard
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
Louis Vigneau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
Pierre Arseneau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
Charles Arseneau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
François Vigneau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
John Hault
..............................................................................................................................................................
depuis» 1804
AU HAVRE-AUBERT
Joseph Bourgeois
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
Pierre Bourque
..............................................................................................................................................................
depuis» 1794
Gabriel Guillardet
..............................................................................................................................................................
depuis» 1804
Claude Navette
..............................................................................................................................................................
depuis» 1804
Étienne Vigneau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1791
Bazile Vigneau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
Claude Boudrot
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
Joseph Bourque
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
Mellem Bourque
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
Pierre Sire
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
Paulette Vigneau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
Jacques Vigneau
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
Jacques Hault
..............................................................................................................................................................
depuis» 1804
AU BASSIN
Jacques Sire
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
P. Philliberg
..............................................................................................................................................................
depuis» 1804
John Bourgeois
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
François Pelletier
..............................................................................................................................................................
depuis» 1792
Chs-Jean Hébert
..............................................................................................................................................................
depuis» 1793
Réfugiés français : hommes, femmes et enfants, 223 en tout.
Isaac Coffin, Vice-Amiral.

APPENDICE IX

Acte entre l’amiral Coffin et Louis Boudreau, agent
des habitants des îles de la Madeleine, 1816[110]

« Made the first day of august in the year of Our Lord 1816 between Sir Isaac Coffin Borkeside of the one part and Louis Boudreau of the Magdelen Islands attorney for the whole inhabitans of the said Island of the other part, witnesseth, that he the said admiral Sir Isaac Coffin hath demised, granted, and to farm letten ; and by these presente doth grant, demise, and to farm let, unto the said Louis Boudreau attorney of etc., all lands possess’d by the inhabitans of said Islands actually in their possession, marshes, sand Hills, Beaches fish flakes stones, houses etc as now occupied by each individual without any reserve whatever of any kind or nature. To have and to hold the said lands, marshes, sand Hills, beaches fish flakes etc and to make use of, cultivate, build or improve in any way, most beneficial to the occupier, and to cut timber for full building of houses or vessels or any other purposes necessary for the inhabitants in any part of the waste lands of the Islands aforesaid with all and singular the premises with their appartenances unto the said Louis Boudreau att. etc his or their executor administrators, and assigns from the day of the date here of, for and during and unto the full end and term of nine hundred and ninety nine years from thence next ensuing ; yielding and paying therefor yearly, and every year, during the said term unto the said admiral, Sir, etc., his executors, administrators, or assigns, the rent of two quintals of merchantable fish annually for each family now resident, or that may hereafter reside and occupy lands on said Islands, hereby granting and demising to all subsequent settlers the full extent and benefit of the conditions here in specified, payable on the first day of august if demanded in every year during said term ; and if it shall happen that the said yearly rent, or any part thereof, shall be behind and unpaid by the space of eight and twenty days next after the said first day of August so demanded in every year during said term, upon which the same is hereby made payable, that then and at all times afterwards, it shall and may be lawful for the said Sir Isaac etc his executors, administrators and assigns, into the said lands and premises or into any part thereof, in the name of the whole, to reenter, and the same to have again, repossess and enjoy as in his and their former estate, and the said Louis Boudreau Att. etc his executors, administrators and assigns thereout and from thence to expel and put out any thing herein contained to the contrary notwithstanding and the said Louis Boudreau Att. etc for himself, his or their executors, administrators and assigns doth covenant and grant to and with the said admiral Sir etc his executors, administrators and assigns, by these present, that he the said Louis Boudreau Att. etc his or their executors, administrators or assigns shall and will during the said term hereby demised, will and truly pay or cause to be paid to the said admiral Sir etc his executors administrators or assigns, the said rent on the day and in the manner and form above mentioned for payment thereof, according to the true extent and meaning of these presents…

APPENDICE X

Instruction à H. M. J. Fontana etc, Écr., de la part de
J. T. Coffin, prop. des I. de la Madeleine.

Article 1er. Pour tous les terrains loués pour usage domestique vous demanderez vingt centins l’acre par an ; dans aucune circonstance ne l’accorderez-vous à un prix moindre, pourvu toujours, et cela doit être expressément compris et mentionné dans le bail ou billet de location, qu’en cas où je serais taxé en plus, je me réserve le droit d’augmenter aussi le loyer.

Article 2e. Tous terrains et grèves affectés au commerce et ne dépassant pas la mesure d’une acre seront loués à quatre piastres par an.

Article 3e. Tous arrérages de location doivent être payés dans une période de deux ans, à partir de la date du premier défaut de paiement.

Article 4e. Le paiement des rentes annuelles se fera chaque mois d’août, sinon vous intenterez des poursuites.

Article 5e. Tout locataire ne voulant ou ne pouvant payer sa rente sera obligé de renoncer à sa location en faveur du propriétaire, et vous ne devez sous aucune circonstance lui accorder du terrain à l’avenir.

Article 6e. Je vous autorise par les présentes à poursuivre tout locataire pour le montant de sa location, aussi bien que celui qui entrera sur mes terres non louées dans le but de couper le bois et de l’emporter pour en faire « usage domestique », aussi dans quelque autre circonstance où vous jugerez nécessaire de le faire, afin de protéger mes droits et intérêts.

Je vous donne les ordres les plus sévères d’exécuter ces instructions à la lettre.

(Signé) Isaac T. Coffin.

APPENDICE XI

Formule de bail à partir de 1888

Le  jour de  mil huit cent quatre-vingt-huit, par devant Mtre  soussigné, notaire public, pour la province de Québec, demeurant au hâvre d’Amherst, Îles de la Magdeleine.

A comparu Aurmont Sybrand David Van Barneveld, du hâvre d’Amherst susdit, agissant au nom et en qualité d’agent et procureur dûment nommé de Isaac Tristram Coffin, ecr. ex-capitaine du vingt et unième régiment d’infanterie de Sa Majesté, demeurant à Boulogne-sur-Mer, France, seul possesseur et propriétaire en fidéi-commis des Îles de la Magdeleine, ci-après désigné sous le nom de locateur  d’une part  et  Ci-après désigné sous le nom de locataire  d’autre part, sont convenus de ce qui suit :

Le locateur, représenté par le dit procureur, a, par les présentes, loué par bail emphytéotique, pour le terme de  années consécutives à partir du  jour de  mil huit cent  au locataire acceptant tout ce lot de terre, le dit lot étant connu actuellement et désigné sur les plans et livres de renvoi officiels des Îles de la Magdeleine, sous le numéro  dans l’état où la dite propriété se trouve actuellement, avec tous les droits, privilèges et dépendances, sans exception et réserve de la part du locateur, sauf en ce qui concerne les mines et minéraux qui s’y trouvent, et sans garantie de mesure précise, le plus ou le moins de mesures ci-dessus données étant au profit ou à la perte du dit locataire.

Ce bail est fait aux conditions suivantes, a l’exécution desquelles s’oblige le dit locataire :

1o À prendre la propriété dans son état actuel, sans avoir aucun droit à quelque époque que ce soit ou sous aucun prétexte de demander des réparations quelconques ;

2o À payer toutes les taxes et cotisations imposées par les autorités scolaires et municipales et toutes taxes qui peuvent être imposées sur la dite propriété pendant la durée de ce bail, à entretenir sa part des chemins et à faire tous travaux particuliers ou publics auxquels pourrait être astreint le dit lot de terre ;

3o À assurer les bâtiments déjà érigés sur la dite propriété ou qui pourraient être construits plus tard, pour la pleine valeur possible contre toutes pertes ou dommage par le feu, à une bonne et solvable compagnie d’assurance approuvée par le locateur, et à produire chaque année le reçu du renouvellement de cette assurance ;

En cas de perte d’argent provenant de cette assurance, le montant payé par la compagnie sera dépensé de nouveau sur cette propriété, et cette assurance sera faite au nom du locateur. Dans le cas où le locataire ne se conformerait pas à cette condition, le locateur pourra assurer à ses frais ;

4o À cultiver convenablement cette terre de manière à augmenter sa valeur et à maintenir les constructions déjà érigées et celles qui pourront être bâties plus tard, par le locataire, en bon état de réparation sous tous les rapports, sans que le locateur soit obligé d’y contribuer d’une manière quelconque, et de rendre le tout à la fin du bail en bon état sous tous les rapports ;

5o À laisser et abandonner au locateur ou à ses représentants les constructions actuellement érigées sur la dite propriété et toutes celles que le locataire peut construire, sans aucun droit de demander compensation et indemnité au locateur ou à toute autre personne ;

6o À payer le coût de ce bail et d’une copie pour le locateur ;

7o Dans le cas où le locataire transporterait ses droits dans le présent bail ou dans une partie quelconque de la propriété décrite, ce bail deviendra (ipso facto) nul par suite de cette vente, à moins que le locataire ne fournisse une copie au locateur dans les trente jours qui suivent ce transport, et le nouveau locataire sera obligé de fournir un titre nouvel à ses propres frais et de se conformer à toutes les conditions du bail de la même manière que le locataire s’y est obligé ;

8o Le dit locateur ne sera tenu à aucune obligation envers les voisins et ne sera obligé de cloturer le dit terrain, le locataire s’engageant à ne pas tenir le locateur responsable de cette obligation, et à faire ces travaux à ses propres frais dans la ligne de division entre la propriété appartenant au locateur…

9o Que cette propriété ne servira qu’à l’agriculture ;

10o Le locateur, ses hoirs et procureurs et ses autres agents auront droit d’entrée sur la propriété actuellement louée, en tout temps, dans le but de chercher et d’extraire des minéraux qui pourront s’y trouver, et pour cela auront le droit de prendre possession de telle partie de la terre louée qui pourra être nécessaire pour ces recherches ou travaux miniers, sans que le locataire ait aucun droit de réclamer toute autre indemnité que la diminution du loyer de la partie ainsi occupée par le locateur, et pour les récoltes sur pied et les améliorations telle indemnité qui sera fixé par arbitrage ;

11o Aucun locataire n’aura le droit de vendre ses récoltes à moins que la vente n’ait été enregistrée au bureau de l’agent ;

12o Aucun reçu de location ne sera valide, à moins qu’il ne soit fait sur une formule imprimée prise du livre de reçus, tenu dans ce but par l’agent qui entrera sur le talon le montant reçu.

Outre ces conditions, ce bail est fait en considération d’une somme annuelle de  et  cents, argent du Canada, que le locataire s’oblige à payer au locateur ou à ses représentants, ou à son ou ses agents ou procureurs, alors dûment autorisés, à sa demeure, dans les dites îles en deux paiements égaux et semi-annuels de  chacun, dont le premier deviendra dû le  jour de  prochain, et ensuite semi-annuellement comme susdit.

Et il est expressément entendu et convenu, comme condition essentielle de ce bail et sans laquelle il n’aurait pas été accordé que si le locataire, sa famille ou le procureur du locataire ou de sa famille, en quelque temps que ce soit durant le bail, abandonnent les lieux et cessent de les habiter pendant six mois consécutifs, ce bail sera, pour cette raison, et demeurera nul et de nul effet, et toutes les constructions sus érigées ainsi que les améliorations retourneront au dit locateur, nonobstant le terme ci-dessus fixé pour la durée du bail.

Et, de plus, si le dit locataire ne fait deux paiements quelconques semi-annuels consécutifs, aux dates d’échéance telles que susdit, ce bail deviendra nul et de nul effet, par le seul défaut de paiement, sans qu’il soit besoin d’aucune demande ou action légale pour assurer cette annulation.

Et pour garantie du paiement du loyer futur, en vertu des présentes, le dit terrain ainsi que ses édifices, améliorations et dépendances, actuellement faites ou érigées ou qui pourront l’être plus tard, seront et sont hypothéqués et grevés par privilège spécial de bailleur de fonds en faveur du dit Isaac Tristram Coffin, écuier. ses hoirs et ayants cause.


APPENDICE XII

Testament ou acte de dernière volonté.

L’an mil huit cent quatre le dix septième jour de septembre au lieu et place des demoiselles sur les îles de la Magdeleine devant nous Maître Gabriel Champion prêtre établi missionnaire par Monseigneur Pierre Denaut évêque de Québec pour le gouvernement perpétuel des habitants faisant profession de la religion catholique et romaine se sont présentés : Charles Jean Hébert âgé d’environ quarante cinq ans et Marie Gaudette son épouse tous les deux demeurant au village du Bassin sur cette île qui nous ayant déclaré n’avoir d’autres biens meubles et immeubles que ceux qu’ils ont acquis par leur bon ménage et leur industrie dont ils désirent et veulent que la propriété entière des dits biens meubles et immeubles de quelque nature qu’ils puissent être reste à fin d’héritage et à perpétuité pour eux et pour les héritiers à celui ou à celle des deux époux qui survivra à l’autre pour entrer en jouissance et pleine propriété dès l’instant du décès du premier mort des deux dits époux et se sont mutuellement fait cette concession et acceptation librement et volontairement devant nous susdit missionnaire soussigné qui en avons tenu acte par la minute restée vers nous et ont le dit Charles Jean Hébert signé au présent et la dite Marie Gaudette, ne sachant signer, a apposé la marque au présent testament et acte de dernière volonté en présence de Charles Hébert oncle des dits époux, Louis Boudrot, François Lapierre, Étienne Vigneau tous habitants de cette île et paroisse qui ont signé comme témoins avec les partis et nous le dit jour et an ci-dessus marqués au village des demoiselles des îles de la Madeleine.

La marque de Marie Gaudette. Signatures de Marie hébert, Étienne Vigneau, Charles Jean hébert, François la pierre, Louis Boudrot, Gabriel Champion, ptre, missionnaire.

APPENDICE XIII

RELIGIEUSES ORIGINAIRES DES ÎLES
DE LA MADELEINE
Dans la Congrégation Notre-Dame.

Louise Thériault, (S. Ste-Madeleine-de-la-Croix), fille de David, du Havre-aux-Maisons ; entrée au noviciat le 15 août 1879, a fait profession le 31 août 1881.

Geneviève Thériault, sœur de Louise, (S. St-Eucher), entrée le 28 août 1881, profession le 12 sept. 1883, décès le 23 janv. 1911.

Marie Thériault, (S. Ste-Louise-de-Savoie), fille d’Alexandre, du H.-aux-Maisons, entrée le 16 juillet 1887, profession le 23 oct. 1889.

M.-Philomène Vigneault, (S. St-Isaac), fille d’Hippolyte, du H.-aux-M. entrée le 16 juillet 1887, profession le 16 août 1889.

M.-Geneviève Arseneault, (S. Richard), fille de Moïse, du H.-aux-M. entrée le 17 oct. 1888, prof. le 11 déc. 1890, décès le 24 mars 1921.

M.-Célina Nadeau, (S. Ste-Marie-du-Secours), fille d’Auguste, de l’Étang-du-Nord, entrée le 2 oct. 1890, profession le 18 nov. 1893.

M.-Louise Lafrance, (S. Lafrance), fille de Louis, de l’É.-du-N., entrée le 25 nov. 1893, profession le 17 août 1896, décès le 23 sept. 1902.

M.-Ang.-Eudoxie Carbonneau, (S. Ste-Marthe-de-Béthanie), fille de Jean-Baptiste, du Bassin, entrée le 8 sept. 1889, profession le 27 déc. 1901, décès le 10 juin 1909.

M.-Clarisse Thériault, (S. Durosay), fille d’Ananie, du H.-aux-M., entrée le 23 août 1903, profession le 9 mai 1906.

Marie Richard, (S. Mance), fille de Siméon, de l’Étang-du-Nord, entrée le 3 juil. 1907, profession le 25 janv. 1910.

M.-Desneiges Thériault, (S. Lafleur), fille d’Ananie, du H.-aux-M., entrée le 22 août 1909, profession le 9 déc. 1911.

Luce Thériault, sœur de Desneiges, (S. Lauzier), entrée le 8 oct. 1907, profession le 5 janv. 1911, décès le 17 janv. 1919.

Luce Turbide, (S. Turbide), fille de Philippe, du H.-aux-M., entrée le 21 mai 1914, profession le 17 janv. 1917.

M.-Henriette Cyr, (S. Benoist), fille de Salomon, de l’É.-du-N., entrée le 27 août 1916, profession le 17 janv. 1919.

Louise-Arméline Cyr, (S. Cyr), fille de Vilbon, du Cap-aux-Meules, entrée le 7 juil. 1916, profession le 13 mai 1919, décès le 19 août 1924.

Imelda Vigneault, (S. Ste-Julie-de-Mérida), fille d’Élie, du H.-au-M. entrée le 15 sept. 1916, profession le 17 janvier 1919.

Artémise Hubert, (S. Hubert), fille de Jean, du H. M., entrée le 2 août 1917, profession le 21 janv. 1920.

Alvinia Hubert, sœur d’Artémise, (S. St-Éphrem-de-Sion), entrée le 8 sept. 1918, profession le 12 fév. 1921, décès le 31 oct. 1923.

Délima Gaudet, (S. St-Alcide), fille d’Alcide, du Havre-Aubert, entrée de 14 août 1921, profession le 17 août 1923.

Eliosa Arseneault, (S. Ste-Charité), fille de Hénéri, du H.-aux-M., entrée le 13 août 1922, profession le 19 août 1924.

Radégonde Arseneault, sœur d’Eliosa, (S. St-Pierre-de-Cluny), entrée et profession en même temps que sa sœur.

Eméralda Arseneault, (S. Ste-Julienne-Marie), fille d’Azade, du H.-M. entrée et profession les mêmes jours que sa cousine Radégonde.

Béatrice Delaney, (S. St-Camille-de-Rome), fille de feu Camille, du H.-M., entrée le 13 août 1922, profession le 19 août 1924.

Aldée Delaney, (S. St-Raymond-de-la-Merci), fille d’Ariste, du H.-M., entrée et profession les mêmes jours que sa cousine Béatrice.

Berthe Painchaud, (S. Ste-Marie-de-la-Trinité), fille de Cyrice, du Havre-Aubert, entrée le 13 août 1922, profession le 19 août 1924.

Estelle Hubert, (S. St-Éphrem-de-Sion), fille de Jean, du H.-aux-M., entrée le 15 janv. 1924, profession le 17 janv. 1926.

Chez les Sœurs Grises de Montréal.

M. Mathilda Theriault, (Sœur Thériault), fille de Louis, du H.-M. entrée le 8 sept. 1884, profession le 15 mars 1887, décès le 5 oct. 1893.

M. Sophie Richard, (Sœur Richard), fille de Théophile, du H.-M., entrée le 12 sept. 1889, profession le 19 janv. 1892.

M. Flore Richard, (S. St-Vital), fille de Vital, du H.-M., entrée le 19 sept. 1894, profession le 2 fév. 1897.

M. Théophila Arseneault, (S. St-René), fille de Théophile, du H.-M. entrée le 14 août 1909, profession le 27 déc. 1911.

Rose-Alma Arseneault, (S. Ste-Rose), fille d’Arsène, du H.-M., entrée le 19 mars 1915, profession le 15 août 1917.

M. Adelda Richard, (S. Ste-Adèle), fille d’Édouard, du H.-M., entrée le 5 août 1921, profession le 15 fév. 1924.

Chez les Sœurs de la Charité de Québec.

Anysie Loiseau, (S. Ste-Aurélie), fille de Vital, du H.-M., entrée le 7 déc. 1920, profession le 15 juil. 1923.

M. Luce Le Blanc, (S. Ste-Lucia), fille de Jean-Joseph, de l’Étang-du-Nord, entrée le 15 août 1922, profession le 15 juil. 1924.

APPENDICE XIV

Navires naufragés sur les Îles de la Madeleine de 1831 à 1883, sans compter les nombreuses goélettes de moindre tonnage.[111]

Sur l’Île d’Entrée et le Banc : la barque Naemer, le S. S. Tigress, la goélette Éléonard, les bricks Jeannet, True Blue, Maria, Élisabeth et Persévérance.

À la Pointe-de-l’Ouest et à l’Étang-des-Caps : le S. S. Caraclacus, les bricks Undha et Governor ; au Goulet : le brick Formi ; à l’Hôpital : le Capt. Hords, chargé de farine.

Entre le cap de l’Hôpital et la Pointe-aux-Loups : le Capt. Carner, chargé de bois, quatre pertes de vie ; les bricks Farago, Wasp, chargé de blé, 10 pertes de vie, Mary Jane et Agenora ; à la P.-aux-L. : les S. S. Belon, Cresent et Wearmouth, 15 pertes de vie ; entre la P.-aux-L. et la Grosse-Île : les S. S. Ocean et Calcuta, chargés de bois, 23 pertes de vie ; la goélette Marie-Louise, les bricks Jane L. Patter, Caledonia, Pierre-Masque, — charbon, 7 pertes de vie —, Phoenix, Mary, Alvarado, British Lady, — 5 pertes de vie —, P.V. Julia.

Entre la Grosse-I. et la Pte-de-l’Est : les bricks Queen Victoria, Canton, Joseph, — 5 pertes de vie —, Henriette M., Veruna, les S. S. Transit et Galalec.

À la Pte-de-l’Est : les bricks Caroline et Lady Digby, le SS. Miracle, chargé d’immigrants irlandais, 350 pertes de vie.

À la Grande-Échouerie : deux bricks, le Cheroki et un inconnu ; à la G.-Entrée : le Congress ; entre la G.-Entrée et la Cormorandière : les bricks Zénobie, Foreman et un inconnu ; à la Cormorandière, le Magnabia ; à la Dune-du-Sud, le Madgwick ; à l’Échouerie, un brick chargé de mélasse ; sur la barre de l’Église : les bricks Aberdeen et Lettie Shane ; au Havre-aux-Basques : le S. S. Earl.

À l’île Brion : les bricks Lady Seaton, Steadfast, Surf, Linertad, Jane, Fay, Québec, Madawaska et Pestina Santa ; au Rocher : les S. S. United States, Lock M. Castle, Mary, Margarita et Maxwell Pellock.

En tout 71 navires, 419 pertes de vie et une grande quantité de bois, de farine, de blé, de charbon, de sel et de poisson.

TABLE DES MATIÈRES


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  1. Le Frère Marie-Victorin en compagnie de qui j’ai visité cette île, s’écriait en y herborisant : « C’est bien cela ! Et rien n’a bougé ici depuis trois siècles. Là-haut sur la falaise, les grands arbres et les prairies pleines de gesses purpurine, à mes pieds le froment sauvage et les pois de mer « fleuris comme pois de Bretagne ». Et la quantité de raisins « ayant la fleur blanche dessus, » quelle description merveilleusement précise de la grande canneberge en fleur, gardant encore mous et juteux ses raisins de la saison passée ! Quant aux fraises, roses incarnates, persil de mer et spiranthes embaumées, il n’y aurait qu’à se pencher pour en cueillir des monceaux. » (Croquis Laurentiens)
  2. En l’honneur et mémoire de feu très illustre Seigneur Messire Philippes Chabot Comte de Burensais, et de Chargny, Seigneur de Brion, et Amiral de France, et protecteur de Cartier.
  3. Ce qui prouve que le Cap-Breton était connu mais qu’aucun Français n’avait pénétré dans le golfe par ce qu’on appelle aujourd’hui le détroit de Cabot que Cartier ne découvrit qu’au retour de son second voyage, et par où le trajet est plus court et plus facile.
  4. L’Escarbot dit que la perfection que cherche Cartier est de trouver un passage pour aller par là en Orient.
  5. C’est la Grosse Île. Cartier a vu juste : rien ne ressemble plus à une île et c’est le commencement de la terre ferme de l’archipel que Cartier prend pour le continent.
  6. Le cap Nord de la Grosse Île à huit milles et trois-quarts de la pointe ouest de Brion.
  7. Voir appendice I
  8. La Grande-Entrée
  9. Les voyages de Jacques Cartier, publiés de l’original avec traduction, notes et appendices, par H. P. Biggar, B. Litt. (Oxon.) archiviste en chef pour le Canada en Europe. (1924)
  10. Voir Hakluyt’s Voyages. V. 8, p. 150 et seq.
  11. Probablement dans la baie du Cap de l’Est.
  12. Voir appendice II
  13. Bréard p. 136, La Nouvelle-France : Dionne p. 147 (1891)
  14. Voir Journal du Corsaire Jean Doublet de Honfleur, Lieutenant de frégate sous Louis XIV, publié d’après le Manuscrit Autographe avec introduction, notes et additions par Charles Bréard.

    Jusqu’en 1663 Brion, Ramea ou Araynes étaient les seuls noms qui servaient à désigner ce groupe d’îles ; Doublet obtient du Roi la permission de changer ces noms en celui de la Madeleine, du nom de sa femme ; c’est donc depuis 1663 que nos Îles portent le nom de Madeleine. Brion toutefois a été maintenu pour désigner l’île découverte par Cartier et qu’il appela ainsi du nom de son insigne protecteur. Cependant sur une carte de Champlain, 1632, La Magdeleine est donnée à l’île du Hâvre-Aubert.

  15. Au large des Îles-aux-Oiseaux.
  16. Entre les deux groupes d’îles.
  17. Apparemment le Havre-Aubert.
  18. Description Géographique et Historique des Costes de l’Amérique du Nord. Chap. VIII.
  19. Archives de l’Acadie.
  20. Voir appendice III.
  21. M. Lenormant au Ministre : 16 nov. 1732 — Série C. II vol. 13.
  22. M. Lenormant au Ministre : 5 nov. 1734 — Série C. II vol. 13
  23. Lettre de St-Ovide et Lenormant au Ministre le 21 oct. 1734. (Louisbourg vol. 17)
  24. Harenedé ou Hareneder.
  25. Louisbourg, 29 avril 1738.
  26. Lettre de Bigot au Ministre — Archives de Louisbourg 1742 5 nov. 1743
  27. Série B. vol. 78, 24 mars 1744, 17 avril 1744.
  28. Lettre à MM. de la Jonquière et Bigot 10 mars 1751.
  29. Le Président du Commerce et de la Marine au Marquis de Duquesne, Versailles le 31 may 1754.
  30. Dans l’Histoire de Canton par Huntoon, on lit que le Colonel Richard Gridley naquit à Boston, le 3 janvier 1710, qu’il participa au siège de Louisbourg en 1745, entra dans l’armée britannique en qualité de colonel et d’ingénieur en chef, en 1755, prit part à l’expédition de Ticonderogo en 1756 et fut chargé de la construction du fort Georges. Il servit sous Amherst en 1758 et accompagnait Wolfe sur les Plaines d’Abraham en 1759. La paix rétablie, il alla en Angleterre pour mettre ordre à ses affaires, et en récompense de ses services obtint la concession des Îles de la Madeleine. Il mourut à Stoughton le 21 juin 1796.
  31. « D’après une ancienne légende que j’ai souvent entendu raconter à des vieillards, un nommé Surette, un Acadien, paraît-il, y aurait fait naufrage vers 1750 (1755 ?) et y serait demeuré un certain nombre d’années avant de pouvoir trouver une occasion de traverser. La légende rapporte que, lorsqu’il arriva chez lui, la femme de son voisin dit à son mari : « Si Surette n’était pas mort, je dirais que c’est lui que je viens de voir passer ». Il paraîtrait que ce fut lui qui suggéra aux premiers colons d’aller s’y établir. » Placide Vigneau.
  32. Ce Snault n’était pas Acadien d’origine, mais Marseillais qui devint Saint-Pierrais, puis Acadien. Les descendants de ce Snault habitèrent surtout la Dune-du-Sud et les Arsenault, la Pointe-Basse. Les deux noms sont aujourd’hui confondus.
  33. Mémoire de Walter Berry au Lieutenant-Gouverneur Fanning de l’Île du Prince-Édouard, le 30 mai 1787.
  34. Collection Shelburne, volume 77, archives d’Ottawa. Monsieur Placide Vigneau, gardien de phare aux Perroquets, près de la grande pointe de Mingan, de qui j’ai obtenu beaucoup de renseignements, me dit que la dernière vache-marine fut tuée à la Petite Échouerie en 1799 par son bisaïeul maternel, Louis Thériault, dont la force extraordinaire était déjà passée à l’état légendaire durant son enfance. On n’en voyait plus depuis quelques années.
  35. Ces renseignements me viennent du registre de l’Île Miquelon pour 1763. Le premier recensement fut fait en 1767 mais, comme il n’indique pas la date d’arrivée de chaque famille, il faut s’en tenir au premier qui doit comprendre tous les immigrés de 1763. Voir appendice IV.
  36. Résumé du recensement de Miquelon, 1776 : 1 chapelle, 107 maisons, 21 cabanes de pêche, 24 magasins, 64 étables, 23 chaffauds, 2 boulangeries, 20 goélettes, 71 chaloupes, 39 canots et doris, 59 graves, 222 bêtes à cornes, 73 chevaux, 105 moutons.
  37. Archives du Cap-Breton, vol. 11, p. 47, 31 mai 1793.
  38. Voir appendice IVa.
  39. Dans ce pèlerinage avec mes ancêtres, j’ai consulté le merveilleux travail de Monsieur Placide Gaudet, dans le volume II du rapport des Archives canadiennes pour l’année 1905 et un manuscrit appartenant au Séminaire du Saint-Esprit, 30, rue Lhomond, à Paris, déposé aux archives d’Ottawa.
  40. Henri d’Arles : La Tragédie Acadienne, p. 29.
  41. Placide Gaudet : résultat de deux ans de recherches.
  42. Mgr Plessis : mission de 1811, p. 95.
  43. Appendice V
  44. Appendice VI
  45. Voici la liste des articles que Mgr de Québec donna le 25 septembre 1830 pour l’usage du missionnaire des I. M., ces articles demeureront au presbytère du Havre-au-Ber : 2 paires de drap, 2 taies d’oreillers, 2 nappes, 1 thé bord (sic). 1 thé pot (sic), 1 chaudron. 2 fers à repasser, 1 poêle, 1 cuiller à pot, 1 pelle à feu, 2 chaudières, 1 bombe (sic).
  46. J. B. Allain à l’évêque de Québec, 9 sept. 1809, arch. de l’archevêché de Québec.
  47. Magl. Blanchet à l’évêque de Québec, 18 juillet 1824, arch. de l’archevêché de Québec.
  48. Lieutenant J.-H. Baddeley, 26 oct. 1831 : 98 familles sur le Havre-Aubert, 48 sur le Havre-aux-Maisons, 38 sur l’Étang-du-Nord, 5 sur l’Entrée et 6 sur la Grande-Entrée : 1057 âmes, recensement 1831, Bouchette.
  49. Recensement de la province de Québec en 1844.
  50. En 1922, le surplus est de 70 %
  51. Il s’en est tant expatrié que la population a baissé de 535 âmes dans les dix dernières années.
  52. V. app. VII
  53. Voir app. VIII
  54. Il y avait cependant quelques exceptions : Quand Sir Isaac Coffin, conduisant Lord Dorchester à Québec, arriva en vue des Îles, le temps n’était pas clair, ni le ciel serein, mais les nuages roulaient avec violence et une furieuse tempête s’annonçait. Coffin jugea bon de chercher un abri, mais il ne connaissait pas les Îles. Ayant eut la chance, avant le mauvais temps, d’aller à terre, il prit pour pilote un nommé Germain Arsenault qui lui évita beaucoup de désagrément.

    Une fois propriétaire de l’archipel, Coffin se souvint de Germain Arseneault et, pour lui prouver sa gratitude, lui accorda le privilège, à lui et aux siens, de prendre toute la terre qu’ils voudraient à une rente bien minime. (Hipp. Thériault). C’est probablement une explication à la remarque de Faucher de Saint-Maurice : « Plusieurs d’entre eux ont cent acres en état de culture pour lesquelles ils ne payent annuellement que quinze chelings ou un quintal de morue. Ce sont les rois de l’archipel ceux-là, et ils font bien des envieux autour d’eux. »
    Op. cit. p. 193.

  55. Voir app. IX
  56. Voir app. X
  57. Voir app. XI
  58. Voir app. ΧΙ
  59. C’est dans la réponse à cet ordre que j’ai trouvé les renseignements précédents. Je dois mille remerciements à l’aimable bibliothécaire du Parlement d’Ottawa, M. J. de L. Taché qui, après bien des recherches, a déniché ce document dans un recoin de la bibliothèque et l’a gracieusement mis à ma disposition.
  60. La rente moyenne est actuellement de 20 sous l’acre ; pour les lots de grève qui n’ont pas plus d’une acre, elle varie de une à quatre piastres.

    Nota : Les réserves du clergé protestant abolies par le gouv. furent vendues par le dép. des terres, de 1874 à 1884. (1276 acres).

    La Eastern Canada Fisheries Limited qui avait acquis les droits des Coffin fit faillite en 1924. Les terres vacantes et les lots à rente de l’archipel furent achetés par M. Maurice L. Roy de Montréal, et son établissement du Cap-aux-Meules pour l’exploitation de la pêche, par Wm Leslie & Cie.

  61. L’abbé Béland à l’évêque de Québec, 2 sept. 1825. Archives de l’Archevêché.
  62. Il en fut ainsi jusqu’en 1876 où l’église de l’Étang-du-Nord fut construite sur son magnifique site actuel, au centre de l’île. C’est pour cela que l’église du Havre-aux-Maisons est à l’extrémité ouest de l’île, au bord des flots de la Baie de Plaisance, embellie d’un cachet tout à fait poétique introuvable ailleurs.
  63. L’abbé Brunet à l’év. de Q. 20 oct. 1830. Archives de l’archevêché.

    Il avait laissé sa tendre mère veuve sans soutien.

  64. Dans son testament du 27 septembre 1861, M. Bélanger donne cinq louis à chacune des missions des Îles de la Madeleine et recommande de faire instruire dix jeunes Acadiens de ces missions avec le reste de sa fortune (?) qu’il donne à un collège du bas de Québec…
  65. Auparavant l’église de l’Étang-du-Nord avait été construite sur son site actuel par les soins de M. l’abbé Belcourt qui construisit aussi le presbytère du Havre-aux-Maisons. L’église de ce dernier endroit avait été reconstruite sous M. Miville — avec la cargaison de l’Aberdeen, naufragé sur la Barre-de-l’Église, — et bénite le 25 octobre 1857.
  66. M. Belcourt eut l’autorisation en 1872 de construire une église pour la nouvelle paroisse de l’Étang-du-Nord. Il acheta des billots d’un navire naufragé ; les habitants pendant l’hiver les scièrent à la grand’scie par corvées. Il résidait au Havre-aux-Maisons. À la fin de nov. 1874, un matin, on le trouva à demi-mort dans sa chambre ; il avait plus de 70 ans. Quand il fut un peu mieux, des pêcheurs le traversèrent dans une petite goélette sur l’Île du Prince-Édouard. C’est pour cela que M. Boudreault desservit le H. M., étant seul sur les Isles, cet hiver-là.
  67. Vers 1872, l’évêque de Charlottetown a changé le siège de l’église paroissiale du Havre-Aubert et l’a transporté au Bassin, avec mission au premier endroit. Des difficultés, étant survenues, ont retardé de 6 ou 7 ans la construction de la nouvelle église. Entre temps, M. l’abbé Boudreault, étant vieux, obtint de l’évêque le privilège de rester au Havre qu’il desservirait tout en se reposant, ce qu’il fit jusqu’à sa mort.
  68. Enfant des Îles, mort en 1887.
  69. Natif des Îles, neveu de M. l’abbé Chs. Nazaire Boudreault.
  70. a et b Enfant des Îles.
  71. M. Hébert continua les travaux à l’église de l’É-du-N., lesquels n’avançaient pas très rapidement, puisque le dehors ne fut fini que pour l’arrivée de M. Allard. Il desservait les deux paroisses. M. Allard était zouave pontifical.
  72. M. Chiasson était curé du H. M. et desservit l’É-du-N. pendant l’absence de M. de Finance. Celui-ci, curé de l’É.-du-N. fit la même chose pour le H-aux-M. en attendant M. Blaquière.

    Je ne suis pas très sûr des dates pour les curés du Bassin, les ayant eues d’un vieillard bienveillant, faute de la possibilité d’obtenir quoi que ce soit des archives de l’évêché de Charlottetown.

  73. De Quetteville faisait annuellement pour plus de cent mille piastres d’affaires, de chaque côté du détroit de Belle-Isle, depuis Mécatina, sur la Côte-Nord, jusqu’à la Baie des Isles, Terre-Neuve. Il fut ruiné vers 1873 dans le krach de la Banque Union, la principale banque de Jersey, dont il était l’un des premiers actionnaires.
  74. La Seigneurie n’englobait pas toute la Côte-Nord et s’étendait seulement du Cap Cormoran à Aguanish : 150 milles. Les Sept-Isles, Natashquan n’en faisaient pas partie.
  75. Toutes ces notes sur Saint-Théophile ont été puisées aux archives de cette paroisse, grâce à la bonne obligeance du généreux curé de l’endroit…
  76. 500 à 600 voiles américaines dit J. B. Painchaud en 1852, 400 goélettes dit Faucher de St-Maurice en 1874.
  77. « J’ai vu moi-même de ces pauvres pêcheurs être obligés, dans la force de la pêche, de perdre quinze jours et plus, pour aller à l’île du Prince-Édouard chercher un câble, d’autre perdre deux jours de pêche, c’-à-d., quinze à seize quintaux de morue, pour venir chercher un mouillage de berge qui ne valait pas cinq chelins, ou une livre de clous pour réparer leurs embarcations. »

    C. N. Boudreault, ptre, oct, 1852.

  78. « À partir de 1850, toutes les goélettes des Îles, se rendaient directement à Blanc-Sablon, n’achetant aux Îles que ce qui était strictement nécessaire pour la traversée. Une fois là, les maisons de Quetteville et de LeBoutillier leur avançaient tout ce qu’il fallait pour la saison. Quand la pêche était bonne, les goélettes s’en retournaient chargées, frais payés ; autrement, en se faisant avancer aux Îles, toute la cargaison aurait été mangée par les frais. Ils avaient aussi l’avantage de vendre leurs huiles au comptant. Quand la morue manquait, la cargaison était complétée avec le gros hareng. » (Vigneau).
  79. En souvenir de ces forfaits un vieux Madelinot porta le surnom de Pillé.

    Le soir, les femmes se rassemblaient par petits groupes chez la plus brave d’entre elles et se munissaient de fourches et de bâtons pour se défendre, si des maraudeurs effrontés se montraient. Une vieille tante me racontait qu’elle-même essayait de faire la brave, mais pour réconforter ses compagnes, car le cœur lui battait bien fort…

  80. 70,000 barils de harengs, 4000 barils de maquereaux et autant de morues.

    Encore vers 1865, les Yankees pêchaient de 25,000 à 30,000 barils de maquereaux évalués à $250,000 ou $300,000, tandis que les insulaires ne dépassaient guère 1,000 barils.

  81. 8,000 quintaux de morues sèches, 600 quarts de maquereaux 8,000 galons d’huile de phoque, 2,000 peaux, plus morue verte, hareng, huile de morue dont on n’a pas les chiffres : en tout £15,000 (1852).
  82. En 1852, Fortin trouva à Blanc-Sablon 7 goélettes des Îles et 10 des États-Unis.
  83. Une trappe coûte $3000, une seine $2000, un filet $25, une barge avec son moteur $400, etc., etc…
  84. 16 du Havre-aux-Maisons et 9 du Havre-Aubert. Ces dernières hivernaient dans le Havre-aux-Basques pour être plus tôt prêtes à prendre la haute mer au printemps. (1875).
  85. Par curiosité, voir Croquis Laurentiens du Frère Marie-Victorin pour détails.
  86. Un phénomène extraordinaire et dont on n’a point souvenance se produisit au mois d’avril 1925. Le hareng étant arrivé, les « trappes » tendues, le vent se mit à souffler de l’est et du nord-est et bloqua les Îles de glaces couvertes de loups-marins. Et pendant que dans la Baie-d’en-Dedans on charriait le hareng à pleines embarcations, dans la Baie-de-Plaisance on tuait les loups-marins comme dans les années d’abondance.
  87. Encalmées chez les Madelinots.
  88. Avant cette époque, les naufrages de vaisseaux chargés de bois étaient assez fréquents pour suffire aux besoins des habitants, excepté pour le bardeau qu’on importait de Québec ou de la Gaspésie.

    Vers 1870, M. Hippolyte Thériault vit en une seule nuit trois navires chargés de bois à la côte entre le Cap de l’Hôpital et la Pointe-aux-Loups. Et tout cela fut dépensé par les insulaires pour construire leurs maisons. Celles-ci, avant 1860, étaient en madriers. Environ 25x30 pieds, elles n’avaient que huit pieds de poteaux, pas de cuisine à côté, pas de chambres au grenier. Toute la famille s’accommodait de cet espace restreint. Le gros Frédéric Arseneault fut le premier à se construire une maison de douze pieds de poteaux, mais il était riche…

  89. On avait commencé à en construire un à l’Étang-du-Nord en 1881, mais on ne put l’achever parce que la mer et les glaces le mangeaient à mesure.
  90. Celui de Grosse-Île ne fonctionne plus depuis 1919.
  91. Vieux tricot taillé qu’on défait pour l’écharpiller.
  92. Sorte de coiffe.
  93. Le Cantique de Marseille est, chez les insulaires, le grand chansonnier de ces temps de pénitence.
  94. Alex. Thériault, qui avait une bonne instruction et une force herculéenne, remplit les fonctions de juge local pendant de longues années. Sa sentence était toujours finale et malheur à qui aurait voulu en appeler de son jugement.
  95. Ce procédé, très en vogue à cette époque fut propagé en Angleterre par Lancaster qui lui laissa son nom. C’était un mode mutuel.

    Les premiers élèves instruisaient leurs confrères plus jeunes, sous la direction d’un maître. Ces élèves-maîtres étaient plus que des moniteurs, ils dirigeaient chacun leur groupe classé suivant son degré d’avancement. Le grand avantage de ce système, c’était qu’un seul instituteur pouvait diriger une école très nombreuse dans une seule salle. Mais il ne permettait pas à l’enfant d’être façonné par son maître puisqu’il était continuellement enseigné par d’autres enfants, guère plus compétents que lui et donc incapables de corriger, de redresser, d’élever.

    (Manuel d’Hist. de la Pédagogie par un prof. d’École Normale, Imprimerie Duculot, 1919.)

  96. Voir app. XIII
  97. Les Madelinots disent toujours les Îles-aux-Oiseaux.
  98. On érigea celui de la Pointe-de-l’Ouest en 1871, ceux de l’Étang-du-Nord et de l’Île d’Entrée en 1874 et celui de Brion en 1905.
  99. Une légende qui court encore aux Îles veut que ce premier gardien ait prédit que jamais homme ne garderait ce phare plus de dix ans, sans malheur.
  100. La Marie-Euphrosime.
  101. Terre ferme est mis ici pour les Îles de la Madeleine qu’on considère comme telle quand on est sur ce rocher isolé.
  102. En 1873, M. Faucher de Saint-Maurice pensait que ce rocher était appelé « à rendre, comme observatoire télégraphique, les services les plus signalés. Il accomplira, lui aussi, sa mission dans le rouage universel. Relié par un câble sous-marin au Cap-Breton, au groupe de la Madeleine, au Nouveau-Brunswick, à l’Île du P. É., à la Gaspésie, à l’Anticostie — et plus tard à la côte nord et à Belle-Isle — il annoncera au monde le passage des navires, donnera les nouvelles qui serviront de bases à d’importantes études météorologiques. »
  103. Le maire de l’Étang-du-Nord, M. William Leslie, craignant de ne pouvoir s’exprimer assez correctement en français, avait demandé aux organisateurs la permission de le faire en anglais, mais on lui répondit énergiquement qu’il parlerait pour des Français et donc en français… Bravo !!
  104. De l’anglais puncheon. Chez les insulaires, c’est la tonne ou grand tonneau ; viennent ensuite par gradation descendante, la barrique, le quart, le baril, le siau, (seau).
  105. Une liaison : plusieurs jours de suite du même vent.
  106. En 1923, une hydroaéroplane traversa aux Îles et atterrit dans l’anse du Cap-aux-Meules, au grand ébahissement des insulaires…
  107. Il envoya de la farine en 1875.
  108. Alex. Cormier, J. P. 1852
  109. Maintenant Notre-Dame-de-la-Visitation.
  110. Archives de l’archevêché de Québec.
  111. Document gracieusement fourni par le distingué ex-inspecteur d’écoles, M. Daniel Pâquet du Havre-aux-Maisons.