Les étapes de l’astronomie

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Institut Olympique (p. 3-27).
Mesdames, Messieurs,

Ce ne sont pas seulement les poètes mais parfois aussi les hommes de science auxquels il advient de parler de l’espace peuplé d’astres. Cela fait image… l’image pourtant est défectueuse, fausse même. Vous allez en juger. Considérons par exemple l’étoile α du Centaure ; de toutes les étoiles, elle est la plus proche de nous, c’est-à-dire du système solaire dont nous faisons partie, et la lumière qui parcourt la bagatelle de 299,000 kilomètres par seconde et, de ce train-là, ne met que quelques minutes à nous parvenir de notre soleil, met quatre ans et quatre mois pour nous arriver de l’étoile α du Centaure. De Sirius elle nous parvient en près de 9 ans ; d’Altaïr, en 14 ans ; de Vega en 27 ans. Si Arcturus s’éteignait en ce moment, nous n’en serions avertis que dans 34 ans, laps de temps nécessaire à son dernier rayon pour venir jusqu’à nous. Voilà nos voisins du firmament ; car ces étoiles sont les plus à portée. L’espace, vous l’avouerez, n’est guère « peuplé » par des astres entre lesquels s’étendent de pareilles distances.

La vérité est tout autre. Elle s’exprime en cette parole terrible prononcée par un grand astronome : les astres ne sont que des accidents de lumière et de chaleur à travers l’immensité : l’état habituel du monde, c’est le vide, le froid et l’obscurité.

Et voici une seconde donnée qu’il faut également nous résigner à admettre. C’est que la vie à la surface des planètes, la vie organisée telle que nous la sentons en nous et la voyons autour de nous ne représente qu’une très brève étape, une sorte de moisissure momentanée entre les périodes bien autrement longues de la formation ignée et de la matière refroidie et desséchée : moisissure dont nous ne sommes même pas certains que tous les astres bénéficient car il semble en être que le volcanisme peut détruire sans laisser le temps à la vie de s’y épanouir… Et tout cela représente des centaines de milliers d’années.

Nous voici donc en présence des deux notions fondamentales de temps et d’espace, ces deux assises de l’esprit critique, cette double norme de l’intelligence et du jugement — et d’une troisième notion qui, celle-là, nous dépasse : la notion de l’infini. L’astronomie nous la rend tangible et, pourtant, nous n’arrivons pas à la comprendre. Peut-on imaginer un endroit cesse l’espace ? Ce serait absurde. Mais pouvons-nous concevoir un espace qui n’a point de limites ? Non. Le nombre des astres peut, doit être limité puisque c’est un nombre tandis qu’au delà de l’espace, il ne peut y avoir qu’encore l’espace !

Ainsi l’astronomie, seule de toutes les sciences, nous rend absolument présente — bien qu’incompréhensible — l’idée d’infini. Il nous suffit, pour la saisir, de lever les yeux vers le ciel étoilé ; et, en ramenant nos regards sur nous-mêmes, nous constatons les bornes effectives de notre intelligence.

Tel est le point frontière auquel est parvenue la science astronomique. Comment ? Par quelles recherches opiniâtres ? Par quels magnifiques effets ? C’est ce dont je voudrais d’abord vous entretenir. Nous examinerons ensuite rapidement, les caractères généraux de ce monde sidéral qui nous met en contact avec l’infini — puis la façon dont vivent et évoluent les astres qui s’y meuvent.


LES ÉTAPES DE L’ASTRONOMIE


Tous les peuples primitifs ont observé le ciel pour y chercher une division du temps et des moyens d’orientation. Les phases de la lune, les groupements d’étoiles les y aidaient. En général ils n’allaient pas au delà. Sur trois points pourtant — et trois points isolés les uns des autres — la science astronomique atteignit un développement surprenant. Les Chaldéens, les Chinois — enfin les Aztèques du Mexique surent découvrir ce calendrier de 365 jours et quart qui était pour eux aussi près que possible de l’exactitude absolue. Ils le firent grâce à leurs connaissances mathématiques méritoires mais surtout à des observations séculaires conduites avec une suite et une patience admirables. Lors de la prise de Babylone par Alexandre le Grand, Callisthène qui accompagnait l’expédition recueillit pour les envoyer en Grèce à son oncle Aristote des séries d’observations astronomiques accumulées pendant 1903 ans, qui avaient donc commencé d’être notées vers l’an 2200 avant J.-C. et n’avaient jamais cessé de l’être. De nos jours on a découvert à Sippar les tables d’astromomie du roi Sargon l’ancien ; elles constituent un monument élevé avec la même incroyable patience. Ainsi se dessine la loi essentielle de la faculté de jugement. Avant de s’essayer à déduire, observer ; observer longuement, exactement, soigneusement.

Tous ne le surent point faire. Ni les Phéniciens âpres au gain, ni les inquiets et mystérieux Étrusques ne paraissent y avoir réussi. Ces derniers, initiateurs de Rome en tant de domaines, lui léguèrent leur indifférence astronomique à laquelle elle ne tenta pas d’échapper. Le calendrier romain resta toujours l’un des plus rudimentaires et des plus imparfaits. Malgré qu’en l’an 450 avant J. C. on l’eût revisé (avec l’aide d’ailleurs des astronomes grecs), le désordre subsista. En l’an 48, l’année civile se trouvait avancer de trois mois sur l’année solaire. C’est alors que Jules César, toujours en faisant appel aux Grecs, réalisa la réforme qui porte son nom et établit l’année de 365 jours avec un jour de plus tous les quatre ans. Cette mesure donnait vingt-quatre heures de trop tous les 128 ans. En 1582 le pape Grégoire xiii entreprit d’y remédier ; nous vivons encore sous le régime rectifié pendant son pontificat.

Mais en tout cela il ne s’agit que du calendrier. Pour aller plus loin, des observations consciencieuses et patientes ne suffisaient pas ; il allait falloir ce « certain art de deviner » en lequel Leibnitz aperçoit la condition du progrès. L’imagination grecque en s’exerçant sur les acquisitions chaldéennes franchit la décisive frontière.

« L’idée sphérique » si l’on peut employer pareille expression, s’était introduite de bonne heure en astronomie. On la concevait en effet rien qu’en contemplant la voûte céleste dont la forme s’impose à tous les regards. L’axe, les pôles, les points cardinaux, conséquences de la sphère furent utilisés de bonne heure. Les tables de Sargon distinguent déjà les pays situés au nord et au sud, à l’est et à l’ouest. Mais la voûte céleste était supposée métallique, les étoiles étant des lampes accrochées à — ou des pierres scintillantes incrustées dans — l’armature rigide. Nul ne songeait à appliquer l’idée sphérique à la terre elle-même, encore moins à d’autres astres ; et la terre bien entendu était considérée comme le centre universel. Sur quoi reposait-elle ?… Anaximandre le premier la conçut isolée au milieu d’une sorte d’atmosphère et sous la forme d’un cylindre dont la partie supérieure était seule habitée. Cet Anaximandre avait succédé à Thalès de Milet le premier des astronomes grecs, qui vivait vers 639 à 568 avant J. C. — Ensuite allaient venir le célèbre Pythagore qui enseigna à Crotone puis à Metaponte, Eudoxe dont l’observatoire était à Cnide en Asie Mineure, Euclide qui illustra l’école d’Alexandrie, Aristarque de Samos, enfin le plus grand de l’antiquité « et peut-être de tous les temps », dit Boiguran dans son Histoire de l’astronomie, Hipparque, l’inventeur de la trigonométrie qui observait vers l’an 128. Que de progrès réalisés en moins de cinq siècles ! Dès le milieu du ive siècle avant J.-C. la notion de la rotondité de la terre s’était répandue. On trouve dans Aristote l’argument que la limite de l’ombre projetée par la Terre sur la Lune est circulaire. Il est curieux que les Chaldéens n’aient pas déduit cela d’observations aussi minutieuses que les leurs. Pythagore avait beaucoup contribué à répandre l’idée sphérique. Toujours enclin à chercher l’harmonie dans la nature comme dans les nombres, il considérait la figure de la sphère comme la plus parfaite, le mouvement circulaire comme le plus parfait.

Par un éclair de génie, Aristarque de Samos entrevit que la Terre tournait autour du Soleil, mais les preuves lui manquaient et Hipparque, homme de calcul et de précision, n’osa pas faire sienne une pareille thèse. Après Hipparque intervint un de ces subits épuisements comme il s’en manifeste dans les arts et les lettres aussi bien qu’en science ou en politique, lorsqu’un très grand esprit a passé… étourdissement, découragement ? On ne saurait dire.

Toujours est-il qu’il n’en résulta pas seulement arrêt mais recul. Plus de grands hommes : Ptolémee, le seul notoire, est inférieur à sa réputation. Point de découvertes nouvelles. Par le témoignage de Macrobe, chambellan de l’empereur Théodose qui écrivait au ve siècle après J.-C., nous constatons qu’à Rome on ne connaissait plus alors ni les travaux d’Hipparque ni même ceux de Ptolémée. Byzance, à son tour, allait négliger de s’en souvenir. Pourtant, en ce temps-là, les admirables bibliothèques d’Antioche, de Pergame, d’Alexandrie n’étaient point détruites ; les trésors s’en trouvaient à portée. Peut-on comprendre qu’un bagage scientifique déjà si considérable ait été délaissé par des hommes auxquels la vue du ciel étoilé rappelait sans cesse la possibilité d’en scruter les profondeurs attirantes. Nous saisissons là, comme en bien d’autres moments de l’histoire, la fausseté de cette théorie du progrès fatal qui assimile en quelque sorte l’esprit humain à ces terrains sédimentaires dont le niveau s’élève peu à peu, régulièrement. Non, le progrès ne s’engendre pas lui-même : il résulte à tout instant d’un effort que l’imprévu des événements peut tour à tour favoriser ou entraver.

On doit aux Arabes d’avoir été, en ce domaine comme en d’autres, les sauveteurs d’une partie de la riche cargaison antique. Lorsque le calife Al-Mansor eut transporté sa capitale de Damas à Bagdad, une école d’astronomie se développa dans cette dernière ville. Plus tard, et pendant deux siècles, l’école du Caire brilla à son tour ; puis vinrent les écoles arabes d’Espagne et du Maroc. Dans la Perse occidentale, à Meragah, vers 1300, un observatoire fut élevé. Un peu plus tard, un fils de Tameran en bâtit à Samarcande un énorme, dont les restes ont été déblayés par les archéologues modernes. Tout cela d’ailleurs était plus chaldéen que grec de procédés et d’aspirations.

L’inattention occidentale subsistait. Il fallut, pour en avoir raison, que les Portugais doublassent le cap de Bonne-Espérance en 1484 et qu’en 1492 Christophe Colomb découvrit l’Amérique. Alors parut Copernic, qui proclama le véritable système solaire que Galilée et Képler réussirent enfin à faire accepter. Ce dernier trouva les lois célèbres qui portent son nom : trois lois s’enchaînant et dont l’étrangeté va croissant, car, si la première définit la forme elliptique des courbes décrites par les planètes autour du soleil, la seconde établit une proportion singulière entre la vitesse et le trajet accompli et la troisième un rapport tout à fait extraordinaire entre la durée des révolutions des planètes et la distance qui les sépare du soleil.

On a dit justement des lois de Képler qu’elles constituent des « conséquences approchées » de la loi de Newton. Et en effet elles ne sont que des conséquences du principe qu’a proclamé Newton, celui de la gravitation universelle. Copernic l’avait entrevu, ce principe ; Descartes aussi, de même que le cardinal de Cusa s’était, le premier des modernes, déclaré en faveur de la théorie de la Terre tournant autour du Soleil. Ainsi en est-il aux approches des grandes découvertes : l’idée semble en flotter dans l’air jusqu’à ce que se lève l’annonciateur, celui qui, ayant trouvé la vraie formule, la publie avec l’autorité et la netteté désirables.

Newton introduisit la mécanique dans la question ; il chercha une cause mécanique pour expliquer les lois de Képler et il trouva d’abord que les planètes subissent à chaque instant de la part du soleil une attraction proportionnelle à leur masse et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les en sépare ; puis il montra que la Terre exerce une action analogue sur la Lune, que la pesanteur qui nous attache au sol tout autour de la Terre n’est qu’un cas particulier de cette attraction, etc. On raconte qu’à un moment, les calculs qu’il établissait en tenant compte de la loi soupçonnée par lui marquèrent une erreur en trop d’un sixième. Il s’alarmait lorsque, tout à coup, à une séance de la Société royale, à Londres, en 1682, il apprit que la mesure du degré terrestre venait d’être vérifiée avec une grande précision aux environs de Paris, et rectifiée. Newton refit aussitôt son calcul en utilisant la mesure nouvelle et le calcul se trouva juste. Ce sont là de ces puissantes émotions qui attendent un Christophe Colomb apercevant la terre d’Amérique, un Mariette pénétrant dans le Sérapéum, un Schliemann exhumant les murs de Troie…

Newton en arriva alors à énoncer que chaque molécule de la matière attire toutes les autres en raison directe de sa masse et en raison inverse du carré de sa distance à la molécule attirée. Voilà que l’infiniment grand rejoint l’infiniment petit, que l’astre géant et l’insecte imperceptible se trouvent obéir à la même loi essentielle et centrale qui est bien, selon la belle parole de Taine, « l’axiome éternel placé au suprême sommet des choses ».

Cette extension du phénomène de la gravitation à la totalité de l’univers a mis au premier rang des préoccupations astronomiques le «  calcul des perturbations ». Car on entend bien que tous ces astres en agissant sans cesse les uns sur les autres se font réciproquement dévier, se retardent, s’accélèrent… C’est en constatant toutes les causes d’entrave des lois de Képler et en les calculant d’avance qu’on arrive à en vérifier sans cesse l’exactitude par le relevé de leurs inexactitudes mêmes. Le triomphe de cette méthode s’est trouvé consacré par la découverte de la planète Neptune.

Le 31 août 1846 — une des grandes dates de l’histoire — l’astronome Le Verrier annonçait à l’académie des sciences de France la place où se trouverait le 1 er janvier 1847 la planète dont la masse en agissant sur Uranus en troublait la marche et jetait le désordre dans les calculs relatifs à cette dernière planète. Or, dès le 18 septembre, les astronomes ainsi avertis apercevaient Neptune presque au lieu indiqué par Le Verrier et lui reconnaissaient presque exactement les dimensions prévues. Ce fut un cri d’admiration pour l’homme qui avait ainsi « déterminé par la seule puissance du calcul la place et la grandeur approximatives d’un corps situé bien au delà des limites jusqu’alors connues de notre système planétaire, d’un corps dont la distance au soleil surpasse onze cents millions de lieues ». (Arago).

L’UNITÉ MÉCANIQUE DU MONDE


Donc cette loi de Newton s’étend à tout l’univers. Et voilà ce qu’il faut entendre par ces mots : unité mécanique du monde. Cela ne signifie pas, en effet, qu’il y ait quelque part un centre unique autour duquel tout tourne, auquel tout soit lié, ni que le mouvement général soit harmonisé de façon à éviter tout heurt, toute rencontre. La mécanique céleste n’est pas comparable à une horloge géante dont toutes les pièces travailleraient en vue d’un but simple et visible. Il s’agit au contraire de systèmes innombrables lancés dans l’abîme sans lien entre eux et pouvant d’autant mieux entrer en collision qu’ils s’attirent les uns les autres. La sécurité que nous éprouvons à cet égard vient de ce que notre fugitive existence s’écoule au milieu de la stabilité apparente la plus complète, et cette stabilité est le résultat des énormes distances sidérales. C’est là ce qui, notamment, conserve à travers les âges aux constellations de notre ciel étoilé leur aspect coutumier. Songez que pour qu’une étoile, parmi les plus proches, apparaisse déplacée d’un espace égal au diamètre de la pleine lune, il faut 2000 ans ! Quant aux collisions, voici qui illustre leur peu de fréquence. Le soleil — le nôtre — se dirige avec son cortège de planètes et à une vitesse d’environ 20 kilomètres à la seconde vers une certaine étoile qu’il atteindra dans 70 000 ans. Or à ce moment-là, la dite étoile, mobile elle-même,… n’y sera plus.

Au reste il n’est pas besoin d’une collision pour provoquer un cataclysme sidéral, et cela grâce au phénomène des marées qui est une des conséquences les plus générales et les plus curieuses de l’attraction universelle. Les marées ne consistent pas seulement en ce soulèvement et cet abaissement bi-quotidiens, que sous l’action du soleil et de la lune subissent nos océans ; il faut entendre par là la tendance déformatrice à laquelle sont soumis tous les corps célestes principalement dans leurs parties liquides, gazeuses ou pâteuses. Des approches d’astres peuvent ainsi provoquer des marées formidables déterminant des conflagrations inouïes. Nous verrons tout à l’heure comment il en résulte la naissance de nouveaux soleils.

Il y a encore des « inconnues » mécaniques en astronomie. On ne sait pas, par exemple, pourquoi la neuvième lune de Saturne qui est riche en satellites et pourquoi également un des satellites de Jupiter sont animés de mouvements rétrogrades, c’est-à-dire tournent en sens inverse des autres. On n’explique pas non plus pourquoi quelques étoiles possèdent des vitesses extrêmes. Nous en connaissons une dans l’hémisphère boréal qui se meut à environ 200 km. par seconde ; dans l’hémisphère austral, il y en a une qui paraît se mouvoir plus vite encore. « On ne voit aucune cause physique à pareilles vélocités, exceptionnelles au milieu des allures plus paisibles des autres étoiles et qui font des astres ainsi lancés de véritables projectiles traversant l’univers, venant de et allant vers des régions dont l’éloignement défie toute spéculation humaine » (Moye). Quant à l’origine du mouvement, elle est tout mystère. Quelle est la cause qui assure l’éternel déplacement des mondes, nous n’en savons absolument rien. Bornons-nous à enregistrer ce qui est déjà une merveilleuse conquête de l’esprit humain, cette universalité de l’attraction qui réalise l’unité mécanique.


L’UNITÉ CHIMIQUE DU MONDE


Il n’y a pas seulement une unité mécanique, il y a aussi une unité chimique dans le monde. « Autrefois, a écrit Flammarion, l’astronomie s’occupait exclusivement de la grandeur et de la distance des astres et d’un petit nombre de particularités physiques. La prétention de connaître la nature de leur substance et leur composition chimique aurait passé pour une absurdité ; aujourd’hui l’astronome peut analyser les substances stellaires avec la même facilité que le chimiste analyse les matières terrestres dans son laboratoire. »

Le premier qui ait obtenu un spectre d’étoile étudié scientifiquement est un Allemand, Fraunhofer (1814-15). Cette branche de la science demeura ensuite stationnaire jusqu’en 1860 où l’astronome Donati, de Florence, en reprit l’étude. De nos jours elle a été poussée très loin.

On sait que la lumière blanche passant à travers un prisme se trouve décomposée en un certain nombre de couleurs simples. Tel est le principe fondamental sur lequel est basée l’analyse spectrale. Des corps solides ou liquides incandescents donnent un spectre continu d’autant plus étendu du côté du violet que leur température est plus élevée. Quant au spectre d’un corps gazeux porté à une haute température, il est discontinu et formé de raies brillantes. Si entre une source lumineuse solide ou liquide vient à s’interposer une matière gazeuse portée elle-même à l’incandescence, on voit dans le spectroscope apparaître des raies noires à la place des raies brillantes que donnerait le gaz s’il était seul. Pour apprécier la sensibilité, si l’on peut ainsi dire, de l’analyse spectrale, il convient de rappeler que, par exemple, elle permet de découvrir le sodium dans la flamme d’un bec de Bunsen, n’y en eût-il que 1/3.000.000 de milligramme. On comprend dès lors comment a pu être connue de façon détaillée et précise la composition chimique des astres.

Nous savons aujourd’hui que la plupart des éléments nécessaires à notre existence terrestre se retrouvent dans le reste de l’univers. L’azote et l’oxygène, à vrai dire, y semblent parcimonieusement distribués, surtout par comparaison avec l’hydrogène qui abonde. Le fer, le carbone, le calcium, le soufre, le phosphore y sont présents ; très peu nombreux sont les éléments inconnus sur la terre. Certes ce sont là des sujets sur lesquels il faut craindre de se prononcer trop affirmativement ; néanmoins on peut s’étonner qu’en face de l’immensité de l’espace et du nombre formidable des astres (une centaine de millions environ sont perceptibles pour nous), la matière qui les compose apparaisse aussi pauvre. Sans doute ses combinaisons doivent revêtir les formes les plus variées, mais la gamme de ses éléments essentiels n’est guère longue et c’est une surprise, n’est-il pas vrai, que cette uniformité des résultats de l’analyse spectrale sidérale en regard des distances effrayantes qui nous séparent des mondes ainsi observés et scrutés par la science terrestre.

LA VIE DES ASTRES


Comment donc vivent ces astres qui sont chimiquement frères du nôtre ? Ils vivent en effet. Le terme et l’idée sont admis désormais. Chaque étoile « vit en marchant », dit Moye. « Les étoiles, a dit Janssen, sont soumises aux lois d’une évolution d’où résultent pour elles un commencement, une période d’activité, un déclin, une fin ».

Il y a, comme vous le savez, trois sortes d’astres, et là encore nous rencontrons le très limité à côté de l’illimité ; trois sortes seulement : des étoiles, c’est-à-dire des soleils, des planètes, des comètes.

Comment naît un soleil ?… à l’origine semble être la nébuleuse que l’on confond trop souvent avec l’amas stellaire. Ainsi dit-on de la voie lactée que c’est une nébuleuse : terme inexact et malencontreux. La voie lactée est un amas stellaire composé d’étoiles relativement proches les unes des autres. Vous savez d’ailleurs ce qu’il faut entendre par proximité quand il s’agit du firmament.

C’est le grand astronome Herschell qui a surtout étudié les nébuleuses ; avant lui on en connaissait de 70 à 80 ; il en a catalogué 2500. En fait, il en existe des centaines de mille. Actuellement environ 10,000 ont été étudiées avec précision. La plupart de ces nébuleuses sont, en somme, des soleils en formation. « Leurs noyaux, dit encore Janssen, nous offrent tous les degrés de condensation de la matière depuis la plus diffuse jusqu’à l’étoile la mieux formée » Dans sa période première, la nébuleuse apparaît composée de gaz raréfiés, hydrogène, hélium, etc., rendus luminescents, selon l’expression d’Henri Poincaré, « par on ne sait quelle lueur d’origine mystérieuse » (électrique sans doute). Les nébuleuses sont alors volontiers irrégulières comme l’immense voile qui enveloppe toute la constellation d’Orion. Plus avancées, elles sont dites « planétaires », en général rondes ou elliptiques avec un flocon central, embryon de l’astre futur et qu’entoure la matière gazeuse. Il en est aussi dites « en spirale », immenses tourbillons emportés vertigineusement autour du noyau. Les dimensions des nébuleuses surpassent l’imagination. Ainsi celle d’Andromède paraît avoir un diamètre égal à 500,000 fois la distance de la Terre au Soleil. Notez que si la densité d’une pareille masse représentait seulement un millionième de celle du soleil, cela suffirait pour troubler sensiblement les mouvements de notre terre. Or il n’en est rien. Ainsi se trouvent confirmées les conclusions fournies d’autre part par l’analyse spectrale concernant la nature principalement sinon totalement gazeuse des nébuleuses.

Quand un soleil est formé, l’analyse spectrale ne renseigne pas seulement sur sa composition, mais aussi sur sa température. « Il existe nombre d’astres dont le spectre est développé du côté du violet ; ce sont ceux en général dont la lumière nous paraît blanche ou bleuâtre » ; tels Sirius ou Vega. Notre soleil est de la catégorie jaune, ce qui doit le faire ranger parmi « cette classe d’étoiles dont les fonctions solaires sont encore puissantes, mais cependant ont dépassé ce que l’on pourrait appeler la jeunesse » (Janssen). C’est, écrit Moye, « une sphère de gaz rendus visqueux par l’énorme pression de leurs couches accumulées. Des courants lents à l’intérieur, violents jusqu’à l’explosion à la surface, maintiennent ces gaz en brassage incessant, apportant à l’extérieur les vapeurs surchauffées et les faisant se condenser en poussées incandescentes au contact des froids de l’espace céleste ». Des explosions formidables d’hydrogène s’élèvent parfois jusqu’à 20 et 30,000 lieues de hauteur.

S’il s’agit enfin d’astres parvenus à un degré encore plus avancé de leur évolution, le spectre accuse les approches du refroidissement. Le violet disparaît ; des bandes sombres apparaissent, « indice d’une atmosphère épaisse et froide où les affinités chimiques commencent déjà leur œuvre d’association » (Janssen). La couleur de ces soleils défaillants va de l’orangé au rouge sombre.

Qu’advient-il du soleil éteint ? Tout à fait refroidi, il se fend sans doute, s’éparpillant en comètes et en météorites. Mais il advient que, mal éteint, il se jettera au travers d’un essaim de météorites ou à travers une nébuleuse froide ou bien même ira heurter un autre monde ou encore, sans le heurter, s’en approchera assez pour provoquer une marée de l’intérieur encore igné. Et c’est bien probablement ainsi que s’expliquent ces apparitions d’étoiles nouvelles comme on les dénomme ; encore une expression inexacte d’ailleurs, car il ne s’agit pas du tout d’astres improvisés (l’astronomie ne connaît pas plus que les autres sciences la génération spontanée) mais bien de cataclysmes sidéraux formidables embrasant des mondes entiers, cataclysmes dont la durée dépasse souvent une demi-année et même davantage. Nous en avons eu un exemple récent. En 1918 est apparue soudain dans la constellation de l’Aigle une étoile de première grandeur qui fixa aussitôt l’attention de tous les astronomes. Il s’agissait d’un astre de huitième ou neuvième grandeur, catalogué comme tel et soudainement embrasé. L’analyse spectrale permit de suivre au jour le jour ces flamboiements inouïs, passés depuis longtemps, cela va de soi, à l’heure où nous en étions témoins car la catastrophe s’était sans doute produite aux temps de Louis XIV ou d’Henri IV.

Telle est, en raccourci, la vie des étoiles. Comment se comportent les planètes ? C’est l’hypothèse du célèbre Laplace qui continue d’expliquer le mieux leur formation probable, cette hypothèse dont Henri Poincaré a dit qu’elle était vieille, mais que sa vieillesse restait vigoureuse, indiquant par là que malgré les critiques et défectuosités, aucune autre hypothèse n’avait su prendre la place de celle-ci.

L’idée première de la formation des planètes par condensation de matière nébuleuse appartient à Kant (1755), mais c’est Laplace qui en a formulé la doctrine scientifique en 1796. D’après lui, la nébuleuse solaire en se condensant et en se resserrant (le mouvement de rotation augmentant en conséquence) a dû abandonner les molécules situées à ses limites successives de resserrement. Ces molécules abandonnées ont continué de circuler autour de l’astre, puisque leur force centrifuge était balancée par la pesanteur. Les anneaux ainsi formés ont dû se « rompre » donnant naissance à des masses sphéroïdiques à l’état de vapeurs animées d’un « mouvement de rotation dirigé dans le sens de leur évolution, puisque les molécules inférieures avaient moins de vitesse réelle que les supérieures » (Laplace). Le même phénomène s’est reproduit autour de chaque planète engendrant les satellites : toujours des « boules de gaz incandescents se refroidissant lentement pour devenir liquides, puis solides, au moins sur une croûte superficielle » (Moye).

Nées dans le feu, les planètes semblent être vouées à la mort par le froid. Nous percevons le schéma d’un tel drame en étudiant les paysages lunaires. Dans la Lune dont au reste nous n’avons jamais vu que la même moitié, on dirait que Ie volcanisme a agi de façon précipitée et écourtée, sans doute en raison de la faible densité de l’astre. Les marées provoquées par l’action terrestre quand la Lune était encore à l’état liquide ou pâteux ont dû être formidables. On ne note aucun travail d’érosion à la surface et le caractère abrupt de l’orographie lunaire montre que l’action des eaux, si elle a existé, a été fugitive.

Mais les autres planètes ne sont-elles pas habitées ? ne l’ont-elles pas été à tout le moins ou ne le seront-elles pas quelque jour ? Question passionnante qui n’a pris toute sa force que du jour où il a été établi que la Terre était elle-même une planète quelconque tournant autour du Soleil à son rang et qu’elle n’occupait à aucun degré une place centrale ou prépondérante dans l’univers. Alors, tandis que le dogme chrétien s’insurgeait à l’idée que le sol sanctifié par l’incarnation de Jésus-Christ ne fut pas un sol privilégié de la nature, un sol unique en quelque sorte, la libre-pensée à l’inverse proclamait absurde la notion d’un tel privilège en faveur d’un astre de petites dimensions perdu au milieu de tant d’autres plus vastes, plus brillants et qui ne sauraient être « inutilisés ». On s’est « emballé » sur ces problèmes que précisément il convient d’aborder avec beaucoup de calme. D’abord, laissant de côté l’argument religieux, convenons que l’inutilisation des planètes inhabitées n’est susceptible d’être appréciée par nous que du point de vue restreint et incertain de notre raison terrestre et que c’est là une notion que nous ne pouvons guère discuter. D’autre part, il y a lieu de faire une distinction absolue entre l’habitabilité par des esprits non unis à des corps animaux ou par des esprits unis à des corps animaux. De la première hypothèse nous ne saurions rien percevoir jusqu’ici, sinon par des méthodes où l’imagination dirige et où la science pure n’a rien à voir. La seconde seule peut être envisagée par nous. Or immédiatement surgissent des conditions restrictives. « La vie, a dit Faye, ne peut se rencontrer que sur un globe déjà froid associé à un autre corps chaud, plus ou moins voisin ». Ainsi sont exclus « tous les corps qui brillent de leur propre lumière », car, « en vertu de leur isolement caractéristique, les soleils ne sauraient jamais être appelés eux-mêmes à recevoir la vie, même à l’époque de leur refroidissement ». Cette chaleur, il la faut à la fois modérée et continue, puisque les germes quelconques ont besoin pour conserver leur vie latente que la température ne dépasse pas certaines limites. Voilà qui exclurait les planètes circulant autour d’étoiles variables semblables à celle qui existe, par exemple, dans la constellation de la Baleine, brillant d’un vif éclat puis s’affaiblissant et devenant invisible, pour une cause inconnue, pendant trois cent trente jours ; même observation au sujet des étoiles colorées dont la lumière accuse l’absence de certaines radiations nécessaires au développement des organes ou bien au sujet de globes se mouvant sur des orbites dont la grande excentricité engendrerait de trop fortes variations de température. Enfin il faut tenir compte des atmosphères sidérales, de leur composition, de la nécessité de la présence de l’eau avec des espaces émergés et un équilibre stable des mers.

Mais surtout et, même en admettant que la grande majorité des planètes soient habitées, n’oublions pas cette donnée sur laquelle j’attirais votre attention en commençant, la vie à la surface de la Terre et des autres planètes habitables, ne saurait être qu’un phénomène éphémère par rapport aux périodes si longues durant lesquelles l’astre se forme par le feu et périt lentement par le froid… Ainsi la vie — ce que nous appelons la vie du moins — n’apparaît pas comme l’état continu et normal du monde sidéral.

Permettez-moi de vous laisser sur l’évocation de ce troublant mystère. Mais qu’il ne nous accable pas. De même que circulent à travers l’espace ces comètes singulières dont je ne vous ai pas parlé, dont il n’y a pas d’ailleurs grand’chose à dire (car ce ne sont que de fabuleuses traînées de gaz), mais qui portent de système solaire en système solaire leur gracieuse et lumineuse chevelure, ainsi convient-il que l’espérance et la confiance nous accompagnent à travers les régions effrayantes de la science, nous aidant à en supporter l’inquiétude.

Je vous remercie de votre attention ; j’espère n’en avoir pas abusé, heureux si par ce bref et pâle exposé, j’ai pu vous montrer dans l’astronomie non seulement le vestibule de la connaissance mais le parvis de la sagesse : de cette sagesse modeste et forte hors de laquelle les démocraties modernes ne pourront ni réaliser d’égalité féconde ni établir de paix durable.