Œuvres poétiques François de Maynard/Pastorale

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Pastorale (1613)
Œuvres poétiques François de Maynard, Texte établi par Gaston GarrissonA. Lemerre1 (p. 228-314).
PERSONNAGES
  • Cléandre
  • Philips
  • Silvie
  • Silvandre
  • Tyrsis
  • Calidon
  • Satire

ACTE I


Scène 1

Silvandre

Depuis qu’un œil jumeau surprint ma liberté
Aux pudiques appas de sa douce beauté,
Que la belle Cleande, object de ma pensee,
Par le trait de ses yeux eut mon ame blessee,
Que pour aimer son front le seul throsne d’Amour,
Mon cœur se retira de son premier sejour,
Et que ma liberté soubs ses loix asservie
La choisit pour idole aux desirs de ma vie,
Ny l’esmail d’un beau pré, où mille et mille fleurs
Estalent à l’enuy leurs nouvelles couleurs,

Ny un sentier ombreux tapissé de verdure,
Ny d’un flot enroué l’agreable murmure,
Ny un antre mossu, ny les taillis plus beaux,
Ny le doux gazouillis d’un million d’oiseaux,
Qui saluent le jour aussi tost que l’aurore
De ses premiers rayons l’Orient recolore,
Ne peuvent reboucher les traits de la douleur,
Qui sur mon doux repos marche d’un pied vainqueur.

J’apprends d’une voix triste aux rochers solitaires
Que mes volontés sont à l’Amour tributaires ;
Qu’idolatre j’adore une jeune beauté
Royne de mes desirs et de ma liberté
Aux bords plus reculez je sanglorte mes plaintes,
Et l’onde qui ruissele (insensible aux attaintes
De l’imployable Amour) gemit avecque moy,
Le Zephire molet touché de mon esmoy
Joint ses souspirs aux miens, mais las ! ceste farouche
Est à mes justes cris vite insensible souche.
J’ay beau sur le matin, au point que le Soleil
Esmaille l’Orient d’un beau lustre vermeil,
Tout ainsi qu’une Avete aux plus vertes prairies,
Picorer le tresor de leurs moissons fleuries,
Choisir entre les fleurs un œillet rougissant,
Une rose vermeille ou un lis blanchisant,
L’offrir à ma bergere, impiteuse ennemie,
Ainçois avec les fleurs ma tributaire vie,
Las ! je n’advance rien, un injuste mespris
Me sert de recompense ; ainsi je vis espris

Du subject de mon dueil, et mon ame obstinee
Limite en sa prison ma triste destinee :
Soit que l’aube se lève, ou que le blond Soleil
Soit au point du midy, ou proche du sommeil,
Mes yeux sources de pleurs arrosent mon visage.
Ainsi tousjours mon ame aveugle à son dommage,
S’endurcit aux douleurs : que si je vis, helas !
C’est l’espoir qui me flatte au point de mon trespas.
C’est luy seul qui ourdit la trame de ma vu,
Et celle de mes maux où j’ay l’ame asservie.
Mais ne verray-je point terminer ma douleur ?
Ou mes jours s’obscurcir, ou l’injuste rigueur
D’un bel œil qui me tue en Amour eschangee !
Amour qui soubs tes loix tiens mon ame engagee,
Hé ! que ne donnes-tu relache à mes travaux ?
Faut-il que gemissant soubs le fais de mes maux,
Je coure à ma ruine ennemy de moy-mesme,
Pour l’ingrate beauté que j’honore et que j’ayme
A l’esgal de ma vie, hé ! que dis-je ? ouy, cent fois
Plus que ma propre vie, et plus quand je l’aurois.
Brebis qui remachez, tristement langoureuses,
Broutez de ces beaux pres les richesses herbeuses,
La le soleil reluit au point de l’Occident,
Et peu à peu le jour à la nuit va cedant,
Broutez : mais non, plus tost allons dans ces campagnes,
Où tristement couché, soubs les saules brehaignes,
Je feray de mes yeux ruisseler tant de pleurs,
Qu’enfin je noyeray ma vie et mes douleurs
Tandis mon cher troupeau que vous brouterez l’herbe.


Scène 2

Cléande

Amour, qui sur les cœurs marche d’un pied superbe,
Et qui assubient soubs le joug de tes loix
La douce liberté des bergers et des Rois,
A blessé mon vouloir d’une si douce attainte,
Que je ressens mon ame à ses chaisnes estraintes,
Piteuse, souspirer pour un jeune berger,
Et mon desir au sien doucement se renger :
Mon œil n’a d’autre object que sa beauté parfaite,
Et si par fois le sien un regard sur moy jette,
Honteuse je rougis et sens un doux plaisir
Attizer lentement le feu de mon desir.
Plus le doux entretien de ma chere Silvie
N’a pouvoir de chasser les ennuis de ma vie ;
Je la fuis, et ne veux pour remom de mon mal
Qu’un antre solitaire, ou le bord d’un cristal
Dont le flot argenté marie à ma parole
Son enroué murmure : alors mon ame vole
Vers l’object de mes vœux sur l’aisle du penser,
Lors je benis cect œil qui me sçeut offenser,
J’embrasse son idole, et mon ame blessee
Se fait en ses transports une seule pensee.

Cruelle toutefois je le suis, et ne veux
Piteuse, recevoir l’offrande de ses vœux.

Helas ! combien de fois sur ces herbeuses rives
Ay-je ouy tristement ses paroles plaintives
Trouver de la pitié aux ondes qui coulants
Se plaignoient avec luy, et flot sur flot roulants
Sembloient de mes rigueurs trop justement se plaindre ?

Helas ! combien de fois lorsqu’il ne pouvoit feindre
Ceste injuste douleur qui trouble son repos,
L’ay-je veu m’aborder ? puis par mille sanglot
Et deux torrents de pleurs tesmoins de son martire,
Exprimer sa langueur ? et moy las cent fois pire
Qu’un superbe rocher, insensible à son dueil,
J’ay tousjours soubs les pieds d’un homicide orgueil
Injustement foulé sa pudique confiance.

Mais, las ! tributaire à la douce puissance
De cest Amour vainqueur des hommes et des Dieux,
Je n’ay que ce Berger pour obiect de mes yeux,
Si mon ame pour luy ard d’une flame esgale,
Bref si je le cheris ainsi qu’un beau Cephale,
Pourquoy donc impiteuse arme-je de mespris
Mon œil pour un subject qui tient mon vouloir pris ?
Pourquoy lorsqu’alanguy d’une angoiseuse peine,
Il me dit : Belle ingratte et trop chere inhumaine,
Ne veux-tu point trancher le fil de mes douleurs,
Ou changer tes desdains en pudiques douceurs ?

Tu vois que si je vis c’est pour te rendre hommage,
Hé ! despendray-je en vain le plus beau de mon age
Dessoubs l’ingrate loy de tes yeux et d’Amour ?
Toy seule vas filant la trame de mon jour,
Tu fais naistre en un point et mourir l’esperance,
Qui entretient mon ame au joug de ta puissance :
Si la douleur me point c’est pour toy seulement,
Et la vie et la mort me plait esgalement.
Desarme donc tes yeux, belle et fière inhumaine,
Du superbe desdain qui enaigrit ma peine,
Et permets qu’à l’autel de ta chere beauté
Je victime les vœux de ma fidelité.
Pourquoy dis-ie (à set loix ayant l’ame asservie)
Ne luy responds-je alors : Doux object de ma vie,
Silvandre, mon soucy, ferme tes yeux aux pleurs,
Et ta bouche à la plainte, et ton ame aux douleurs,
Le jour n’est une nuit lorsque loin de ta veue
De mille aigres soucis ton souvenir me tue,
Si je vis c’est pour toy, et ton eslongnement
Assubjectit mon ame à l’amoureux tourment.
Ton œil est le Soleil de ma chere pensee,
Et par le traict d’Amour mon ame est offencer
Pour ta seule beauté cher object de mes yeux.

Mais où me va guidant ce penser soucieux ?
Mais où me va trainant le dueil qui me possede ?
Las ! je me plains d’un mal dont il tiens le remede,
Je cherche la clarté où le Soleil reluit,
C’est trop longtemps croupy desssoubs l’ombreuse nuit

Du silence importun, ennemy de mon aise,
C’est trop longtemps couvé mon amoureuse braise
Soubs une ingrate cendre ; il faut que desormais
Tu le sçaches Silvandre ; et que mon ame (ouy mais)
Ouy que mon ame, dis-je esgalement bruslee
Du charme de tes yeux s’advoue enforcelee.

Où es-tu mon Berger, en quel antre escarté
Souspires-tu, mon cœur, pour ma fiere beauté ?
Ne dois-je point souffrir, cher object de ma veue,
La moitié du soucy qui te lime et te tue ?
Ne te verray-je point allant que le Soleil
Precipite sa course aux ombres du sommeil ?
Je vois dans ces valons Tyrsis dont la musette
Ramene dans le parc sa troupe camusette
La la nuit est venue, et ja mille troupeaux
S’eslongnent peu à peu de ces herbeux coupeaux,
Et je ne te vois point. Quelque rive lointaine,
Où tu vas souspirant ton amoureuse peine,
Est le triste sejour où, pressé de ton dueil,
Tu blasmes la fierté de mon superbe orgueil :
Tu en as bien raison : ha ! ingrate Cleande,
Faut-il que ce Berger et nuit et jour respande
Aux pieds de ta beauté vit ocean de pleurs,
Et que tousjours helas ! insensible aux douleurs
Qui traversent son ame à tes loix asservie,
Tes fieres cruautez luy desrobent la vie ?
Non je veux desormais vivre pour tes beaux yeux,
Ou perdre, en te perdant la lumiere des cieux.


Scène 3

Silvandre, Cléande.
Silvandre

Alons, cheres brebis, ja la nuit est venue,
Et ici l’Astre argente d’une pointe cornue
Commence d’esclairer les ombres de la nuit.
Toutes fois ce soucy impiteux me poursuit,
Et soit que le Soleil luise de vers l’aurore
Ou au triste occident, cest oiseau me devore,
Je dis Amour cruel qui se paist de mon cœur,
Inhumaine Cleande et ingrate douleur.

Cléande

Le portraict du Berger dont j’ay l’ame blessée
Est si bien figuré aux yeux de ma pensee,
Qu’il me semble à tout point de le voir ou pleurer,
Ou se plaindre de moy, ou pour moy souspirer.

Silvandre

Mais ne le vois-je pas ?O Dieux, quelle merveille,
Mes yeux me tromper-vous ! je dors ; non fais, je veille ;
Je la vois, ouy c’est elle. Honneur de ces forests,
Qui tiens ma liberté surprise dans tes rets,

Cleande, mon soucy, mon bien, mon tour, ma vie,
Qui m’avoit si longtemps ta presence ravie ?
Et quel Dieu favorable à mon chaste desir,
Fait qu’un pudique espoir me vient ores saisir ?
Je te vois, mais helas ! tousjours fiere et cruelle ;
Tu me vois, mais helas ! tousjours pour toy fidelle.
Ciel pourquoy loges-tu dans ses yeux tant d’appas,
Si leur regard vainqueur est suivi du trespas ?
Hé ! s’ils estoient moins beaux j’aurois moins de supplices ;
Mais imployable Ciel tu es de ses complices.
Et vous chere Cleande, et Soleil de mon jour,
Serez-vous donc rebelle aux douces loix d’Amour ?
Pourrez-vous insensible, ou voir mes yeux en larmes,
Et aux plaintes ma bouche, et mon cœur aux alarmes
Dont vostre cruauté me combat à tout point,
Sans que d’un trait piteux voste cœur soit espoint,
Cruelle, mais helars !par trop chere à mon ame ?
Tu te ris, ô Amour, ô rigueur ! de ma flame !

Cléande

Adieu Silvandre, adieu.

Silvandre

Adieu Silvandre, adieu.Ma nymphe escoute moy,
Cleande arreste un peu (Las ! trop ingrate foy)
Hé ! ne fuy pas si tost, j’ay failly, je t’advoue :
Mais la triste douleur qui fiere me secoue,
A lasché ceste plainte au deceu de mon cœur.
Non tu n’es point cruelle, ainçois rien que douceur

Non tu n’es pas farouche : ainçois tousjours la grace
Suit tes vainqueurs regards et adoucit ta face ;
Ne fuis donc plus, belle ame, et piteuse reçois
Les vœux de mon desir esclave de ses loix.

Cléande

Pourquoy m’appelles-tu impiteuse et cruelle,
Insensible en Amour, et à son joug rebelle ?
J’ignore son pouvoir et libre de ses rets
Solitaire je vis dans ces vertes forests,
Heureuse : ouy, si le soin qui lime ma pensee
Ne devoroit mon ome et nuit et jour pressee.
Un seul object me plaist et de luy seulement
Renaist mon doux repos et mon aigre tourment,
Tourment qui m’est si cher que seul je le prefere
A tous autres plaisirs de ce lieu solitaire.

Silvandre

Heureux, trois fois heureux ce Berger qui parfaict
Sert d’idole à ton ame, et à tes yeux d’object.

Cléande

Tu te trompes, Silvandre.

Silvandre

Tu te trompes, Silvandre.He ! comment, ma Deesse ?

Cléande
Ce n’est point d’un Berger que le sousy me blesse.
Silvandre

De qui donc, mon bel Astre ? He ! seroit-ce d’un Dieu ?

Cléande

Tu es trop curieux.

Silvandre

Tu es trop curieux. Il est vray.

Cléande

Tu es trop curieux. Il est vray.Mais adieu.

Silvandre

He ! Cleande, où vas-tu ? dis-moy belle inhumaine,
Trancheras-tu jamais le noir fil de ma peine ?

Cléande

Silvandre, vis content, ma feinte cruauté
Cede au chaste pouvoir de ta fidelité,
Adieu.

Silvandre

Adieu.Adieu, helas ! que ceste voix perfide
Me va perçant le cœur d’une pointe homicide.
Que je vive content eslongné de tes yeux,
Et que ton œil qui rend mon esprit soucieux,
Desarmé de desdains ait rendu sa lumiere
Plus douce à mon espoir : asseurance legere.

O parole trompeuse ! ô perfide beauté !
O ciel de mille appas, enfer de cruauté
Toutesfois esperons, possible que son ame
Se brusle ainssi que may d’une amoureuse flame.


Scène 4

Silvie, Tirsis, Silvandre.
Silvie

Que me sert de me plaindre et pleurer nuit et jour ?
Nommer cruels les Dieux et plus cruel Amour ?
Que me sert de lascher mille traits de ma veue,
Pour toucher de pitié le berger qui me tue ?
Son ame est insensible et plus il void mes yeux
Tout ruisselants de pleurs, et mon cœur soucieux
Pousser mille soupirs avecque ma parole,
Et tristement gemir soubs le dueil qui m’afole,
Moins ployable à mes vaux qu’un superbe rocher,
Il est sourd à ma plainte, et craint de m’approcher.
Mille douces faveurs, chastement departies,
Au lieu du fruit d’Amour ont produit des orties.
D’un injuste mepris si je pleure il se rit,
Et il m’hait si je l’aime, et son ame cherit
Celle qui le mesprise : ô juste recompense !
Mais vivray-je tousjours soubs son obeissance !

N’auray-je pour loyer de ma fidelité,
Qu’une injuste rigueur ? ô Ciel ! ô cruaute !

Tirsis

Infortuné Tisis, tu semes donc ta peine
Et tes chastes travaux sur la slerile arene
De ceste mer d’Amour, dont le flux de rigueur
Engloutit sa semence et l’espoir de ton cœur,
Donc tu souffres en vain pour l’ingrata Silvie ;
O Cie l! mais n’est-ce pas le Soleil de ma vie ?
Amour que de beautez, mais aussi quel mespris,
Je crains, mais il faudroit ou estre moins esprit,
Ou que le Ciel l’eust facte ou Deesse ou moins belle
Belle et chere Silvie, helas ! mais trop cruelle.

Silvie

Quel Demon ennemy de mon contentement
Te conduit importun, où j’esctos le tourment
Que possede mon ame à l’Amour tributaire ?
Va, fuy, ou je m’en vay.

Tirsis

Va, fuy, ou je m’en vay.Impiteuse Bergere

Silvandre

O Ciel ! que de langueurs ! mais j’entrevois Tirsis,
Il faut feindre mon dueil. De quels poignants soucis,
De quel trait de douleur est son ame blessee ?

Quel object amoureux possede ta pensee ?
Silvie, c’est sans doute, est le soin qui te mord.

Tirsis

Silvandre, he ! que dis-tu le soin ? ainçois la mort

Silvandre

He ! comment seroit-elle à tes vœux rigoureuse ?

Tirsis

Ainçois mon homicide et cruelle impiteuse :
Mais cher Silvandre, adieu, mon extreme douleur
Estouffe ma parole et me perce le cœur.


Scène 5

Silvandre, Silvie.
Silvandre

Certes je plains son mal, car je sçay (ô Science
Que tu me coustes cher ô tristes experience !)
Je sçay dis-je que peut sur nostre volonté
Un œil aussi cruel que riche de beauté,
Et que peuvent aussi les mignardes bergeres,
Qui randans à leur loy nos urnes tributaires,
D’un milion de maux enfilent nostre jour,
Et nous rendent enfin cameleons d’Amour,

Nous repaissans de l’air, et sont que nos enuies
De regrets et de pleurs sont tristement suivies,
Je le sçay, moy qui n’ay pour object de mes yeux
Que la chere beauté d’un Astre gracieux,
Mais las ! par trop cruel ! toutes fois sa lumiere
Fst si douce à mes yeux, que l’aube mariniere
Me semble vite ombre au jour de sa chere clarté.

Mais ores que mon œil voilé d’obscurité
N’a de plus doux object que son idole aymee,
Donnons air aux ardeurs de mon ame enflamée,
Ce nuage mossu et le bruit de ces eaux
Et le vent qui souspire au pied de ces ormeaux,
Sera le seul tesmoin de ma plainte sterile.
O chaste souvenir de la belle qui file
La trame de mes jours, idole de mon cœur,
Que tu plais à mon ame, et toy douce langueur,
Combien je te cheris !

Silvie

Combien je te cheris !Silvie infortune,
Ta vois donc incliner ta naisante journee
Devers l’ombreux couchant, pour un ingrat Berger
Qui ne veut ton amour en son ame loger,
Donc, mais ne vois-je pas mon farouche Silvandre !
Las ! c’est luy mesme, allons, que sert de plus attendre ?
Mon ame chasse loin cest impiteux orgueil.
Seras-tu donc tousjours insensible à mon dueil ?

Silvandre, responds-moy, faut-il que ta Silvie
Despande soubs tes loix le plus beau de sa vie,
Sans que son amour puisse adoucir ta rigueur,
Et que tout le loyer de ma chaste langueur
Ne soit que le desdain de ton ame insensible

Silvandre

Silvie, que dis-tu, moy n’estre point sensible
Aux doux traits de l’Amour ? et moy ne souffrir pas
Pour un Astre jumeau vit millier de trespas ?
Tu m’offences, Silvie (helas ! belle inhumaine
Cleande, tu le sçais) mais ta poursuite est vaine.
Ne m’importune plus, tes plus douces faveurs
Ne m’ont peu asservir. Les pudiques rigueurs,
Les mespris, les desdains de ma belle Bergere,
Ont rendu de ses loix mon ame tributaire ;
Elle est seule mon bien, ma vie, mon souci ;
Doncques Silvie en vain tu me retiens ici,
Laisse moy dans ces bois chercher quelque rivage
Ou je puisse adoucir le dueil de mon servage.

Silvie

Te laisser, cher Silvandre, ha ! se peut-il, Amour ?
Non, sans perdre la vie et la clarté du jour.
Tu fuirois donc : en vain, ma fidelle pensee
Te suivroit pas à pas ; mais ton ame blessee
Du beau trait de cest œil qui t’a si bien ravi,
Et dessoubs ses rigueurs doucement asservi,

Ne cherche-t-elle point au mal qui la possede
Ou quelque allegement, ou le parfait remede ?

Silvandre

Le soulas que je cherche à ma chere langueur,
Cest de mourir captif de ce bel œil vainqueur,
Offrir pour mon tribut aux pieds de ma Cleande
Ma vie et mon amour, encor que celle offrande
Indigne de l’autel de ses cheres beautez
Son fuivie (ô rigueur) de mille cruautez.

Silvie

Mais si je meurs pour toy ?

Silvandre

Mais si je meurs pour toy ?Ne le fais pas, Silvie

Silvie

Pourquoy doncques m’as-tu soubs tes loix asservie ?
Pourquoy doncques ton œil s’est rendu mon meurtrier ?

Silvandre

Comment peur aservir un chetif prisonnier ?
Et comment peut blesser un œil qui n’a point d’armes,
Que les flots doux coulans de ses piteuses larmes ?

Silvie
Cela mesmes me tue.
Silvandre

Cela mesmes me tue.He ! Silvie, comment ?
Las ! possible plains-tu mon amoureux tourment,
Et moy je plains le dueil qui posede ton ame,
Toutesfois nous bruslons d’une inegale flame ;
Car ta pitié ne peut adoucir ma langueur,
Non plus que moy guerir la playe de ton cœur.

Silvie

Silvandre.

Silvandre

Silvandre.He ! que veux-tu, mon ame est engagee.
Cherche ailleurs du repos à ton ame alegee :
De moy, las ! je ne puis ta douleur aleger.
Rien ne peut à l’Amour mon enuie obliger
Que ma belle Cleande : adieu doncques Silvie.

Silvie

Tu fuis impitoyable, ha ! meurtrier de ma vie.
Mais souffriray-je, Amour, cest injuste mespris ?
Non j’injure le Ciel et la belle Cipris :
Puis que l’aigre loyer de mon obeissance
Est un ingrat desdain et une injuste offance,
Vengeons-nous de ce monstre ennemy du plaisir,
Qui prefere à l’effect un insensé desir,
Les espines aux fleurs, et aux fruits le feuillage ;
Je brise donc les fers de mon ingrat servage,

J’estains de l’eau d’oubly ce feu qui me brusloit,
Et mesprise celuy qui ores me fouloit
Soubs les pieds du desdain : mais que dit-tu, Silvie,
Mesprifer ce bel œil qui te tient asservie,
Tramer une infortune à celuy que l’Amour
A choisi pour Soleil au matin de ton jour !
He ! change de dessein et avec l’esperance
Effaye de calmer ta cruelle souffrance.
Apres que sur la mer les venteux tourbillons
Ont mutins esveillé la fureur des seillons,
Le Ciel les adoucit : ainsi apres l’orage
Dont les cruels mespris ont aigri ton servage,
Ses yeux, doux Alcions de ceste mer d’amour,
Rendront piteusement le serein à ton jour,
Espere donc, chertive et fidelle Silvie,
Que ton Berger finisse ou ton dueil ou ta vie.

ACTE II


Scène 1

Cléande

Las ! qu’il est mal-aysé de feindre une rigueur
Pour l’object amoureux qui s’est rendu vainqueur
De nostre liberté ! cent fois dessus ma face
J’ay peint mille rigueurs de mespris et de glace,
Et lasché ma parolle avec mille desdains
Toutes fois ces efforts et debilles et vains
N’ont estouffé le soin qui ronge ma pensee ;
Ains mon ame depuis plus vivement pressee,
Lasche mille souspirs tesmoins de mon amour,
Et soit que le Soleil nous redonne le jour,
Ou fort que la nuit sombre à la clarté succede,
Tousjours ce cher souci doucement me possede :
L’idole du bel œil qui tient ma liberté
Captive soubs le joug de sa chere beauté
Erre dans ma pensee : et un moment ne coule,
Qu’un doux torrent de pleurs sur ma face ne roule,
Au chaste souvenir du fidelle Berger,
Qui doubs sa volonté sceut si bien me ranger.

Loin de luy je ne vis sinon pour la souffrance,
Et mon ame gemit dessoubs la violance
De mes ardants souspirs : si qu’un jour seulement
M’est un siecle d’ennuie, tant son esloignement
Est fascheux à mon ame à ses loix asservie :
Mais ja le jour se leve, et l’aurore suivie
Du Soleil renaissant qui tout honteux reluit,
Des-ja fait escarter les flambeaux de la nuit :
Allons dans ces forests où le Beger Silvandre
Battu de mes rigueurs a coutume d’espandre
Les larmes de ses yeux, et tristement nommer
Cruelle, ma beauté qui le sceut enflamer ;
Quittons l’aigre selour de ces tristes campagnes,
Et solitaire hantons ces bois et ces montagnes,
Possible le verray-je en quelque antre moussu,
Ou au pied d’un rocher superbement bossu,
Lascher mille souspirs, et d’une voix plaintive
Exprimer sa langueur ; ou couché sur la rive
De quelque clair ruisseau, attandre que la mort
Estouffe son martire, ou qu’il change de fort.


Scène 2

Silvandre, Cléande.
Silvandre

Il est temps de mourir puis que mon homicide,
Imployable à mes vœux, inhumaine et perfide,

Se rit de mes travaux, et se paist de mon dueil.
Mourir ? ouy il le faut, et vaincre son orgueil
Par ma fidelité : impiteuse Cleande,
Enfin il faut helas ! que mon urne te rende
Son amoureux trbut, il le faut, mais pourquoy ?
Pour estre inviolable en ma pudique foy,
Toutes fois satisfait je me meurs : ha ! cruelle,
Est-ce donc le loyer d’une amitié fidelle ?
Mais soit, mourons.

Cléande

Mais soit, mourons.J’entends une plaintive voix,
Serait-ce toy Silvandre ? ouy, c’est luy, je le vois,

Silvandre

Heureux trois fois ce tour le dernier de ma vie !
Mais qui t’ameine icy, belle et fiere ennemie ?
Est-ce pour voir mourir ton fidelle Berger ?

Cléande

Te voir mourir Silvandre, ha ! non, ains t’alleger.

Silvandre

Toy alleger mon mal ? belle victorieuse
He ! ne rangreges plus ma playe langoureuse,
Et vois comme fidelle à tes pieds abbatu,
Par le fier desespoir tristement combatu,
Je cede à la douleur, pour conserver entiere
La foy qui retenoit mon ame prisonniere

Au joug de ta beauté, et que ton fier mespris
N’a peu glacer le feu dont mon cœur fut espris,
Si tost que ton bel œil je fit Roy de mon ame.

Cléande

Silvandre que dis-tu ? moy mespriser ta flame,
Moy payer de rigueur ta ferme loyauté,
Et punir d’un desdain que tu n’as merité
Ton pudique defis ? tu te trompe.

Silvandre

Ton pudique defis ? tu te trompe.He ! ma belle.
Je me trompe, comment ?

Cléande

Je me trompe, comment ?Je ne suis point cruelle,
Ains piteuse à tes vœux

Silvandre

Ains piteuse à tes vœuxPiteuse, ha ! que dit-tu ?

Cléande

Silvandre, il est ainsi que mon cœur abbatu
Soubs les pieds de l’Amour n’a plus d’obeissance,
De vie et de desirs, et bref point de souffrance
Que pour toy, mon souci ; j’en adjure le Ciel.

Silvandre
Ne jures point ma belle, ô parolles de miel !

O favorables Dieux ! ô heureuse journee !
Où je vais ma langueur doucement terminee,
Au point que la rigueur de mon fier ennemy
Me desroboit mes jours obscurcis à demy :
Mais est-ce toy, Cleande, ou si c’est vite feinte ?
Arriere sain soupçors et importune crainte,
Qui aigris la douceur de mon contentement,
Enuieuse qu’Amour finisse mon tourment.
Mais allons, ma Cleande, en un prochain nuage,
Où des cristal qui murmure enfuyant,
Va des poignants soucis les cœurs desennuyant,
Là je te conteray, belle et douce ennemie,
En quel point ton amour avoit reduit ma vie.


Scène 3

Philis, Calidon.
Philis

Insensé fut celuy qui premier hommagea
Cest aveugle titan, et qui premier rangea
Sa douce liberté au joug de sa puissance :
On cesse d’estre Roy de son obeissance,
Si rojt que ce cruel ennemy du repos
Par le trait d’un regard se glisse dans les os.

De moy je ne crains point ses feux ny ses sagettes,
Car je tiens soubs ma loy mes volontez subjectes,
Nul ne va maitrisant mon pudique desir,
Et mon ame se paist de tout chaste plaisir :
Ores par le sentier d’une ombreuse ramee,
J’entretiens mes pensers, or mon ame charmee
Par le doux gazouillis d’un million d’oyseaux,
Qui au plasant murmur des gazouillardes eaux
Marient leurs accords, au sommeil se relache,
Ores quand le Soleil vers l’Occident se cache,
Mon œil espris admire un œillet rougissant,
Une roze vermeille, ou un lis blanchissant,
Tantost l’esmail nouveau d’une verte prairie,
Tantost d’un beau verger la richesse fleurie ;
Ainsi libre des nœuds de ce volage Amour,
Entre mille plaisirs je vois couler mon jour.
Toutesfois la douceur de la gaye verdure
S’enaigrit par les loix de ceux à qui nature
Oblige mon vouloir, car il me faut ranger
Soubs leur cruel desir pour un sascheux Berger,
Sot, s’il croit que je l’ayme, et toutes fois mon ame
Feint de brusler pour luy d’une amoureuse flame :
Ainsi le veut helas ! la rigueur de mon fort.

Calidon

Las ! quand ancrerez-vous à un paisible port
La nef de mon desir, et quand sur le nuage
Me verrai-je à l’abri des vents et de l’orage,

O beautez qui filez la trame de mon jour ?
Ou quand me rendrez vous plus heureux en amour,
Philis mon cher souci, ma vie et mon idolle ?

Philis

Tu rougis Calidon et tu perds la parolle,
Tu trembles.

Calidon

Tu trembles.C’est d’amour, mais las ! qui ne craindroit
Les esclairs de tes yeux, et qui ne se rendroit
Tributaire et vaincu aux doux traits de ta veue ?
Et qui vit dans ce bois que ta beauté ne tue ?
Celuy qui esclairé du beau jour de tes yeux,
Voit libre et sans amour la lumiere des cieux,
Est indigne de vivre ou a l’ame de roche,
De qui jamais l’amour ny le plaisir n’approche.

Philis

Ains on le doit juger d’un esprit bien posé,
Qui aux charmes d’Amour sainctement opposé,
Triomphe des appas dont la douce puissance
Donne à nulle douleurs une amere naissance.

Calidon

Mais qui vaincroit un Dieu tousjours victorieux ?

Philis
Celuy de qui l’aspect ne se roulle ocieux

Dans un sale repos, ains qui par les campagnes,
Dans les herbeux valons, et dessus les montagnes
Fait paistre ses brebis, ainsi hors de prison
Il paie doucement sa plus verte saison.

Calidon

Mais que peut un Berger avecque sa houlette,
Puis que Jupiter cede à sa douce sagesse,
Et Mars environné de mille bataillons,
S’empestre aux doux liens des dorez crespillons
De la belle Cipris, Pan dans les forests sombres,
Neptune soubs les eaux, et dans les noires ombres
De l’Enfer tenebreux Pluton mesme ressent
Les traits de ce vainqueur qui le vont traversant ?

Philis

C’est en vain Calidon que ton ame s’efforce
D’alecher mes desirs soubs la pipeuse amorce
De ce Dieu presumptif, car je n’estime pas
Qu’il y ait dans le Ciel, dessoubs l’onde, ou là-bas,
Un Dieu si ennemy de l’honneur des Bergeres.
Estouffe tes desirs à l’Amour tributaires,
Et reprands desormais ta douce liberté.
De moy je ne cognois autre divinité
Que la chaste Diane idole de mon ame,
Que seule à mon secours dans ce bois je reclame :
Mais, adieu, Calidon, l’heure me va pressant,
Dissipe les ennuis qui te vont oppressant,

Chasse ce triste soin qui lime ta pensee,
Et releve ton ame indignement pressee
Soubs la fiere langueur qui trouble ton repos :
Mais ne te flatte point, et dessus mes propos
Ne fonde aucun espoir, car jamais mon envie
Ne sera soubs le joug de l’Amour asservie.

Calidon

Ha ! Philis, ô Amour ! impitoyables Dieux !
Pourquoy me forcez-vous d’idolatrer les yeux
De l’ingrate Philis ? Philis de qui la veue
Par le trait d’un regard me ravive et me tue ?
Si un captif respire aux nuits de sa prison,
C’est par l’espoir flateux dont la douce poison
Enchante ses soucis : mais las ! ceste inhumaine
Me desfend d’esperer allegeance à ma peine ;
Ha ! que ne fut le jour ma captivité
Le dernier de ma vie, ou pourquoy sa beauté
Qui me tient asservie ne me parut moins belle,
Ou que n’est son vouloir moins farouche et rebelle
Aux douces loix d’Amour ? Ha ! fort malicieux,
O Ciel impitoyable ! ô Amour enuieux !


Scène 4

Satyre
Espris d’un nouveau feu qui devore mon ame,

En vain à mon secours mon vainqueur je reclame,
Il est fourd à ma plainte, et se rit de mon dueil.
Plus comme auparavant le timide Chevrueil
Ne s’eslongne de moy d’une fuite legere.
Je ne crains plus les coups de ma fureur premiere,
Je sautelle folastre, et viande sans peur,
Cependant que l’Amour se repaist de mon cœur :
Les rochers, les forests et les antres sauvages,
Les vallons, les taillis, les preds et les rivage.
Des murmurants ruisseaux renforcent mes ennuis,
Par le ressouvenir de ce qu’ores je fuis :
Car jadis lors qu’Amour le Roy de rna pensee
N’avoit encor, helas ! mon ame traversee
Par le trait du bel œil seul Astre de mes yeux,
Je vivois mille fois plus contant que les Dieux
Qui là haut dans le Ciel se paissent d’Ambrosie :
Mais ores qu’un desir a mon ame saisie,
Le va, je viens, je cours, ça et là vagabond,
Nuit et jour devoré d’un souci qui profond
Dissipe le repos de mon ame captive ;
Jadis je reposois dessus la mole rive
Du cristal dont l’argent roule parmy ces prés
De mille belles fleurs doucement diaprés,
Et maintenant, ô Ciel, je ne trouue allegeance
Au souci qui me point, qu’en la ressouvenance
De la belle Cleande : ha ! nom tu m’es plus doux
Que le miel : mais helas ! Cleande où estes vous ?
Cleande mon soucy, faut-il que mon martire
Par vostre souvenir cruellement s’empire,

Et qu’insensible au dueil qui trouble mon repos,
Vous mesprisiez farouche et mes tristes sanglots,
Et les pleurs de mes yeux, Er mes justes complaintes ?
Serez vous point touchee aux piteuses attaintes
De ma fiere douleur ? he ! faut-il qu’un Berger
Possede seul vostre ame, et qu’il puisse ranger
Au pouvoir de sa loy vostre douce franchise ?
Que son cruel vouloir toujours vous tiranise ?
Venez voir ma Bergere un qui se meurt pour vous,
Et qui ne craint rien plus que l’injuste courroux
Dont vostre œil (ennemy de ma flame nouvelle)
Faudroye les desirs de mon ame fidelle ;
Le jour que le Soleil fait luire dans les cieux,
M’est mille fois moins cher que celuy de vos yeux.
Si je vis, c’est pour vous, vous ma plus douce vie.
Que si vous ne foulez mon amoureuse enuie
Soubs les pieds du desdain, j’ay un antre mossu,
Au solitaire pied d’un vieux rocher bossu,
Où le Soleil ne luit qu’à travers les fueillages ;
Un argenté ruisseau coule emmy ses rivages
Doucement esmaillés de mille belles fleurs,
Qui estalent au tour à l’enuy leurs couleurs ;
Vous en serez maistresse, et Royne de mon ame.
Or vous adoucirer la rigueur de la flame,
Oies par un soubris, ou d’un traict de vostre œil
Vous ferez au plaisir ceder mon triste dueil ;
Mais en vain je reclame Amour et ma Deesse,
Possible ce Berger entre ses bras la presse,
Hume le doux Nectar de son corail jumeau,

Et (ô jaloux penser) possible dedans l’eau
De sa douce Cipris estaint la flame ardante
De l’amoureux desir ô rage violante !
O malheur ! ha ! Berger si je te puis tenir,
Slvandre trop heureux, ha ! triste souvenir,
Silvandre possesseur, ha ! cruelle parole,
Possesseur, est-il vray ? ha ! ce penser m’affole,
Quoy que ce fort, Silvandre amoureux du bel œil
Idole de mon ame et subject de mon dueil,
Si je te puis tenir emmy ces forests sombres,
Tu yras courtiser quelque autre soubs les ombres,
Des Mithes d’Elisée. Ha ! en combien de parts
Tes membres deschire ; de çà de là espars,
Seront par moy tirez ? Tes cris ny tes prieres
Ne sçauroient adoucir les violances fieres
Du mal que tu me fais en moissonnant le fruit
Que pour moy seulement Amour avoir produit.
Mais c’est trop retardé, le dueil qui me possede,
Fors qu’au point de sa mort, n’a de plus doux remede.
Allons, cherchons, courons. pour atraper celuy
Dont l’injuste bonheur rangrege mon ennuy :
Que le jour plus luisant que l’horreur des tenebres
Ne donne aucun relache à mes plaintes funebres,
Du repos ! mon ame, et de treve à mon mal,
Jusqu’à ce que je trouve (ha ! souvenir fatal)
Ce Berger qui me tue : alors la fiere rage
Qui me ronge le cœur, qui me lime et saccage,
Cedera au repos d’un paisible sommeil,
Apres avoir vaincu par Amour le Soleil

Qui me cache sa flame, alors pompeux de gloire
Je chanteray contant mon heureuse victoire


Scène 5

Tirsis

En quel point de douleur Amour m’as-tu réduit ?
En quel Cahos de dueil, en quelle ombreuse nuit
De renaissants soucis, de pensers homicides,
Et d’ingrats souvenirs, en quels gouffres humides
De larmes et de maux as-tu plongé mon cœur ?
Cruel, impitoyable et superbe vainqueur,
Donc parce qu’à tes loix mes volontés fidelles
N’ont jamais à ton joug paru d’un point rebelles ;
Donc parce qu’idolatre aux pieds de ton autel,
J’ay rendu tributaire à ton nom immortel
Les plus libres desirs de ma douce franchise :
Donc parce qu’un bel œil dans ta prison m’atise.
Bref, parce que je vis esclave de ta loy,
Et captif du bel œil mon Soleil et mon Roy ;
Tu lasches sur mon cœur les foudres de ton ire,
Comme si mes soucis estayoient ton empire,
Comme si pour gratter ta loy dedans nos cœurs,
Il falois les ouvrir par les traits de douleurs ;
Ha ! que ne fut le jour de ma triste naissance
Celuy de mon tombeau ? ou pourquoy l’influance

De mon astre ascendant ne rendit mon vouloir
Rebelle au joug cruel de ton tiran pouvoir ?
Mais ce n’est point de toy que mes maux ont leur source,
C’est de Silvie helas ! plus farouche qu’une Ourse,
Plus superbe qu’un Paon, plus muable cent fois
Que les flots de la mer, ou les fueilles des bois,
Et plus rude aux desirs de mon ame amoureuse
Qu’un chardon espineux : c’est de ce ceste impiteuse
Que mes maux ont naissance, et par elle sur moy
Pratiquent nuit et jour leur tirannique loy,
Assaillent mon repos, me livrent mille alarmes,
Et soubs les tiedes flots de mes piteuses larmes
Engloutissent mon ame, et bref, font de mon œil
Un funeste ruisseau de larmes et de dueil ;
C’est d’elle, non de toy, que la pointe effielee
D’un juperbe mespris fit prendre la volee
A mon jour vers le soir, d’où un espoir flateur
Le retira soudain, las ! c’est de sa rigueur
Que l’homicide trait blessa trois fois mon ame :
Et il semble pourtant qu’ores je la reclame,
Que pour guérir ma playe il mefaille courir
Vers celle qui me fait injustement mourir.
Ha ! non j’ay trop souffert ; sa rigueur et ma peine
Sont à l’extremité ; face ceste inhumaine
Que son œil soit armé d’un injuste mespris,
l’estaindray le brasier dont mon cœur est espris,
Je reprendray... helas ! tu n’as point de puissance,
He ! comment retirer ta serve obeissance
Du joug de ses beautez, si tu n’as plus de cœur,

D’ame et de volonté ? Je pasme de douleur,
Je me meurs, hé ! ô Ciel ! Il faut donc, ma Silvie,
Que j’aille limitant la course de ma vie
Aux nœuds de ta prison, il faut donc que ton œil
Soit l’unique flambeau qui m’esclaire au cercueil :
Mais, que n’est ton regard ou moins cher à mon ame,
Ou plus doux au desir dont l’agreable flame
Me brusle nuit et jour : et que n’est ta beauté
Propice aux chastes vœux de ma fidelité ?
Helas ! il ne se peut, ton ame est insensible
Aux doux traits de l’Amour, et un lion (possible)
Auroit plus de pitié que ton cœur, mille fois
Plus sourd qu’un vieux rocher qui se rit des aboys,
Et du choc ondoyant des vagues courroucees,
Contre son pied boueux par l’Aquilon poussees.

Mais à quoy me resoudre à ceste extremité,
Dois-je rompre les fers de ma captivité,
Ou si je dois forcer ma serve obeissance
De gemir soubs le joug d’une triste souffrance ?
Languiray-je tousjours soubs l’amoureuse loy ?
Non, mais qui pourra donc alleger mon esmoy ?
Non, mais qui pourra donc alleger mon esMoy.
Toy, ha ! fille de l’air, ta puissance est trop vaine,
Mais que dois-te esperer de ma belle inhumaine ?
Mais que dois-te esperer de ma belle inHaine.
Cruelle est-ce ainsi donc que tu veux alleger
Le soin dont je me sents et nuit et jour ronger ?
Est-ce ainsi que tu veux adoucir mon martire ?

Mais que deviendra-t-il soubs l’amoureux empire ?
Mais que deviendra-t-il soubs l’amoureux emPire.
Donc, je seray tousjours du trait d’Amour espoint,
Et ma fiere langueur ne s’alentira point ?
Et ma fiere langueur ne s’alentira Point.
Echo, Nymphe des bois, s’il est vray que Narcisse
Ait le premier forgé ton amoureux supplice,
Que l’injuste desdain de son œil ton vainqueur
Ait ton jeune printemps asseché de langueur,
Favorable aux desir de mon ame asservie,
Dis, que dois-je esperer de ma belle Silvie ?
Dis, que dois-je esperer de ma belle SilVie.
Donc, ainsi qu’une fleur mon cœur espanouy,
Sera pur le beau jour de son œil rejouy ?
Sera pur le beau jour de son œil rejOuy.
Mais qui dissipera la puissance cruelle
Du mal dont la rigueur à mon ame est mortelle ?
Du mal dont la rigueur à mon ame est mortElle
Donc ma Silvie ira mon espoir relevant,
Et quel sera le fruit que je vay poursuivant ?
Et quel sera le fruit que je vay poursuiVent.
Et sa fin du desir qui nuit et jour m’affole ?
Et sa fin du desir qui nuit et jour m’afFole.
Ha ! fort impitoyable ! ha ! trop superbe idole,
Dont la rigueur me tue alors que sa beauté
Me fait vivre ! d’Amour injuste cruauté !
Et toy fille de l’air qui te rie de ma peine
Face toujours le Ciel ton esperance vaine.

ACTE III


Scène 1

Silvie, Tirsis.
Silvie

Inutiles pensers dont l’agreable erreur
Repaist d’un foible espoir les desirs de mon cœur,
Sorciers des fiers soucis dont les pointes meurtrieres
Font couler de mes yeux deux pleureuses rivieres,
Las ! que vous m’estes chers, et combien m’estes vous
Aux nuicts de mon Soleil agreablement doux !
Vous faictes que mon ame un air plus doux respire,
Par vos charmes trompeurs decevant mon martire :
Par vous je vois reluire à mes jours obscurcis,
L’Astre dont la clarté dissipe mes soucis ;
Par vous cest œil vainqueur d’un doux trait de sa veue
Rebouche les efforts du regret qui me tue ;
Bref, par vous, doux pensers, mon seul et cher recours,
La Parque va filant la trame de mes jours.
Je scay bien que deceuz en voz vaines idoles,
Mes jours infortunee avecque mes paroles

Coulent d’un mesme train, et qu’en me decevant,
Le fruit dont je me pais n’est rien plus que du vent,
Toutes fois ces erreurs allegent ma douffrance :
Mais, où luis-tu, cher astre et ma douce esperance ?
Pourquoy vas-tu cachant ta lumiere à mes yeux ?
Pourquoy me prives-tu du jour victorieux
De ta chere beauté ? Donc le trait de ma plainte
N’a point blessé ton cœur d’une piteuse artainte ?
Tu es donc immobile aux assauts de ma voix,
Et tout ainsi qu’un pin (superbe orgueil des bois)
Se moque des Zephirs dont les foibles haleines
Ne peuvent esbranlers ses perruques hautaines :
Tu te ris des efforts dont je me sers en vain
Pour rebouchez les traits de ton cruel desdain,
Ha ! trois et quatre fois Silvie infortuner,
Silvandre impitoyable, et triste la journee
Qui me fit voir tes yeux voleurs de mon repos,
Yeux pourtant mes Soleils. Mais changeons de propos,
J’entends du bruit.

Tirsis

J’entends du bruit.Amour, quand verray-je ma belle
Effacer la douleur de mon ame fidelle ?
Quand verray-je son œil lassé de mes travaux,
Boucher piteusement la carriere à mes maux ?

Silvie

Alors que le soleil n’aura plus de lumiere,
Que le Rosne escumeux d’une ondeuse carriere

Pouffera contre-mois ses flots audacieux,
Et qu’on ne verra plus reluire dans les cieux
Les flambeaux de la nuit.

Tirsis

Les flambeaux de la nuit.Ha ! combien son absence
Rengrege mes ennuis, dont la fiere insolance
Se joue de mon cœur (tout ainsi que le vant
Du sable revoqué). Ha ! espoir decevant,
Qui promets à mon dueil une prompte ruine,
Que ne puis-je revoir ceste beauté divine,
Beauté qui seule peut par le trait de ses feux
R’asserener le jour de mon cœur soucieux ?
Que ne puis-je revoir ceste belle ennemie,
Ou perdre avec sa veue et mon dueil et ma vie ?
Silure.

Silvie

Que veux-tu importun ? me voicy.

Tirsis

Belle, pardonne-moy, la rigueur du souci
Qui me tient en langueur pour toy, ma belle Idolle,
Et la pudique ardeur du desir qui m’affolle,
Me font te reclamer.

Silvie

Me font te reclamer.Pourquoy.

Tirsis

Me font te reclamer. Pour quoy.Afin, helas !
Que ton bel œil me tue, ou me donne soulas !

Silvie

Vis ou meurs, ne m’importe, et rien de moy n’espere,
Que haine, que mesprit ; que desdain, que colere,
Equitables vengeurs de l’importunité
Dont tu viens rengreger mon infelicité.
Si tu souffres pour moy, pour un autre je souffre :
Par ainsi je ne puis te relever du gouffre
Où temerairement ton amour t’a plongé,
Disipe, si tu peux, le soin par qui rongé
Tu vas pour moy semant des larmes inutiles.

Tirsis

Doncques les foibles traits de mes plaintes debilles
Ne pourront de pitié ta fiere ame toucher,
Silvie, au feu d’amour insensible rocher :
Donc au pied du desdain foulant mon sacrifice,
Tu rendras mon amour jouet de ta malice.
Tirsis, Tirsis, c’est trop injustement souffert.
Triomphons de l’amour, puis que l’amour nous pert,
Abbatons ces autels où ceste vaine idole
Prenoit jadis les vœux du desir qui m’affole,
Brisons ces tristes fers qui enchaisnoient mon cœur,
Et n’ayons que mespris pour ce bel œil vainqueur.
Puisqu’il n’a que desdain pour mon ame fidelle :

Choisissons une idole et plus douce et plus belle,
Plus belle, que dis-tu ? ha ! Tirsis, le Soleil
Au point de son midy n’est seulement pareil
Aux esclairs de ses yeux, les beaux soleils du monde.
Quoy ? n’as-tu jamais veu Phœbus sortant de l’onde
Honteux, rougir au point que cest astre jumeau
Lance ses clairs rayons devers son front moins beau ?
Fuyez donc loin de moy inutilles pensees,
Et ne recueillez plus les fureurs insensees
Du regret qui me tue au trisle souvenir
De ma belle inhumaine. Helas ! je voy ternir
Mon plus nouveau printemps pour une belle ingrate,
Sans espoir de secours, toutes fois je me flate
Et pense que le temps adoucira l’aigreur
De ce beau fruit d’amour subject de ma langueur.
Mais ô debile espoirs puis que la violance
De mon soin renaissant redouble as puisance,
Et qu’il faudra bientot soubs le triste tombeau,
De mes jours desastrez estaindre le flambeau !
Au moins si finissant la course de ma vie,
Un doux trait de pitié touchoit mon ennemie.
Las ! cela ne se peut, sa fiere cruauté
Marche d’un train esgal avecque sa beaute.
S’elle estoit moins parfaicte, he ! possible son ame
Sensible au doux pouvoir de l’amoureuse flame,
Auroit plus de pitié. mais, ô Dieux ! cependant
Que je souspire en vain, à son triste Occidant
Mon jour est arrivé, et toy belle inhumaine,
Insensible à mon dueil tu te ris de ma peine ;

Soit mourons ; toutes fois si je finis mon jour,
Sçachez, Bergers, que c’est par un exceds d’Amour.


Scène 2

Silvandre

Où luys-tu, cher Soleil, mon ame et mon idole ?
Viens alantir l’ardeur du desir qui m’affole.
Ha ! Silvandre, tout beau : que la discretion
Ne cede point aux traits de ton affection !
Mais, où es-tu Cleande ? hélas ! que ton absance
Est fascheuse à mon cœur que se paist d’esperance !
Le jiour le plus luysant m’est une ombreuse nuit,
Depuis que ton bel œil dessus moy ne reluit,
Le soin de mon troupeau de mon ame s’estrange,
Et mon œil jà tari en fontaine se change ;
Le murmure enroué de ce cristal perleux
Ne m’est plus agreable, et cest esmail fleureux,
Dont ce beau pré se pare au lever de l’aurore,
Me plaist encore moins : un souci me devore,
Un desir de te voir s’est fait Roy de mon cœur,
Et moy en ton absance esclave de douleur.
On n’oyt plus retentir au son de ma musette
Ces ombreuses forests : ton souvenir m’arreste
En ce seul point d’espoir de voir reluire encor
Toy, ma belle Angelique aux yeux de ton Medor.
Plus sur l’esmail pourprin de ces herbeux rivages
Je n’hume la douceur de ces ombreux fueillages,

Plus les antres mossus, ny les taillis plus beaux,
Ny les airs fredonne ; de mille et mille oyseaux,
D’un seul trait de plaisir ne chatouillent mon ame :
Toy seule à mon fecours à tour point je reclame,
Comme le seul subject d’où coulent mes plaisirs,
Subject dont la beauté fist naistre mes desirs.
Mais pendant que je seme ainsi que sur l’arene
D’inutiles discours, ma langoureuse peine
Redouble ses affauts, et mes tristes sanglots
Aigriffent le souci dedans mon ame enclos :
Toutes fois cher Soleil ta lumiere esclipsee
Luit seulement aux yeux de ma triste pensee.
Je ne sens pas le trait de ton bel œil vainqueur
D’une pointe de miel me traverser le cœur :
Je me meurs de langueur ; fors quand mon ame vole
Sur aisle d’un souspir vers toy, ma belle idole :
Mais jà deux fois l’Aurore au bord de l’Oriant
A fait luire les rais de son œil doux riant,
Le Soleil par deux fois a esclairé le monde,
Et deux fois replongé son char doré dans l’onde,
Sans que ton œil jumeau, cher astre de mes yeux,
Ait chassé les ennuis de mon cœur soucieux.
Las ! mais s’il est donc vray que tu rn’aymes, Cleande,
Pourquoy vas-tu souffrant que mon ame respande
Tant d’inutiles pleurs ! si que mille souspirs
Donnent air à l’ardeur de mes bouillants desirs ?
Pourquoy vas-tu souffrant que ma plainte eslancee
Ne touche de pitié ta legere pensee ?
Legere, ha ! qu’ay je dit ? belle pardonne moy :

Mais qui ne cederoit au violent esmoy
Qui me ronge le cœur loin de ta chere veue ?
Viens donc puis que la nuit de ton beau jour me tue,
Viens puis qu’un seul moment coulé loin de tes yeux
M’est vn siecle d’ennuis tristement soucieux :
Mais tarissons ces pleurs qui mouillent mes paroles,
Allons voir ces beautés mes plus cheres idoles,
Qui sur le bord herbeux d’un argenté ruisseau
Au doux air de leur voix font paistre leur troupeau.
Possible le destin, de mon desir complice,
Me les fera revoir : Amour, sois moy propice.


Scène 3

Cléande, Silvandre, Satire.
Cléande

Douce et chere langueur qui loin de mon soleil
Chasses et nuit et jour de mes yeux le sommeil,
Donne tresve a mon mal, et toy belle escumiere
Qui rends dessous ta loy mon ame prisoniere
Assoupis mes ennuis, et calme ma douleur,
Pendant que mon troupeau soubs l’ombreuse frescheur
De ce bord verdoyant broutera l’herbe tendre.

Silvandre

Mes yeux (ainçois ruisseaux) cessez enfin d’espandre

Ces larmes dont le cours inutile à mon dueil
Trame avec joy mes jours dans le triste cercueil,
Disipez doucement ceste pleureuse nue,
Rasserenez le jour de vostre sombre veue,
Et r’appelel (mes yeux) vos regards esgarez :
Et ton triste tableau où mes maux peinturez
Tesmoignent que mon ame aux langueurs asservie
Ne respire que l’air d’une amoureuse enuie,
Mon front deride toy puis qu’il faut que le fort
Bleffe aujourd’huy mon cœur du noir trait de la mort,
Ou que de mon Soleil la clarté desiree
Dissipe mon ennuy dont la force empiree
Me foule soubs les pieds de sa fiere rigueur.
Las ! mais ne vois-je pas ce bel astre vainqueur
Que le charme adouci du repos ensorcelle,
Sur le bord esmaillé de ce flot qui ruisselle ?
Beau Soleil qui fais naistre et mourir la clarte,
Vis-tu rien de pareil à la douce beauté
De ce teint où le lis se mesle avec les roses,
Par les mains de l’Amour mignardement escloses !
Vis-tu rien de pareil à ce corail jumeau
Dont l’aimable douceur peut tirer du tombeau
Ceux qu’un excez d’Amour auroit privé de vie ?
Vis-tu rien de pareil à ma belle ennemie ?
Vis-tu rien de si beau que ce double sourcy,
Qu’une Ebene voutee a doucement noircy ?
Bref, vis-tu rien d’esgal à ce front, où la grace
Avecque mille attraits mignardement se place ?
Non, car les beaux rayons de ton œil, Dieu du jour,

Cedent aux doux regards du sien, Astre d’Amour,
Soleil donc cache-toy, sirost que mon aurore
Defermera ses yeux, chers soleils que j’adore ;
Car leur douce clarté, dont mon dueil est destruit,
Te vaincra, comme toy les flambeaux de la nuit.
Mais ceste douce, belle et trop aimable Idole,
S’est esveillée enfin au son de ma parole.
Allons, Silvandre, allons alleger nos ennuis,
Et changer en beaux iours nos langoureuses nuits.
Cleande, il est donc vray que tu dors à l’ombrage,
Cependant que l’Amour d’un langoureux orage
Bat mon trisle repos pour ta chere beauté,
Tu dors en cependant que mon cœur agité
De mille soings divers je meurt loin de ta veue.

Cléande

Ha ! ne me blasme pas, si mon ame batue
Des alarmes d’Amour, a permis au repos
De verser doucement son charme dans mes os ;
Car bien que le sommeil ma paupiere ait baisser,
Ton souvenir pourtant n’a quitté ma pensee,
Car Amour qui jadis sceut si bien à mes yeux
Peindre les doux attraits de ton œil gracieux,
Lors que ton souvenir triomphe de mon ame,
A pendant mon repos avec un trait de flame
Gravé sur mes pensers la beauté de ton œil,
Œil dont les doux appas ensorcellent mon dueil,
Œil qui tient soubs sa loy ma franchise asservie,
Bref, œil à qui je rends ma tributaire vie.

Silvandre

Les tributs, cher Soleil, sont deubs tant seulement
A vous, de qui je tiens le vital mouvement,
A vous qui captivez d’un trait de vostre veue
Le ciel, l’onde, et la terre à vos pieds abatue.

Cléande

Ces triomphes, Silvandre, ont moins de vérité,
Que ton ame pour moy de bonne volonté.
Si jçay-je toutes fois que mon obeissance
Ne cognoist autre loy, ny vue autre puissance
Que celle de ton œil, dont le mien esclaircy
Ne voit que par luy seul : mais dis-moy, mon souty,
Quel favorable Dieu, propice à mon enuie,
T’a conduit sur ce bord ?

Silvandre

T’a conduit sur ce bord ?Amour, Roy de ma vie,
Amour qui me retient au joug de ta beauté,
Eslongné de moy-mesme et de ma volonté.
Amour, c’est luy sans plus ; mais à belle inhumaine !
Quand disiperas-tu ma langoureuse peine,
Et le dueil qui m’oppresse en ta chere prison ?
Ne dois-je pas enfin recevoir guerison
Au mal que tes beautez ont fait naistre en mon ame ?
Croiray-je que l’ardeur d’une amoureuse flame
Te brusle ainsi que moy ? helas ! s’il est ainsi,
Pourquoy ne chasses-tu mon langoureux souci ?

He ! au moins que je gouste un peu de l’Ambroisie
De ton corail jumeau doux sejour de ma vie.

Cléande

Le Ciel fera bien tost jaunir nostre moisson,
Silvandre, toutes fois pour vaincre ton soupçon,
Prends (bien qu’avant le temps) ce que la loy pudique
De l’honneur te permet.

Silvandre

De l’honneur te permet.Douce et belle angelique,
Mon cher desir qui tient sa naissance de toy,
Ne secoua jamais le joug de ceste loy,
L’honneur est mon object et l’astre qui me guide ;
Ne doute doncques pas, belle et chere homicide,
Si je vis c’est pour toy, et ton chaste plaisir
Est le seul et doux frein qui conduit mon desir.

Satire

Impitoyable Amour ! cruelle jalousie !
Furieux desespoir dont mon ame est saisie !
He ! quand cesseras-tu de me ronger le cœur ?
Mais vois-je pas celuy qui moissonne mon heur ?
Ne vois-je pas Silvandre au giron de ma belle ?
O ciel ! ô terre ! ô mer ! ha ! Cleande cruelle !
Ha ! homicide veue ! allons c’est trop tardé,
Ha ! Berger dont le front mignardement fardé
Charme les yeux de celle en qui ma laide face

Fait naistre à mon mespris une orgueilleuse audace :
Si le ciel maintenant favorable à ses vœux
T’a rendu plus que moy en Amour bien heureux,
T’eslevant vers le ciel object de mon offrande,
C’est pour rendre ta cheute et plus lourde, et plus grande.
Mais à quoy ces discours ? Il faut enfin mourir,

Silvandre

Ha ! mon ame où fuis-tu ?

Satire

Ha ! mon ame où fuis-tu ?Tu as beau recourir
Vers celle qui me tue en te donnant la vie,
Tu as beau t’eslongner de ma rage ennemie,
C’est en vain que tu fuis : car il faut à la fin
Que je tranche le fil de ton heureux destin.

ACTE IV


Scène 1

Cléande, Calidon.
Cléande

Chetive, he ! où fuis-tu ? arreste enfin ta course,
Et de tes tristes pleurs debonde encor la source :
Puis que ton soleil luit au point de l’occident.
Et vous, yeux sans clarté, qu’alez vous regardant,
Puis que l’ombreuse nuit d’une absance mortelle
Vous desrobe le jour ? Ha ! Cleande infidelle,
Qui fuis plustost la loy d’une craintive peur,
Que le chaste pouvoir de ce bel œil vainqueur :
Diras-tu que l’Amour triumphe de ton ame ?
Diras-tu que l’ardeur d’une fidelle flame
Alume tes desirs ? Helas ! s’il est ainsi,
Pourquoy eslongnes-tu l’object de ton souci ?
Pourquoy n’as-tu couru en semblable carriere ?
Cleande infortunee, ha ! chetive Bergere !
Maintenant que cest astre esclipsé de tes yeux,
Maintenant que cest œil doucement gracieux,

Ne fait luire sur toy les doux rais de ta veue,
Las ; quel autre Soleil dissipera la nue
De tes fiers desplaisirs ? las ! Mais j’entends du bruit,
Posible mon Soleil vient dissiper ma nuit.
Las ! non, c’est Calidon, cachons-nous soubs l’ombrage
De ces Ormeaux fueilleux.

Calidon

De ces Ormeaux fueilleux.Enfin j’ay fait naufrage,
Mon defir a fait bris contre le fier orgueil
De Philis, en Amour in insensible escueil ;
Ma langueur, mes soupirs, maint deuct sacrifice,
N’a peu rendre à mes vœux sa cruauté propice,
Son bel œil qui estoit mon unique flambeau,
Conduit mes tristes jours au funeste tombeau.
Car pressé du regret d’avoir trainé ma vie,
Au pouvoir de l’Amour sainctement asservie,
Pour l’ingrate beauté qui desdaigne mes vœux,
Je me rends pour tribut au destin rigoureux.
Mais paravant que voir de ma triste journee
Au point de l’occident la carriere bornee,
Je veux dessus le front de ce jeune arbreau,
Graver ces trystes vers : Philis fut le flambeau,
Dont la beauté jadis attisa mon envie,
Maintenant sa rigueur triomphe de ma vie.
Et toy, grand Jupirer, qui tiens dedans ta main
Le trait d’un foudre aigu dont le coup est certain,
S’il est vray que l’encens d’un devot sacrifice

Te rende pitoyable, et bening, et propice,
Maintenant qu’affligé je t’immole mon cœur,
Favorable, oste moy la vie et la douleur.


Scène 2

Cléande, Philis.
Cléande

Quoy mes yeux ? Est-il vray ? ou si ma triste veue
Est par l’object trompeur d’un fantosme deceue ?
Il est donc vray, mes yeux, que Calidon est mort ?
O Amour homicide ! ô cruauté du sort !
Donc un excez d’Amour t’a desrobé la vie ?
Donc pour avoir ton ame à ses loix asservie,
Pour l’ingrate Philis tu meurs à ton resveil ?
Calidon trop fidelle, he ! ton printemps vermeil
Meritoit bien un cours de plus longue duree.

Philis

Ha ! soit trois fois le jour et l’heure bienheuree,
Et bénis tous les Dieux.

Cléande

Et bénis tous les Dieux.Ha ! Philis ce n’est pas
Rendre aux Dieux leur honneur, que donner le trespas.

Philis

Et à qui ?

Cléande

Et à qui ?A celuy qui n’avoit d’autre vie
Que celle que tu as injustement ravie,
Par trop de cruauté.

Philis

Par trop de cruauté.Je ne vous entends point.

Cléande

He ! si ton cœur estoit du trait d’Amour espoint,
Bientost le souvenir de ceste ame fidelle
Luirait dans ta pensee inconstante et cruelle :
Las ! bientost Calidon, miroir de loyauté,
Briseroit le rocher dont la fiere beauté
Rebouche les efforts de la douce puissance
D’Amour, unique Roy de mon obeisance.

Philis

Quoy ? tu m’estimes donc coulpable de sa mort ?

Cléande

Comme la seule cause.

Philis

Comme la seule cause.Et si tel est son fort

Cléande

Nullement, car Amour, de celeste origine,
Est amiable et doux, et jamais ne termine
La course de nos jours, ains la fiere rigueur
De l’abject qui preside aux vœux de nostre cœur ;
Par ainsi ton mespris, idolle de ton ame,
Qui te rend insensible à l’amoureuse.flame,
A fierement coupé par le trait d’un desdain,
Le fil de Calidon.

Philis

Le fil de Calidon.Cleande si soudain
Que ce Berger m’ayma, il eust changé d’envie,
Les Parques fileroient la trame de sa vie,
Il verroi comme nous la lumiere des cieux,
Mais si de son desir le vol audacieux
A rendu sa poursuite et sa cheute mortelle,
Je n’en suis pas coulpable.

Cléande

Je n’en suis pas coulpable.Ha ! parole cruelle !
Philis, viendra le jour que le ciel justement
Vengera le trespas de ce fidelle amant,
Et qu’Amour irrité de ta superbe audace,
Changera les beautez qui luisent sur ta face
En extremes laideurs, pour venger Calidon.
Helas ! non plus senfible à l’amoureux brandon,

Ainçois un rude tronc de qui la froide escorce
N’obeit à l’Amour, dont l’agreable amorce
Alechant ses desirs le repaissait d’espoir.

Philis

Cleande, je ne crains Amour ny son pouvoir,
Mes yeux n’ont point d’object que la chaste Diane,
Elle seule j’adore, et j’estirme prophane
L’hommage que l’on rend à l’impudique Amour.
Mais adieu, c’est trop fait d’inutile sejour
Pour si fiesle subject.

Cléande

Pour si fiesle subject.Va, Philis insensee,
Fuis plus fiere cent fois que la mer courroucee,
Tu sçauras à la fin que peut Amour, vainqueur
Des hommes et des Dieux. Mais où es-tu, mon Cœur,
Silvandre, mon soucy, mon bien, mon tour, ma vie ?
M’auras-tu pour longtemps ta presence ravie ?
Non, car tu ne sçaurois vivre eslongné de moy,
Ny mon cœur respirer, ni ton bel œil, mon Roy,
Ne luit au mien changé en un ruisseau de larmes ;
Reviens donc appaiser ces cruelles alarmes,
Qui troublent mon repos en ton eslongnement,
Ou je croiray qu’Amour ne blesse esgalement
Ton ame, que j’estime à mes fers prisonniere.
Silvandre, à quoy tient-il que ma juste priere
Ne te rende sensible aux traits de la pitié,
S’il est vray que le feu d’une chaste amitié

Te brusle ainsi que moy ? Meviens doncques, mon ame,
Si tu veux que la Parque ourde encor la trame
De mes jours langoureux, car ton eslongnement
M’est une trite mort d’ennui et de tourment.


Scène 3

Tirsis

Lassé de tes rigueurs, inhumaine Silvie,
Je reprends ma franchise à ton joug asservie,
J’estains de l’eau d’oubly ton ingrat souvenir,
Et si jadis ton œil sceur mon cœur retenir
Esclave de ses loix, si ton ame cruelle
Foula soubs le desdain mon offrande fidelle ;
Bref, si je ne receuz aux fers de ta prison,
Qu’un injuste mespris, maintenant ma raison
Marche d’un pied vainqueur sur ton orgueil superbe,
Comme un jeune Chevreuil dessfus le front de l’herbe
Libre je me promene au jour de tes regards,
Sans craindre leurs esclairs, qui jadis comme dard,
Blessoient mon cour captif, maintenant je mesprise
Ton œil qui fut jadis le Roy de ma franchise :
Ces beautés dont l’esclat me faisoit en un point
Vivre et mourir cent fois, ne me consomment point
D’une douce langueur ; leur debile puissance
Ne sçauroit triompher de mon obeisance.
Je fuis seul maintenant Roy de ma liberté,
Et mon ame ne craint que l’Amour irrité

La t’enchaine à ses fers : car mon ferme courage
N’ira plus gemissant soubs un honteux servage,
Et à fin que le temps tesmoigne à l’advenir
Que j’ay victorieux chassé le souvenir
De l’ingrate Silvie, inhumaine et cruelle,
Je veux de mon poinçon sur l’escorce nouvelle
De ce jeune arbrisseau graver ces quatre vers.
Tandis qu’Amour vainqueur soubs le joug de ses fers
A tenu ma franchise et mon ame asservie,
Je n’ay eu pour object que la belle Silvie,
Maintenant mesprisé, je la mesprise aussi.
Allons sacrifier nostre importun soucy
A l’oubly seul vainqueur d’amour et de ses charmes,
Tirsis, sechons enfin la source de nos larmes,
Er sacrons au mespris ceste fiere beauté :
Il est temps de sortir de sa captivité,
Et bannir son ingrate et perfide memoire ;
Allons parmy ce bois chanter nostre victoire,
Foulons souz le desdain les charmes de l’Amour,
Et libres parfaisons le cours de nostre jour.


Scène 4

Silvie, Philis.
Silvie

Agreable langueur, doux effect de l’absence,
He ! quand cesseras-tu d’exercer ta puissance

Sur mon ame fidelle ? Et vous mon beau Soleil,
Quand dissiperez-vous le soucieux sommeil
Qui eschange mes yeux en fontaines de larmes ?
Quand appaiserez-vous ces cruelles alarmes,
Qui assailent mon ame aux nuits de votre jour ?
Silvandre, mon bel astre, he ? serez vous toujour
Esloigné de mes yeux, ou bien tousjours vostre ame
Sera-t-elle insensible à l’amoureuse flame,
Pour celle qui ne vit qu’au jour de vos beaux yeux ?
Silvandre crains-tu point la colere des Cieux ?
Estimes-tu, cruel, que mes larmes coulees,
Tant de tourments soufferts, tant d’offrandes foulees
Soubs les pieds du desdain, n’attirent dessus toy
La vengeance d’Amour, dont la severe loy
Oblige, non la terre à son joug asseruie,
Ains les Dieux de brusler d’une amoureuse envie ?
Mais tu aimes, dis-tu. Ha ! homicide Amour
Qui pousse à l’Occident la fource de mon jour !
Las ! que n’es-tu plus tost une insensible souche,
Qu’aux desirs de mon cœur si rebelle et farouche,
Ou bien que n’a ton œil moins de feux et d’appas !
Ou bref, pourquoy le Ciel ne me livre au trespas,
Sans faire que je vive une mourante vie ?
Mais j’entrevois Philis.

Philis

Mais j’entrevois Philis.Arreste un peu, Silvie.
Puis que le Ciel bening fatisfaire à mes vœux,
Je desire avec toy parmy ces bois ombreux

Voir couler ce beau jour ; allons dedans les prees
De mille belles fleurs doucement diapres,
Ou bien sur ce nuage ombragé d’arbrisseaux,
Là le bruit enroué des gazouillardes eaux,
Là le souffle mulet du printanier zephire,
Qui amoureux des fleurs mignardement souspire,
Fait gonfler la douceur d’un pudique plaisir.

Silvie

Tousjours mon ame suit le train de ton desir,
Ton vouloir est ma loy : allons donc soubs l’ombrage
De ce bord esmaillé, las ! où ce beau visage,
Où Silvandre r avit ma douce liberté,
Astre qui seul reluit en ma captivité,
Mais, helas ! si rebelle à ma fidelle enuit,
Qu’il seroit mieux pour moy de n’avoir point de vie,
Que de languir esclave au joug de sa rigueur.

Philis

Tu ne sçais doncques pas que son œil, ton vainqueur,
Luit ailleurs esclipsé d’une absance lointaine ?

Silvie

Hé ! depuis quand, ô Dieux !

Philis

Hé ! depuis quand, ô Dieux !La fureur inhumaine
D’un Satire cruel l’eslongna l’autre jour.

Silvie

Et Cleande ?

Philis

Et Cleande ?Gémit.

Silvie

Et Cleande ? Gémit.O fiere destinee !
O Ciel injurieux ! Silvie infortunee !
Mais reviendra-t-il point ?

Philis

Mais reviendra-t-il point ?On ne sçait.

Silvie

Mais reviendra-t-il point ? On ne sçait.O Amour !
Pourquoy ne coupas-tu la trame de mon jour
Si-tost que ce Berger captiva ma franchisse ?

Philis

Heureux trois fois celuy qu’Amour ne tirannise !

Silvie

Ha ! Philis, à la fin il faudra que ton cœur
Se range soubs le joug de son pouvoir vainqueur.

Philis

Plus tost sois-je sans vie.

Silvie

Plus tost sois-je sans vie.He ! tu es donc sans ame !

Philis

Ouy sensible au pouvoir de l’amoureuse flame.

Silvie

Ha ! Philis.

Philis

Ha ! Philis.Ha ! Silvie.

Silvie

Ha ! Philis. Ha ! Silvie.He ! ne veux-tu donc pas
Savourer la douceur des amoureux appas,
Par qui seul le plaisir en nos ames distille ?
Tu veux donc n’aimer point ?

Philis

Tu veux donc n’aimer point ?Ami mille fois et mille
Cesser d’estre Philis, plus tost que de ranger
Ma douce liberté soubs le joug d’un Berger.

Silvie

Helas ! si je pouvois comme toy insensible
Voir couler mon printemps ! mais il n’est pas possible
Que le vouloir mortel dompte victorieux
Le pouvoir du vainqueur des hommes et des Dieux.

Cest idole d’Amour dont ton ame est charmee,
En fait un puissant Dieu, dont la puissance armeee
D’inevitablec traits, force mestme les Dieux
De rendre le tribut au joug victorieux
De sa loy inhumaine, ainçois imaginaire,
Cest Amour, dis-je, est moins qu’une vaire chimere :
Que s’il nous va blessant, c’est nostre fol penser
Qui luy forge à tout point des traits pour nous blesser,
Ses feux sont nos desirs dont il tient sa puissance,
Et son aveuglement nostre sotte ignorance.

Silvie

Las ! sitost que je vis ce bel astre jumeau,
Esclairer à mes yeux tout ainsi qu’un.flambeau,
Je sentis sa beauté avecque tant de charmes,
Avecque tant d’attraits, et de si douces armes,
Ravir ma liberté, qu’il ne fut plus à moy
De retirer mon cœur du cher joug de sa loy ;
Je l’aimay, et depuis ceste amoureuse enuie
A fidelle tousjours accompagné ma vie.
Mais jà le Soleil luit au point de l’occident,
Sortons de ces forests, et allons cependant
Que le jour nous esclaire, en ces fueilleux ombrages,
C’est trop longtemps tardé en ces lointains rivages ;
Allons.

Philis

Allons.Hélas ! ô Dieux !

Silvie

Allons. Hélas ! ô Dieux !Leve toy !

Philis

Allons. Hélas ! ô Dieux ! Leve toy !C’est en vain,
Mes pieds sont de rocher, et jà, des-jà, mon sein
S’endurcit, ô Amour ! que juste est ta vengeance !
Ha ! inhumain mespris ! ha ! superbe insolance,
Qui me ravit la vie au point de son resveil,
Ha ! desdain ! ha ! fierté, ha ! rigueur, ha ! orgueil !
Helas ! cher Calidon, mais trop tard, mon idole,
Prends avec ce souspir mon ame qui s’envole
Vers toy, trop justement irrité contre moy.
Et toy Silvie adieu.

Silvie

Et toy Silvie adieu.Ciel ! qu’est-ce que je voy ?
Philis, chere Philis, tu n’as donc plus de vie ?
Ha ! estrange accident, pense à toy donc Silvie,
Et ne sois plus cruelle à Tirsis que l’Amour
A rendu ton esclave, et ne perds point le jour
Pour estre trop farouche. Adieu donc, cher Silvandre,
Car je vay maintenant tributaire me rendre
A Tirsis autresfois l’object de mon mespris :
Je veux que mon desir de son amour espris,
Ne vise que pour luy, et que dessus ma face
L’Amour et la pitié desormais ayent leur place :
Mais le voicy à point, il faut feindre pourtant.


Scène 5

Tirsis, Silvie.
Tirsis

Soleil, vis-tu Berger si heureux et contant,
Depuie que j’ay brisé mon amoureuse chaine,
Mais ne vois-je point là ceste belle inhumaine ?
Armez-vous de mespris mes yeux, et toy, mon front,
Ramasse ton sourcy.

Silvie

Ramasse ton sourcy.Un penser vagabond,
Incertain et craintif, luy glace le courage
Sans doute.

Tirsis

Sans doute.Ha ! c’est en vain que ton pipeur visage
Se cache à mes regards, tu n’as plus de pouvoir
De me paistre du vent d’un amoureux espoir,
Je ne crains plus l’appas de ta pipeuse veue,
Mon ame deformais n’y fera plus deceue.

Silvie

Mais d’où vient que son œil semble orné de desdain,
Et son front de mespris ?

Tirsis

Et son front de mespris ?Je n’ay plus dans le sein
Ce feu de qui l’ardeur me rendoit tributaire
A tes fieres beautés, mon ame volontaire
N’a d’object que celuy qui plaist a mon desir,
Par tout fors qu’en Amour je me pais de plaisir.

Silvie

Il murmure.

Tirsis

Il murmure.Pourtant il faut encore feindre
D’avoir d’Amour pour elle, et tristement se plaindre,
Pour sonder sa rigueur. He ! quand cesseras-tu
De me voir soubs tes pieds fierement abbatu ?
Quand seras-tu, Silvie, ou plus douce ou moins belle ?
Fouleras-tu tousjours mon offrande fidelle
Soubs l’injuste mespris dont ta fiere beauté
Reeompense les vœux de ma fidelité ?

Silvie

Mais quand cessras-tu d’importuner mon ame ?

Tirsis

Quand ton cœur bruslera d’une amoureuse flame
Pour moy, de qui la vie et le contentement
Naist de toy, le Soleil, d’où coule mon tourment.
Helas ! Je suis vaincue.

Tirsis

Helas ! Je suis vaincue.En vain tu me poursuis.

Silvie

Ha ! trop fiere Silvie.

Tirsis

Ha ! trop fiere Silvie.Ha ! cruelle ennemie,
Seras-tu point sensible aux traits de ma langueur ?

Silvie

A la fin, ton Amour triomphe de mon cœur,
Je t’aime, cher Tirsis.

Tirsis

Je t’aime, cher Tirsis.Et moy je te mesprise,
Et ne veux point de toy.

Silvie

Et ne veux point de toy.Donc ce n’est pas feintise,
Doncques tu fuis ingrat, apres que la pitié
A rendu mon vouloir sensible à l’amitié.
Doncques je fuis deceue ; ô ciel ! ô mer ! ô terre !
Que ne suis-je l’object d’un foudroyant tonnerre ?
Ha ! que ne couppes-tu la trame de mes jours,
Imployable destin ? que ne suis-je tousjours

Aussi sourde à ses cris que la mer courroucee ?
Que n’ay-je tousjours en son offrande pressee
Sous les pieds du mespris ? Mais va, ingrat Berger,
Puisse le ciel un jour ta cruauté venger !

ACTE V


Scène 1

Tirsis

O chere liberté, si long temps desiree,
Tu t’es doncques chez moy de rechef retiree,
Tu as enfin brisé les fers de ta prison,
Tu as donc revomy cest amoureux poison,
Qui enchantoit mon ame : heureuse la journee
Que tu es, liberte, devers moy retournee,
Et que ton pied vainqueur j’ay marché sur le front
D’Amour et de ses traits ; maintenant vagabond,
Comme un jeune Chevreuil en fort aimé boccage,
Je me porte où l’ardeur de mon libre courage
Guide mon cher desir franc de captivité ;
Je foule maintenant ceste fiere beauté
Soubs les pieds du desdain : mon ame n’est attainte
Par l’homicide trait d’une jalouse crainte,
Je ne faits plus mourir et revivre l’espoir
Qui retenait mon cœur soubs l’amoureux pouvoir,
Je me ris de ses traits, et de ses foibles charmes,
Un trait de mon mespris peut seul briser ses armes


Scène 2

Satire, Cléande.
Satire

Enfin je l’ay chassé cest object de ma peine,
Qui moissonnoit le fruit de mon attente vaine,
Il est loin, et bien loin de cest astre d’Amour
Qu’il change de desir ainsi que de sejour,
Qu’il renge son vouloir aux loix d’une autre aurore.
Sans se brusler aux rais de celle que j’adore,
Ce beau Ciel de la cour est assez radieux,
Il y verra reluire un million de feux,
Beaux, clairs, estincellans, dont les amoureux charmes
Font doucement quitter aux plus braves les armes.
Qu’il picore les fleurs de mille doux plaisirs,
Il ne m’en chaut : pourveu qu’au but de mes desirs
Il ne guide le cours de sa poursuite heureuse.
Toutes fois combattu d’une alarme peureuse
Il ne reviendra point, plus amoureux de soy
Que de cest œil vainqueur, mon Soleil et son Roy ;
Car le Rosne ondoyant aux sablonneux rivages
A veu dessus son front les craintives images
D’une prochaine mort pallir qon front de dueil,
Et l’Izere escumeux dont le superbe orgueil

Accompagne le cours du Rosne enflé d’audace,
A veu le pale effroy imprimé sur sa face.
Sone, de qui les flots se roulent doucement
A, touché de pitié, coulé plus lentement
Allier et Loire aussi sont tesmoins de sa fuite,
Et la Seine profonde a borné ma poursuite.
Là Silvandre peureux recreu don si long cours,
Esteindra par l’oubly le feu de ses amours ;
Sans doute, et moy vainqueur de ma belle inhumaine,
l’estoufferay enfin ma langoureuse peine.
Allons donc voir Cleande : he ! nom, que tu m’es doux !
Allons enfin calmer l’imployable couroux
De son front, le meurtrier de mon ame emoureuse,
Allons enfin revoir celle belle impiteuse,
Et mourir à ses pieds, si sa chere beauté
S’arme tousjours pour moy d’injuste cruaute.

Cléande

Ha ! Bouc impitoyable et monstre de nature,
Tu m’as doncques ravy la douce nourriture
De mon ame aservie aux lois de mon Berger,
Tu l’as doncques reduit en un bord estranger,
D’où l’agreuble trait de sa plainte amoureuse
Ne pourra point toucher mon ame langoureuse,
D’où l’amaible clarté de ses yeux, mes flambeaux,
Ne pourra soulager les miens, pleureux ruisseaux,
D’où sa voix, cher oracle aux desirs de ma vie,
Ne pourra soulager mon amoureuse enuie !

Ha ! que ne meurs-je, ô Cie ! ou que ne puis-je, helas !
Donner à ce barbare un barbare trespas,
Cesser d’estre Cleande et me changer en ourse,
Pour deschirer ce monstre ! Ha ! larmoyante source,
Mon œil, que t’ont ferut tant de chastes attraits,
Pour captiver Slvandre, et te rendre subjects
Ses pudiques desirs, si ce monstre barbare
Te l’emporte si loin, le ravit et l’esgare ?
Ha ! mon œil autresfois l’unique et doux sejour
Du cœur de ton Silvandre, un second Dieu d’Amour,
Que t’ont servi ces feux, ains victorieux charmes,
Si tu n’as maintenant que d’inutiles larmes ?
Ha ! cille-toy mon œil d’une eternelle nuit,
Puisque ton doux Soleil dessus toy plus ne luit.


Scène 3

Silvandre, Tirsis.
Silvandre

Agreable Soleil qui luis sur l’orison
De la beauté qui tient les clefs de ma prison,
Trois fois je te salue, et vous terre natale
De celle dont l’absance à mon ame est fatale,
Et vous sombres forests, dont l’aimable sejour
Fut le premier tesmoin de mon pudique Amour,

Je vous salue aussi : des-jà ma belle aurore
Luit à mes tristes yeux, à son œil que j’adore
Par les traits d’un regard va dissipant les nuits
Et les mortels assauts de mes tristes ennuis.
Allons mon cher Tirsis.

Tirsis

Allons mon cher Tirsis.Helas ! que ton absance
A fait naistre de maux, d’ennuis et de souffrance
A ta chere Cleande ! un jour tant seulement
Ne s’est coulé depuis ton triste eslongnement,
Que son œil n’ait baigné son visage de larmes.

Silvandre

He ! Tirsis, quels assauts, quelles dures alarmes,
Ay-je souffert aux nuits de ce chaste Soleil ?
Combien de fois mon mal a fait que le sommeil
Loin de mes tristes yeux a guidé sa volee ?
Combien de fois mon ame ardemment affolee
D’un pudique desir de revoir sa beauté,
A gemy soubs le dueil ? Je fuyais la clarté,
Tout ainsi qu’un hibou, et ma triste pensee,
Entre mille soupçons fierement balancee,
Au naufrage parfois portoit mon cher desir,
Puis par l’espoir flateux je me sentois saisir :
Ainsi pressé tousjours de cent jalouses craintes,
J’ay poussé vers le ciel le trait de mes complaintes,
Et tristement privé du beau jour de son œil,
Je ne me suis repeu que de pleurs et de dueil.


Scène 4

Cléande

Seray-je donc tousjours de mon bien eslongnee,
Verray-je donc mon sein et ma face baignee
De mes ameres pleurs ? n’auray-je point soulas,
En cest eslongnement que l’espoir du trespas ?
Iray-je donc tousjours sur des rives lointaines,
Vagabonde pleurer mes langoureuses peines,
Me paistre de douleurs, sans apres tant de nuits
Revoir mon doux Soleil dissiper mes ennuis ?
Sans revoir la douceur de cest aimé visage
Par le trait d’un regard appaiser mon orage ?
O ciel injuste ! Ciel jaloux de mon bonheur,
Qui t’esjouis du mal qui traverse mon cœur,
Pourquoy ta cruauté ne me ravit la vie ?
Ou pourquoy te rends-tu contraire à mon enuie ?
Redonne moy celuy que la rigueur du fort
M’a si longtemps ravy, ou bien fais que la mort
Esloingne tout d’un coup et ma vie et ma flame.
Ha ! non, car ce bel œil dont la douceur m’enflame
Ne me survivroit pas, et t’aime mieux cent fois
Souffrir patiemment le mal que je reçois,
Afin de voir encor l’object de ma pensee
Dissiper la douleur dont mon ame est pressee,
Et que mon doux Berger n’avance son trespas.


Scène 5

Silvie, Cléande.
Silvie

Silvie infortunee, Amour cruel, helas !
Que ne me fit le Ciel plus dure qu’une roche,
Plus sourde que la mer, d’où la pitié n’aproche ?
Mais n’est-ce pas Cleande, ha ! triste souvenir,
Qui te fait derechef devers moy revenir ?
Toutes fois il le faut chasser de ma pensee.

Cléande

Silvie, quel foucy a ton ame blessee ?

Silvie

Le triste souvenir de l’ingrate rigueur
De celuy qui jadis fut le Roy de mon cœur,
Fait que le jour plus beau m’est une nuit obscure.
Que si la loy du fort ordonne que je meure
Pour cest ingrat Berger, helas ! que n’est le jour
Le dernier de ma vie ?

Cléande

Le dernier de ma vie ?Et quoy, c’est donc l’Amour
Qui si violamment rend ton ame affligee ?

Silvie

De tant de soins divers je me vais saccagee,
Depuis qu’Amour cruel m’osta la liberté,
Qu’il feroit mieux pour moy n’avoir jamais esté,
Que de languir au joug d’Amour, à qui mes larmes,
Au lieu de l’adoucir ont fait prendre les armes,
Pour redoubler mes maux ; mais ne cognois-tu pas
Le Berger qui surprit mon ame à ses appas ?

Cléande

Non.

Silvie

Non.Tu ne cognois point celuy qui peut tout prendre
Par le trait de ses yeux, ce Soleil, ce Silvandre,
Le Roy de tous les cœurs sensibles à l’Amour ?
Ha ! Cleande, si fais, tu le cognois.

Cléande

Ha ! Cleande, si fais, tu le cognois.Un jour
J’en ouys discourir une Nimphe gentile,
Qui laissa le sejour de sa natale ville,
Pour plier dans nos bois le joyeux renouveau ;
Elle le depeignoit jeune, courtois et beau,
Et de qui les regards estoient de douces fleches,
Qui faisoient dans les cœurs mille amoureuses breches.

Silvie

Cleande, railles-tu ? quoy tu ne cognois point
Silvandre, dont le cœur au rien par Amour joint
Ne respire qu’en toy ?

Cléande

Ne respire qu’en toy ?Las ! Il est vray Silvie,
Je cognois ce Berger, le doux Roy de ma vie,
Dont l’absence me tue, et dont le souvenir
Peut seul en mes langueurs ma vie retenir
Mais est-ce le subject dont ton ame est blessee ?

Silvie

C’est luy-mesme, c’est luy dont la triste pensee
Change souvent mes yeux en fontaines de pleurs,
Et renouvelle en moy mille fieres douleurs.
Mais voy comme le fort je joue de mon ame,
Celuy qui premier fit qu’une amoureuse flame
Attisa mes desirs, ce fut Silvandre, helas !
Ingrat s’il en fut onc, alors de mes appas
Vit Berger fut espris, Berger de qui la grace
Eusse peu par Amour en mon cœur trouver place,
Si les yeux de Silvandre object de mon desir
N’eussent blesse mon ame ; en luy tout mon plaisir
Et mon bien reposoit, je veue estoit ma vie,
Er ma mort son absence : heureuse alors Silvie,
Ores infortunee ! enfin voyant un jour
Que pour auoir esté insensible en Amour.

Phlis fut justement en un rocher changee,
Bien que mon ame fut doucement engagee
Pour Silvandre mon Roy, toutes fois redoutant
La vengeance du ciel, je sortis l’instant
De la douce prison de mon ingrat Silvandre.
Et soudain à Trsis mon ame s’alla rendre,
Las ! plus tost par pitié que non pas par Amour !
Moy qui avois esté insensible tousjour,
Et qui n’avois pour luy qu’un mespris de mon ame,
Je me rendis alors favorable à sa flame :
Mais lors il se rendit insensible pour moy,
Il mesprisa mes vœux, retirant de ma loy
Sa liberté pressee, il s’eloigna ; chetive,
He ! faut-il cependant qu’en ces ennuis je vive
He ! faut-il que je souffre un mespris dont, helas !
Le seul penser me donne à tout point le trespas ?
Ouy Cleande, il le faut. puis que la destinée,
A me nuire tousjours sicrement obstinée,
Me force à le souffrir, toutes fois si mon cœur
S’alume jamais plus d’une amoureuse ardeur,
On verra le soleil privé de sa lumiere.
Je reprends desormais ma liberté premiere,
Je brise les liens qui m’ont autrefois pris,
Et foule mes vainqueurs soubs les pie ds du mespris :
Mais afin que le temps ny les promptes journee
Ne puissent par le cours des legeres annees,
Engoufrer soubs l’oubly ma fiere volonté,
Je veux pour tesmoigner ma douce liberté,
Grimer fur ce rocher : SI L’AMOUR ME SCEUT PRENDRE

PAR L’INVINCIBLE TRAIT DES BEAUX YEUX DE SILVANDRE,
MAINTENANT JE LE BRAVE ET NE CRAINS SON POUVOIR.

Cléande

Eh moy qui n’ay d’Amour, d’ame, ny de vouloir
Que pour luy seulement, sur ceste roche dure
Je burine ces vers : BIEN QU’EN AYMANT JE MEURE,
LA MORT POURTANT ME PLAIST, ET MA TRISTE LANGUEUR
M’EST SI CHEREMENT DOUCE ET ACREABLE AU CŒUR,
QUE JE VEUX QUE LA TERRE ET LE CIEL MESME ENTANDE
QUE SILVANDRE EST LA VIE ET L’AME DE CLEANDE.
Mais quand reviendra-t-il ce bel astre d’Amour,
Redonner à mes yeux leur ordinaire jour ?
Quand verray-je mon ame, aux langueurs asservie,
Reprendre en le voyant et l’espoir et la vie ?
Quand verray-je son œil amoureusement beau
Adoucir ma langueur, et comme un clair flambeau.
D’un regard plain de traits disiper mon martire ?

Silvie

Cleande, le Soleil, qui des-jà se retire,
Semond à la retraicte et nous et nos troupeaux,
Vois-tu pas dans le Ciel reluire les flambeaux,
Dont la ombre clarté d’ombres environnee,
Va chassant peu à peu la luisante journee ?

Cléande

Allons, mais paravant que partir de ces bois,
Je veux encore un coup, par le trait de ma voix,

Semondre à son retour mon trop tardif Silvandre.
S’il est vray que mes yeux t’ayent sceu jamais prendre,
Comment sans leur adueu t’en peus-tu separer ?
Et comment as-tu peu si longtemps demeurer
Sans me voir, si ma veue estoit jadis ta vie ?
Ton ame est-elle point à mon joug asservie ?
M’aymes-tu pas, Silvandre ? ouy, car tu l’as juré,
Et tu vis cependant loin, bien loin, esgaré,
He ! reuviens tost, ou crois, trop paresseux Silvandre,
Que ta Cleande, helas ! je meurt par trop attandre.


Scène 6

Silvandre, Tirsis.
Silvandre

Retarde encor un peu ta carriere, beau jour,
Pour jevoir auec moy ce bel Astre d’Amour,
Luy seul plaist à mes yeux, et sa douce lumiere
Repaist de ses appas mon ame prisonniere.

Tirsis

Silvandre je te plains.

Silvandre

Silvandre je te plains.Non, non, ne me plains pas :
Car fi je meurs d’amour, je tiens beau mon trespas ;
Mais d’où vient, cher Tirsis, que tu me plains ?

Tirsis

Mais d’où vient, cher Tirsis, que tu me plains ?Silvandre,
Qu’il seroit mieux pour toy de ne pouvoir entendre
Ce qu’ores je te dis !

Silvandre

Ce qu’ores je te dis !Et quoy ?

Tirsis

Ce qu’ores je te dis ! Et quoy ?Ou’en vain tu crois
Estre aymé de Cleande.

Silvandre

Estre aymé de Cleande.He ! donc je me deçois ?

Tirsis

Ouy.

Silvandre

Ouy.Comment ?

Tirsis

Ouy. Comment ?Ly ces vers

Silvandre

Ouy. Comment ? Ly ces versHa ! perfide, ha ! cruelle ;
Soleil cache tu face, et toy, troupe immortelle,
Et toy Ciel fi souvent à tesmoin appellé,
Las ! ne punis-tu point ce serment violé ?
Souffres-tu que mon ame injustement deceue,
Reclame en vain ton aide : où est ta foudre aigue ?

Tirsis

Silvandre esjouys-toy, ferme les yeux aux pleurs.

Silvandre

Helas ! il ne se peut sans finir mes douleurs.

Tirsis

Aussi tu n’en as plus.

Silvandre

Aussi tu n’en as plus,Las ! he ! comment ?

Tirsis

Aussi tu n’en as plus, Las ! he ! comment ?Approche,
Et viens voir soubs le pied de ceste vieille roche
La douce guerison de ton nouveau souci.

Silvandre

Soyent benis les yeux, et toy Tirsis aussi

Pardonne-moy, Cleande, helas ! je te confesse,
J’ay trop legerernent douté de ta promesse,
Mais aussi qui n’eust craint ? toutes fois pour marquer
Que i’absence n’a peu mon ardeur suffoquer,
Reclamant tes beaux yeux mes plus cheres idoles,
Je veux sur ce rocher buriner ces paroles :

Paravant que le fort m’esongna de ces bois,
Cleande me lioit au doux joug de ses loix,
Et ores de retour, la beauté de sa face,
Ainsi qu’auparavant, d’un mesme nœud m’embrasse.
Puisse faire le Ciel qu’avant le soir ombreux
Je revive au doux jour de son œil amoureux.

Allons, mon cher Tirsis ; las ! qu’une longue absance
Traine avec foy de maux ! tousjours la defiance
Accompagne nos pas, nos yeux et nostre cœur,
Nostre ame est aux aguets sur le pied de la peur,
Au moindre bruit, helas ! elle affole de crainte,
Et sent plus tost couler les larmes et la plainte,
Qu’en sçavoir le subject, tant l’Amour est jaloux,
Et sensible aux soupçons, et bref, pront au courroux.


Scène 7

Cléande, Silvie.
Cléande

Cesseras-tu jamais, mon ame, de te plaindre ?
Mouiller tes yeux de pleurs, souspirer, et de craindre ?

Cesseras-tu jamais d’importuner les Dieux ?
Non, si ce beau Soleil ne reluit à mes yeux,
Non, si par le retour de son œil que j’adore,
Je ne sens dissiper le dueil qui me devore.
He ! mais qui te retient en cest esloignement ?
Silvandre (las, diray-je) insensible au tourment
Qui me rend soucieuse aux nuits de ton absance,
Quel charme peut cacher si longtemps ta presense
A mes yeux, non plus yeux, mais fontaines de pleurs ?
As-tu par l’eau d’oubly amorty les ardeurs
Qu’Amour avoit pour moy dans ton cœur allumees ?
Mes beautez, autrefois cherement aimees,
Sont-elles maintenant hors de ton Souvenir ?
As-tu donc desseigné de ne plus revenir ?
N’aymes-tu pas encor ? C’est trop tardé, Silvandre,
Je ne puis si longtemps sans me plaindre t’atendre ;
Et vous, Rochers, jadis sejour de mon vainqueur,
Que ne me randez-vous ce beau Roy de mon cœur,
Ce Berger dont la veue est mon ame et ma vie ?
Où est-il maintenant ? Mais approche, Silvie,
Ne te femble-t-il pas de voir sur ce rocher
Un nouveau chiffre ?

Silvie

Un nouveau chiffre ?Il faut de plus prez l’approcher.

Cléande

O ciel ! seroit-ce pas mon Berger ? ha ! je tremble
De crainte et de desir, allons le voir ensemble.

Silvie

Que sert de plus douter de son retour ?

Cléande

Que sert de plus douter de son retour ?Helas !
Que tu m’es favorable au point de mon trespas
O Ciel plain de douceur ! Mais allons le relire.


Scène 8

Silvandre, Tirsis, Cléande, Silvie.
Silvandre

Ciel, quand finiras-tu mon langoureux martire ?
Soleil, de qui j’atens si la vie et le jour,
He ! quand reviendras-tu esclairer ce sejour !
He ! quand reviendras-tu esclairer ce Ce jour.
Echo, las ! pleut aux Dieux ! mais, dis moy si ma belle
Est tout ainsi que moy en son amour fidelle.
Las ! tu ne reponds rien ? sois muette tousjours,
Du Ciel tant seulement j’atendray mon secours.
Du Ciel tant seulement j’atendray mon seCours.
Que je coure ? ha ! trompeuse, et où ? en quel rivage,
Sur quel mont et quel bois, pour voir ce beau visage,
Pour revoir ce Soleil dont mon cœur fe brusla ?
Pour revoir ce Soleil dont mon cœur fe brusLa.
La ! helas ! je le voy.

Tirsis

La ! helas ! je le voy.A quoy penses-tu la ?
Avance donc.

Cléande

Avance donc.Douter de son retour, Silvie,
Je ne le pourrois plus.

Silvandre

Je ne le pourrois plus.Aussi, ma douce vie,
Cleande, tu me vois retourné devers toy,
Mais cent foi moins remply de vie que de foy.

Cléande

Silvandre, il est donc vray que te te voy.

Silvandre

Silvandre, il est donc vray que te te voy.Mon ame
Tousjours brusle pour toy d’une amoureuse flame.

Cléande

Ne crois-tu pas aussi que je t’ayme ?

Silvandre

Ne crois-tu pas aussi que je t’ayme ?Si fais,
Et de ceste creance en t’aimant je me pais,

Cléande

Pourquoy tardois-tu tant si tu m’aimois, Silvandre,
Croyois-tu sans souffrir que je peusse t’atendre ?

Silvandre

Las ! c’estoit mon malheur, et non ma volonté ;
Qui m’allait separant de ta douce beauté.
Si je vivois, helas ! ce n’estoit que de larmes,
Affailly nuit et iour d’un million d’alarmes
Qui troubloient mon repos, repos, non, mais mon cœur,
Car loing de toy, ma vie, une triste langueur
Me pressoit tellement, que des plus belles Dames
Les yeux plus beaux m’estoient de mortuaires flames :
Tout m’estoit ennuyeux, fors ton doux souvenir,
Qui seul m’a fait enfin devers toy revenir.

Cléande

Favorable retour qui me redonne l’ame.

Silvandre

Ha ! parolle de miel qui doucement r’enflame
Mon espoir my-esteint.

Tirsis

Mon espoir my-esteint.Jà, des-ja le Soleil
Incline avec le jour aux ombres du sommeil,
Silvandre.

Silvandre

Silvandre.Et bien, ma belle, allons à la retraicte.

Silvie

Pourquoy me fit le Ciel à tant de maux subjecte ?
Pourquoy ne suis-je, helas ! si heureuse en amour ?
Coupe quand tu voudras la trame de mon jour,
O Ciel injurieux ! Puis que ma triste vie
Aux ennuis seulement est tousjours asservie,
Et puis que tout plaisir s’estrange de mon cœur ;
Il vaut mieux n’estre pas, que de vivre en langueur !