Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/LeQuartLivre/53

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Alphonse Lemerre (Tome IIp. 456-459).

Comment par la vertus des Decretales est l’or subtilement tiré de France en Rome.

Chapitre LIII.



Ie vouldroys, dist Epistemon, avoir payé chopine de trippes à embourser, & que eussions à l’original collationné les terribles chapitres Execrabilis. De multa. Si plures. De Annatis per totum. Nisi escent. Cum ad monasterium. Quod dilectio. Mandatum & certains aultres, les quelz tirent par chascun an de France en Rome quatre cent mille ducatz, & d’adventaige.

Est ce rien cela ? dist Homenaz. Me semble toutesfoys estre peu, veu que France la treschristiane est unicque nourrisse de la court Romaine. Mais trouvez moy livres on monde, soient de Philosophie, de Medicine, des Loigs, des Mathematicques, des letres humaines, voyre (par le mien Dieu) de la saincte escripture, qui en puissent autant tirer ? Poinct. Nargues, nargues. Vous n’en trouverez poinct de ceste auriflue energie : ie vous en asceure. Encores ces diables Hæreticques ne les voulent aprendre & sçavoir. Bruslez, tenaillez, cizaillez, noyez, pendez, empallez, espaultrez, demembrez, exenterez, decouppez, fricassez, grislez, transonnez, crucifiez, bouillez, escarbouillez, escartelez, debezillez, dehinguandez, carbonnadez ces meschans Hæreticques Decretalifuges, Decretalides, pires que homicides, pires que parricides, Decretalictones du Diable. Vous aultres gens de bien si voulez estre dictz & reputez vrays Christians, ie vous supplie à ioinctes mains ne croire aultre chose, aultre chose ne penser, ne dire, ne entreprendre, ne faire, fors seulement ce que contiennent nos sacres Decretales, & leurs corollaires : ce beau Sixiesme, ces belles Clementines, ces belles Extravaguantes. O livres deificques. Ainsi serez en gloire, honneur, exaltation, richesses, dignitez, prelations en ce monde : de tous reverez, d’un chascun redoubtez, à tous preferez, sus tous esleuz & choisiz. Car il n’est soubs la chappe du ciel estat, du quel trouviez gens plus idoines à tout faire & manier, que ceulx qui par divine prescience & eterne predestination, adonnez se sont à l’estude des sainctes Decretales. Voulez vous choisir un preux Empereur, un bon capitaine, un digne chef & conducteur d’une armée en temps de guerre, qui bien sçaiche tous inconveniens prevoir, tous dangiers eviter, bien mener ses gens à l’assault & au combat en alaigresse, rien ne hazarder, touisours vaincre sans perte de ses soubdars, & bien user de la victoire ? Prenez moy un Decretiste. Non, non. Ie diz un Decretaliste. (O le gros Rat dist Epistemon.) Voulez vous en temps de paix trouver home apte & suffisant à bien gouverner l’estat d’une Republicque, d’un royaulme, d’un empire, d’une monarchie : entretenir l’Ecclise, la noblesse, le senat & le peuple en richesses, amitié, concorde, obeissance, vertus, honesteté ? Prenez moy un Decretaliste. Voulez vous trouver home, qui par vie exemplaire, beau parler, sainctes admonitions, en peu de temps, sans effusion de sang humain, conqueste la terre saincte, & à la saincte foy convertisse les mescreans Turcs, Iuifz, Tartes, Moscovites, Mammeluz & Sarrabovites ? Prenez moy un Decretaliste. Qui faict en plusieurs pays le peuple rebelle & detravé, les paiges frians & mauvais, les escholiers badaulx & asniers ? Leurs gouverneurs, leurs escuiers, leurs precepteurs n’estoient Decretalistes.

Mais qui est ce (en conscience) qui a estably, confirmé, authorisé ces belles religions, des quelles en tous endroictz voyez la Christianté ornée, decorée, illustrée, comme est le firmament de ses claires estoilles ? Dives Decretales. Qui a fondé, pillotizé, talué, qui maintient, qui substante, qui nourist les devosts religieux par les convens, monastères, & abbayes : sans les prières diurnes, nocturnes, continuelles des quelz seroit le monde en dangier evident de retourner en son antique Cahos ? Sacres Decretales. Qui faict & iournellement augmente en abondance de tous biens temporelz, corporelz, & spirituelz le fameux & celèbre patrimoine de S. Pierre ? Sainctes Decretales. Qui faict le sainct siège apostolicque en Rome de tous temps & auiourd’huy tant redoubtable en l’Univers, qu’il fault ribon ribaine, que tous Roys, empereurs, potestatz, & seigneurs par luy soient couronnez, confirmez, authorisez, vieignent là boucquer & se prosterner à la mirificque pantophle, de laquelle avez veu le protraict ? Belles Decretales de Dieu. Ie vous veulx declairer un grand secret. Les Universitez de vostre monde, en leurs armoiries & divises ordinairement portent un livre, aulcunes ouvert, aultres fermé. Quel livre pensez vous que soit ?

Ie ne sçay certes, respondit Pantagruel. Ie ne leuz oncques dedans.

Ce sont, dist Homenaz, les Decretales, sans les quelles periroient les privilèges de toutes Universitez. Vous me doibvez ceste là. Ha, ha, ha, ha, ha.

Icy commença Homenaz rocter, peter, rire, baver, & suer : & bailla son gros, gras bonnet à quatre braguettes à une des filles : laquelle le posa sus son beau chef en grande alaigresse, après l’avoir amoureusement baisé, comme guaige, & asceurance qu’elle seroit première mariée.

Vivat (s’escria Epistemon) vivat, fifat, pipat, bibat. O secret Apocalypticque.

Clerice (dist Homenaz) clerice, esclaire icy, à doubles lanternes. Au fruict pucelles. Ie disois doncques que ainsi vous adonnans à l’etude unicque des sacres Decretales, vous serez riches & honorez en ce monde. Ie diz consequemment qu’en l’aultre vous serez infailliblement saulvez on benoist royaulme des Cieulx, du quel sont les clefz baillées à nostre bon Dieu Decretaliarche. O mon bon Dieu, lequel ie adore, & ne veids oncques, de grace speciale ouvre nous en l’article de la mort, pour le moins, ce tressacre thesaur de nostre mère saincte Ecclise, du quel tu es protecteur, conservateur, prome conde, administrateur, dispensateur. Et donne ordre que ces precieux œuvres de supererogation, ces beaulx pardons au besoing ne nous faillent. A ce que les Diables ne trouvent que mordre sus nos paouvres ames, que la gueule horrificque d’Enfer ne nous engloutisse. Si passer nous fault par Purgatoire, patience. En ton pouvoir est & arbitre nous en delivrer, quand vouldras.

Icy commença Homenaz iecter grosses & chauldes larmes, batre la poictrine, & baiser ses poulces en croix.